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Les ligues d'improvisation théà¢trale dans les Hauts-de-France: histoire, organisation et codes


par Matthieu HACOT
Université de Lille UFR humanités Département Arts de la scène - Master 2019
  

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I.4 : Enjeux artistiques et financiers.

L'analyse du match d'improvisation théâtrale faite par Jean-Baptiste Chauvin dévoile le grand nombre de mécanismes qui se développent pendant ce type de spectacle. C'est là qu'intervient la problématique qu'il a évoquée en entretien à propos de l'esprit d'origine ; et donc de faire comprendre l'importance du fond. Il ne faut donc pas se contenter de respecter la forme : la simplicité et la rigueur avec laquelle elle est décrite a pour conséquence, selon moi, de montrer du match une accessibilité relative, car elle intervient dans un cadre sportif abritant un cadre théâtral.

Le premier niveau du match d'improvisation en terme de dramaturgie constitue la pièce-cadre, qui abrite en son sein le cadre des improvisations. Les comédiens qui sont chargés de poser ce cadre composent ce que le langage commun appelle désormais le staff*, en héritage du match de hockey. Voici ce que Jean-Baptiste Chauvin rapporte à ce sujet :

Il est important de comprendre que le staff est au service du spectacle, et non l'objet du spectacle. Sa sobriété ne peut que renforcer son efficacité. Malheureusement, la tentation est souvent trop forte, souvent chez les amateurs, d'outrepasser les limites des différents rôles et d'en rajouter, de cabotiner, et donc de montrer sa frustration de ne pas être à la place des joueurs.82

La sobriété du staff doit être de rigueur pendant que les improvisations se jouent. En-dehors des périodes de jeu, son rôle est de garder le spectateur dans l'esprit d'un spectacle, et doit donc s'assurer qu'aucun temps mort ne vienne interrompre le temps de la représentation.

82 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit., p. 104.

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La difficulté pour ces comédiens est de respecter le fragile équilibre entre l'incarnation de leur personnage et la fonction qu'ils ont à remplir pour consolider le cadre.

Le premier à intervenir dans ce cadre est, selon Jean-Baptiste Chauvin, le musicien :

C'est le musicien qui ouvre les festivités et qui les ferme, car il est le premier à entrer en scène et le dernier à en sortir [...] L'usage du musicien vient lui aussi du hockey. Dans les matchs de hockey, un organiste joue dès l'entrée du public et intervient dès qu'il y a un arrêt du jeu. A la Ligue Nationale d'improvisation, un organiste accueille également le public avec des airs connus et des rengaines »83

Il est celui qui va donner le ton de la soirée au public, et a un rôle similaire à celui d'un chauffeur de salle. Lorsque j'ai disputé mon premier match contre la LICOEUR de Bordeaux, en Mars 2019, les musiciens était deux, et annonçaient l'arrivée du maître de cérémonie. Le premier cadre est posé. Alors que Jean-Baptiste Chauvin insiste sur l'importance que le musicien a par rapport au rythme, certaines personnes poussent parfois la fonction a un autre degré de dramaturgie. C'est le cas de Simon Fache : « quand je travaille avec des comédiens que je ne connais pas, je leur laisse croire que je les écoute. Et si eux sont à l'écoute, ils se rendent compte que je suis un joueur de plus »84. Devenir un joueur de plus, lorsqu'on appartient au premier cadre, demande d'être attentif aux improvisations qui se déroulent sur la patinoire, et d'identifier les besoins des improvisateurs, selon la situation :

Après il y a des improvisations où je ne joue pas, et il y a aussi des improvisations où je suis vraiment décorateur : par exemple ; si on part sur une catégorie « heroic fantasy », je vais décorer avec de la musique de violons, et si je vois un joueur arriver un peu en Gollum, je vais pas jouer Maya l'Abeille !85

Simon Fache apporte ici une nuance intéressante : lorsqu'il intervient dans une improvisation pour décorer, le musique devient un élément dramaturgique, et non uniquement un élément chargé de rythmer les différentes phases du spectacle. Il peut également s'impliquer davantage : lorsqu'il écoute l'improvisation et est capable d'identifier la situation en cours, il devient ce joueur en plus :

Parfois, je provoque vraiment les changements de temps. Ça m'arrive, très souvent, quand je vois les joueurs qui installent : " tu te souviens, à l'époque, quand on avait dit ça ..." ... vous

83 Ibid, p. 112.

84 Entretien avec Simon Fache, 27 Février 2019.

85 Idem.

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savez quoi ? Au lieu d'en parler, on va le faire ! Je fais une espèce de *musique de piano* , et ils se disent " Ok, on va faire un flash-back !" [...]Quand, dans une impro, tu as des bascules de temps ou de lieu, ça crée beaucoup de reliefs et c'est assez jouissif à regarder.86

La musique assure autant le rythme des improvisations que le rythme du spectacle, les deux devant être efficaces. Les joueurs et membres du staff doivent garder à l'esprit que l'improvisation théâtrale est avant tout une affaire d'actions, et donc de dosages. L'intention des improvisateurs en place dans la patinoire étant monopolisée par l'action en cours, il se peut qu'ils n'aient plus assez de recul pour amener autre chose ou ne pas avoir conscience que l'improvisation est en train de durer trop longtemps, au détriment d'une action rythmée. Ce qui n`est pas le cas des improvisateurs absents de la patinoire.

De mon expérience d'improvisateur, il est plus aisé, lorsqu'on a une vision extérieure de l'improvisation en cours, d'identifier quand une improvisation nécessite une intervention supplémentaire pour la faire évoluer. Cela reste dans tous les cas une prise de risques : un improvisateur-spectateur dans cette situation a la responsabilité d'amener un élément nouveau pour désamorcer le blocage de la situation, et n'a que quelques secondes pour prendre la décision. Á ce stade, l'histoire a commencé, des éléments sont posés dont il a eu le loisir de prendre connaissance ; ce qui ne rend pas la tâche plus aisée : la charge de trouver un élément nouveau, tout en étant cohérent avec l'action qui se déroule, ferme le champ des possibles. Ce qui n'est pas le cas au commencement d'une improvisation. Il peut avoir tendance à prolonger sa période de réflexion pour trouver l'élément judicieux à apporter, mais prolonge le temps de latence ; et précipite l'agonie de l'improvisation.

Le musicien, quant à lui, observe une distance avec ce qui a lieu dans la patinoire, tant géographique que dramaturgique.

Lorsque Simon Fache parle des improvisations donnant à montrer des bascules de temps et de lieu, il évoque la possibilité de donner un second souffle à l'improvisation, ou à offrir une histoire variée. La mise en place d'un deuxième lieu ou d'une deuxième époque fournit aux joueurs une occasion supplémentaire de nourrir l'action. En plus d'une improvisation plus ouverte, elle constitue un élément narratif nouveau, dans lequel tout est à mettre en place. Cela ouvre donc un nouveau champ des possibles, comme au commencement d'une improvisation. Il est ensuite à la liberté des improvisateurs soit de relier les deux actions, soit de laisser la situation secondaire évoluer sans que

86 Idem.

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les deux improvisations n'aient de réel lien identifiable. Dans tous les cas, l'histoire aura été davantage nourrie, la deuxième improvisation illustrant la première, et renforçant ainsi ses propos. La distance géographique dans laquelle l'organisation du match place le musicien a aussi ses avantages.pour Simon Fache : « Si tu as des comédiens qui sont en train de jouer en avant-scène, tu vois le joueur sur le banc qui se prépare à entrer, tu vois le coach qui vient de lui dire un truc, donc tu sais qu'il va se passer quelque chose. Tu anticipes »87

Elle permet également au musicien d'identifier la proposition d'un comédien, et de réagir en conséquence. Il est encore une fois question d'écoute, car chaque individu interprète potentiellement une proposition d'une façon différente. La musique jouant un rôle d'illustration et d'accompagnement, le musicien fait un choix. Il va parfois à l'encontre de la proposition première du comédien, mais l'acceptation étant de mise, c'est cette idée qui sera retenue : grâce à la musique, la proposition devient concrète, et le joueur a de la matière :

Si on est sur une écoute mutuelle, ça marche. Par exemple, sur le match anniversaire équipe de France contre Marcq, en comparée ; Richard88 entre sur scène avec un personnage que moi je vois comme une espèce de Charlie Chaplin dans sa démarche. Donc je commence à jouer une musique de cinéma muet. Mais lui n'avait pas spécialement ça en tête, il rentrait juste avec une démarche. Mais il entend que je joue le cinéma muet, donc il ne parle pas. Du coup, il chope le code et installe un personnage juste dans le visuel, avec des onomatopées.89

Simon Fache a conçu ce rôle de musicien à force d'expérience, et a à son tour endossé un rôle de formation :

C'est pour ça que j'ai aussi formé un pianiste - parce que je ne suis pas toujours là - parce que, personne ne m'a dit ce que je devais faire. Je l'ai compris,j'en ai fait ma version avec le temps en faisant une paire de spectacles, en étant invité ailleurs aussi pour voir comment ça se joue. Parce que si le match est partout pareil, le staff bouge. Donc je l'ai formé en lui disant que son boulot, c'est que les gens tapent dans les mains. Jouer dans les impros, c'est que du bonus. C'est ce qu'il y a de plus compliqué, mais ce n'est pas ce qu'on demande en premier.90

Si le rôle de la musique dans les improvisations représente une véritable valeur ajoutée, l'évolution du match d'improvisation a néanmoins donné une fonction supplémentaire au musicien:les improvisations qui se déroulement désormais sous une catégorie* chantée font appel de façon

87 Idem.

88 Richard Perret, joueur de la Ligue Majeure d'improvisation, créé en 2009. Il est régulièrement sélectionné dans l'équipe de France.

89 Entretien avec Simon Fache, 27 Février 2019.

90 Idem.

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directe à ce joueur. Si l'improvisation se joue de façon comparée - quand les deux équipes improvisent l'une après l'autre - , l'arbitre laisse le choix entre deux styles de musique, et c'est l'équipe qui improvise en premier qui a le loisir de choisir le style. L'équipe suivante se voit octroyer d'office le style restant.

Une autre catégorie est dénommée la catégorie musicale : les joueurs n'ont pas droit à la parole et se font guider uniquement par la musique.

La nature de ces deux catégories, ainsi que le témoignage de Simon Fache, montrent que le musicien intervient dans les deux cadres offert par le match d'improvisation. Le choix d'intervenir dans les improvisations doit néanmoins être judicieux afin de ne pas détourner le propos.

Se concentrant en premier lieu sur sa mission de poser le premier cadre, les rengaines enjouées qu'il joue au début du spectacle mettent le public dans une condition optimale pour accueillir le maître de cérémonie.

« Au même titre que l'arbitre, il est là au service du match et n'a pas pour vocation de jouer un personnage. Il est le maître d'une cérémonie, celle qui se passe devant nous.Là encore, il ne joue pas à être M.C. »91

La cérémonie qui se passe devant nous dont parle Jean-Baptiste Chauvin représente le premier cadre, celui de la rencontre sportive. N'ayant pas à intervenir dans le second cadre - celui des improvisations - il a une fonction comparable à celui d'un metteur en scène. Bénéficiant du même point de vue extérieur que celui du musicien, il est en charge de présenter les joueurs au public, et il l'encourage à les applaudir.

La fonction qu'il assume a pour objectif d'établir une passerelle entre les deux cadres pour éviter de perdre le public : il a la charge d'expliquer au public ce que signifie telle ou telle catégorie, et d'expliquer pourquoi l'arbitre a sifflé une faute si besoin est.

La dimension théâtrale de ce rôle peut se retrouver dans deux points ; tout d'abord, la fonction du metteur en scène, car il intervient dans les deux cadres de la représentation. Et, bien que ce ne soit pas un personnage à part entière - par rapport aux improvisateurs - cette fonction implique naturellement un rôle : en étant habillé de manière élégante - ce qui va de soi pour une cérémonie - et en s'adressant au public avec un micro, il est en représentation.

Lorsque Jean-Baptiste Chauvin, dans la dernière citation, englobe les fonctions de maître de cérémonie et d'arbitre dans des rôles comparables, celui de l'arbitre demande un travail plus dosé par rapport à la notion même d'acteur.

91 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit., p. 111.

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Il est responsable de la qualité des improvisations, son travail est donc également analogue à celui d'un metteur en scène. Cela implique par définition une austérité par rapport à ce qu'il va se passer dans le premier cadre. En préparation d'un match, il est chargé de doser avec justesse le temps de chaque improvisation, et être judicieux dans le choix des thèmes et des catégories. Il est de coutume que deux tiers des improvisations soient soumis à une catégorie, le dernier tiers étant consacré aux catégories libres. Ce dosage a pour but de trouver un équilibre idéal entre le fait de laisser une liberté à l'improvisateur par rapport à son imagination grâce aux catégories libres, tout en les entrecoupant de catégories imposées pour lui offrir une orientation.

L'évolution du match d'improvisation a , au fur et à mesure, fait évoluer son comportement sur la patinoire, en conséquence du service qu'il rend aux joueurs pour leur offrir un cadre confortable :

Le fait d'improviser étant spectaculaire dans le sens où il implique de prendre des risques sans filet, il faut un élément pour apporter un contre-poids qui provoquera la bienveillance chez le spectateur : c'est pourquoi la plupart des arbitres feignent un excès d'autorité lorsqu'ils sont dans l'espace de la représentation. Ce jeu doit cependant conserver une grande sobriété pour garder l'intention sur les improvisations, et l'arbitre ne doit pas se donner en spectacle. Par ailleurs, être arbitre demande une grande connaissance du règlement et une capacité d'analyser un jeu. J'ajouterais une autre dimension par rapport à sa fonction de metteur en scène : avant un match, tout le staff assiste au briefing, orchestré par l'arbitre. C'est à ce moment qu'il informe les joueurs des catégories qui seront énoncées. Si certains joueurs ne sont pas à l'aise avec une catégorie, il leur est possible de demander de ne pas la jouer. Cela garantit non seulement que les joueurs évolueront dans une atmosphère sécurisée, mais également pour obtenir une qualité optimale dans les improvisations. Une catégorie avec laquelle personne n'est familier mène à une faute de non-respect de la catégorie. Et plus un joueur connaît le cadre de l'improvisation, plus il sera enclin à fournir des éléments pertinents. Conforté par rapport à ses connaissances, il est bien plus aisé d'oser prendre des risques pour mieux s'emparer du cadre et proposer une histoire de qualité.

Les assistants-arbitres incarnent des figures conformes à l'image d'autorité que renvoie l'arbitre. Durant les improvisations, ils sont assis de part et d'autre du maître de cérémonie, sur une table en face de la patinoire. A l'instar de la situation géographique du musicien, cette position légèrement en retrait permet d'avoir une vue extérieure - et donc objective - non seulement sur les improvisations, mais sur le déroulé du match dans son ensemble. Leur travail est complémentaire de celui de l'arbitre : ce dernier est constamment sur la patinoire, y compris pendant les

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improvisations. Il prend soin, durant une action, de se dissimuler aux yeux du public pour ne pas détourner leur attention.

La fonction de ces deux personnages se retrouve également dans le travail d'incarnation d'un comédien et dans celui d'une mise en scène par rapport au rythme du spectacle.

L'arbitre et ses deux assistants font leur entrée une fois que les joueurs sont en place, à l'appel du maître du cérémonie. Leurs faciès, pour des raisons expliquées par rapport au personnage incarné par l'arbitre, feignent à leur tour l'autorité. Une fois appelés, ils entrent à trois sur la patinoire et feignent un conciliabule . Ils vérifient ensuite le bon état de la patinoire, et regagnent leur place. Pour le déroulé du spectacle, ces interventions ne sont pas nécessaires : il va de soi que, durant la préparation du spectacle, le bon état de la patinoire a déjà été vérifié. Elles renforcent néanmoins le caractère de ces personnages : le fait qu'ils entrent sur la patinoire leur donnent l'occasion d'être présentés au public comme des protagonistes à part entière du spectacle ; ils sont par conséquent en état de représentation. Ce rituel renforce également le premier cadre du spectacle : celui du terrain d'une rencontre sportive où on vérifie le matériel pour le bon déroulé de la rencontre.

Une fois le spectacle d'improvisation proprement démarré, leur travail de mise en scène commence. Analogiquement, ils peuvent même être comparés à des assistants à la mise en scène : en soutien du maître de cérémonie qui est en charge de gérer le temps des improvisations et signaler à l'arbitre le délai restant, ils peuvent observer le comportement des joueurs dans la patinoire et sur le banc avec une plus grande distance.

Les fautes qui régissent le match d'improvisation se divisent en trois catégories : les fautes de procédure, les fautes de jeu, et les fautes de comportement.

Les fautes de procédures condamnent un non-respect du rituel du match, qui déstabilise le premier cadre de représentation. Les fautes de jeu condamnent les raccourcis que seraient tentés de prendre les joueurs pendant les improvisations, et soulignent de manière générale un jeu trop personnel au détriment de la construction collective d'une improvisation. La troisième catégorie condamne une mauvaise conduite de la part d'un joueur, qui enfreint la première règle de bienveillance et de bonne conduite en improvisation théâtrale.

L'arbitre ayant son attention orientée sur les improvisations en cours, il revient donc à la charge du maître de cérémonie et des assistants-arbitres d'exercer leur oeil extérieur pour veiller au respect des différents cadre s'imbriquant durant le match.

Par ailleurs, ces trois protagonistes font le relais avec le public, notant le thème de la prochaine improvisation et sur la catégorie sur le tableau des scores. Ils sont également chargés de rappeler à

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l'arbitre quelles sont les fautes qu'il a signalées, et d'observer le comportement des joueurs qui n'interviennent pas pendant l'improvisation.

Les assistants-arbitres sont donc, en tant que personnages, très peu visibles aux yeux du public. Leur intervention orale servant à désigner l'équipe qui remporte le point : soit en criant « majorité ! » pour la couleur dominante du carton de vote*, soit en comptant le nombre de cartons majoritaires en cas d'incertitude.

Je soulignerai à nouveau la sobriété que Jean-Baptiste Chauvin conseille pour incarner ces différentes fonctions : étant responsables de la stabilité du cadre, il leur reste peu de temps et de loisir pour pouvoir « jouer à être » : ils sont.

La dimension théâtrale qui occupe en majorité le match d'improvisation demande donc des connaissances dramaturgiques, que ce soit en terme de mise en scène, d'interventions, de placement de la voix ou de placement dans l'espace. C'est pourquoi, en terme d'espace, la patinoire est un instrument théâtral de grande utilité : Au début du match, le rituel exige que tous les joueurs - y compris ceux du staff - soient présentés au public. À l'exception du musicien de manière générale, toutes ces présentations ont lieu à l'intérieur de la patinoire, qui représente l'espace de jeu. Lors de leur passage dans ce lieu, tous les comédiens sont donc dans un état d'incarnation d'un personnage. La patinoire est également le seul endroit dans lequel les joueurs ont le droit d'improviser. De base utilisée en référence du match de hockey, elle sert désormais à délimiter et définir les différents cadres de représentation du match.

Les joueurs ont également deux niveaux d'incarnation différents : le rôle du joueur dans le sens de la compétition représente le premier degré, et les personnages qu'ils vont jouer dans les improvisations le deuxième. Ils sont donc constamment en représentation, même lorsqu'ils sont sur le banc. Ils sont attentifs à l'improvisation en cours en tant que comédiens, et dès que l'improvisation est terminée, reprennent leur rôle de joueur sportif. C'est pourquoi l'usage a au fur et à mesure instauré, par exemple, la pratique du « tapé de patinoire » : lors des votes et de l'annonce du score, les joueurs se font tous face et tapent en rythme sur la patinoire, pour contribuer à l'esprit de dynamique et garder un rythme soutenu en-dehors des improvisations. Le cadre sportif implique en effet qu'une certaine frénésie soit toujours présente.

Le rituel du début du match présente tout d'abord les joueurs en tant que « héros » dont parle Jean-Baptiste Chauvin. Il s'agit de rendre le cadre clair pour le public et d'aider les joueurs à

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appréhender le cadre de la représentation. Ce rituel a lieu dans un premier temps,avant que les improvisations ne commencent. Il s'agit de l'échauffement public. C'est durant cet échauffement que les joueurs entrent pour la première fois dans la patinoire.

Le terme d'échauffement en lui-même sous-entendant une préparation, il pose une problématique par rapport au rythme du spectacle. Dans sa carrière d'improvisateur, Jean-Baptiste Chauvin a tenté d'ajuster ce rituel afin qu'il n'ai pas de conséquence néfaste sur ce rythme :

On fait l'échauffement à l'entrée des spectateurs. Ou à la Ligue Majeure, on fait juste un échauffement de même pas 3 minutes, mais c'est carrément une ouverture de scène : la scène s'allume et et on est en train de s'échauffer. La première image c'est nous, puis on ressort. C'est carrément une mise en scène. La Ligue Paris Impro ne fait même plus d'échauffement : directement, on annonce les joueurs. Après, on bénéficie ou on pâtit d'une culture du zapping, donc il faut que ce soit rapide. J'ai déjà vu des matchs ou c'était d'une lenteur absolue.92

La préparation et l'échauffement des improvisateurs se font en amont, mais l'échauffement public renforce le cadre de la rencontre sportive, et est d'une grande aide pour les joueurs : comme le souligne Jean-Baptiste Chauvin, il est avant tout question de présenter les joueurs aux spectateurs. Ce rituel les aide à se faire identifier comme tels, et consolident donc le premier cadre. C'est également un rite de passage que Robert Gravel a relevé :

Symboliquement, il est très intéressant de devoir enjamber la bande pour arriver sur l'aire de jeu, il y a un net passage psychologique qui s'effectue entre l'état d'être dehors (en sécurité) et d'être dedans (en danger). Si, à mon avis, la patinoire n'est pas vraiment une fosse aux lions, elle demeure néanmoins une arène.93

Robert Gravel évoque ici le moment où le joueur va se lancer dans une improvisation, et donc quitter le banc qui est sa zone de confort. Le rituel de l'échauffement public a cette particularité de placer le joueur dans l'espace du danger tout en le conservant dans une zone de sécurité, puisqu'il n'est pas encore en jeu. C'est un rituel qui leur permet d'appréhender l'aire de jeux dans laquelle ils vont bientôt se lancer sans filet, tout en bénéficiant de l'atmosphère sécurisante du premier cadre. Ils sont montrés à ce moment en tant que joueurs au public, mais Jean-Baptiste Chauvin insiste sur le fait que ce rituel n'est pas un spectacle :

Il s'agit bien d'un moment d'échauffement, et non d'un spectacle dans le spectacle. C'est le moment où les joueurs vont se retrouver sur la patinoire, face au public. Ils vont pouvoir

92 Entretien avec Jean-Baptiste Chauvin, 06 Mars 2019.

93 Robert Gravel, Jan-Marc Lavergne, op. cit., p. 41.

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s'imprégner de l'ambiance de la salle et se mettre en condition au travers d'exercices que leur propose leur coach 94.

Le fait que ce ne soit pas un spectacle signifie que les comédiens, à ce stade, n'ont pas comme devoir d'incarner des personnages ou de produire quelconque action, mais bel et bien de se familiariser avec l'aire de jeu. C'est le moment qui leur permet d'appréhender l'entièreté du spectacle, de faire connaissance pour la première fois avec le décorum, et également de se mettre en situation de jeu par rapport à l'autre équipe. C'est pourquoi, en quelques minutes, les exercices d'échauffement alternent entre les échauffements par équipe et les échauffement de groupe : ils se préparent à mettre en place un esprit d'équipe tout en se préparant à construire des improvisations avec l'équipe adverse.

Le déroulement du match sépare également ce rituel du reste du spectacle de façon nette:les équipes sont appelées à tour de rôle par le maître de cérémonie, et entrent directement dans la patinoire pour s'échauffer en musique. Une fois l'échauffement terminé, les joueurs quittent la patinoire. Lorsqu'ils sont rappelés pour commencer le match, ils sont appelés une équipe après l'autre, un joueur après l'autre.

Cette séparation a pou but de distinguer les deux cadres de représentation. Comme ces deux cadres diffèrent, la tenue diffère également : l'usage veut que, durant l'échauffement, les joueurs soient habillés en noir, la plupart du temps avec un t-shirt qui arbore le logo de la ligue à laquelle ils appartiennent, leur prénom imprimé au dos. Ils existent à ce moment en tant qu'individus, anonymes en tant que comédiens aux yeux du public. Une fois qu'ils sont appelés à leur tour, ils ont revêtu une tenue supplémentaire par dessus le t-shirt ; comme si ils allaient atteindre un second degré de représentation. C'est là que peut commencer le vertige pour l'improvisateur : son maillot lui désigne un numéro, ainsi que son nom de famille. Le maillot pouvant s'apparenter au costume d'un comédien, il l'aide à se mettre « dans la situation de ». Le numéro est là pour rappeler qu'il a une présence significative au sein de l'équipe. Chaque improvisateur est annoncé individuellement par les soins du maître de cérémonie, qui annonce au micro son nom et son numéro. Il est à ce moment prêt à entrer dans le deuxième cadre de la représentation pour improviser.

Le cadre sportif incluant donc une forte dimension théâtrale, il est logique que les premiers français à s'y être intéressés soient des comédiens, soit amateurs soit professionnels. En tant que comédiens avec une responsabilité supplémentaire, ceux qui composent le staff ont également une responsabilité en terme de dramaturgie. Lorsque Jean-Baptiste Chauvin évoque la tendance qu'ont

94 Jean-Baptiste Chauvin, op. cit, p. 92.

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les amateurs à cabotiner est évocatrice de leur rôle : plusieurs fois j'ai mentionné leur responsabilité comparable à celle d'un metteur en scène, ce qui sous-entend qu'ils opèrent en majorité dans l'ombre du public. Ce qui peut en effet refléter des fonctions ingrates, surtout lorsqu'ils sont sans arrêt à vue du public. C'est pourquoi la mise en place du cadre requiert des connaissances en terme de dramaturgie.

Bien que cette mise en place inspirée du match de hockey permette d'établir le cadre nécessaire à la sécurité de l'improvisateur, Robert Gravel annonce ceci, en 1988 : « D'abord, disons tout de suite que le match de hockey n'est qu'un prétexte. Il n'est que l'emballage du spectacle ».95 Cette phrase sous-entend qu'un spectacle d'improvisation est possible en dehors du cadre du match.

Il résulte néanmoins la mise en place d'un rituel nécessaire au bon fonctionnement d'un spectacle d'improvisation. Les nouveaux formats doivent donc présenter des spectacles avec un cérémonial et un rituel semblables. Je me pencherai à titre d'exemple sur l'invention du catch d'improvisation théâtrale, qui a ouvert la voie à la création de formats multiples.

Le catch fait de nos jours partie intégrante de la pratique de l'improvisation théâtrale, répertorié par Christophe Tournier :« Il existe naturellement beaucoup d'analogie entre le match d'improvisation et le catch [...]deux équipes de deux joueurs s'affrontent sur un ring en plusieurs reprises improvisées. D'ores et déjà, le format obtient, malgré sa jeunesse, un joli succès en France. »96

Le succès de ce format témoigne de la montée en puissance des ligues amateurs : l'analogie dont parle Christophe Tournier traduit chez les amateurs une volonté de ne pas trahir le match en tant que matériel d'origine tout en concevant un format accessible aux ligues plus modestes, tant sur le plan dramaturgique que pratique et financier : la réglementation en catch est moins stricte qu'en match, et la qualité des improvisations est laissée à l'interprétation de l'arbitre. Deux joueurs suffisent pour constituer une équipe, ce qui représente un engagement moins conséquent pour les joueurs que pour le nombre requis pour un match : il requiert au total la présence de deux coachs, douze joueurs - selon le règlement - un arbitre et ses deux assistants, ainsi que d'un maître de cérémonie.

Le succès de ce format est tel qu'il a été depuis repris par la plupart des ligues professionnelles. il y a une notion de transition qui s'installe : le catch essayant d'être le plus conforme possible au format d'origine, il a ouvert la voie à de nombreux autres formats d'improvisation théâtrale. La plus visible est la « performance », appelée également « cabaret ». Cette forme se rapproche de la

95 Robert Gravel, Jan-Marc Lavergne, op. cit, p.38.

96 Christophe Tournier, op. cit., p. 98.

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définition que Christophe Tournier nomme « impro sur le vif : « Cette formule est la plus usitée et la plus directe. Les acteurs demandent au public un lieu, un mot ou thème d'improvisation »97

Le point commun de tous ces formats d'improvisation est le cadre dans lequel évoluent les improvisateurs. Et, dans chaque format, un staff est là pour les accompagner « Le staff doit être très solide, parce qu'on est vraiment là pour mettre un plateau d'argent sous les improvisateurs »98. Simon fache résume ainsi la fonction du cadre, qui doit également être parfaitement clair pour que le public puisse identifier la nature du spectacle.

Le cadre du format cabaret diffère bien entendu du format du match - et même du format du catch - mais se doit de garder une forme solide pour respecter un cadre bien établi. Les éléments indispensables de ce cadre sont le maître de cérémonie pour faire relai entre public et improvisateur ainsi qu'une source sonore pour garantir le rythme du spectacle. Pour des raisons économiques, on voit la plupart du temps une chaîne stéréo pour économiser l'intervention d'un comédien supplémentaire, avec des musiques joyeuses et connues par le plus grand nombre pour garantir une ambiance festive. Étant donné que c'est un spectateur qui est à l'origine du thème, il y a également participation du public.

La dimension de compétition étant absente, le personnage de l'arbitre n'est plus nécessaire. Il faut néanmoins un membre du staff pour assurer le bon rythme du spectacle et la qualité des improvisations. Cette fonction est assumée cette fois-ci par le maître de cérémonie : c'est lui

qui déambule dans le public pour le choix des thèmes ou des indications qui vont donner un thème par la suite. Il doit s'assurer de la qualité de ce thème. La forme plus libre implique également que les improvisations n'ont aucune limite du temps. Le maître de cérémonie est donc chargé de varier les durées des improvisations pour garder un rythme dynamique. Il lui faut également être capable de juger quand une improvisation doit ou peut prendre fin.

Pour assurer un cadre minimum, la plupart des spectacles au format cabaret ont un thème annoncé pour la soirée. Il peut s'agir d'un genre de cinématographique, de cinéma tout court, voire de littérature. C'est à l'ensemble de la troupe de définir la thématique du spectacle, au regard de l'absence de l'arbitre. Le terme « performance » se justifie dans ce format dans le sens où les catégories propres à ce style vont apporter par leur nature un cadre au comédien. Il y a également un aspect de l'arène que l'on peut retrouver, ces catégories apportant la plupart du temps une contrainte formelle dont les improvisateurs doivent tenir compte.

Elles permettent malgré tout aux improvisateurs de montrer leur virtuosité au public sans avoir à se soucier de construire l'improvisation. Le maître de cérémonie est quant à lui plus indulgent par

97 Ibid., p. 97.

98 Entretien avec Simon Fache, 27 Février 2019.

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rapport à sa fonction d'arbitre, et laissera finir une improvisation s'il sent que la conclusion n'est pas encore amorcée, ou peut siffler précipitamment la fin d'une improvisation si celle-ci n'arrive pas à se développer. Les catégories d'échauffement que j'évoquerais dans le lexique permettent de redynamiser l'entièreté du spectacle. Le maître de cérémonie peut également infliger une punition à un comédien qui aurait de façon clairement identifiable fait une improvisation de mauvaise qualité, pour différentes raisons.

Il m'est arrivé de vivre ce genre de situations plusieurs fois, lorsque j'ai débuté l'improvisation avec le Collectif Lyonnais d'Artistes Polyvalents, à Lyon : la punition est généralement une improvisation très courte, avec une contrainte formelle simple. La punition la plus usuelle que j'ai vue consistait à raconter la vie d'un objet en trente secondes. La nature de l'improvisation sort suffisamment d'un cadre usuel pour provoquer l'intérêt du public et est suffisamment courte pour permettre à l'improvisateur de produire une histoire seul. L'effort de ce comédien est néanmoins toujours salué, car se lancer dans une improvisation seul est moins aisé dès lors que les camarades n'interviennent pas pour l'aider. Le public a conscience de ça, et c'est pourquoi cet exercice provoquera immédiatement son indulgence pour le comédien puni. C'est aussi une bonne façon d'appréhender la peur de l'échec, qui est une valeur fondamentale dans l'improvisation théâtrale.

Ces nouveaux formats facilitent l'accès à l'improvisation en contournant le format du match d'improvisation, ce qui engendre l'apparition de nouvelles ligues sur le territoire français. Les formats exercés n'étant plus exclusivement des matchs, les professionnels n'ont plus à exercer un contrôle financier sur l'utilisation de ce format. Et ces ligues se multipliant, le projet de créer des ponts de communication entre elles devient de plus en plus difficile. Les nouveaux formats devenant de plus en plus des spectacles à part entière avec leurs propres codes, il y a un fossé qui commence à se créer entre les ligues professionnelles de match et les ligues amateurs.L'Association Française des Ligues d'Improvisation finit par se dissoudre. Emmanuel Leroy m'en a expliqué les raisons :

Au niveau de l'AFLI, ça s'est arrêté parce qu'il y a eu de plus en plus de ligues amateurs, et en terme de ligues professionnelles on était en nombre réduit[...] Et on s'est rendus compte qu'on avait pas les mêmes préoccupations. Donc les ligues professionnelles se sont retirées de l'AFLI et les ligues amateurs n'ont pas réussi à se structurer99

La démocratisation de l'improvisation théâtrale, en plus de sa réinvention par différents formats, tient dans la nature-même du concept. Robert Gravel déclarait, en 1988 : « En fait le spectateur se

99 Entretien avec Emmanuel Leroy, 22 Février 2019.

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dit qu'il pourrait à la limite jouer lui aussi ... sinon avec les " pros" , du moins chez lui ou des amis. Le jeu de la LNI est limpide, et le public comprend parfaitement quel en est l'enjeu et la convention » .100

De simple spectateur peut alors naître rapidement l'envie de devenir improvisateur. Et les ligues amateurs répondent à cette envie, dans les années 90. La formation, depuis la séparation entre les amateurs et les professionnels, a néanmoins évolué : C'est désormais aux premières ligues amateurs - avec l'héritage professionnel - de former les improvisateurs en herbe. C'est ce que me confie Emmanuel Leroy : « On a aussi laissé aux ligues amateurs le soin de donner des formations de manière régulière aux amateurs ».101

Les professionnels se concentrant davantage sur le match d'improvisation, ils comptent désormais avec la présence de ces amateurs pour continuer à enrichir le paysage de l'improvisation théâtrale et les offres qu'il propose. La problématique que doivent maintenant respecter ces improvisateurs de la deuxième génération est de transmettre à nouveau le cadre d'origine dans les nouveaux formats. Il faut donc comprendre l'enjeu d'un cadre solide posé pour un spectacle d'improvisation. Je reviens sur les paroles de Robert Gravel : elles impliquent que les curieux qui ont eu envie de se prêter à ce jeu après une expérience de spectateur n'ont pas pour ambition de s'adonner à cette pratique de façon professionnelle, mais souhaitent pratiquer un loisirs. C'est ce qui définit également l'universalité et l'accessibilité de l'improvisation théâtrale. Cette même accessibilité justifie également, à mon sens, la scission entre les amateurs et les professionnels. Les préoccupations n'étant plus communes, il devient difficile d'évoluer ensemble sur le terrain de la pratique artistique.

A force d'expérimentations, les amateurs légitiment et revendiquent leur droit à la pratique théâtrale. Certains professionnels ont bien compris le double-terrain qu'occupe désormais la pratique, et répondent aux demandes de formations diverses pour ensuite laisser ces jeunes ligues évoluer : « A un moment donné, on s'est posés la question : "Comment se situer T". On s'est dit qu'on avait formé ces ligues. Si elles souhaitent qu'on vienne faire des formations, elles nous le demandent, mais on va les laisser vivre »102.

Évoluant en-dehors du paysage artistique, les spectacles que donnent ces ligues amateurs offrent en effet une vision accessible de l'improvisation, et crée rapidement un autre engouement : lors d'un spectacle d'improvisation - même le plus simple qui soit - les spectateurs vont être impressionnés

100 Robert Gravel, Jan-Marc Lavergne, op. cit., p. 46.

101 Entretien avec Emmanuel Leroy, 22 Février 2019.

102 Idem.

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par la capacité de comédiens à créer des improvisations à partir d'un matériel invisible du point de vue des spectateurs. Le décorum est simple, les histoires naissent à partir d'un matériel visiblement inexistant, et c'est cette simplicité et cette accessibilité qui provoque un deuxième engouement. Philippe Despature, directeur de la Scénosphère dans les Hauts-de-France, m'a explique ce phénomène :

Ce qui se passe, c'est que l'improvisation n'est finalement pas encore très répandue, encore plein de spectateurs la découvrent, et ils trouvent ça marrant. Donc les spectateurs ne sont pas encore très exigeants. Très vite, tu as fait une année d'impro, tu invites ta tante, elle vient te voir. Ce que tu fais au niveau de la construction n'est pas terrible, mais ta tante va dire que c'est génial, que t'as du talent... « mais non, arrêtez, vous n'improvisez pas, c'est écrit... »... les gens ont du mal à croire qu'il y a vraiment de l'impro. Du coup, le seuil d'exigence du public n'est pas très élevé.103

Philippe Despature insiste sur l'aspect récréatif des spectacles d'improvisation et de la pratique en elle-même. C'est également en cela qu'elle séduit ; un comédien qui se lance sans filet apparent dans une histoire où tout reste à construire va automatiquement gagner l'admiration et la faveur du public. Il y a cependant une contradiction entre l'engouement rapide que la discipline a connu dans les années 90 et ce que Philippe Despature me rapporte quant au fait qu'elle ne soit pas encore répandue. Très peu de villes en France, de nos jours, ne possèdent pas de ligue d'improvisation. Je suis tenté d'expliquer ces paroles par la différence entre le nombre de ligues amateurs et le nombre de ligues professionnelles présentes de nos jours sur le territoire : les ligues professionnelles étant désormais minoritaires, et ne couvrant pas tous les départements du pays, le nombre de spectateurs pouvant accéder à des spectacles professionnels est réduit. Ils sont, en revanche, abreuvés de spectacles d'improvisations amateurs, qui ne bénéficient pas d'une aura similaire à celle d'une ligue professionnelle. L'activité est donc encore sous-terraine, et les spectacles amateurs bénéficient rarement de la promotion et de la communication nécessaire à son véritable éclatement.

L'aspect récréatif de l'improvisation théâtrale ayant été approprié par la majorité des ligues amateurs, les ligues professionnelles continuent à officier sur un terrain similaire, et moins varié que celui du divertissement. A la fin des années 90, et suite à la dissolution de l'Association Française des Ligues d'Improvisation, elles se regroupent sous le label « LIFPRO » , au nombre de huit : La Ligue du Théâtre de l'Antre, crée en 1980, la Ligue d'Île-de-France d'Improvisation, crée en 1987, la LISA21, crée à Dijon en 1988, La Ligue d'Improvisation Lyonnaise crée en 1991, la Ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul, crée en 1992, La Ligue d'Improvisation Théâtrale de l'Isère,

103 Entretien avec Philippe Despature, 25 Mars 2019.

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crée en 1992, puis professionnalisée en 2005, la Ligue d'Improvisation Nantes-Atlantique, crée en 1998,et la Ligue de Niort, crée en 1998 avec la compagnie « Aline et Cie ».

Il apparaît nécessaire de fédérer les ligues professionnelles, car leurs actions sont communes, contrairement aux ligues amateurs. Le but de la LIFPRO, d'après Emmanuel Leroy qui en a été le créateur, était de créer une entente pour que ces ligues se partagent un terrain équitable sans que les activités de l'une viennent interférer dans celle d'une autre.

Ces activités vont également au-delà du domaine purement artistique, et la LIFPRO joue très vite un rôle d'arbitrage pour régler les questions de territoire et de finance : « contrairement aux ligues amateurs, il y a un enjeu financier, et il fallait déterminer les territoires des uns et des autres »104.

Les ligues professionnelles trouvent en effet une source de revenus grâce aux formations, dont l'apport est souligné par Valentine Nogalo dans son mémoire universitaire traitant de l'enseignement de l'improvisation théâtrale en milieu scolaire :

Depuis une quinzaine d'années, on observe le développement de l'enseignement de l'improvisation théâtrale et de manière particulièrement prononcée dans le milieu de l'entreprise. Petites comme grandes entreprises prennent conscience de l'apport de la discipline spontanée et font appel à des comédiens improvisateurs et formateurs :

prise de parole en public, gestion des imprévus et des conflits, teambuilding, mises en situation professionnelle... les vertus de la pratique de l'improvisation théâtrale sont nombreuses.105

Il est nécessaire de réglementer ces activités afin que les lois de l'entreprise ne court-circuitent pas les activités de ces ligues : une logique économique imposerait que ce soit la meilleure entreprise qui emporte le contrat, la LIFPRO décide d'associer un territoire à chaque ligue afin que celles-ci puissent toutes faire valoir leurs contributions dans le domaine des formations :

On ne s'empiétait pas trop dessus pour l'organisation des matchs d'improvisation, mais chacun de ces ligues avait des opportunités de travail avec des entreprises. On s'était mis comme code de bonne conduite que si la ligue de Paris recevait un appel d'une entreprise de Lille par exemple, elle faisait travailler principalement des acteurs de Lille. 106

104 Entretien avec Emmanuel Leroy, 22 Février 2019.

105 Valentine Nogalo, L'improvisation théâtrale et son enseignement dans le milieu scolaire:De la France au

Québec, les enjeux d'une pratique artistique à part entière, sous la direction de Yves Morvan, UFR Arts et médias, Département de médiation culturelle, Université Paris 3 Sorbonne nouvelle, 2017, p. 93.

106 Entretien avec Jean-Baptiste Chauvin, 6 Mars 2019.

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De nos jours, il est effectivement observable sur chacune des plaquettes de présentations des ligues professionnelles quel que soit le support, un service de formations aux entreprises. Emmanuel Leroy me rappelle qu'une ligue professionnelle coûte cher : dans un cadre professionnel, le match d'improvisation inclut en effet le transport de l'équipe invitée - qui vient parfois vient de loin : en Janvier 2019, l'équipe de Marcq-en-Baroeul avait invité les légendes du Québec - et également la rémunération des comédiens : l'ensemble des comédiens participants à un spectacle d`improvisation, avec le staff et les joueurs confondus, s'élève au nombre de dix-sept : douze joueurs, deux coach, un maître de cérémonie, un arbitre, ses deux assistants et le musicien. Il faut également rémunérer les techniciens. Il est très difficile pour une ligue professionnelle de se rentabiliser uniquement sur les spectacles qu'elle propose. En tant que membre d'une ligue professionnelle, Simon Fache a pu m'expliquer ce phénomène :

C'est aussi ce qui a entretenu le problème à l'époque : la ligue d'impro, c'est des matchs, des spectacles tout public, mais ce n'est pas ce qui nourrit les comédiens : derrière il y a des spectacles en entreprises, interventions, formations à la prise de parole. Tout ce qui apporte de l'argent aux ligues professionnelles, c'est ce que le public ne voit pas.107

La LIFPRO opère dans ce sens durant une décennie approximative, de la fin des années 90 jusqu'à la fin des années 2010. Durant cette période, les ligues professionnelles se sont forgées des identités et se sont vues attribuées un territoire à l'échelle régionale, mais l'ambition de la LIFPRO reste, à l'image de l'AFLI, d'organiser des projets communs et de structurer la pratique sur le plan national : depuis la première coupe du monde 1985, ainsi que la création d'autres ligues en Europe, l'engouement pour le match d'improvisation théâtrale devient international. A plusieurs reprises, un championnat du monde est réorganisé, il faut donc une équipe pour représenter la France : « [La LIFPRO] a aussi deux grands projets : d'abord de créer une équipe de France professionnelle, ce qui a donné lieu après à un mondial. Et aussi de créer un championnat de France ».108

Le point que soulève Jean-Baptiste Chauvin pose une nouvelle problématique par rapport à la logique du partage territorial : les ligues, avant d'être des compagnies, sont des rassemblements d'individualités, ce qui peut par nature créer des mésententes au sein même de ces structures. Les divergences au sein de ces professionnels posent la question d'une légitimité qui est plus complexe que celle des amateurs à pratiquer l'improvisation théâtrale lorsque ce n'est pas dans un but récréatif : au terme de certains conflits internes, des professionnels s'éloignent de l'identité d'une troupe pour créer à leur tour d'autres ligues, avec la même problématique de sources de

107 Entretien avec Simon Fache, 27 Février 2019.

108 Entretien avec Jean-Baptiste Chauvin, 06 Mars 2019.

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financements et de territoires : « Mais ça a été un peu plus compliqué que ça parce qu'il y a eu des scissions dans différentes villes, et on a retrouvé deux ligues dites professionnelles qui se sont retrouvées sur le même territoire ; donc c'est devenu un moment donné ingérable ».109

La région parisienne est aujourd'hui jonchée de plusieurs ligues professionnelles qui résultent de cet éclatement : en 1996, à la suite d'un pari économique ayant échoué, la Ligue d'Improvisation Française est dissoute, et la Ligue d'Île-de-France d'improvisation récupère le territoire Parisien. En 2009, une crise au sein de cette ligue provoque un éclatement du territoire : Laurent Dubois, son ancien directeur artistique - qui joue régulièrement avec la ligue d'Improvisation de Marcq-en-Baroeul - est exclu de cette ligue. L'exclusion entraîne une scission, et la Ligue d'Île-de-France d'Improvisation perd plusieurs de ses membres, dont Jean-Baptiste Chauvin :

En 2009, la LIFI s'est scindée en deux : il y a eu pas mal de conflits, ce qui fait qu'on est six à en être partis pour créer la Ligue Majeure. La majorité de ceux qui sont partis - il y avait Laurent Dubois, Richard Perret, Olivier Descargues - qui étaient actifs sur le réseau national. Du coup, ça a créé une espèce d'onde de choc dans les ligues professionnelles, entre ceux qui nous ont suivis ou pas. La LIFPRO n'a plus vraiment existé après ça. Maintenant, chaque ligue refait un peu ses trucs dans son coin.110

La Ligue Majeure d'Improvisation rompt avec cette tradition de partage du territoire : elle compte parmi ses rangs des improvisateurs venant de différentes ligues. Je citerai comme exemple Emmanuel Leroy, directeur artistique de la Ligue de Marcq-en-Baroeul, Richard Perret et Cécile Giroud, qui viennent de la Ligue d'Improvisation Lyonnaise, ou encore Jean-Baptiste Chauvin, qui vient des Yvelines. Il me dit, à propos de certains de ces comédiens, qu'ils étaient « très actifs sur le plan national »111. Il y a donc un refus de partage des régions. Le nombre de ligues augmentant, la solution la plus fiable pour continuer à traverser les conflits et garder une visibilité reste la mobilité. Le projet par la LIFPRO de créer une équipe de France reste aujourd'hui d'actualité, mais cette équipe se forme ponctuellement en choisissant des comédiens qui ne viennent pas de le même ligue, mais qui officient au sein de différentes ligues du pays. Il s'agit d'une ligue éphémère, bien que le terme en lui-même pourrait aujourd'hui être questionné : « Le fait d'appeler ça "match " et " ligue " donne l'impression que c'est un organigramme national, mais ça ne reste que des compagnies de théâtre. »112.

109 Entretien avec Emmanuel Leroy, 22 Février 2019.

110 Entretien avec Jean-Baptiste Chauvin, 06 Mars 2019.

111 Idem.

112 Entretien avec Simon Fache, 27 Février 2019.

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Le terme est devenu ambigu en même temps que la pratique de l'improvisation théâtrale s'est transformée : il implique une structure sportive, en hommage au match de hockey, mais les structures qui proposent aujourd'hui des matchs d'improvisation pratiquent aujourd'hui d'autres formats, et ne se contentent désormais plus du match d'improvisation. Le terme est utilisé aujourd'hui pour désigner une compagnie de théâtre qui oriente ses activités vers l'improvisation théâtrale, qu'elle soit amateure ou professionnelle.

Il a été vu que l'improvisation théâtrale se pratiquait au-delà du domaine artistique. Le match d'improvisation obéissant à des règles aisément applicables, la multiplication et la démocratisation de la discipline a provoqué la multiplication des ligues. C'est ce qui a rendu problématique le partage du territoire entre les ligues professionnelles. La solution d'utiliser les outils de l'improvisation théâtrale, grâce à la fondation du trophée d'improvisation Culture et Diversité, a permis aux compagnies de varier leurs activités, tout comme l'invention du catch et de nouveaux formats qui ont suivi. Toutes ces initiatives ont transformé le paysage des ligues d'improvisation théâtrale, et ont ouvert la pratique à de nouveaux destinataires et pratiquants. Ces innovations ont eu pour effet de modifier les organisations internes et générales des compagnies et structures qui proposent l'improvisation théâtrale comme activité principale, en ayant toute comme origine commune le match d'improvisation crée par Robert Gravel en 1977.

La diversification des publics a eu comme effet de transformer la pratique du match, selon qu'il est joué par des artistes professionnels, des amateurs ou des formateurs scolaires et sociaux. Tout l'enjeu de cette diversification est d'en adapter les formes, tout en en conservant les règles essentielles. J'étudierai, à travers mon expérience de spectateur et d'improvisateur, quels ont étés les changements qui ont impacté le règlement pour le rendre davantage accessible, tout en conservant l'esprit d'origine qui a permis sa démocratisation. Les nouveaux formats qui se sont développés au fur et à mesure du temps enrichissent le vocabulaire spécifique à la pratique de l'improvisation théâtrale. Le lexique ci-après explicite et commente les termes relatifs aux différents spectacles ainsi qu'aux codes de l'improvisateur.

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II : codes et vocabulaire de l'improvisation théâtrale

L'aspect compétitif alimente de nos jours, et depuis la création du match d'improvisation théâtrale, les discussions qui mettent en question le statut artistique de ce format. Parce qu'il lie théâtre et compétition, une nouvelle forme de jeu a été crée, avec une mécanique spécifique qui a développé son propre vocabulaire. L'analyse du règlement explique quels sont les codes et les pratiques mis en place pour faire coexister théâtre et sport.

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius