Section 2 - L'intervention américaine en
Irak
La question de savoir si l'intervention américaine en
Irak lancée en mars 2003 est une intervention humanitaire peut
paraître surprenante d'un point de vue francophone. Or, aux Etats-Unis
cette question a nourri un vif débat. Pour des personnalités
comme Messieurs Kouchner, Glucksman ou Tesòn, l'intervention
américaine était bel et bien une intervention humanitaire. Avant
d'examiner à proprement parler l'intervention américaine en Irak
(§ 2), il convient de rappeler le contexte dans lequel cette
dernière s'est déroulée (§ 1).
§ 1 - Le contexte de l'intervention
américaine en Irak
L'intervention américaine en Irak a commencé le
20 mars 2003 à la suite des attentats du 11 septembre 2001.
Appelée également « guerre d'Irak » ou « seconde
guerre du Golfe », cette intervention résulte d'une coalition
conduite par les Etats-Unis. Elle fait suite à une première
intervention en Afghanistan, dans le but d'arrêter Ben Laden qui avait
revendiqué sa responsabilité dans les attentats des tours
jumelles. Les Etats-Unis, entrant « en guerre contre le terrorisme »,
présumaient des liens entre le Président irakien Saddam Hussein
et le réseau terroriste Al-Qaïda. La coalition militaire en Irak
était composée d'une cinquantaine de pays. Cette campagne
militaire a été très importante, faisant appel à
plus de 150 000 soldats au sol (surtout des américains et des
britanniques) et à une force aérienne conséquente. Les
forces américaines n'ont commencé à se retirer du pays
qu'en décembre 2011, soit plus de huit ans après le
commencement.
§ 2 - L'examen du cas irakien
Monsieur Ken Roth, le directeur exécutif de Human
Rights Watch, a mené un examen de l'intervention
américaine135 que nous allons développer tout au long
de ce paragraphe. Il l'effectue à la lumière des critères
de l'intervention humanitaire armée développés par la
CIISE que sont le niveau des tueries (A), le dernier recours (B), l'objectif
humanitaire (C), le respect du droit humanitaire (D), l'effet positif (E) et
l'approbation du Conseil de sécurité (F). Sa réponse est
sans appel, l'intervention
135 Ken ROTH, « War in Iraq: Not a Humanitarian
Intervention », Human Rights Watch World Report, 2004.
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américaine en Irak, sous couvert d'un motif humanitaire
prétexté que trop tardivement, n'est pas une intervention
humanitaire.
A. Le niveau des tueries
Comme nous l'avons vu précédemment, une
intervention humanitaire armée ne peut s'engager que lorsque certains
crimes, les plus graves en droit international, sont constatés. En
l'occurrence, il s'agit du crime de génocide, des crimes de guerre, des
crimes contre l'humanité et du nettoyage ethnique.
Il est indéniable que l'ancien Président Saddam
Hussein était un tyran ayant commis des horreurs par le passé. Au
pouvoir depuis 23 ans, le dirigeant s'était livré à un
réel massacre des kurdes irakiens et une répression des
islamistes chiites du Sud. Monsieur Ken Roth rapporte que « le
gouvernement irakien a tué ou « fait disparaitre » environ 250
000 Irakiens136 », toutefois l'ampleur des massacres avait
nettement diminué à la veille de l'invasion américaine. A
l'époque, personne ne pouvait avancer des preuves qui justifieraient
qu'un futur massacre allait être commis.
L'étendue des massacres qui se sont
déroulés au cours du règne de Saddam Hussein ne justifie
pourtant en rien l'intervention américaine, car elle n'était pas
concomitante à ces derniers. Le caractère exceptionnel d'une
intervention humanitaire armée doit s'accompagner de critères
stricts comme le caractère imminent des massacres. L'absence de «
cause juste » à l'intervention permettrait directement d'affirmer
qu'elle n'est pas une intervention humanitaire armée. Afin de renforcer
ce propos, il convient d'examiner les autres critères.
B. Le dernier recours
Avant l'intervention militaire, une ingérence
judiciaire aurait pu être envisagée comme c'est le cas de nos
jours avec le Président kenyan Uhuru Kenyatta. Certes, la CPI n'aurait
pu être compétente que pour les crimes commis après
l'entrée en vigueur de son statut, soit le 1er juillet 2002.
Puisqu'aucune rétroactivité n'aurait pu être
envisagée, la CPI ne semble pas être une solution adéquate.
En revanche, la création d'une juridiction
136 Ken ROTH, « War in Iraq : Not a Humanitarian
Intervention », op. cit., p. 51.
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pénale internationalisée aurait pu tout à
fait être créée par le Conseil de sécurité,
comme ce fut le cas avec le Tribunal pénal international pour le Rwanda
ou le Tribunal spécial pour la Sierra-Leone.
Toutefois, on peut remarquer que le Conseil de
sécurité s'est intéressé de près à
l'Irak dès 1992 avec sa résolution 688 précédemment
étudiée et qu'aucune initiative de création de juridiction
n'a vu le jour.
C. L'objectif humanitaire
Arguant en premier lieu la présence d'armes de
destruction massive, chimiques, biologiques et nucléaires, les
Etats-Unis ont tenté de justifier l'intervention en Irak tant bien que
mal. Ils ont fait valoir d'un côté des justifications
sécuritaires, et de l'autre, des justifications humanitaire et
démocratique du fait de la dictature que constituait le régime de
Saddam Hussein. La CIISE requiert que la motivation humanitaire ne soit certes
pas la seule, mais qu'elle soit en tout temps première. Or, on peut
observer que les justifications humanitaires ne sont apparues qu'une fois la
campagne militaire lancée, face à l'absence évidente
d'armes de destruction massive.
Ainsi, l'intervention américaine en Irak illustre
parfaitement l'instrumentalisation du droit d'ingérence humanitaire. Il
s'agissait moins de venir au secours des populations dans un objectif
humanitaire, que d'intervenir en vue d'imposer une démocratie et de
s'assurer de l'absence d'armes de destruction massive.
D. Le respect du droit humanitaire
La campagne irakienne a totalement desservi le droit
international humanitaire. Les forces de la coalition se sont rendues coupables
de violation des droits de l'Homme. Le scandale d'Abou Ghraib est un terrible
exemple. Il s'agit d'une prison irakienne dans laquelle des soldats
américains ont commis des crimes tels que des tortures, des viols et des
exécutions. Par ailleurs, le Patriot Act voté par le
Congrès états-uniens peu de temps après les attentats du
11 septembre 2001, avait introduit les statuts de « combattant ennemi
» et de « combattant illégal ». Cela va totalement
à l'encontre du droit international humanitaire et de sa protection des
prisonniers de guerre. En effet, cela
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permet au gouvernement américain de détenir
toute personne soupçonnée de terrorisme, pour une durée
illimitée et ce, sans inculpation (pas de droit à un
procès équitable).
Par ailleurs, avec le recul, on peut s'apercevoir qu'il y a eu
d'importantes pertes civiles parmi la population irakienne du fait des forces
aériennes. Des munitions à fragmentation étaient
également utilisées à proximité de zones
peuplées de civils comme le précise Monsieur Ken Roth. Cela va
à l'encontre des principes classiques du droit international humanitaire
que sont les principes de distinction et de précaution.
E. L'effet positif
Cet effet positif se calcule avant de lancer l'intervention
humanitaire armée, afin de savoir si une amélioration des
conditions de vie de la population peut être obtenue. Monsieur Ken Roth a
procédé à cet examen dans le « Rapport mondial 2004
» d'Human Rights Watch, il n'a ainsi que très peu de recul. Il
rapporte cependant que « les gouvernements américain et britannique
espéraient clairement que le gouvernement irakien tomberait rapidement
et que la nation irakienne emprunterait rapidement le chemin de la
démocratie »137.
Au vu de la situation actuelle en Irak, et de la
décennie passée, on peut se rendre compte à quel point ce
critère peut-être politique, malléable et peu significatif.
Il est toujours difficile de faire des prévisions hypothétiques,
car une situation donnée peut toujours empirer.
F. L'approbation du Conseil de
sécurité
L'approbation du Conseil de sécurité permet
à l'intervention d'être considérée comme
légitime aux yeux de la communauté internationale et de contrer
bon nombre de critiques. De plus, un soutien international permet à une
intervention d'avoir plus de ressources financières et humaines. Pour
reprendre les termes de Monsieur Ken Roth, elle « clôt le
débat sur la légalité138 ».
137 Ken ROTH, « War in Iraq : Not a Humanitarian
Intervention », op. cit., p. 51.
138 Ibid.
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L'intervention américaine s'est déroulée
sans avoir été au préalable autorisée par le
Conseil de sécurité des Nations Unies. Face au spectre du
véto français et russe, aucun projet de résolution allant
dans le sens d'une autorisation n'a été déposé par
les américains. Les Etats-Unis ont argué que la résolution
1441, votée le 8 novembre 2002, constituait une base suffisante à
leur intervention. Cela paraît à plusieurs égards douteux,
notamment à la vue des propos du Conseil de sécurité qui
déclarait « rester saisi de l'affaire. »
On peut en conclure que l'intervention américaine en
Irak de 2003 est illégale par le simple fait qu'elle n'avait pas
reçu l'approbation du Conseil de sécurité. Aucun des cinq
autres critères de légitimité de l'intervention
humanitaire armée n'était rempli. Cette intervention ne peut se
prévaloir du « label » d'intervention humanitaire auquel elle
fait tant mauvaise presse. L'argument humanitaire n'est apparu qu'une fois
après avoir constaté sur le terrain que la présence
d'armes de destruction massive en Irak n'était qu'un mensonge d'Etat de
la part des Etats-Unis. Qui plus est, le lien présumé entre le
Président Saddam Hussein et le terrorisme international n'a jamais
été prouvé. Juridiquement, cette intervention relevait
d'une guerre d'agression conformément à la résolution 3314
de l'Assemblée générale du 14 décembre 1974. Il ne
s'agissait pas d'une guerre préemptive comme le soutenait
l'administration du Président américain Georges W. Bush, mais
d'une guerre préventine.
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