B - Une rigueur conservée en matière
religieuse
183. Dans un état laïque, les convictions
religieuses ne sont que l'expression de la liberté de conscience. Elles
ne constituent jamais, à elles seules, une faute cause de divorce. Un
époux divorçant ne peut donc reprocher à l'autre ses
convictions religieuses, qu'à la condition que celles-ci remplissent les
conditions posées à l'article 242 du Code civil. « Si
l'un des époux ne peut, sous peine de porter atteinte à la
liberté de conscience de l'autre, interdire à ce dernier de
pratiquer la religion qu'il avait délibérément choisie,
encore faut-il que ce choix n'ait pas d'incidence grave sur la vie conjugale et
familiale ; les juges du fond peuvent donc retenir contre un époux, pour
prononcer le divorce, le zèle excessif touchant la pratique de la
religion, lorsqu'il est source de perturbation dans la vie familiale
»110. Ainsi, par exemple, l'appartenance à une
secte n'est pas, en soi, une faute cause de divorce 111.
184. Il est important que la preuve de la gravité (ou
du renouvellement) et de la dégradation du lien conjugal soit
apportée : « manque de base légale l'arrêt qui,
pour accueillir la demande en divorce du mari, se borne à énoncer
que l'appartenance de la femme à une secte, a eu un effet néfaste
sur les relations conjugales, sans apporter la moindre précision sur la
détérioration des relations conjugales retenues à la
charge de la femme »112.
II - Fermeté des juges en matière de
circoncision
185. La même rigueur judiciaire est retrouvée
dans le contentieux de la circoncision (A). Celle-ci est, à divers
égards, à saluer (B).
A - La solution jurisprudentielle
186. La question à laquelle les juges ont dû
répondre est la suivante : le fait, pour un parent, de faire circoncire
l'enfant sans recueillir le consentement de l'autre parent qui exerce avec lui
l'autorité parentale, constitue-t-il une violation grave ou
renouvelée des devoirs et obligations du mariage, rendant
intolérable le maintient de la vie commune ?
187. Une majorité écrasante de six
décisions sur sept113 a rejeté la demande en divorce
fondée sur ce grief. La règle est donc la suivante : la
circoncision de l'enfant à l'insu de l'autre parent n'est pas, en soi,
une cause de divorce au sens de l'article 242
109 Cl. Divorce, Fasc. 85 ou Civil Code, Art. 242 à 247-2,
fasc. 20.
110Civ 2ème, 25 janvier 1978 : Gaz
palais 1978.2.505,note Barbier (jurisprudence constante).
111Constat confirmé dans les deux
arrêts rendus par la CA de Montpellier, le 16 mai 1994 (Juris-data
n° 034169), et le 7 novembre 1994 (Juris-data n° 034245). La semaine
juridique édition générale n° 25, 21 juin 1995, I
3855, droit de la famille, étude par Sylvie Bernigaud, par Hubert
Bosse-Platière, par Nicole Deschamp, par Thierry Dupré, par Yann
Favier, par Sylvie Ferré-André, par Hugues Fulchiron, par Thierry
Garé, Olivier Matocq, Jacqueline Rebellin-Devichi.
112Civ 2eme, 8 nov 1995, Bull civ II n°271.
50
du code civil. Citons, en guise d'illustration, un arrêt
rendu par la Cour d'appel de Rennes le 18 mars 2008* : « S'agissant de
la circoncision, dont la réalité n'est pas contestée, rien
ne fonde l'allégation selon laquelle cette intervention a affecté
l'état de santé de l'enfant, et si une telle décision est
susceptible de requérir l'accord des deux parents, il ne peut être
déduit du seul fait qu'un tel accord n'aurait pas été
recherché par Madame, ce que celle-ci conteste d'ailleurs, que cette
décision est la cause du divorce ».
188. Un arrêt rendu par la Cour d'appel de Grenoble, le
13 janvier 2009*, est lui aussi très clair : « Que quoi qu'il
en soit, si cette omission (circoncision de l'enfant sans en aviser l'autre
parent) était avérée, elle ne constituerait pas un
comportement fautif au sens de l'article 242 du code civil ».
189. Un arrêt fait exception à la règle :
celui rendu par la Cour d'appel d'Aix-en-Pro-vence le 9 janvier 2007*, qui
prononce le divorce aux torts exclusif du mari (« ces faits
constituent une faute au sens de l'article 242 du code civil »).
Mais, en l'espèce, le conflit autour de la circoncision est noyé
au milieu d'autres éléments (violences à l'encontre de la
mère, « confinée à la maison pour s'occuper de sa
famille et dans une
dépendance excessive du bon vouloir de
l'époux »). Il s'agit d'une solution d'espèce. Cette
exception ne préjuge donc pas de l'exactitude du principe
dégagé.
190. Une motivation, un peu à part, mérite
enfin d'être soulevée : « La circoncision d'un enfant,
à l'initiative du père sans l'accord exprès de la
mère, n'est pas constitutif d'une faute au sens de l'article 242 du Code
civil, les deux époux étant de confession musulmane et la femme
ne rapportant pas la preuve d'avoir préalablement fait part à son
conjoint de son désaccord quant à la pratique de ce rite
cultuel »(CA d'Aix-en-Provence du 4 mars 2004*). Nonobstant le
problème de preuve, la Cour a jugé utile de rappeler que les
époux étaient tous deux de confession musulmane. Cette
référence à la confession des époux n'est pas
anodine. Elle paraît renvoyer à une atténuation de la faute
fondée sur des « excuses » (argument fréquent en
matière de divorce). Ainsi, le non respect par l'un des époux des
règles de l'exercice conjoint de l'autorité parentale peut
être excusé ou atténué par l'existence de certaines
circonstances114. Plus précisément, la formule
employée par la Cour d'appel d'Aix fait penser à deux types
d'excuses
:
191. Elle fait d'abord penser aux excuses tirées d'une
acceptation des risques, dont l'émergence est encore embryonnaire en
droit du divorce. Elle signifie qu'un conjoint ne pourrait faire grief
à l'autre d'un comportement ou d'agissements dont il le savait coutumier
lors de la célébration du mariage et dont il a ainsi
accepté le risque115. La formule fait aussi penser,
dans une moindre mesure, à l'excuse tirée du milieu social
113CA Aix-en-Provence du 4 mars 2004* ; CA Aix 30
mai 2006* ; CA Montpellier 23 mai 2007* ; CA Rennes 18 mars 2008* ; CA Paris 3
décembre 2008* ; CA Grenoble 13 janvier 2009*.
114 Rappelons à ce titre que les juges du fond peuvent
et doivent statuer en considérant toutes les circonstances susceptibles
d'exercer une influence sur la solution du litige, en excusant ou en
atténuant les torts du défendeur, soit que ces excuses fassent
disparaître la faute, soit qu'elles atténuent la gravité de
la faute, soit, enfin, qu'elles rendent tolérables la faute et le
maintien du lien conjugal.
51
du ou des époux. En effet, ce dernier arrêt
montre comment les juges du fond, sans doute dans un souci de réalisme,
prennent en compte le milieu social des époux afin d'apprécier la
gravité de la faute au sens de l'article 242 du Code civil. Les deux
parents étant de confession musulmane, la circoncision de l'enfant ne
serait donc pas,
pour eux, une faute d'une particulière
gravité. Ce ne serait pas la première fois que les juges font
une telle analyse. Dans des contentieux extérieurs à la
circoncision, est observée une prise en compte du milieu social et de
l'éducation, afin d'apprécier la gravité de la faute au
sens de l'article 242 du Code civil116.
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