3.3.1.2. La baisse des revenus des pêcheurs
Au cours des trois dernières décennies, un
énorme fossé s'est creusé entre les avantages
économiques potentiels de la pêche lacustre et leurs avantages
économiques réels. La production est en hausse constante soutenue
par l'effort de pêche et l'efficacité des engins. Cependant, le
rendement par pêcheur ne suit pas la même allure. Par rapport au
rendement de 1986, un déficit de production de 75000 tonnes de
débarquement est à envisager. En d'autres termes, chaque
année passée, les rendements chutaient d'au moins 30% pour
n'être que de moins de 300 kg/pêcheur/an en 2015(figure
33).
Quantités
400
900
800
700
600
500
300
200
100
0
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012
2013 2014 2015
Captures (T) CPUE(kg)
136
Source : Données du
CACP/Maga, Février 2015.
Figure 33 : Évolutions synchroniques
des débarquements et des CPUE de 2000 à 2015.
Dans un rapport spécial déposé à
la DDEPIA/Yagoua en décembre 2014 par Gnenone Dari
(DAEPIA/Tékélé) sur le développement actuel de la
pêche dans sa zone de compétence, on peut lire ceci : «
la situation économique des pêcheurs varie d'une année
à une autre selon la situation des captures. Toutefois, elle est
précaire. Les pêcheurs sont obligés d'ajouter l'agriculture
à leur activité » pour s'en sortir.
L'agriculture est la plus importante de ces activités
complémentaires avec un taux de représentativité de 39 %.
Quatre-vingt-quinze pour cent (95 %) des pêcheurs la pratiquent. La part
des autres activités n'en est pas moindre (voir figure 34) :
maçonnerie 22%, commerce 17%, conducteur de pirogue 9%, construction de
pirogue 6%. Cependant, la pêche semble incompatible avec l'élevage
qui ne représente 3% de cette liste. Le lien entre l'agriculture et la
pêche est très étroit. L'élevage n'apparait que
faiblement alors que la part des activités liées au lac est sans
cesse grandissante. L'importance de la maçonnerie est liée
à la juvénilité des pêcheurs.
Construction de pirogues
6%
Couture
4%
Conducteur de pirogues
9%
Maçonnerie
22%
Elevage
3%
Commerce
17%
Agriculture
39%
137
Source : Enquête de terrain,
Février 2016.
Figure 34 : Proportions des activités
secondaires pratiquées par les pêcheurs.
C'est dire que la baisse des rendements fait en sorte
qu'aujourd'hui, les rendements issus de la pêche artisanale lacustre
soient des « avoirs non productifs »51. Du fait
que le même rapport indique que le revenu annuel d'un pêcheur est
de 900 000 FCFA alors que les dépenses s'élèvent à
700 000 FCFA soit un rendement de 200 000 FCFA après 9 mois de travail
ardu pour gérer une famille d'au moins 10 personnes : c'est une
véritable gageure. Car même pendant les mois d'intenses
activités, les rendements ne sont pas satisfaisants (tableau
15).
51 Selon le rapport rédigé conjointement par la
Banque mondiale et la FAO, sous le titre The Sunken Billions, les ressources
mondiales exploitées par les pêches de capture sont des avoirs non
productifs, dont le rendement est nul et qui, selon les estimations,
coûteraient même à l'économie mondiale 50 milliards
de dollars EU par an comme manque à gagner
138
Tableau 105 : Moyenne des rendements
journaliers par engins de pêche au lac Maga
|
Zagazaga
|
Kadra
|
Wari
|
Nasses
|
Taro
|
Ligne à main
|
Nombre de poissons
|
9
|
5
|
7
|
5
|
700
|
3
|
Quantité en kg
|
0,9
|
0,5
|
0,7
|
0,5
|
70
|
0,3
|
Valeur en FCFA
|
720
|
400
|
560
|
400
|
56000
|
240
|
Source : Enquête de
terrain, Juin 2016.
Cette situation ne s'est jamais améliorée
pendant les 5 dernières années et le rythme est plutôt
inquiétant. Les pêcheurs interrogés regrettent le
passé glorieux de la pêche et peu d'entre eux (11 %) sont
disposés à voir leurs enfants suivre leur trace. D'ailleurs 53 %
des pêcheurs interrogés trouvent ce métier pénible,
40 % le trouvent non rentable alors que 37 % d'entre eux voudraient changer de
métier. Ils souhaitent que leurs progénitures deviennent des
fonctionnaires (85 %), des médecins (3%), des commerçants (3%),
des agriculteurs (5%) ou tout autre métier plus
rémunérateur (5%).
Ceci sous-entend que la pérennité de ce secteur
est mise en jeu et les pêcheurs, très frustrés.
D'où, le développement d'une forme de pêche non
organisée et par conséquent difficile à être
enregistrée par les gestionnaires.
|