1.4 La maîtrise de la langue comme facteur
d'intégration : conséquences d'une représentation
prégnante
J'ai pu justifier l'idée que la migration constitue le
lieu du conflit identitaire et qu'il devient pesant pour le migrant de se
confronter au poids des représentations qui lui sont assignées.
La non maitrise de la langue du pays d'immigration peut également
représenter une source d'angoisse et d'insécurité
linguistique pour le migrant qui aura tendance à comparer son
français à la norme d'un français imaginaire, un
français enfermé dans une « idéologie
uniformisatrice » (Blanchet et al., 2014 : 292). Mes
enquêtés, en tant qu'apprenants, doivent se référer
à une norme linguistique véhiculée par les institutions
qu'ils fréquentent. Cette norme souvent idéalisée, par les
formateurs de français eux même parfois, a tendance à
écarter la parole des apprenants et à les mettre dans une
situation d'insécurité linguistique où ils prennent
conscience :
« d'une distance entre leur
idiolecte (ou leur sociolecte) et une langue
qu'ils reconnaissent comme légitime parce
qu'elle est celle de la classe dominante, ou
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celle d'autres communautés où l'on parle un
français « pur », non abâtardi par les
interférences avec un autre idiome, ou encore celle de locuteurs fictifs
détenteurs de LA norme véhiculée par
l'institution scolaire » (Francard et al., 1993 : 13).
Il est d'autant plus important de désacraliser le
standard de la langue pour les apprenants en situation de migration car il
s'agit non seulement de locuteurs en situation d'apprentissage parfois
débutants et n'ayant pas forcément conscience de ces normes mais
aussi de certains apprenants provenant de pays francophones n'utilisant pas la
même norme : « La « sacralisation » de ces formes
standardisées est l'une des causes de l'insécurité
linguistique des locuteurs qui usent d'autres variétés ou
d'autres langues » (Blanchet et al., 2014 : 283). En effet,
c'est pour cela que le processus d'apprentissage, bien que difficile pour
certains, sera déterminant dans le processus d'intégration car il
représentera l'un des vecteurs facilitant son intégration et son
émancipation au sein de la société par son usage pratique
et pourra lui permettre d'exprimer entre autres, ses angoisses : « La
langue est à la fois une source d'angoisses très importante, mais
apparaît aussi comme une voie (ou voix) permettant la résolution
de ces angoisses » (Lhomme-Rigaud & Désir, 2005 : 89).
Après avoir interrogé mes enquêtés
sur le rapport entretenu entre langue(s) et intégration et plus
précisément entre apprentissage du français et
intégration, il m'a paru intéressant d'aborder et d'envisager ce
rapport sous l'angle de l'intégration linguistique perçu comme un
processus « où les individus en situation de mobilité
expriment, racontent comment la/les langue/s a/ont été un
élément, une entrave, un objet de désir ou de rejet dans
leurs processus d'intégration » (Calinon, 2013 : 27) et non
pas comme un processus mettant en avant « le mythe du rôle
primordial et suffisant de la langue dans les processus d'intégration
» (Ibid. : 27) que l'on retrouve malheureusement bien
souvent « dans les discours des politiques, dans les titres des
médias, dans de multiples strates de la société et,
parfois, chez les migrants eux-mêmes » (Biichlé, 2009 :
36).
L'idée d'intégrer les personnes uniquement par
la langue est récurrente « C'est par elle que se fait
l'intégration sociale et c'est par elle que se forge la symbolique
identitaire » (Charaudeau, 2009 : 15). Je postule
plutôt pour une reconnaissance des langues/des discours afin de traiter
de la question de l'intégration car elles constituent une richesse pour
le pays d'accueil si elles sont considérées comme telles. En
effet, la langue en tant qu'unique facteur d'intégration pose
problème car elle écarte la diversité des pratiques
langagières existantes
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dont celles de mes enquêtés mais elle
écarte aussi les autres facteurs permettant à un migrant de
s'intégrer tels que les difficultés sociales d'accès au
logement, à l'emploi, etc. : « La connaissance de la langue
française ne suffit pas. Comme l'accès au logement,
l'accès à l'emploi est au coeur des freins à
l'intégration » (Candide in Archibald & Chiss,
2007 : 198).
Deux imaginaires sur la langue sont en jeu lorsqu'il est
question d'intégration, le débat se pose sur la conception
même de la langue (débat déjà soulevé plus
tôt avec l'opposition langue et parole) : doit-on traiter de la langue ou
du discours lorsqu'il s'agit d'intégration ? D'une part, il est
envisagé que l'intégration passe par une langue qui soit le
reflet unique et commun à l'ensemble des cultures présentes dans
les territoires parlant cette langue :
« Une représentation unitaire de la
langue qui est assez largement partagée dans différentes
cultures. Elle dit que les individus s'identifient à une
collectivité unique, grâce au miroir d'une langue commune
que chacun tendrait à l'autre et dans laquelle tous se
reconnaîtraient » (Charaudeau, 2009 : 14).
On voit par-là, le pouvoir accordé à la
langue comme objet de cohésion sociale et la volonté
derrière d'homogénéiser et d'effacer la diversité
des pratiques langagières au sein d'une seule et même culture,
d'une seule et même langue. D'autre part, il y a un deuxième point
de vue qui considère que la langue ne peut être
représentative de toute une culture, c'est pourquoi il faut plutôt
parler de discours :
« la langue n'est pas le tout de la
culture. [...] on peut se demander si c'est la langue qui a un
rôle identitaire ou ce que l'on appelle le discours,
c'est-à-dire l'usage que l'on fait de la langue
[...].Contre une idée bien répandue, il faudrait
dissocier langue et culture, et associer discours et culture (Charaudeau,
2009 : 15).
Enfin, j'entends par-là que la diversité des
cultures et des discours présents au sein des territoires francophones
n'est que le reflet de la diversité des apports et des parcours de
chacun, ces langues témoignent des mouvements d'une culture et participe
à son inévitable évolution.
La prise en compte des parcours de migration devrait permettre
à l'enseignant de FLE/FLS de mieux comprendre ses apprenants et
contribuer à personnaliser son
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enseignement. Selon moi, la maitrise du français ne
constitue pas un élément décisif de l'intégration
du migrant. Il est d'autant plus incompréhensible de valider cette doxa
qui ne différencie aucun migrant de l'autre, car la diversité des
parcours migratoires ne permet pas de raisonner de la même façon.
Chaque parcours est différent, par exemple, il m'est impossible de
raisonner de la même façon avec une personne ayant fuit son pays
en guerre dans l'urgence et n'ayant fait aucun apprentissage du français
qu'avec une personne ayant minutieusement préparé son
départ et dont l'apprentissage du français a
démarré à l'enfance. Entrent également en jeu, les
différences entre les systèmes linguistiques des apprenants.
Cependant, je peux comprendre que si l'on se focalise autant sur la langue
comme moteur de l'intégration, il s'agit peut-être d'un moyen de
se détourner d'autres problèmes : « le rôle majeur
que l'on octroie à la langue dans le processus d'intégration ne
masque-t-il pas d'autres problèmes ? » (Biichlé, 2007 :
245). Ainsi, si j'accepte que la langue constitue certes l'un des facteurs
favorisant l'intégration d'un apprenant, alors il est bon de se demander
comment faire pour apprendre une langue dans son contexte et ainsi faire entrer
l'apprenant au sein de la démarche actionnelle préconisée
par le CECR sans d'abord s'intégrer ? Selon moi, la véritable
question est bien de savoir si ce n'est pas plutôt en commençant
par favoriser l'intégration et donc les interactions qu'on favoriserait
l'apprentissage de la langue. Le problème ne se poserait plus en termes
de didactique du FLE/FLS uniquement mais impliquerait de comprendre quels sont
les autres facteurs à prendre en compte pour améliorer
l'intégration des migrants.
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