Les ligues d'improvisation théà¢trale dans les Hauts-de-France: histoire, organisation et codespar Matthieu HACOT Université de Lille UFR humanités Département Arts de la scène - Master 2019 |
II.1 :Le règlement du match d'improvisation théâtraleLe règlement du match d'improvisation demeure aujourd'hui un des codes communs à toutes les ligues et compagnies qui se prêtent à cet exercice. Écrit en 1977 pour structurer le premier match qui a eu lieu le 21 Octobre de la même année à Montréal, il continue donc d'influencer le déroulement de ces manifestations de nos jours. Les différentes versions qui en ont étés écrites témoignent d'une volonté d'assurer une cohérence entre la version conçue par Robert Gravel au départ et l'actualisation nécessaire des règles à mesure que le jeu s'est développé. Les divergences culturelles, les moyens pratiques inégaux à la disposition des troupes, les différentes individualités ont eu une influence sur l'adaptation de ce règlement pour permettre à toute structure de l'appliquer. L'engouement rapide oblige également Robert Gravel à le compléter de trois articles pour mieux structurer les classements en championnats. Le règlement est donc réécrit en 1987 dans l' ouvrage co-écrit avec Jan-Marc Lavergne. Cette version peut se retrouver aujourd'hui sur le site internet de la Ligue Nationale d'Improvisation113. Le document que l'Association Française des Ligues d'Improvisation a édité dans les années 1990 englobe le déroulé du cérémonial, les articles du règlement, les fautes, et les différentes fonctions du staff. Il permet ainsi de transmettre à un public européen un code venu d'ailleurs, tout en permettant aux différentes ligues ayant émergé dans les années 80 de pouvoir structurer de façon cohérente leur pratique du match. Je me suis basé sur le règlement officiel que l'on peut trouver sur le site de la Ligue Nationale d'Improvisation, tout en reprenant des réflexions personnelles que Jean-Baptiste Chauvin a ajouté dans Le match d'Improvisation théâtrale, publié en 2015. Ces réflexions, confrontées à mes observations en tant que spectateur, témoigneront des différentes adaptations ou 113 Ligue Nationale d'improvisation, Les règlements officiels, disponible sur https://www.lni.ca/matchdimpro/regles-officielles [consulté le 14/05/2019]. 60 conservations des articles en fonction des situations variées. Il faut néanmoins insister sur le but de ces différentes adaptations : rendre le match accessible à toute ligue tout en conservant la forme originelle telle qu'elle fût élaborée en 1977. [Robert Gravel] s'opposa notamment à tous ceux qui voulaient laisser plus de place à l'expérimentation théâtrale, au détriment de l'enjeu compétitif. Il tenait énormément à la forme sportive qui constituait à ses yeux la raison d'être du match. Nous verrons qu'il avait résolument raison 114.. Article1 : Composition des équipes « Le jeu consiste en l'affrontement de deux équipes composées de six joueurs-improvisateurs (trois femmes/trois hommes) et d'un entraîneur. Un arbitre et ses deux assistants voient 115à ce que le jeu se déroule selon les règlements »116. Cette règle met en place deux points fondamentaux : la parité hommes-femmes et le nombre de joueurs de chaque équipe. Selon Jean-Baptiste Chauvin, le nombre six est significatif quant au rythme de passage de chacun et pour économiser l'énergie de chaque joueur : « Cette formule permet à chaque joueur de jouer suffisamment sans que l'un de ces joueurs ne soit en mesure de lasser le public par un trop grand nombre d'apparitions et elle propose une parité hommes-femmes fondamentale »117. Dans le cas des ligues amateurs, cet article pourrait poser problème dans la mesure où la parité n'est pas toujours assurée dans les équipes de joueurs. Cela peut expliquer pourquoi certaines ligues, comme l'a mentionné Jean-Baptiste Chauvin, prennent des libertés avec cette règle, comme lors du tournoi amateur de Saint-Quentin en 1997 et à Genève en 1998.Pour ces matchs, les équipes étaient composées de quatre joueurs et deux joueuses.118. En avril 2017, j'ai assisté, pour ma part, à un match amateur entre la Ligue d'Improvisation Lilloise Amateur (LILA) et la Balise de Limoges, où cette règle n'avait pas été respectée par une des équipes : la Balise avait un joueur en moins, et s'est vue recevoir, dès le début du match, une pénalité prévue par un des points du règlement. Ce fut également le cas lorsque j'ai disputé mon 114 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit., p. 42 . 115 Québécisme signifiant « veiller à » 116 Ligue Nationale d'Improvisation, op. cit. 117 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit., p. 60. 118 Ibid., p. 61. 61 premier match le 09 Mars 2019 face à la Licoeur de Bordeaux. L'arbitrage était assuré par Thierry Bilisko, qui officie de nos jours en tant qu'improvisateur professionnel au sein de la Ligue Paris Impro. Notre équipe était composée de quatre hommes et de deux femmes. La faute a été sifflée après la première improvisation. La difficulté de respecter cette règle durant un match s'explique également par le manque de parité au sein d'une ligue. Jean-Baptiste Chauvin, dans Le match d'improvisation théâtrale, a relevé des chiffres qui font état du déséquilibre entre le nombre d'hommes et le nombre de femmes au sein d'une ligue amateur et d'une ligue professionnelle119 :
Le nombre de femmes présentes dans les ligues étant inférieur à celui de hommes, il est difficile de faire respecter la parité de trois femmes et trois hommes. Néanmoins, un autre problème survient dans la place à prendre non pas uniquement sur le banc ou dans une association, mais bel et bien au centre de la scène ou de la patinoire. Arthur Pinta, président de la Ligue d'Improvisation Lilloise 119 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit., p. 186. 62 Amateur, me disait qu'il y avait dans l'association « autant de joueuses que de joueurs, mais on a plus de mal à faire jouer les filles, et en particulier en match »120 . Ce serait donc les mécanismes spécifiques au match d'improvisation théâtrale qui entraîneraient ce déséquilibre. Jean-Baptiste Chauvin a évoqué la notion de prise de pouvoir dans le match d'improvisation, dans la répartition des rôles. Chaque improvisation a en effet, son premier et second rôle, (voire plusieurs), ou des personnages figurants qui agiront pour clarifier la situation et le lieu par exemple. L'improvisateur qui fait une proposition forte qui donnera le ton à la situation de départ prend le lead*. Je pourrais également citer les fonctions de coach* et de capitaine*, qui sont des figures d'autorité quant au reste des joueurs, dans le sens où ils ont des décisions à prendre qui impactent l'équipe entière. Les mécanismes d'interaction entre joueurs durant le match, non seulement en ce qui concerne les différentes fonctions prises au sein d'une équipe, mais également dans l'incarnation des personnages, sont reliés au problème de domination masculine soulevés par le philosophe Pierre Bourdieu que Jean-Baptiste Chauvin assimile au match d'improvisation théâtrale : « Par la mise en valeur de forces symboliques, la distinction sociale des sexes se perpétue, chacun étant cantonné dans un rôle »121. Nous aurions alors tendance, dans un match d'improvisation, à donner aux hommes des fonctions de responsabilité et d'autorité. Ce qui nous est inculqué très tôt, comme le relève Jean-Baptiste Chauvin : Ainsi, dès notre enfance, nous sommes soumis à ces forces qui tendent à attribuer à chacun sa place. Le petit garçon ne joue pas à la poupée et la petite fille ne joue pas au foot. Le petit garçon ne doit pas pleurer et la petite fille ne doit pas salir sa robe. La jeune fille se soumet volontiers à la séduction de con chanteur préféré quand le jeune garçon s'identifie aux icônes violentes du cinéma ou de la télévision. Sortir de ce carcan, c'est risquer de s'exposer aux jugements qualificatifs péjoratifs122. Même si la règle de la parité garantit un équilibre dans la composition des équipes elle est insuffisante pour garantir un équilibre dans le match :les mécanismes qui régissent cette forme de spectacle cantonnent d'eux-mêmes les femmes dans des positions pré-établies. 120 Entretien avec Arthur Pinta, 25 Février 2019. 121 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit, p. 183. 122 Ibid., p. 183-184. 63 Article 2 : Aire de jeu « Pendant toute la durée de l'improvisation, le joueur ne peut quitter l'aire de jeu (la patinoire) »123 Le joueur est seul une fois qu'il est entré dans la patinoire, il ne peut plus communiquer avec son coach ou ses partenaires restés en réserve. Du point de vue dramaturgique, cela oblige le comédien à assumer son entrée quoi qu'il arrive. Cela peut profondément modifier l'improvisation en cours si son intervention était malvenue, contradictoire ou non nécessaire. La patinoire peut également servir de décor ou d'élément scénique pour matérialiser un comptoir ou un banc. Article 3 : Durée de la partie « Chaque partie a une durée de 90 minutes, c'est-à-dire trois périodes de 30 minutes. Un arrêt de 10 minutes est prévu entre chaque période. »124 Jean-Baptiste Chauvin est formel : La règle de trois fois 30 minutes est la plus couramment respectée (...) Toutefois, il est apparu, surtout dans les ligues amateurs, que ce découpage en trois parties était parfois pesant pour le cérémonial. (...) Cela a amené certaines ligues à jouer leurs matchs en deux fois 45 minutes (...) Les ligues qui ont pris l'habitude des deux fois 45 minutes ne souhaitent pas revenir en arrière.125 Ce point du règlement a semble-t-il évolué avec le temps, et le match en deux fois quarante-cinq minutes est devenu plus courant que le match en trois fois trente, car il est plus propice à la qualité de jeu et au bien-être des joueurs. Trois périodes de jeu avec deux interruptions engendrent le risque de décrochage de la part du spectateur, mais également une difficile gestion d'énergie pour le joueur. De mon expérience de spectateur, les ligues aussi bien amateurs que professionnelles ont fait des deux fois quarante-cinq minutes une règle implicitement officielle : Le match de la Ligue d'Improvisation Lilloise Amateur contre La Balise de Limoges, évoqué précédemment, suivait ce format, ainsi qu'un match opposant la Ligue d'Improvisation Professionnelle Lyonnaise (Lily) à la 123 Ligue Nationale d'Improvisation, op. cit. 124 Idem. 125 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit, p. 62-63. Ligue Nationale d'Improvisation en novembre 2014 à Lyon. Sur le règlement qui était distribué à chaque spectateur ayant assisté au match du 24 Janvier 2019 à Comines opposant la Ligue de Marcq-en-Baroeul aux légendes du Québec (l'équipe était constituée de quatre des plus anciens membres de la Ligue Nationale d'Improvisation), l'article mentionne deux périodes de 45 minutes. Le match contre la Licoeur s'est pourtant déroulé selon le découpage des trois fois trente minutes. Dans le cadre d'une ligue amateure, cela peut permettre de financer le match grâce aux recettes de la buvette. Jean-Baptiste Chauvin explique l'historique de cette pratique et la façon dont elle a évolué : C'est d'origine, mais Gravel a vraiment fait un copié-collé du match de hockey, et les 3 périodes de 30 minutes c'était pour le hockey sur glace. Ce qui se comprend ; quand tu as patiné 30 minutes, t'es bien fatigué. Mais faire de l'impro et faire deux pauses, c'est trop long. Trop long pour le spectateur. Quand on argumentait qu'il fallait faire qu'une seule pause, on nous rétorquait que ça faisait tourner le bar. À ce moment-là, autant faire 4 ou 5 pauses ! Mais j'en vois très rarement maintenant.126 Quant à l'influence que deux pauses puissent avoir sur l'énergie du comédien, j'ai pu m'apercevoir que l'improvisateur ne se reposait jamais en match : elles étaient utilisées pour faire le point, soit avec son équipe, soit en commun avec l'autre équipe. Thierry Bilisko, respectant son rôle de garant de la qualité de jeu, nous donnait des conseils et nous mettait en garde si besoin par rapport à des maladresses de jeu. On quitte effectivement le décorum du match, mais le joueur reste actif et retrouve très vite son énergie une fois de retour sur la patinoire, grâce à un échauffement rapide si besoin avant de reprendre le match. 64 126 Entretien avec Jean-Baptiste Chauvin, 06Mars 2019. 65 Article 4 : Chronométrage « À l'intérieur de la période de 30 minutes, il n'y a aucun arrêt du temps (chrono), bien qu'il y ait arrêt du jeu. »127 « Cela implique que tout le cérémonial (en dehors du début et de la fin de match) fait partie intégrante du temps de spectacle (...). Le temps qui peut être perdu pendant le cérémonial diminue d'autant le temps de jeu »128 Ici se trouve un parfait exemple de la façon dont le match d'improvisation conjugue jeu sportif et jeu théâtral. Non seulement cet article garantit que la majorité du temps est accordée au spectacle, mais il rejoint également l'idée de ne faire décrocher ni le joueur, ni le spectateur. C'est en cela que le match d'improvisation s'émancipe du rituel de la rencontre sportive lorsqu'une faute est sifflée : il n'y a pas d'arrêt de jeu qui sera ajouté au temps de la rencontre. Les fautes ne sont pas signalées par un coup de sifflet, mais par un kazoo (ou « gazou ») ; pour obtenir un son moins violent et éviter un décrochage. J'ai longtemps pensé que le kazoo était utilisé pour atténuer, voire railler la figure d'autorité de l'arbitre, mais l'article 11 témoigne que le rôle de l'arbitre est appréhendé avec un grand sérieux. Le rythme du spectacle est également assuré par une partie du staff : « Comme nous le verrons, cela nécessite d'avoir un staff efficace dans l'énoncé et l'explication des fautes ainsi que durant toutes les transitions... »129. J'illustrerai ces propos avec une expérience d'assistant-arbitre en mai 2018, lors d'un match où les deux équipes étaient composés d'élèves de l'école Impro Academy. Lorsque j'étais uniquement spectateur, je pensais que le rôle de l'assistant-arbitre était uniquement de compter les votes si l'arbitre n'était pas sûr de son compte et d'être, en somme, un vérificateur. Or, il est aussi chargé de noter chaque faute signalée, de taper sur ordinateur (ou de le stipuler sur la feuille de match selon l'époque) le thème de l'improvisation annoncée pour l'afficher aux yeux du public, et de noter le score. Il est donc aussi un clarificateur et un garant du cadre du spectacle, tant du point de vue cérémonial que théâtral. Plusieurs fois, à la fin d'une improvisation, l'arbitre est venu nous consulter - nous étions deux assistants-arbitres - pour que nous lui rappelions les fautes qui avaient étés signalées. Ce qui lui permet ensuite de les expliquer lors de la confrontation des capitaines : à la fin de chaque improvisation, lorsque celle-ci contient une ou plusieurs fautes, les deux capitaines 127 Ligue Nationale d'Improvisation, op. cit. 128 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit., p. 63. 129 Ibid. . 66 sortent sur la patinoire pour entendre les raisons qui ont poussé l'arbitre à siffler. Il est donc primordial d'être réactif pour assumer cette fonction. Article 5:Sirène « Une sirène annonce la fin de chaque période et la fin de la partie. »130 Cette règle, me semble-t-il, a pratiquement disparu avec le remplacement des trois périodes de trente minutes par les deux périodes de quarante-cinq minutes. Le match d'improvisation abandonne probablement ici une grande partie de son héritage, qui, souligne Jean-Baptiste Chauvin, « vient directement du hockey sur glace, [la sirène] sert dans la pratique à annoncer les début et fin de période. Elle sert également à rappeler les spectateurs après une pause et à signaler le retour des joueurs »131 Cette règle, de nos jours, n'a plus lieu d'être, suite aux effets de lumière et à la musique qui se chargent désormais de signaler aux spectateurs la reprise du spectacle. Le rappel de ceux qui s'étaient absentés durant la pause est confié à l'équipe d'accueil de la salle. Article 6 : Nature des improvisations « Les improvisations sont de deux ordres : Comparée : Chaque équipe, à tour de rôle, doit improviser sur le même thème. L'équipe désignée au hasard, par la couleur de la rondelle, a le choix de commencer ou non. Aucune communication ne sera permise sur le banc pendant l'improvisation de l'autre équipe. En cas d'infraction, une pénalité sera décernée à l'équipe fautive au moyen d'un mouchoir exhibé par les assistants de l'arbitre. 130 Ligue Nationale d'Improvisation, op. cit. 131 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit., p. 64. 67 Mixte : Un ou des joueurs des deux équipes doivent improviser ensemble sur le même thème. »132 Pour préciser les propos de Jean-Baptiste Chauvin, qui stipulent avec justesse que « la nature de l'improvisation détermine obligatoirement toute la stratégie de l'équipe dans la conception de l'histoire »133, il faut évoquer le caucus* : le terme désigne le délai variant de vingt à trente secondes dont disposent les joueurs pour préparer l'improvisation, une fois le thème annoncé. Certains improvisateurs critiquent son utilité, voire sa légitimité. Ils considèrent qu'il nuit à la spontanéité du joueur, et entre donc en contradiction avec le concept même de l'improvisation. Il fait cependant partie du match. J'ai néanmoins eu un jour l'occasion, lors d'un entretien enregistré avec Corentin Vigou - un des professeurs d'Impro Academy et membre de la ligue amateur Ligue Royale de Strandovie - de débattre sur la différence entre un caucus pour une improvisation mixte et une comparée : le conseil que j'ai reçu lorsque j'étais son élève était de ne pas définir de lieu durant un caucus pour une improvisation mixte. Le lieu est en effet une manière de poser le cadre de sa prochaine improvisation, et donc de donner au joueur des pistes pour développer la situation de son personnage. Dans le cadre d'une improvisation comparée, deux joueurs appartenant à la même équipe peuvent donc se mettre d'accord sur le lieu durant le caucus. Mais dans le cadre d'une improvisation mixte, l'intérêt pour le public est d'observer comment les joueurs appartenant à une équipe adverse vont construire ensemble une histoire. Pour que cela fonctionne et que tous les joueurs aient le loisir de participer à la construction, il convient donc d'entrer sur la patinoire avec un nombre minimum d'informations pour encourager la construction commune. Cela peut également éviter les obstructions ou les frustrations de certains joueurs : la situation se développant au fur et à mesure, il n'est pas forcément possible d'utiliser toutes les pistes qui auront étés pensées pendant le caucus si elles ne conviennent pas à l'improvisation en cours. Dans le cas inverse, si un des joueurs tient absolument à utiliser toutes les pistes et à poser la situation qu'il aura pensé pendant le caucus, cela pourrait mener à un refus de jeu, ignorant les propositions de l'adversaire pour imposer ses idées. 132 Ligue Nationale d'Improvisation, op. cit. 133 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit., p. 64. 68 Il faut également noter que les comédiens, durant une improvisation de nature mixte, ont le droit de communiquer entre eux - que ce soit entre membres d'une même équipe ou les deux équipes mélangées - pour poser ensemble la suite de l'improvisation si besoin ; à condition de ne pas enfreindre l'article 2. L'arbitre désigne l'équipe qui aura le choix d'improviser en premier ou non dans le cadre d'une improvisation comparée par tirage au sort en lançant un palet de hockey. Cela se fait la plupart du temps à vue du public, mais j'ai pu voir dans des formats de duel (une variation du match durant 45 minutes opposant deux comédiens) que ce tirage au sort était effectué avant le match. Je suppose que ce tirage est effectué avant la compétition pour éviter de nuire au rythme du spectacle, beaucoup plus court que le match, conformément à l'article 4. Mon expérience de spectateur m'a donné à voir une vive réaction qui, maintenant, fait pratiquement partie du rituel du match de la part du public : l'équipe qui choisit de laisser la main à l'équipe adverse sera moquée, mais sera encouragée si elle prend la main. Cette réaction peut s'expliquer par le goût du spectateur à voir un improvisateur prendre des risques. Mes conversations informelles avec certains membres du Groupe d'Improvisation du Terril concluent de façon quasiment unanime qu'il est préférable de laisser la main. Cependant, ce n'est pas, selon moi, gage de qualité pour l'improvisation qui va suivre : du temps aura passé pendant que l'équipe adverse aura présenté son improvisation, et par conséquence depuis le caucus effectué par l'équipe dont c'est désormais le tour. Les joueurs regardent alors leurs adversaires improviser, et prennent donc le risque d'oublier ou de transformer ce qui aura été dit durant leur caucus. Ils risquent également de se faire influencer par l'improvisation en cours. Or, le plaisir de spectateur, lorsqu'il doit départager les équipes après une improvisation comparée, réside beaucoup dans le fait de découvrir comment chaque équipe a agi pour traiter le thème. Il est à ce stade trop tard pour faire marche arrière : contrairement à ce qui se fait pendant une improvisation mixte, la concertation entre joueurs est interdite pendant que les adversaires jouent. Article 7 : Déroulement de chaque improvisation « a) annonce du thème: L'arbitre tire au hasard une carte et lit à haute voix :
L'improvisation terminée, chaque spectateur est appelé à choisir l'équipe gagnante de l'improvisation en montrant la couleur de son panneau de vote correspondant à l'équipe de son choix. Advenant un verdict nul (égalité dans le compte des votes), aucun point n'est inscrit. »134 69 134 Ligue Nationale d'Improvisation, op. cit. 70 Article 8 : Improvisation inachevée en fin de période Si, à la fin de la première et de la deuxième période, l'improvisation n'est pas terminée, elle reprend au début de la période suivante, au point où elle s'était arrêtée (même(s) position(s) et reprise de la dernière réplique). En première ou deuxième période, si la sirène se fait entendre durant le caucus, l'improvisation sera jouée au début de période suivante. Si la même situation se produit en fin de troisième période, l'improvisation est annulée. S'il reste moins de quatre (4) minutes à jouer dans une improvisation, le maître de cérémonie signale, à l'aide d'un carton blanc, que l'improvisation doit être terminée, même si le temps de la période est écoulé. En fin de troisième période, le temps minimum accordée à la dernière improvisation, si elle ne peut être jouée complètement à l'intérieur du temps restant, est de 30 secondes. Le maître de cérémonie signale, à l'aide d'un carton blanc que le temps de la période est écoulé jusqu'à écoulement du temps de grâce. Après les 30 secondes réglementaires, la sirène met fin à l'improvisation et le vote est demandé »135. Édité en 2015, le livre de Jean-Baptiste Chauvin présente une version raccourcie de cet article : il ne mentionne pas la partie concernant la sirène résonnant pendant un caucus. Le délai des quatre minutes restantes signalé par le maître de cérémonie est quant à lui réduit à une minute. Le commentaire qu'il en fait est très critique : L'issue de l'improvisation reste le vote. Quelle valeur peut-on donner à une improvisation qui a été interrompue par une pause de 10 minutes ? Comment choisir entre les deux improvisations de deux équipes (dans le cas d'une comparée dont une a été jouée avant et l'autre après la pause ? Même si les joueurs sont honnêtes et qu'ils ne se concertent pas en coulisse, toute la spontanéité du jeu, crée par l'urgence, disparaît 136. La règle stipulant qu'une improvisation interrompue par la fin d'une période doive reprendre au début de la période suivante est en effet néfaste pour tout le rythme du match, et impacte autant le spectateur que le joueur. En effet, elle intervient au moment où il est primordial de garder le public énergique et actif. On ne peut qu'imaginer sa frustration si une improvisation était interrompue en pleine action. Le rythme rapide du match garantit que les votes seront faits en fonction des réactions premières des spectateurs, et donc de leur spontanéité. Voter pour une improvisation qui reprend après une longue pause risque donc de donner des résultats en contradiction avec l'esprit du match. Par ailleurs, le danger de concertation entre joueurs durant cette pause s'oppose à la règle stipulant 135 Ibid. 136 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit., p. 73. 71 que les discussions entre joueurs sont interdites durant une improvisation comparée, même si elle a lieu en dehors du temps de jeu. La partie de l'article concernant la sirène retentissant pendant un caucus pose le même problème : les joueurs auraient tout le loisir de préparer leur improvisation pour la période suivante, étant déjà au courant du thème. Ceci dit, l'obstacle que présente cet article est atténué par la pratique courante des deux fois quarante-cinq minutes au lieu des trois fois trente minutes : diminuer le nombre de pauses durant le match limite le risque que ces situations ne se produisent. De mémoire de spectateur je n'ai pas eu l'occasion d'assister à une improvisation se terminant par convention après trente secondes si le temps était dépassé. Ma réflexion me pousse à conclure que ce délai peut être dépassé dans une limite raisonnable : il incombe à l'arbitre, dans ces circonstances, de mettre fin à l'improvisation le plus tôt possible. Mais il aura en charge de l'interrompre à un moment propice ; lorsqu'il estimera qu'une fin satisfaisante est trouvée. L'article 9 procure des outils aux joueurs et à l'arbitre en ce qui concerne la gestion du temps. Article 9 : Mi-temps de troisième période « Dans les quinze dernières minutes de la troisième période, les thèmes sont choisis dans un bocal spécial ne contenant que des improvisations mixtes n'excédant pas huit minutes. En troisième période, advenant la fin du temps réglementaire de trente minutes pendant une improvisation comparée, celle-ci se déroulera jusqu'à écoulement de son temps »137. L'usage veut que cette règle intervienne de nos jours lorsque le match entre dans ses vingt dernières minutes de la deuxième période. Elle permet à la partie de se conclure selon plusieurs alternatives : un raisonnement élémentaire de mathématiques permet à Jean-Baptiste Chauvin de dire que « Lorsque que le score est équilibré de 1 ou 2 points près, cela veut dire que tout reste possible dans 137 Ligue Nationale d'Improvisation, op. cit. 72 le dernier quart d'heure et que l'enjeu du match va se jouer sur les dernières improvisations. Car, en 15 minutes, il y aura au moins deux improvisations »138. Sur une période de quinze minutes, dans le cas supposé où deux improvisations de huit minutes chacune se suivraient, la dernière improvisation serait donc terminée après un délai approximatif de trente secondes après la fin du temps réglementaire. Comme tout dispositif spectaculaire, le match d'improvisation doit s'achever sur une apothéose : le délai des huit minutes à ne pas dépasser permet de garantir l'aspect vif et rapide de la compétition, tandis que la catégorie mixte permet de finir sur une note où les adversaires construisent ensemble une improvisation. Le fait de terminer sur une improvisation mixte privilégie donc la construction collective au détriment de l'enjeu du score. Selon le rythme qui aura dominé le match dans la globalité, il peut cependant être judicieux de terminer sur des improvisations courtes si cela peut empêcher une baisse d'énergie pour conclure le spectacle. Il incombe alors à l'arbitre de maîtriser le rythme en équilibrant le temps et le style des improvisations pour éviter une lassitude de la part du spectateur qu'a pu relever Jean-Baptiste Chauvin à plusieurs reprises : « Nous avons souvent vu les spectateurs râler après une succession d'improvisations longues ou mixtes. Certains arbitres ont tendance maintenant à moduler leurs thèmes en limitant le choix, en alternant les mixtes et les comparées, et en variant les durées »139. Article 10 : Égalité « Advenant140 une égalité à la fin du temps réglementaire de 90 minutes, une improvisation supplémentaire sera jouée, après une pause de soixante secondes. Pour cette période de temps supplémentaire, la durée des improvisations n'excédera pas cinq minutes (en mixte) et trois minutes (en comparée). Un (1) point au classement général sera attribué à l'équipe qui perd en prolongation. L'équipe gagnante en obtiendra deux (2). S'il y a égalité dans le compte des votes, une autre improvisation suivra. En série éliminatoire, advenant une égalité après les trois périodes réglementaires, le jeu se poursuivra en période(s) supplémentaire(s) jusqu'à ce qu'un point soit marqué »141. 138 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit., p. 74. 139 Ibid., p. 76. 140 Québécisme à valeur d'hypothèse « S'il advient que » 141 Ligue Nationale d'Improvisation, op. cit. 73 Les notions de classement général et de série éliminatoire sont quelque peu obscures pour les européens, le vieux continent accueillant moins de compétitions officielles que sur le terrain Nord-Américain. Lors de différentes finales en mondial d'improvisation que j'ai pu visionner, l'arbitre n'est pas épaulé par des assistants, le cas d'une égalité peut donc se produire pour le compte des votes. La majorité des matchs auxquels j'ai assisté empêchait cependant ce cas de figure, les assistants-arbitres étant sollicités pour compter le nombre de cartons en faveur de chaque équipe, et évite donc une égalité dans le comptage des votes. Le cas d'un score égal à l'issue d'un match est néanmoins une situation à laquelle j'ai assisté à plusieurs reprises. Les notions de compétition et de dramaturgie se mêlent alors pour prolonger le spectacle, et c'est ici que le spectateur peut exercer un pouvoir expliqué par Jean-Baptiste Chauvin : La situation de l'improvisation supplémentaire se rencontre souvent, car le public a une tendance naturelle à équilibrer le score. Si, à la fin du match et du dernier vote, il manque un point à une équipe pour aboutir à une égalité, le public votera pour cette équipe afin de profiter d'une improvisation supplémentaire.142 Article 11: Pénalités « L'arbitre est le maître absolu du jeu. En tout temps, il peut imposer une pénalité à un joueur ou à une équipe pour toute infraction nuisant à la qualité du jeu ou au déroulement de la partie. Au cours d'une improvisation, l'arbitre signale une pénalité au moyen d'un "gazou". La pénalité est annoncée avant le vote sur l'improvisation »143 . Jean-Baptiste Chauvin, dans son livre, fait de la partie concernant l'arbitre en tant que maître absolu du jeu un article à part entière. J'entamerai ici une réflexion sur cette fonction : Il me semble que le fait qu'un article entier du règlement lui soit consacré a pour but de revaloriser la fonction de l'arbitre. Au fur et à mesure du temps, des expérimentations et de l'appropriation du match d'improvisation par des joueurs extérieurs à la Ligue Nationale d'Improvisation, le rôle de l'arbitre a eu tendance à être transformé, voire parodié : dans bon nombre de matchs, le maître de 142 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit., p. 75. 143 Ligue Nationale d'Improvisation, op. cit. 74 cérémonie conditionne le public à le huer en le percevant comme une figure d'autorité abusive et donc par définition nocive pour l'improvisateur qui verra sa liberté de création et sa spontanéité mises en danger. La responsabilité de l'arbitre est pourtant tout autre que celle de trouble-fête : il est garant, tant sur le point de vue sportif que dramaturgique, du bon déroulement du match et de la qualité des improvisations qui s'y jouent. Lui incombent la préparation en amont des thèmes (soit par lui seul, soit avec le concours des assistants-arbitres), la variété des catégories et des improvisations mixtes et comparées, et le choix du temps accordé à chaque improvisation. Dans un match amateur, le fait que l'arbitre soit lui-même amateur et membre d'une équipe peut influencer le contenu du match. Par conséquent, l'usage veut qu'avant le match les joueurs assistent à un briefing orchestré par l'arbitre dans lequel il donne la liste des catégories. Pour que l'entente soit commune et que les joueurs partent sur un pied d'égalité, il leur est possible de demander de retirer la catégorie du barillet* ou de décider si elle peut être utilisée. J'ai illustré un exemple de ce procédé avec le match du Groupe d'Improvisation du Terril contre la LICOEUR de Bordeaux en fin du règlement. Par ailleurs, chaque troupe amateure ayant, au fil des ans, construit sa propre identité et son propre style de jeu, des affinités entres ligues peuvent se créer, et c'est l'occasion pour une ligue de découvrir une nouvelle catégorie. Je prendrais l'exemple de Maxime Curillon, qui arbitre la majorité des matchs organisés par le Groupe d'Improvisation du Terril : « je ne suis pas à l'aise sur la Shakespeare par exemple, je ne les mettrais jamais en arbitrage, c'est logique. Les catégories que je vais faire, ce seront des catégories qu'on aura bossé au GIT »144. L'arbitre, selon son expérience d'improvisateur, influence donc le match. Il est en effet logique de ne pas mettre dans le barillet une catégorie qui n'est pas maîtrisée par l'arbitre, qui n'est alors pas en mesure de jauger du respect de cette catégorie lors du match. Le briefing peut alors devenir un moyen entre les improvisateurs d'échanger sur leurs différentes façons de jouer telle ou telle catégorie ou d'en apprendre des nouvelles : en cas de méconnaissance, l'arbitre explique quelle est selon lui les codes et la construction qui correspondent à cette catégorie. 144 Entretien avec Maxime Curillon et Florine Sachy, 28 Février 2019. 75 Points de pénalité « L'équipe pénalisée se voit accorder un ou deux points de pénalité selon la nature de l'offense (mineure ou majeure). Une pénalité majeure est une infraction qui détruit sciemment le jeu, tandis qu'une infraction mineure peut être un oubli, une maladresse, un retard, etc. L'accumulation de trois points de pénalité (total accumulé chronologiquement par les joueurs ou leur équipe) donne automatiquement un point à l'équipe adverse »145. Le match d'improvisation théâtrale de Jean-Baptiste Chauvin explicite la nuance que cette règle implique pour le score :« Une équipe peut donc marquer des points par le vote du public, mais également par les fautes commises par l'autre équipe. Cela impose donc aux joueurs de jouer dans le respect des règles, toute faute commise permettant de gonfler le score de l'adversaire »146. Le match repose sur ce qu'il a défini par « une relation tripartite »147 entre les joueurs, leurs adversaires et le public. Le pouvoir que ce dernier détient sur l'attribution du point peut lui permettre de contrebalancer la décision de l'arbitre. Cela peut être une manière de défier son autorité - surtout pour un public qui ne serait pas familiarisé avec le règlement et ne tiendrait donc pas compte de la qualité bafouée d'une improvisation - et de prolonger le match : en votant pour une équipe qui a commis une faute, on peut retarder le moment supposé d'une accumulation de trois fautes entraînant le gain du point à l'équipe adverse et réduire le potentiel écart des scores. Rendre ainsi la décision de l'arbitre caduque permet donc de s'assurer que le match pourra être prolongé si les scores amènent à une égalité, voire amener les joueurs à se dépasser dans le futur en améliorant la qualité de leurs improvisations pour remporter le point. Implicitement, le vote du public se met donc également au service du match, refusant une victoire facile. Lorsque le public prive l'influence l'arbitre de son influence sur le score du match, la relation tripartite se transforme alors en une évidente complicité réunissant les joueurs et les spectateurs contre l'arbitre. Lors d'un match auquel j'ai assisté en novembre 2016, et qui opposait deux équipes appartenant à la Ligue d'Improvisation professionnelle de Marcq-en-Baroeul, un des joueurs s'est vu siffler une faute de décrochage, dont Jean-Baptiste Chauvin donne la définition : « Le décrochage se caractérise le plus souvent par le fou rire. Situation bien humaine mais condamnable dans la mesure 145 Ligue Nationale d'Improvisation, op. cit. 146 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit., p. 76. 147 Ibid., p. 72. 76 où elle casse l'imaginaire »148. Il s'agissait d'une improvisation où les joueurs avaient la contrainte de jouer en vers. Une catégorie aussi spécifique que celle-ci peut permettre au spectateur de s'identifier à un joueur, qui aura tendance à anticiper ses paroles, où à se prêter intérieurement au même exercice. Le fou rire du joueur avait été provoqué par un mot grivois qu'il s'apprêtait à employer pour conclure l'improvisation, et le public l'avait bien perçu. L'impact du décrochage sur la qualité de l'improvisation avait été ici moindre, puisqu'il était survenu à sa conclusion. Sans pour autant contester la faute, le public avait été clément avec lui, parce que ce joueur était sur le point de répondre à une attente précise. Malgré la faute, son équipe avait remporté ce point. « En temps supplémentaire, l'accumulation de trois points de pénalité par une équipe met immédiatement (dès le signalement de l'infraction) un terme à l'improvisation en cours et donne la victoire à l'équipe adverse. Expulsion Tout joueur ayant récolté deux (2) pénalités pendant la même partie est expulsé du jeu pour la fin de cette joute et il doit se retirer dans le vestiaire. Son expulsion efface les points de pénalité résultant de ses deux fautes, s'ils n'ont pas déjà été totalisés. Les points de pénalité de toutes fautes subséquentes, par ce joueur, sont versés au dossier de l'équipe. Si, à cause de l'absence d'un joueur, son équipe ne peut remplir les exigences de la carte d'improvisation, l'autre équipe gagne l'improvisation par défaut »149. Cette règle a plus de conséquences si le match est en format des « deux fois quarante-cinq minutes » que s'il est en « trois fois trente minutes ». Elle engage la responsabilité du joueur envers son équipe, et même envers le match : l'article 1 met l'accent sur l'équilibre mis en place par le nombre des six joueurs avec trois hommes et trois femmes. Amputer une équipe d'un de ses membres aura donc un impact sur cet équilibre par rapport au temps de passage de chacun, et par conséquent sur l'énergie des joueurs et la variété des improvisations proposées. 148 Ibid., p. 129. 149 Ligue Nationale d'Improvisation, op. cit. 77 Des alternatives ont étés posées pour respecter cette règle de punition, et éviter de nuire à la qualité et à l'ambiance festive du match : « Le joueur sanctionné se voit exclu de la partie pour un nombre d'improvisations défini par l'arbitre en fonction de de la gravité des fautes commises »150 Jean-Baptiste Chauvin insiste sur le fait que cette pratique est plus courante lors de rencontres amateurs ou de joueurs inexpérimentés151, et semble s'inspirer directement du règlement du Theatresports, inventé en 1977 par le Britannique Keith Johnstone, dont le théoricien Christophe Tournier a explicité le système de la punition dans le Manuel d'improvisation théâtrale : « Suivant les pays, le joueur puni reste plusieurs minutes sur le bord de la scène, avec sur la tête un sac troué dissimulant son visage »152. Lors de la finale du mondial d'improvisation en 2007, l'arbitre Yvan Ponton avait néanmoins exclu définitivement la joueuse québecoise Edith Cohcrane à la deuxième période, car elle avait commise deux fautes personnelles. Demande d'explication « Seul le capitaine de chaque équipe a le droit de demander des explications à l'arbitre. Toute discussion avec ce dernier doit se dérouler dans le cercle LNI au centre de l'aire de jeu. Advenant l'expulsion du capitaine, celui-ci sera remplacé par l'assistant-capitaine »153. L'article 11 conclut le règlement du match d'improvisation tel qu'il était en vigueur jusqu'en 1987. Il se voit complété en 1988 de deux articles supplémentaires. 150 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit., p. 77. 151 Idem. 152 Christophe Tournier, op. cit., p. 93. 153 Ligue Nationale d'Improvisation, op. cit. 78 Article 12: Classement « Chaque victoire vaut deux (2) points au classement général. À la fin du calendrier régulier, advenant une égalité dans les points au classement, le gagnant des matchs disputés en saison entre les équipes concernées obtient la primauté. Si l'égalité ne peut être brisée par ce principe, la différence entre les points pour et les points contre, au total de la saison, détermine un meneur. Si l'égalité persiste à ce stade, la différence entre les points pour et les points contre au total des matchs mettant aux prises les équipes en litige devient la référence. Le dossier de l'équipe au chapitre des pénalités tranchera en dernier recours. Joutes éliminatoires : À la fin du calendrier régulier, il y a une ronde de deux demi-finales. L'équipe qui termine en tête du classement général rencontre dans une première partie de demi-finale l'équipe occupant la 4e et dernière place. L'équipe terminant au 5e rang est éliminée. Les équipes occupant la 2e et le 3e place se rencontrent dans une deuxième joute de demi-finale. Les gagnants des deux demi-finales se rencontrent en finale »154. Le match d'improvisation théâtrale définit cette pratique :« Il s'agit là de la procédure à suivre dans un championnat ou un tournoi pour déterminer les équipes finalistes »155 Cet article peut paraître obscur pour les Européens, n'ayant pas une culture du match aussi poussée et aboutie que les Québécois. Peu de championnats à grande échelle ont eu lieu sur notre sol. La dernière coupe du monde en date ayant été jouée en France a été organisée en 1998 par la Ligue d'Improvisation Professionnelle de Marcq-en-Baroeul. Ces championnats se sont, quant à eux, multipliés sur le territoire québécois : au fur et à mesure du temps se sont créés des tournois multiples tels que la Coupe Charade, les grands duels de la LNI et des tournois régionaux. Il a bien fallu, avec cette évolution, structurer davantage le règlement pour organiser les classements. Cette évolution n'avait pas été prévue par Robert Gravel qui soutenait dans l'ouvrage Impro ; réflexions et analyses, que « Le hockey n'est qu'un prétexte. Il n'est que l'emballage du spectacle. Le jeu LNI pourrait exister sans cet environnement sportif et coloré »156 154 Idem. 155 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit., p. 78. 156 Robert Gravel, Jan-Marc, Lavergne, op. cit., p. 38. 79 Article 13 : Protêt. Pour qu'un protêt soit valide, il doit être signalé aux officiels, lors du match contesté, avant la dernière sirène annonçant la fin des cérémonies de clôture. Un membre dûment mandaté de la direction de la Ligue Nationale d'Improvisation jugera alors de la recevabilité du protêt. Dans la mesure du possible, la décision sera rendue le soir même ou dans un délai raisonnable par le membre mandaté.Une équipe qui abusera de cette procédure pourrait être sanctionnée. La sanction imposée correspond au retrait de un ou deux points au classement général 157. Le cadre strict et clairement défini permet à chaque joueur de se confronter à ses règles et d'enrichir son jeu. Le caractère restrictif de cette pratique que certains opposent à la liberté de l'artiste est donc discutable. Depuis 1977, le règlement et la pratique du match s'étant transmis de joueur en joueur et d'ateliers en ateliers, Jean-Baptiste Chauvin appelle à la prudence : « Cependant, il faut se montrer prudent, car le développement croissant des équipes et de ligues, tout bénéfique qu'il soit, met en danger l'esprit et l'éthique du jeu. Il convient donc de créer une base de réflexion pour que le jeu évolue sur des fondations solides »158. En plus de quarante ans d'existence, les modifications peu nombreuses dont le règlement a fait l'objet ont pour but d'oeuvrer dans ce sens. Le cas des deux fois quarante-cinq minutes qui avaient commencé à supplanter officieusement les trois fois trente minutes en est un bon exemple. Le match d'improvisation était soumis à l'origine au découpage similaire aux matchs de hockey, probablement pour des raisons culturelles. Avec son développement vers d'autres pays, le règlement a dû s'adapter à d'autres cultures ainsi qu'aux usages. Le découpage du temps en deux-fois quarante-cinq minutes, par exemple, est aujourd'hui majoritaire, mais le match que j'ai joué contre la LICOEUR de Bordeaux avec le Groupe d'Improvisation du Terril était découpé en trois parties de trente minutes En tant qu'institution, le match d'improvisation continue donc de faire évoluer ses règles avec son temps. Il convient cependant à chaque improvisateur, amateur ou professionnel, de faire preuve de responsabilité individuelle pour conserver les fondations solides et l'éthique du jeu chères à Jean-Baptiste Chauvin. Par ailleurs, un règlement trop éloigné de sa forme originelle n'aurait guère de sens et empêcherait les différentes ligues de partager un langage commun. Par conséquent, la fonction de l'arbitre devient vitale, et ne se cantonne donc pas à une parodie d'autorité. Une certaine maîtrise de ce rôle pourra néanmoins permettre à l'arbitre-improvisateur de 157 Ligue Nationale d'Improvisation, op. cit. 158 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit., p. 80. 80 jouer de cette image tout en faisant respecter le match ; ce qui peut divertir le public tout en garantissant le respect des règles. Certaines initiatives individuelles qui oeuvrent à préserver l'intégrité de la fonction, dans la plus pure tradition de la transmission orale, sont à saluer. Je citerai en exemple un groupe créé sur un réseau social intitulé « Arbitre, c'est un métier ! » qui est une véritable source d'enseignement et de partage pour appréhender et questionner le rôle de l'arbitre. Des improvisateurs professionnels ou non rompus à la fonction y partagent régulièrement leurs expériences, conseils et y publient des offres de stage. C'est également sur ce groupe que j'ai pu me procurer le document du règlement édité par l'Association Française des Ligues d'Improvisation. Les initiatives individuelles, dès lors qu'elles conservent une intégrité par rapport au support d'origine, permettent donc au règlement du match d'improvisation de se pérenniser grâce au bon sens et à la volonté individuelle d'améliorer une pratique collective. C'est pourquoi je souhaite saluer le respect du règlement dont avaient fait preuve la Ligue d'Improvisation Lilloise Amateur et la Balise de Limoges en Novembre 2017, en sanctionnant dès leur entrée l'équipe limousine pour un non-respect du nombre de joueurs, qui étaient au nombre de cinq. Le problème de trouver le nombre de joueurs conforme à l'article 1 est souvent rencontré chez les ligues amateurs. Celles-ci sont maintenant très nombreuses, il est primordial qu'elles s'évertuent à respecter ce règlement, étant maintenant les ambassadrices officieuses du match par le nombre de rencontres proposées. Le caractère amateur ne peut en aucun cas dispenser de l'obligation d'offrir un spectacle de qualité. Ce cas de figure se présentant souvent, une faute n'est pourtant pas sifflée systématiquement à chaque match amateur. Il incombe alors aux deux ligues en jeu de se mettre d'accord en interne pour discuter des modalités de jeu si, par la force des choses, il n'est pas possible de remédier à cet écart. L'entretien a pour but de garantir un équilibre et une parité entre les joueurs de chaque équipe, mais également entre les deux équipes. C'est ce que j'ai pu vérifier lors de mon premier match : l'arbitre a tout d'abord défini son style d'arbitrage, en précisant qu'il allait être « un peu désagréable », pour renforcer sa position d'autorité, mais il a avant tout été pédagogue, pour éviter que les joueurs ne soient brusqués par son attitude. Il a ensuite énuméré les catégories qu'il avait préparées pour le match. Nous pouvions dire si nous nous sentions à l'aise avec ces catégories. Par exemple, une catégorie de style en mixte avait été choisie « à la manière de Myasaki », un réalisateur japonais, ce qui supposait des références culturelles spécifiques. Le danger d'une telle catégorie est de commettre une faute de non-respect de la catégorie si les codes sont peu connus des joueurs, ou d'appuyer sur un cliché par peur d'explorer d'autres pistes. Des douze joueurs qui ont disputé ce match, nous étions une très forte minorité à connaître les dessins animés Myasaki : deux 81 joueurs au GIT, aucun à la Licoeur de Bordeaux. Nous avons questionné l'arbitre qui nous a expliqué brièvement ce qu'il attendait que nous produisions pour cette catégorie. Une grande responsabilité attendait ceux qui connaissaient l'univers de Myasaki : étaient-ils assez familiers pour respecter l'oeuvre et seraient-ils capables de transmettre des codes clairs à leurs partenaires pendant l'improvisation ? Avec les quelques personnes qui avaient une mince connaissance des codes, nous avons décidé de prendre cette responsabilité et d'accepter la catégorie. J'ai profité d'une pause pour faire part à mes partenaires de mon appréhension quant à cette improvisation. Mais il faut rappeler que le public est là pour admirer la capacité de l'improvisateur à prendre des risques. La catégorie a été tirée par l'arbitre lors de la troisième période, et l'improvisation a été appréciée du public. L'expérience de ce premier match m'a fait comprendre que le cadre doit être solide, sans pour autant être rigide. Sous l'égide d'un arbitre professionnel, l'improvisateur a son mot à dire s'il ressent une certaine appréhension par rapport au terrain où l'emmènera telle ou telle catégorie. La qualité de l'improvisation et la sécurité du joueur étant prioritaires, c'est à l'ensemble du staff* qu'il incombe de définir un cadre idéal pour tous. Pour que ce cadre et les rituels relatifs aux spectacles d'improvisation soient connus de tous, il a au fur et à mesure du temps été développé un langage spécifique à la pratique. |
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