B. Les gestes dans l'enseignement
Ayant abordé les principes de la communication et leur
lien avec l'enseignement, il semble important, avant d'entrer dans le
détail de la gestuelle, de définir les termes enseigner,
transmettre, former... utilisés dans ce mémoire comme mot-valise.
Nous nous reposerons ici sur les théories du behaviorisme, du
constructivisme et du socioconstructivisme : enseigner, c'est à la fois
transmettre des connaissances et accompagner les apprenants durant le processus
d'acquisition et de construction de ces connaissances. Les actes «
enseignement » et « apprentissage » sont pensés
conjointement tout au long de ce mémoire.
Un accent plus important est mis sur la perception de
l'apprentissage tel que défini par Vygotski (1976) et Bruner (1996),
dans le sens où la culture a une grande place dans l'enseignement : la
culture forme l'esprit. Par ailleurs, le développement va du social
à l'individuel : l'interaction semble donc importante pour le
développement personnel. Dans cette perspective, la communication est
fondamentale, et le rôle de l'enseignant est changeant.
La communication dans la salle de classe ne passe pas
uniquement par le vecteur de la voix, comme nous l'avons évoqué
précédemment : les gestes de l'enseignant sont tout aussi
importants que ses mots. Et, tout comme les mots que l'on peut
catégoriser, selon des classes grammaticales, des fonctions... des
chercheurs (Birdwhistell (1952, 1970), Tellier & Stam (2002), Ekman (1971,
2004)) se sont efforcés de catégoriser ses gestes. La partie
suivante tentera de présenter ces catégorisations, et leur emploi
dans l'enseignement, dans le contexte de la salle de classe.
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1. Catégorisation des gestes
a) L'analyse Kinétique
Dès les années 50, l'anthropologue
américain Birdwhistell est intéressé par l'étude de
la façon dont les gens communiquent par les gestes, la posture et les
mouvements. Dans son ouvrage de 1970, Kinesics and Context: Essays on Body
Motion Communication, reprenant les idées de ses premiers travaux
parus en 1952, Introduction to Kinesics: An Annotation System for Analysis
of Body Motion and Gesture, il avance ainsi l'idée que «
body motion is a learned form of communication, which is patterned within a
culture and which can be broken down into an ordered system of isolable
elements» (introduction, p. XI). Si le concept de communication par
le corps est un sujet connu du grand public dès la fin des années
60, il aura fallu pour y parvenir que Birdwhistell réalise un gros
travail d'analyse de vidéos et de photos de personnes en contexte social
- c'est à dire en situation d'interaction - et d'analyse de leurs
mouvements afin de mettre en avant des éléments de communication
habituellement peu clairs. Il avance ainsi l'idée que tous les
mouvements sont « porteurs de sens » et que le comportement
non-verbal peut s'analyser comme la grammaire.
Dans la décomposition des gestes proposée par
Birdwhistell, qui a pour but la création d'un système de gestes,
la plus petite unité possible est le kinème (qui
rappelle ainsi le morphème en linguistique). Les variations d'un
kinème sont appelées allokines et kines . Ces
variations sont de l'ordre de l'intensité, de la fréquence, de
l'étendue ou de la durée du geste. Mais ces structures plus
complexes existent : on retrouve ensuite, toujours en parallèle avec la
linguistique, le kinémorphème (qui rappelle ainsi le
morphème), puis les constructions kino-morphiques plus complexes. Les
kinèmes forment la classe d'analyse microkinésique, et les
secondes strates, la classe d'analyse macrokinésique. Je propose ainsi
le schéma ci-dessous afin de pouvoir visualiser cette classification.
Figure 3. Schéma de la classification des
kinèmes
Bien que Birdwhistell précise que les geste sont issus
de schéma culturel (« which is patterned within a culture
» p.XII), il est à noter que ce système de gestes ne
prend pas en compte des facteurs d'universalité dans le geste (geste qui
serait propre à toutes les cultures). Ce sont les travaux de Paul Ekman,
qui travaille sur le lien entre les émotions et les expressions du
visage, qui amènent l'idée de l'universalité du geste
(1971, 2004), notamment en se référant aux expressions du visage
(les froncements de sourcils...), mais ces travaux sont peu concluants.
De fait, le lien entre geste et milieu culturel
spécifique apparaît de nombreuses fois dans les travaux de
Birdwhistell. Il évoque ainsi le fait que les les gestes - ou morphes -
sont liés au contexte (nous reviendrons sur cette notion de contexte
avec Hall, 1966) : on les emploie rarement isolément. De plus, ils sont
caractérisés par leur facilité à être
mémorisé facilement, ce qui induit une transmission
facilitée dans un milieu donné. Ainsi, la configuration de ces
morphes semble être liée à un contexte spécifique,
culturellement chargés, où les liens entre les émetteurs /
récepteurs doivent être pris en compte.
b) Typologie des gestes
En 1992, McNeill propose une typologie de ces gestes,
où il statue que « gestures and language are one system
» (p.2) inspirée des travaux de Kendon (1972, 1980, 2000, 2004),
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dans lesquels il fait la découverte du lien essentiel
entre le discours parlé et les mouvements. L'intérêt de
McNeill est dans la classification, l'organisation, et non dans la
découverte.
Kendon définit le concept de gestes porteurs de sens
comme un continuum ou spectre, allant de la gesticulation («
gesticulations » en anglais) à la langue des signes
(« sign language »), puis de la gestuelle («
language like gesture »), de la pantomime (« pantomime
») et enfin de l'emblème (« emblem »).
Cette classification fera cas d'école (McNeill, 1992, 2000, 2005 ;
Singleton et all, 1995). Ces gestes peuvent s'analyser selon quatre axes de
continuum, apportés de la manière suivante (Kendon, 2004, Boutet,
2010) :
1) un axe de relation à la parole (présence
obligatoire ? absence obligatoire) où l'on voit décroître
la présence de la parole plus l'on se rapproche de la langue
signée ;
2) un axe de relation aux propriétés
linguistiques (absence ? présence) où l'on observe l'apparition
de propriétés linguistiques plus l'on se rapproche de la langue
signée, puisqu'elle est pourvue d'une structure définie de
manière conventionnelle ;
3) un axe de relation à la convention. Cette notion de
convention est plus présente dans la langue des signes ;
4) un axe de relation à la sémiose, c'est
à dire le sens. Les gestes de la langue signée étant
établie par convention sont fractionnés, là où les
gestes de la gesticulation peuvent être moins porteur de sens, ou porter
un sens plus global, général, clair uniquement pour
l'émetteur.
Nous reprendrons ici le schéma proposé par
Boutet et All. afin de permettre une meilleure compréhension de ces
continuums :
Figure 4 : Schéma des 4 continuums comme
proposé par Kendon, d'après Boutet (p.56)
Quant à la typologie des gestes à proprement
parlé, je souhaite retenir la version augmentée proposée
par Tellier et Stam (2010) car issue d'une étude de terrain axée
sur l'enseignement. Tellier travaille en effet à comprendre l'importance
de la gestuelle dans l'enseignement, notamment auprès des enfants
(2006), et son travail de catalogage, en collaboration avec Stam, permet une
cartographie plus exacte des gestes de l'enseignement. Les gesticulations,
gestuelles, pantomimes et emblèmes s'organisent donc, d'après
Tellier et Stam, de la manière suivante :
Gestes déictiques
|
gestes qui servent à pointer, montrer du doigt
|
Gestes iconiques
|
gestes qui servent à illustrer un concept concret
|
Gestes
métaphoriques
|
gestes illustratifs d'un concept abstrait
|
Battements
|
gestes rythmant la parole, sans contenir de sens
|
Emblèmes
|
gestes culturels, conventionnels
|
Butterworth
|
gestes de recherches lexicales
|
Geste interactifs
|
gestes adressés à un interlocuteur pour la gestion
de l'interaction
|
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Gestes avortés
|
gestes esquissés mais non terminés
|
Nous avons également évoqué dans notre
partie sur la communication non verbale les gestes de contact de l'enseignant
envers lui-même que nous citons ici pour signifier que nous avons
conscience de leur existence, mais leur intérêt dans la pratique
enseignante est plus limitée.
Si Tellier et Stam proposent ainsi une catégorisation
des gestes de l'enseignement, la question de la pertinence de ces gestes se
posent : pourquoi sont-ils importants dans l'enseignement ? Quel est leur
rôle exact ? Ont-ils une véritable efficacité ? Afin de
répondre à ces questions, notre prochaine partie traitera de la
gestuelle comme pratique de transmission.
2. La gestuelle comme pratique de transmission
Le geste comme pratique de transmission est un
élément important de la pratique enseignante dans les approches
actionnelles et communicatives, comme peuvent le montrer les travaux
cités ci-dessus. Il semble évident que le geste seul n'est pas le
seul vecteur de transmission dans la salle de classe ; nous avons abordé
le concept de la communication, et bien que les études concernant la
prosodie dans l'enseignement ne soit pas nombreuses, il semble (Tellier, 2006)
que la répétition mécanique des mots ne permet pas un bon
apprentissage, la tonalité, le découpement et le rythme des mots
pourraient donc jouer un rôle clef. Nous nous accordons donc ici à
penser que si le geste est important dans l'enseignement, nous n'oublierons pas
de garder à l'esprit le caractère multimodal de cet enseignement
(Mondada, 2012 ; Jewitt and All, 2001). Afin de mieux comprendre le rôle
du geste dans la pratique de transmission, nous nous intéresserons tout
d'abord à son rôle dans la formation linguistique, puis à
son utilité dans la pratique enseignante.
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a) Le geste, formateur du langage
Le lien entre le parler et la gestuelle a donné
naissance à des hypothèses dans les sciences du langage sur
lesquelles il peut être intéressant de s'arrêter un instant.
Le « Lexical Retrieval Hypothesis » (Alibali, 2000 : 594)
propose l'idée que le geste aide à accéder aux savoirs
lexicaux car il est lié à des connaissances encodées dans
l'espace (Krauss & Al, 2006 : 14). Le geste a donc un rôle clef dans
le processus de communication en donnant «forme» aux
énoncés. Les gestes aident ainsi à accéder aux
savoirs : ils font plus qu'aider à comprendre un message, ils ont un
rôle important pour l'émetteur. En effet, privé de la
possibilité d'utiliser des gestes, des locuteurs montrent parfois avoir
plus de difficultés à répondre à une question
(Frick-Horbury & Guttentag, 1998 : 10).
L'« Information Packaging Hypothesis » (McNeill,
1992) statue quant à elle que le geste aide à former la
pensée, il reflète une image mentale qui est activée au
moment où le geste est réalisé, geste ayant ainsi un
rôle important dans la planification conceptuelle du message à
verbaliser. Lorsque l'on demande à des participants de décrire un
chemin et un mouvement ( « a path and a motion » ) en un
geste et une phrase puis en deux gestes et une phrase, la richesse verbale des
participants augmente lorsqu'ils n'ont à utiliser qu'un seul geste (Kita
& Mol, 2012).
Par ailleurs, le lien entre geste et parler est
renforcé par l'étude de Marianne Gullberg (2008) où les
gestes utilisés par des apprenants d'une L2 changent de manière
systématique à mesure que s'enrichit le vocabulaire («
Overall, gestures change systematically with semantic development both in
children and adults » p.117), étude pertinente pour le sujet
de ce mémoire.
En établissant que le geste est important pour la
production verbale, et que les gestes changent au fur et à mesure
qu'augmente le « niveau » de langue parlé par un locuteur
apprenant une L2, nous ne déterminons pas pour autant que le geste est
un outil de transmission important dans la classe. Néanmoins, attester
de son importance dans la communication verbale est une première
étape.
30/109
b) Le geste comme renfort à
l'enseignement
Il ne sera pas question, dans cette sous-partie, de proposer
des idées d'utilisation du geste dans l'enseignement, mais seulement de
poser le constat de l'usage et de l'efficacité du geste dans
l'enseignement. En effet, les gestes permettent de lier le social et le
psychologique (Vygotsky, 1978), et peuvent être perçus comme des
outils efficaces en ce sens, notamment dans l`environnement de la salle de
classe.
De plus, ils peuvent être utilisés par
l'enseignant afin de s'assurer de la compréhension qu'un apprenant a
d'un sujet (Corts et Pollio, 1999). Mais leur usage ne se limite pas uniquement
aux enseignants : ils peuvent également être utilisés par
les apprenants comme des ressources supplémentaires pour comprendre
l'enseignant (Corts et Pollio, 1999).
En effet, il peut sembler important de noter que dans
l'enseignement, les gestes iconiques réalisés par l'enseignant
sont plus faciles à s'approprier pour les apprenants que la langue (Roth
& Lawless, 2002), car ils renvoient à des images et ne
nécessitent pas de traduction : ils sont encodés dans l'espace,
ce qui par ailleurs renvoie à la Lexical Retrieval Hypothesis
présentée dans ma partie précédente.
On peut également noter que des études
(Goldin-Meadow, Kim & Singer, 1999) tendent à montrer que les
enfants sont moins susceptibles de répéter un
énoncé s'il n'est pas accompagné de gestes, et sont encore
moins susceptibles de répéter cet énoncé s'il est
accompagné d'un geste semblant mal adapté. Cela ne se remarque
pas uniquement chez les enfants (LeBaron et Streeck, 2000 ; Roth, 2001 ;
Alibali, Kita & Young, 2000) : les étudiants tendent à
réutiliser les gestes utilisés par leurs enseignants.
Les gestes sont importants pour transmettre des idées
ou expliciter des concepts comme c'est le cas dans l'enseignement des sciences
(Roth, 2001 ; Goldin-Meadow, Nusbaum & Kelly, 2001), mais dans
l'enseignement des langues, les geste sont également un renfort bienvenu
pour le formateur ou l'enseignant (Goldin-Meadow & Alibali, 2013).
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La thèse de Marion Tellier (2006 : 2), issue des
recherches de Cicurel (2005), « prend pour hypothèse centrale que
le geste pédagogique n'est pas un artifice superflu mais bien une
pratique de transmission », pratique d'autant importante pour
l'enseignement-apprentissage des langues étrangères. Par
ailleurs, la gestuelle varie au fur et à mesure de la progression de
l'apprentissage d'une LE (Özyürel, Kita & Allen, 2005 ; Gullberg,
2008)
3. Conclusion
Les geste semblent former un langage à part
entière qui, comme la langue verbale, peut être
catégorisé, découpé, classé,
étiqueté... Mais au delà de cette simple discrimination du
geste et de la définition qui en est faite, nous avons voulu ici
démontrer que le geste dans l'enseignement n'est pas qu'une pratique
accidentelle, issue des maniérismes ou des habitudes des formateurs,
mais peut-être un outil à part entière dans la formation
des apprenants, outil d'autant plus important que preuve est faite de son
importance sur l'apprentissage des apprenants : les apprenants
réutilisent les gestes de leur formateur, ils s'en servent comme d'une
ressource supplémentaire, ils leur permettent d'accéder au
sens....
Cette importance du geste dans la pratique de transmission est
l'un des point central de ce mémoire, mais nous verrons dans cette
dernière partie qu'un geste seul n'a pas de sens, même dans la
salle de classe, même en gardant à l'esprit la typologie des
gestes, hors de son contexte.
32/109
C. L'Espace et le corps
Ce cadre théorique a longuement donné des
précisions sur les éléments du non-verbal, tels que les
expressions du visage, la posture.. le paraverbal, tel que l'intonation, les
latences... Il a également permis de présenter une
catégorisation des gestes et leur utilisation dans l'enseignement. Les
précisions apportées lors de notre partie sur la double
contrainte ont permis d'apporter également des éléments
soulignant l'importance du contexte dans la mise en place de ces
éléments non verbaux. Cette partie veillera à
répéter l'importance du contexte et donner des
éléments de catégorisation d'autres éléments
non-verbaux présents dans la salle de classe, notamment en terme de
mobilier, et de porter un regard attentif sur la présence du corps et la
prise en compte du corps dans la salle de classe.
1. Le contexte de la salle de classe
Tout au long de ce mémoire, nous avons parlé de
« l'environnement particulier de la salle de classe » sans le
définir ni donner plus de précisions, or, dans le contexte de
l'apprentissage d'une langue étrangère, la salle de classe est un
environnement avec ses spécificités propres : c'est un espace que
l'on peut contrôler.
Il semble évident, dès lors que l'on envisage
les nombreux paramètres à prendre en compte dans l'étude
de la salle de classe dans le cadre de l'apprentissage d'une langue
étrangère, que la salle de classe soit un sujet
étudié dans le domaine de la recherche-action. C'est un lieu de
« pratique exemplaire » (Cicurel, 2002 : 3), dans lequel, dans les
années 60-70, on étudie l'efficacité des nouvelles
approches et méthodes d'enseignement. Portés par le souhait de
valider scientifiquement telle ou telle méthodologie d'enseignement, la
classe « devient alors le lieu d'actualisation de la méthode
dominante » (Cicurel, ibid.), on cherche à y trouver
« la méthode universelle » (Cicurel, ibid.). On peut
trouver des points positifs et des
33/109
points négatifs à cette utilisation de la salle
de classe comme d'un laboratoire, et on pourrait également souligner le
fait que l'observation fausse, de fait, les résultats.
Mais la salle de classe n'est pas qu'un environnement de
pratique exemplaire : c'est aussi et avant tout un lieu de formation, dans
lequel le triptyque apprenant-enseignant-sujet d'étude se retrouve.
Là aussi, la formation comme composante de la salle de classe, c'est
à dire le fait de transmettre ou d'acquérir des connaissances,
des compétences ou des savoirs, a été longuement
étudiée, et on peut citer comme exemple l'utilisation de la
Grille de Flanders (1960), qui, dans la lignée de l'utilisation de la
salle de classe comme lieu de pratique exemplaire, souhaitait cartographier les
« moments de la classe ». Nous gardons de cette conception de la
salle de la classe la notion d'interaction, fondamentale dans l'environnement
que nous concevons ici comme la « salle de classe », et raison pour
laquelle nous avons longuement discuté du principe de la communication
et définit la pratique de formation du point de vue du
socio-constructivisme de Vygotski et Bruner.
La classe est un lieu socialisé (Cicurel, ibid). S'il y
a certes, sous ces interactions, des impératifs (institutionnel,
formatif, ...), et l'interaction sous sa forme collective est de plus en plus
prise en compte. On a notamment pu observer (Mondada, 2012) des
éléments comme les tours de parole, la participation des
apprenants (place, hésitations, marques diverses d'interaction...), la
présence de l'affect dans l'échange (la présence du moi
dans les interventions), des marques de l'activité langagière
(reprise, autocorrection voire correction d'un pair)... Ces interactions ne
font plus uniquement de la classe un lieu de formation ou d'apprentissage, mais
également un lieu de socialisation. Cette socialisation prend
peut-être place sous la direction du formateur, ou de l'enseignant, mais
elle évolue en fonction des individus formant le groupe.
La salle de classe comme lieu d'interaction, subit des
contraintes extérieures variées : Hall (1966) dans La
Dimension Cachée précise que la culture, pour nous, ici, la
culture des apprenants est un facteur important à prendre en
considération dans les interactions. Elle conditionne des
éléments tels que la distance entre les corps - sur laquelle nous
nous
34/109
arrêterons plus tard - mais nous apporte
également des éléments intéressants de gestion de
l'espace. Nous veillerons à définir ces éléments
dans nos parties suivantes.
2. La distance entre les corps
L'enseignant a de nombreux rôles dans la salle de
classe, notamment auprès des apprenants. Ce contact constant avec les
apprenants peut être l'objet de moments de tension, notamment lorsque des
éléments méconnus, d'ordre culturel par exemple, existe :
nous nous pencherons ici sur la notion d'espace entre les corps.
La prise en compte du corps dans l'enseignement est un
élément important du présent mémoire. Hall
précise que les distances entre les corps varient selon les cultures :
des personnes issues de culture nordique, ou japonaise, se toucheront peu en
situation d'interaction, alors que des personnes d'origine arabe se toucheront
plus souvent. Il faut également noter que la prise en compte de la
culture des apprenants, ou des cultures des apprenants, doit veiller à
ne pas suivre les stéréotypes comme ceux présents dans les
travaux de Hall. SiLa Dimension Cachée de Hall met surtout en
avant les besoins architecturaux liés à la proxémie, il
est indéniable que cet élément de communication
interpersonnelle est un sujet d'étude intéressant dans le cas de
l'enseignement-apprentissage, et plus particulièrement des langues.
Appliquée à la sociologie, et plus particulièrement au
comportement organisationnel, la proximité physique est importante pour
les travaux en collaboration, et le concept a été repris dans des
études plus récentes attraits à la communication non
verbale en cours, c'est à dire la proxémie d'apprentissage (terme
issu des travaux de Sofiane Issaadi et Alain Jaillet, 2017).
Ces travaux mettent par exemple en lumière le lien
entre proximité entre l'enseignant et les apprenants et autonomie dans
le travail réalisé : « Plus il est loin de l'espace de
l'enseignant, et/ou moins la table est accessible, plus les étudiants
sont en situation d'échanges, d'élaboration, et d'autonomie par
rapport aux consignes. A l'inverse, plus on en est proche, moins on est
interactif avec les autres, et moins on est autonome, c'est à dire
que
35/109
l'on respecte davantage les consignes de l'enseignant. »
Les apprenants les plus proches semblent ainsi vouloir se protéger de
l'enseignant.
Au delà des déplacements, la proxémie
sous-tend aussi les contacts physiques. Quid du toucher direct dans le contexte
de la formation ? Nous avons abordé la question des gestes comme des
éléments de transmission, des éléments formateurs
du langage, mais le geste dans la formation peut également être
une source de réconfort pour les apprenants (Barrière Boizumault
et Cogérino, 2010). Le document source de l'affirmation
précédente est issue de travaux sur les enseignants d'EPS, dont
la pratique est centrée autour du corps : le tabou culturel autour du
toucher, ainsi que les croyances et les peurs des enseignants, en rendent
l'encouragement délicat et peu de littérature sur le toucher en
classe de langue existe.
Pourtant, il s'agit bien là d'un toucher relationnel de
réconfort, et non pas d'une intrusion dans l'espace intime des
apprenants : une main sur l'épaule, une tape sur le dos... Ce type de
gestes dans le milieu de la classe peut être un vecteur de
transmission... ou de blocage dans l'apprentissage. Cette remarque s'appuie sur
le constat de Felouzis qui statue que la réussite de
l'élève n'est pas uniquement raison de l'institution, mais
également une question de relations apprenants / enseignants, relation
qui peut bénéficier d'une certaine relation « physique
».
Par ailleurs, la proxémie que Hall définit comme
« l'ensemble des observations et
3
théories que l'Homme fait de l'espace en tant que
produit culturel spécifique » (Hall, 1966 : 13), prend sa valeur en
situation d'interaction (donc entre des personnes). Il existe, dans cet espace
personnel, plusieurs sous-espaces : intime, personnel, social et public. Nous
choisissons, en fonction des personnes, de partager ou non notre espace. Une
intrusion dans un sous-espace par une personne non-autorisée est une
source de malaise (d'où l'importance de la prise en compte de la culture
des apprenants et une attitude prudente vis à vis du toucher
3 A noter que n'ayant pas trouvé de
convention particulière quant à l'utilisation des termes
proxémie et proxémique, j'utiliserai dans tout le présent
document le mot «proxémie» comme un nom commun et
«proxémique» comme un adjectif.
36/109
en formation). Nous pouvons ajouter à ces sous-espace
verticaux un espace supplémentaire horizontal, qui transmet - de
manière simplifiée - l'idée de domination.
3. Les agencements didactiques
Foester (1990 : 81) précise que « toute
tâche pédagogique demande à l'enseignant une
réflexion préalable sur l'organisation spatiale adéquate
à l'interaction verbale recherchée et à la mise en place
de celle-ci ». En nous appuyant sur ses propos et sur l'organisation des
espaces de Hall, nous nous concentrerons tout d'abord sur l'importance de
l'organisation spatiale d'un lieu d'enseignement, puis nous aborderons
l'idée des déplacements aux seins de cet espace.
a) Organisation spatiale
Nous avons abordé précédemment de
manière très succincte l'influence des déplacements de
l'enseignant sur les interactions des apprenants en précisant que plus
l'enseignant est proche d'un groupe d'apprenants, moins les interactions sont
riches (les apprenants semblants ainsi se protéger de la présence
de l'enseignant en gardant le silence). En reprenant le concept de
proxémie de Hall, nous pouvons également préciser qu'il
existe trois catégories d'espace : les espaces à organisation
fixe (dans le cadre de la salle de classe, nous prendrons l'exemple des murs,
du sol, des fenêtres...), les espaces à organisation semi-fixe
(les tables, les chaises...) et enfin, à organisation dynamique ou
informelle, qui concerne ici la distance interpersonnelle.
Dans son analyse proxémique de classes mexicaines,
Anne-Catherine Didier (2014 : 111) met en avant l'importance de la gestion du
mobilier dans une salle de classe : en cas d'absence de variation dans
l'espace, le cours est figé. La mobilité encourage la prise de
parole.
37/109
Pour illustrer cette affirmation, Didier prend l'exemple des
organisations du mobilier et souligne la différence entre des formations
sociofuges, qui encouragent l'isolement des élève entre eux, et
les formations sociopètes, qui encouragent les interactions et les
échanges entre apprenants. Ces deux types de configuration prennent la
forme d'agencement des tables en îlot ou d'agencement en rangées :
les apprenants dans les agencements en îlot peuvent interagir plus
facilement car la configuration-même encourage les échanges,
tandis que les agencements en rangée ont pour objectif d'isoler
l'apprenant et de l'encourager à se concentrer sur l'enseignant.
Par ailleurs, Kozanitis (2005 : 1) précise que les
situations d'apprentissage (dans le cadre de l'approche communicationnelle et,
par extension, les approches « récentes/modernes ») devraient
être « propices au dialogue en vue de provoquer et résoudre
des conflits socio-cognitifs », situation dans laquelle les interactions
devraient être primordiales et où « l'aménagement
physique devrait permettre un apprentissage collectif » (Didier, 2014 :
110). Ces suppositions tendent à être affirmées par
l'analyse proxémique de Didier et permettent de mettre l'accent sur un
point fondamental de ce mémoire : les méthodologies et approches
nouvelles nécessitent une sensibilisation aux concepts
ci-évoqués.
Pourtant, l'organisation spatiale seule ne permet pas
d'encourager les interactions, même si elle est un facteur important.
b) Mobilité
La proxémie de Hall a, comme nous l'avons
montré, sa place dans de nombreux éléments conjoints
à l'action didactique, qui se définit comme « ce que les
individus font dans des lieux (ou institutions) où l'on enseigne et
où l'on apprend » (Sensevy, 2007 : 12-42). La description
proxémique va par conséquent de paire avec la notion de
transition didactique (Forest, 2008), et nous nous appuierons ici sur la
configuration de Forest pour décrire les types de déplacement de
l'enseignant dans la salle de classe.
Il existe tout d'abord les déplacements
pédagogiques, qui sont en relation étroite avec les
activités de cours. Ensuite, il existe les déplacements
non-pédagogiques, qui n'ont pas de
38/109
lien avec les activités et qui sont soit
spontanés, soit contrôlés par l'enseignant. Enfin, la
dernière catégorie de déplacement concerne les
déplacements dits « rituel », qui ont donc un rapport avec les
rituels et les habitudes de l'enseignant. On peut noter parmi ces
déplacements rituels un retour quasi systématique des enseignants
à leur zone de confort.
Si le terme « zone de confort » a surtout une valeur
psychologie, la zone de confort est également « un état
conductuel dans lequel une personne opère dans une relation
d'anxiété-neutre, utilisant une gamme limitée de conduites
afin de produire un niveau de performance steady, en général sans
un sens de risque » (White, 2009 : 3). La « zone de
4
confort » est une sorte de « base », un point
de départ et d'arrivée, par lequel l'enseignant passe. Il peut
s'agir de manière assez commune de la partie entre le bureau et le
tableau, mais les « zones de confort » changent en fonction de
l'organisation de l'espace et des habitudes des enseignants.
4. Conclusion
La catégorisation des espaces et des
déplacements n'a pas qu'un objectif sommatif : il s'agit
également d'étudier les effets des déplacements sur les
apprenants et sur la pratique. Dans notre partie précédente, nous
avons cité les travaux de Sofiane Issaadi et Alain Jaillet, et la
manière dont la proximité de l'enseignant influence la
fréquence des interactions des apprenants. Nous ne pouvons nier que tout
comportement de l'enseignant a une relation étroite avec la transmission
des savoirs aux apprenants. De fait, la sémiose didactique est à
la fois proxémique - dans la gestion de la distance - matérielle
- dans le type de matériel utilisé et dans les agencements
didactiques - mais également langagière. Nous nous sommes ici
concentrés sur les aspects non verbaux de cette sémiose, en
tentant de mettre en exergue le lien entre ces concepts et les approches
nouvelles. Notre partie suivante veillera à articuler toutes les notions
évoquées au cours de ce mémoire avec un
élément fondamental dans la formation et dans la pratique des
enseignants : les représentations.
4 « The comfort zone is a behavioural state within which
a person operates in an anxiety-neutral condition, using a limited set of
behaviours to deliver a steady level of performance, usually without a sense of
risk »
39/109
D. Représentations sociales et pratiques enseignantes
Nous avons longuement discuté de l'interaction, de la
gestuelle, de la culture (des apprenants, de l'enseignant, d'apprentissage ...)
dans ce cadre théorique, et nous avons également souhaité
mettre en relation pratiques enseignantes et approches d'enseignement modernes.
L'objectif de ce mémoire n'est pas atteignable sans un cadrage final
attrait aux représentations et à la formation enseignante. Afin
de présenter de la manière la plus claire possible le concept des
représentations sociales et les éléments importants de la
formation enseignante, nous nous appuierons entre autres sur les travaux de
Moscovici (1961), Jodelet (1985, 1991), Charlier (1989) et Baillauquès
(2001). Nous terminerons enfin par parler de l'évolution des savoirs et
des pratiques professionnelles en nous appuyant sur les travaux de Perrenoud
(2001, 1994), Schön (1983) et Elbaz (1983).
1. Les représentations sociales
Le principe des représentations est introduit à
la fin du XIXème siècle par Emile Durkheim (1912 : 22), qui
donnera alors naissance à la psychologie sociale, discipline capable de
lier le social à l'affectif et au symbolique. Cette idée de
symbolique et d'affectif se retrouve dans notre exposition du sens et à
l'importance de la gestuelle. Durkheim propose une organisation
possédant deux types de représentations : les
représentations collectives et les représentations individuelles
: « La société est une réalité sui generis ;
elle a ses caractères propres qu'on ne retrouve pas, ou qu'on ne
retrouve pas sous la même forme, dans le reste de l'univers. Les
représentations qui l'expriment ont donc un tout autre contenu que les
représentations purement individuelles et l'on peut être
assuré par avance que les premières ajoutent quelque chose aux
secondes ».
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Afin de définir plus précisément ce
qu'est une représentation sociale, je m'arrêterai un instant sur
la définition de Jodelet (1984 : 257) : « Le concept de
représentation sociale désigne une forme de connaissance
spécifique, le savoir de sens commun, dont les contenus manifestent
l'opération de processus génératifs et fonctionnels
socialement marqués. » La représentation est donc « une
forme de pensée sociale », ainsi qu'une « modalité de
pensée pratique orienté vers la communication, la
compréhension et la maîtrise de l'environnement social,
matériel et idéal ». En tant que pratique orientée
vers la communication, les représentations sociales «
présentent des caractères spécifiques sur le plan de
l'organisation des contenus, des opérations mentales et de la logique
».
Pourtant, les représentations sociales ne sont pas
inertes : elles sont, d'après Fischer (1987 : 118) « [...] un
processus, un statut cognitif, permettant d'appréhender les aspects de
la vie ordinaire par un recadrage de nos propres conduites à
l'intérieur des interactions sociales.» De fait, les
représentations sociales ont deux composantes : l'une, centrale, est
potentiellement inerte, et est entourée d'un tampon, négociable,
qui sert de barrière avec la réalité (Abric, 1984). En
périphérie de cet ensemble noyau/tampon se trouvent des
éléments de classification qui permettent un rattachement de
l'objet social à la représentation sociale.
Par ailleurs, Searle (1983) met en lumière un lien
entre représentation et communication : analyser les conditions de la
compréhension et de l'échange linguistique nécessite
l'existence d'un arrière plan culturel, la présence d'un savoir
tacite... éléments qui, dans les représentations, sont
sociaux. En effet, les représentations sont caractérisées
par trois aspects interdépendants : leur élaboration se fait par
et dans la communication, la (re)construction du réel, et la
maîtrise de l'environnement par son organisation.
Les représentations, d'après Moscovici (1961,
1984) reposent également sur deux processus, qui agissent dans la
formation des représentations sociales et dans leur fonctionnement :
Tout d'abord, un processus d'objectivation, qui définit la façon
dont un sujet sélectionne certaines informations pour les transformer en
images significatives, qui sont généralement moins riches en
informations mais plus importante pour une compréhension
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générale de l'objet-cible. Ensuite, le processus
d'ancrage « permet d'accrocher quelque chose qui est nouveau à
quelque chose qui est ancien, et donc qui est partagé par les individus
appartenant à un même groupe » (Guimelli 1994 : 14). Le
processus d'ancrage permet une actualisation ou un enrichissement de la zone
tampon et de la zone périphérique au noyau des
représentations.
2. Représentations en didactique des langues et formation
enseignante
Les représentations sont un concept fondamental pour
les spécialistes de l'apprentissage, et cette notion a été
approfondie dans une perspective didactique par des chercheurs tels que Giordan
et De Vecchi (1987) : en didactique des langues, l'apprentissage est un concept
spécifique qui ne s'articule pas uniquement autour de la notion
d'assimilation de savoirs, mais également l'acquisition d'usages,
notamment en relation avec l'interaction. Dans notre partie sur les gestes,
nous avions déjà spécifiés qu'enseigner ne se
limitait pas à transmettre un savoir : c'est un processus
d'accompagnement des apprenants, cela est donc bien évidemment le cas
aussi en classe de langue. Cette importance de l'interaction en didactique des
langues rend les facteurs sociaux, économiques, idéologiques et
affectifs fondamentaux (Castellotti & Moore, 2002). Les
représentations sont un éléments structurant du processus
d'appropriation langagière : les représentations sur la langue
maternelle, la langue cible... conditionnent les stratégies
d'apprentissage mises en place par les apprenants.
Dans la classe, des études montrent l'existence de
culture de communication spécifique (Beacco, 2001 : 58-80),
organisées par des habitus scolaires, des routines et construits
partiellement sur les représentations partagées entre les
apprenants et les enseignants sur les rôles supposés de chacun
(Castellotti & Moore, 2002). Les études réalisées sur
les représentations des enseignants et leurs pratiques effectives
(Brunel, 1990) soulignent par ailleurs que les étudiantes choisissent,
dans le cadre de leur cours, des modèles libéraux, mais que leurs
pratiques en cours restent traditionnelles : Cette présupposition des
rôles supposés de chacun peut par ailleurs être une
explication du constat de Brunel sur les différences entre
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théories de classe et pratiques effectives des
enseignants en matière de méthodologie, ce qui souligne
l'importance des représentations des enseignants.
Castellotti & Moore, dans leur conclusion, en soulignent
le caractère fondamental:
« Les représentations sont constitutives de la
construction identitaire, du rapport entre soi et les autres et de la
construction des connaissances. Les représentations ne sont ni justes ni
fausses, ni définitives, dans le sens où elles permettent aux
individus et aux groupes de s'auto-catégoriser et de déterminer
les traits qu'ils jugent pertinents pour construire leur identité par
rapport à d'autres. Elles sont ainsi à considérer comme
une donnée intrinsèque de l'apprentissage, qu'il convient
d'intégrer dans les politiques linguistiques et les démarches
éducatives. Ces démarches doivent pouvoir réconcilier des
tensions a priori contradictoires entre un besoin d'auto-centration et de
rattachement au connu, et l'indispensable ouverture que nécessite
l'appropriation des langues. » (p.21)
Les représentations sont donc importantes pour les
apprenants, dans le cadre de leur apprentissage des langues, mais qu'en est-il
de ces représentations pour les enseignants ? Pour les enseignants, les
représentations sociales sont des « instruments cognitifs
d'appréhension de la réalité et d'orientation des
conduites » (Charlier, 1989, p.46), et « peuvent être
considérés comme des moyens à partir desquels ils
structurent leurs comportements d'enseignement et d'apprentissage » (
ibid). Nous considérons ici les enseignants comme des
professionnels, capable d'évaluation et d'auto-évaluation,
d'attitude critique et de prise de décision (Baillauquès, 2001),
mais également capables d'apprendre tout au long de leur carrière
(Donnay et Charlier, 1990).
Mais quelles qualités (ou défauts, ou traits
particuliers) font d'un enseignant un enseignant ? Les rares sondages
réalisés (Singly, enquête pour MEN-DEP, 1993) montrent que
pour la plupart des sondés, il suffit de connaître la
matière pour pouvoir l'enseigner or, nous savons parfaitement que cela
n'est pas le cas : la conception de l'enseignant s'élabore à
partir de la culture des sujets : on se repose sur des positions culturelles
(statut de l'enseignant, attirance du métier, ...), on projette son
expérience (l'enseignant qu'on a aimé, qu'on a
détesté...) Ces spécificités sont liés
à des fonctions particulières des représentations :
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cognito- idéologiques et cognitives, que Gilly (1980)
s'est efforcé de rendre quantifiables et qualitatives.
3. Formation et évolution des pratiques
professionnelles
Paquay ((dir.) 2001 : 13), en se reposant sur des modèles
dont celui de Donnay &
Charlier définit qu'un professionnel - comme un
enseignant, est capable de :
- analyser des situations complexes, en référence
à plusieurs grilles de lecture ;
- de faire de façon à la fois rapide et
réfléchie le choix de stratégies adaptées aux
objectifs et aux exigences éthiques ;
- de puiser, dans un large éventail de savoirs, de
techniques et d'outils, les moyens les
plus adéquats, de les structurer en dispositif ;
- d'adapter rapidement ses projets en fonction de
l'expérience ;
- d'analyser de façon critique ses actions et leurs
résultats ;
- enfin, de par cette évaluation continue, d'apprendre
tout au long de sa carrière.
La formation des maîtres tent de mieux articuler
théorie et pratique en soulevant l'idée peut-être
idéaliste de transformer l'école en transformant les
maîtres. Perrenoud (1994 : 15) encourage, dans la formation des
enseignants, à travailler sur ce qui est réellement mis en place
en classe : « La personne, la culture, l'habitus, l'inconscient, la
séduction, le pouvoir, la négociation et non seulement des
savoirs didactiques désincarnés ». Pour Ferry (1983), cela
passe avant tout par un travail sur soi, idée étayée par
les théories de Schön (1983) traitant du paradigme de l'enseignant
réflexif. Pour Schön, la pensée professionnelle est
conçue comme une réflexion dans l'action basée sur des
cognitions en situation.
Cette approche réflexive de la pratique professionnelle
est déterminante pour l'évolution de ces pratiques. Pour citer
Baillauquès (2001 : 32) « La réflexion du praticien sur son
travail qui implique une réflexion sur lui-même est un engagement
critique dans une auto-estimation. L'une et l'autre de ces réflexions
définissent une démarche de retour sur des représentations
de la pratique et de soi-même en sa pratique. Elles en
réfèrent à des normes comme à des idéaux et
à des attentes chez l'individu et en sa communauté culturelle.
Elles en
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interrogent le vis-à-vis ; elles suscitent,
relativement à une connaissance plus précise des
réalités (personnelles, professionnelles), des remaniements, des
renoncements à des images, à des valeurs, à des croyances,
à des convictions de savoir. »
La pratique réflexive permet d'articuler les savoirs
professionnels (d'après le modèle de Malglaive, 1990 : savoirs
théoriques, pratiques, procéduraux et savoir-faire) et les
compétences professionnelles qui, pour Schön (1983) se construisent
sur l'expérience. En andragogie, partir de ces expériences, de
ces pratiques plutôt que des savoirs savants, permet de résoudre
le problème de la transposition didactique (Perrenoud, 1996 : 59-76). En
effet, les savoirs acquis en pratique professionnelle semblent axés
action et décision, et ne sont pas ainsi constitués uniquement de
savoirs opératoires, mais également de savoirs discursifs et
positifs (Elbaz, 1983).
Cet ensemble de savoir ne définit pas pour autant tout
ce qui englobe l'agir de l'enseignant, ou l'agir professoral (Cicurel, 2011 :
52) : « L'agir professoral est une pratique qui met en oeuvre des
compétences diverses portant sur la langue, l'interaction,
l'appropriation langagière, les savoirs d'expertise, mais on
découvre qu'il fait émerger la capacité d'un professeur
à distinguer des types d'action, l'aptitude à nommer ce que l'on
fait, à ranger les actions dans une catégorie existante et
à opérer des généralisations (normalement je ne
fais pas cela) à la fois sur son propre agir, mais aussi sur le
groupe (les Chinois adorent la grammaire). »
Cet agir professoral et les savoirs évoluent au fur et
à mesure de la carrière des enseignants, et au fur et à
mesure du suivi de potentielles formations. Dans son étude de cas, Elbaz
met en avant les évolutions professionnelles des enseignants et souligne
des changements principaux dans quatres domaines. En premier lieu, elle
souligne une évolution de la conception de l'objet savoir non plus comme
un produit fini mais comme un processus ; en second lieu, un changement de la
perception du temps : le temps n'est plus une ressource rare mais quelque chose
de propice à la réflexion ; ensuite, Elbaz note une
évolution dans la tension nerveuse des enseignants. Enfin, la perception
de l'espace a changé : d'abord défensifs, les enseignants
deviennent plus ouvert à autrui.
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III. Protocole de Recherche
La définition de la problématique, des
hypothèses de travail, de l'élaboration des outils et de
l'exploitation des données de cette recherche s'appuient sur les travaux
de Dumont et Calvet (1999), Blanchet et Gotman (2007), Singly (2008) et
Berthier (2002), ainsi que des cours de méthodologie de la recherche
universitaire et de la rédaction du mémoire proposés
à l'Université du Mans par Bretegnier et Bourdet.
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