3.3.3. Gestion durable des ressources halieutiques en
géographie
Plusieurs productions scientifiques ont été
réalisées en géographie sur la pêche dans le monde
à partir de l'an 2000. Parmi les travaux consacrés à
l'Afrique, les thèses de doctorat de Ndeye Astou-Niang sur la
« Dynamique socio-environnementale et développement local des
régions côtières du Sénégal : l'exemple de la
pêche artisanale » et de Landry Ekouala sur la
16
« gestion durable des ressources halieutiques et leur
écosystème dans les provinces de l'Estuaire et de l'Ogooué
(Gabon) » constituent une référence mis à part,
l'article de CAMARA M.B. intitulé : « La gestion des
ressources halieutiques au Sénégal : une contribution à la
réalisation des Objectifs du Millénaire pour le
Développement ».
En effet, Camara M.B. (2005) partant d'un certain
nombre d'indicateurs biologiques et socio-économiques, soutient qu'une
bonne gestion des ressources halieutiques contribue à réaliser
les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). Car, un
effort de pêche non contrôlé entraîne une baisse de la
productivité de la pêche maritime sur le plan économique,
une précarisation sécurité alimentaire sur le plan social,
et une diminution des emplois ponctuée par une baisse de la consommation
locale.
Ndeye A-N. (2009) relevait pour sa part, le poids des
facteurs socio-environnementaux sur le développement local de la
pêche artisanale au Sénégal. Sa thèse a permis de
voir que, les politiques de développement mises en place par
l'État dans le secteur de la pêche sont souvent restées au
stade de projet ou bien, mal appliquées et suivies sur le terrain.
Plus récemment, Ekouala L. (2013) dans son
étude sur la « gestion durable des ressources halieutiques et
leur écosystème dans les provinces de l'Estuaire et de
l'Ogooué (Gabon) » a relevé que la surpêche
observée à l'échelle mondiale est facilitée par les
progrès techniques et par une demande de consommation en constante
augmentation, notamment dans les pays développés. Le diagnostic
établi au Gabon mettait en évidence une exploitation
désordonnée des ressources halieutiques et une
détérioration générale de l'état des
écosystèmes côtiers, nécessitant des mesures
d'ajustement de la pression de pêche.
Ces thèses ne sont pas passées inaperçues
! D'autres centres d'intérêt sont nés en considérant
les pêcheries continentales à l'instar des lacs et barrages.
? Les études sur les activités de
pêche dans les lacs et barrages
Elles ne sont pas certes nombreuses, mais sont très
riches et significatives :
Laë (1997) procédait à
l'estimation des rendements de pêche des lacs africains au moyen des
modèles empiriques. D'après cette étude, la gestion
halieutique des lacs exige une estimation réaliste du potentiel
exploitable. L'utilisation des données abiotiques de 65 lacs africains
(y compris le lac de Maga) montre que l'intensification des activités de
pêche n'entraine pas un effondrement des prises comme il est
généralement admis, mais une stabilisation des rendements
à leur niveau maximum pour un nombre de pêcheurs au km2
compris entre 2 et 30. Dans ce cas, pour un effort inférieur à
deux pêcheurs par km2, les rendements à l'hectare sont
directement tributaires de la pression de pêche. Car, au-dessus de
17
cette valeur, et dans la gamme des efforts qui ont
été observés, les captures totales dépendent
essentiellement des capacités biologiques de
l'écosystème.
Cette étude très significative, sera
corroborée par une autre, faite en l'an 2000 par Kabré et
Ille (200) qui avaient envisagé d'évaluer le poids des
facteurs géographiques propres à la latitude, la longitude et
l'altitude sur la rentabilité des pêcheries artisanales
continentales. Le scénario portait sur deux pêcheries artisanales
lacustres de Bagré au Burkina-Faso sous un titre fort évocateur :
« Rétrécissement saisonnier des superficies d'eau,
variation physico-chimique et production artisanale des pêcheries de
Bagré ». Grâce à un savoir géographique
articulé, l'étude démontre que le
rétrécissement des superficies d'eau engendre la fluctuation de
la profondeur. Mais les autres hypothèses relatives à l'influence
des coordonnées géographiques sur la rentabilité de la
pêche ne furent pas vérifiées et sont restées
obscures jusqu'à l'heure.
Dans tous les cas, la pêche artisanale dans les lacs
reste un champ scientifique peu exploré en géographie, et le lac
de Maga ne soustrait pas à cette donne.
? Les études sur la pêche artisanale
lacustre à Maga
Belal et al. (2003) constataient que dans le lac de
Maga, la pêche est pratiquée neuf mois sur douze en raison des
trois mois de son d'interruption - de juillet à septembre -
correspondant au repos biologique.
La même année, Tarla et Mvondo
cités par l'UICN et CBLT (2007), se sont
intéressés à la diversité biologique du lac de Maga
ainsi que les espèces les plus exploitées. D'après cette
recherche, plus de 56 espèces de poissons peuplent la retenue et 12
d'entre elles intéressent prioritairement les pêcheurs. Il s'agit
des : Clarias, Tilapia, Mormyrus, Gnatonemus, Heterotis, Synodontis,
Bagrus, Auchenoglanis, Lates, Hydrocynus et Chrysichthys. Ces travaux
s'inscrivent plutôt dans le domaine des sciences halieutiques et
aquicoles.
Seignobos C. et Raugel B. (1986), se sont
intéressés à l'exploitation des ressources halieutiques
à travers une étude descriptive : « LA PÊCHE DANS
LE LAC DE MAGA ». Même s'il faut leur reconnaître le
mérite d'avoir attiré l'attention du public sur le nombre de
pêcheurs sur la retenue, leurs origines, leurs techniques de pêche
et de préparation de poissons, quelques limites réelles sont
cependant à souligner. L'influence de la pression démographique
et des paramètres socio-économiques défavorables, sur la
l'aménagement durable de cette pêcherie a peu été
élaboré.
18
Trente ans après, la présente étude se
propose d'aborder cet aspect. Car, compte tenu de l'obsolescence ou de la
caducité de cette analyse d'une part, et d'autre part, du
caractère général des observations de Seignobos et Raugel,
un vide scientifique concret plane sur l'évolution de la pêche
artisanale lacustre de Maga. Donc il y a matière à creuser. Il
parait évident que, faire le point sur l'avenir de cette activité
est une issue adéquate à suivre, pour parvenir à une
gestion durable des ressources halieutiques dans ce plan d'eau sensible.
4. DÉLIMITATION SPATIO-TEMPORELLE DE LA
RECHERCHE
Crée en 1979, suite à l'endiguement d'un
marécage plat drainé par trois cours d'eau (Mayo Guerléo,
Mayo Boula et Tsanaga) qui se déversent dans la plaine d'inondation du
Logone, le lac de Maga (Figure 01), bien que dénommé
comme tel, s'intègre dans la partie septentrionale du bassin du lac
Tchad11 entre les latitudes : N 10°46'12'' - N 10°52'12''
et les longitudes : E 14°50'24'' - N 15°04'12''(CBLT et FEM, 2005
; UICN et CBLT, 2007). Il correspond aux 360 km2 d'eau
séparant de façon irrégulière12,
l'arrondissement de Maga (au Nord) et celui de Kaï-Kaï (au Sud) dans
le département du Mayo-Danay, région de
l'Extrême-Nord-Cameroun.
11 Le bassin du Lac Tchad est une cuvette de 1,5 millions de
km2 que couvre le Tchad, une partie du Niger, du Nigeria, de la R C
A et du Cameroun. La partie camerounaise couvre environ 1/12e de la surface du
« moyen Tchad » soit près de 1700 km2. Il est
situé entre le 12° 30''et 14° 30''de latitude Nord et entre le
13° et 15°30''de longitude Est. Dans le bassin camerounais du Lac
Tchad on distingue une partie septentrionale dans la région de
l'extrême Nord et une partie méridionale située dans
l'Adamaoua.
12Selon la CBLT la retenue de Maga s'étend
chaque année sur environ 12000 ha en juin et 36000 ha en octobre.
19
Figure 1: Localisation de la retenue d'eau de
Maga
20
La présente étude porte du point de vue
spatiale, sur cette retenue d'eau dans sa globalité. Dans le temps, elle
va de 1986 à 2015 soit 29 ans.
5. OBJECTIFS DE RECHERCHE 5.1. Objectif
principal
Faire le point sur l'avenir de l'activité de pêche
dans la retenue d'eau de Maga. 5.2. Objectifs
spécifiques
· Évaluer l'état de la pression
exercée par les activités de pêche dans le lac de Maga.
· Identifier les différents acteurs au coeur de
cette pression et leurs responsabilités.
· Montrer son impact sur les ressources halieutiques et
l'écosystème.
6. HYPOTHÈSES DE RECHERCHE 6.1. Hypothèse
principale
La croissance démographique de ces dernières
années est la principale cause de bien de menaces directes et indirectes
sur les ressources halieutiques et l'écosystème lacustre de
Maga.
6.2. Hypothèses spécifiques
· La pression exercée par la pêche dans le
lac de Maga a un impact négatif sur les ressources halieutiques et la
durabilité de l'écosystème.
· Le comportement de certains acteurs directs ou
indirects est responsable de nombreux dysfonctionnements qui plombent l'avenir
de cette activité.
· La gestion des ressources halieutiques dans la retenue
d'eau de Maga est particulièrement menacée par la croissance
démographique.
7. CADRE CONCEPTUEL ET THÉORIQUE
La réflexion thématique minutieusement
menée sur la nature du sujet a conduit à privilégier
l'usage de certains concepts pour mieux analyser les évolutions de la
pêche dans ce travail. Il s'agit de :
21
? Développement durable
Le développement durable est apparu dans les
années 1980. Il est considéré comme « le nouveau
paradigme de la gestion des rapports entre l'homme et la nature »
(Corlay J.P., 2004). Ce concept a été introduit
officiellement en 1992 lors du Sommet mondial de la Terre organisé par
la Conférence des Nations Unies pour l'Environnement et le
Développement (CNUED) à Rio de Janeiro. Ainsi, une
définition officielle a été retenue sur le concept : c'est
« un développement qui répond aux besoins des
générations du présent sans compromettre la
capacité des générations futures à répondre
aux leurs ». C'est cette définition, la toute première
qui est retenue dans cette recherche.
Dans son acception la plus large, le concept doit être
compris comme un développement à la fois supportable par les
écosystèmes dans lesquels nous vivons, donc économe en
ressources naturelles et aussi "propre" que possible ; viable, autosuffisant
à long terme, c'est-à-dire fondé sur des ressources
renouvelables et autorisant une croissance économique riche en emplois,
notamment là où les besoins essentiels ne sont pas couverts ;
vivable pour les individus et les collectivités, donc orienté
vers la cohésion sociale et l'accès pour tous à une haute
qualité de vie.
Le concept de gestion durable des pêcheries
rejoint celui de développement durable. Il est
perçu dans ce travail comme le veut la FAO : « le processus
comprenant la collecte d'informations, l'analyse, l'élaboration, la
consultation, la prise de décisions, l'attribution des ressources, la
formulation et la mise en place, avec application si nécessaire, des
règles ou des règlements qui régissent les
activités de pêche afin d'assurer une productivité continue
des ressources, et la réalisation d'autres objectifs en matière
de pêche » (FAO, 2000).
? Ressources halieutiques
Les ressources biologiques englobent les ressources
génétiques, les organismes ou parties d'organismes, les
populations ou toute autre composante biotique d'écosystèmes
ayant une valeur d'usage effective ou potentielle pour l'humanité. Les
ressources halieutiques sont les ressources qui ont une valeur pour la
pêche. Elles désignent tout stock d'animaux (allant des
crustacés les plus petits aux grosses baleines via les poissons divers)
aquatiques vivants (sauf ceux qui sont spécifiquement interdits par la
loi) qui peuvent être pris par la pêche, et leur habitat.
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Dans cette recherche, l'expression « ressources
halieutiques » désigne exclusivement les poissons dans leur
diversité et n'est par conséquent pas applicable aux autres
espèces vivantes dans le lac comme les tortues, hippopotames, varans,
etc. qui peuvent faire l'objet de prise accidentelle en pêche
artisanale.
? La pêche responsable
Ce n'est rien d'autre que l'application des principes du
développement durable aux activités de pêche. En effet,
selon la FAO c'est la forme d'exploitation qui, tout en les prélevant,
maintient leur diversité biologique, leur productivité, leur
faculté de régénération et leur capacité
à assurer, de manière pérenne et sans préjudice
pour les écosystèmes établis, les fonctions
économiques, écologiques, sociales, culturelles et scientifiques
pertinentes ».
Dans ce travail, ce concept n'est pas dénoué de
l'exploitation durable des ressources halieutiques qui, d'après la
conférence internationale sur la pêche responsable tenue à
Cancun au Mexique en 1992, « englobe l'utilisation durable des
ressources halieutiques en harmonie avec l'environnement, et le recours
à des méthodes de capture sans effet nocif sur les
écosystèmes, les ressources ou leur qualité. Il fait
également place à la notion de valeur ajoutée au produit
par des procédés de transformation respectant les normes
sanitaires requises, et à l'adoption de pratiques commerciales
permettant d'assurer aux consommateurs l'accès à des produits de
qualité ».
? L'écosystème
Un écosystème est une entité très
complexe avec de nombreux éléments interactifs. Il peut
être défini comme « un système d'interactions
complexes de populations entre elles et avec leur environnement » ou comme
« le fonctionnement et l'interaction conjointe de ces deux compartiments
(les populations et l'environnement) dans une unité fonctionnelle de
taille. Les écosystèmes peuvent être
considérés à différentes échelles
géographiques, à partir d'un grain de sable avec sa microfaune
riche, à une plage entière, une zone côtière ou un
estuaire, une mer semi-fermée et, éventuellement, la Terre
entière.
Ce travail s'intéresse à
l'écosystème lacustre de Maga. C'est-à-dire au
système d'interaction complexe des ressources halieutiques (les poissons
notamment) entre elles et leurs lieux de vie (le lac). Concrètement, il
s'agit de voir la stabilité et l'équilibre systémique
entre les poissons et l'eau dans laquelle ils vivent.
23
Les écosystèmes qui soutiennent la pêche
sont, aujourd'hui, soumis à un certain nombre de modifications d'une
pertinence significative. En raison de notre compréhension imparfaite de
la structure des écosystèmes et leur fonctionnement, et de la
difficulté inhérente à distinguer entre les changements
naturels et anthropiques, ces derniers ne sont pas toujours parfaitement
prévisibles et/ou réversibles (Christensen et al. 1996).
La pêche demeure aujourd'hui comme la première activité
humaine ayant eu un impact sur les écosystèmes côtiers
(Jackson et al. 2001).
Ce travail cherche à identifier et analyser comment ces
concepts sont appliqués à la gestion des stocks ichtyologiques
lacustres de Maga.
8. MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE
La méthodologie appliquée dans cette recherche
repose sur une démarche systémique, nourrie de l'analyse des
données bibliographiques (statistiques de pêche, travaux de
biologie et de socio-géographie et économie des pêches),
d'entretiens auprès des services étatiques et auprès des
pêcheurs grâce à un questionnaire conçu puis
traité (voir annexe 2 et 3).
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