Le règlement juridictionnel du conflit relatif au statut juridique de l'entité territoriale des Bakisi dans la province du sud-Kivupar Jeanine KITUANDA KIBONGE Université de Kinshasa - Licence en Droit public 2020 |
Chapitre 1 INTRODUCTION GÉNÉRALELe présent travail rentre dans le cadre du contentieux administratif congolais et comme le signale Monsieur le Professeur BOTAKILE BATANGA qu'à l'instar du droit administratif, le contentieux administratif est rarement commenté de manière exhaustive dans la doctrine congolaise. Il souligne même qu'il est classé parmi les matières hautement techniques, très peu fidélisées par des chercheurs1(*). Ce travail est une suite logique de celui que nous avons eu à présenter en vue de l'obtention du grade de gradué en droit sous la direction du Professeur ODIMULA LUFUNGUSO Léon durant l'année académique 2017-2018, consacré à la gestion des entités territoriales décentralisées à l'épreuve de la pratique institutionnelle en droit positif congolais, cas du Secteur des Bakisi. A cette période, nous avons eu à démontrer le dysfonctionnement du Secteur Bakisi dans le territoire de Shabunda, au Sud-Kivu qui est géré jusqu'à ce jour comme une chefferie alors que les textes juridiques de base portant sa création lui accordent le statut de Secteur au sein duquel on retrouve cinq groupes ethniques à savoir : les Balega qui sont majoritaires, lesBakwami, les Basongola, les Bakonjo et les Basengele ; chaque groupe ethnique gardant sa propre culture véhiculée par sa propre langue. Nous avions suggéré à l'endroit des autorités de l'Etat au niveau central, et ce, à titre d'un appel pressant pour qu'elles interviennent le plus rapidement possible afin de faire respecter la loi pour que le Secteur Bakisi soit géré dans la légalité. C'est dans ce cadre que bon nombre d'intellectuels originaires du Secteur Bakisi avaient salué la promulgation de la loi organique n°16/027 du 15/10/2016 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l'ordre administratif mettant fin à la période de l'ordre judiciaire unique où le même juge et selon les compositions, pouvait jouer le rôle du juge administratif, du juge pénal, du juge civil et commercial ou enfin du juge constitutionnel, et ce, selon la nature ou l'objet du litige dont il était saisi. Ainsi donc, avec l'installation effective du Conseil d'Etat, cette dernière juridiction n'a pas tardé d'être saisie par la requête en annulation sous RA.015 de Monsieur Wika KIBONGE qui a tenu à obtenir l'annulation de l'arrêté ministériel n°95/0955 du 14/09/1995 reconnaissant à Monsieur MOPIPI MUKULUMANYA Auguste la qualité de chef de collectivité-chefferie dans la zone de Shabunda, région du Sud-Kivu , au seul motif que ledit arrêté a été pris en violation de l'article 137 point 2 de l'ordonnance-loi n°82-006 du 25/02/1982 portant organisation territoriale, politique et administrative de la République en vigueur à l'époque. Tenant compte de l'urgence, Monsieur Wika KIBONGE a de nouveau saisi et obtenu de cette Haute juridiction administrative de la République Démocratique du Congo statuant en référé-suspension l'ordonnance rendue sous ROR.087 ordonnant la suspension des effets de l'Arrêté précité. Le choix par nous porté sur le règlement juridictionnel du conflit relatif au statut juridique de l'entité territoriale décentralisée des Bakisi et essai d'explications sur les ordonnances rendues sous ROR087 et ROR111 par le Conseil d'Etat siégeant en chambre du conseil est justifié par le fait que nous tenons à expliquer les sources de ce fameux conflit, la raison d'être de sa durée et les espoirs nés de l'installation du Conseil d'Etat en République Démocratique du Congo. C'est dans ce cadre que nous aurons à examiner brièvement la genèse de l'entité territoriale décentralisée des Bakisi pour fixer l'opinion sur le faux débat entretenu par des faussaires autour de son statut juridique avant de parler de la saisine du Conseil d'Etat sous RA015 suivie de la requête en référé-suspension sous ROR087 et de différents recours initiés par l'homme qui se fait passer pour chef de chefferie de l'entité territoriale décentraliséedes Bakisi érigée en secteur par les mesures d'application du Décret du 5/12/1933 sur les circonscriptions indigènes modifié par le Décret du 10/05/1957, soit l'Arrêté n°21/258 du 10 Décembre 1957 du Gouverneur de la Province du Kivu abrogeant les Arrêtés n°21/143 du 10/05/1953 et 21/186 du 19 juin 1954 sur le nombre ainsi que les dénominations des circonscriptions indigènes des territoires de la Province du Kivu2(*). Il y a lieu de signaler que la Constitution du 18 février 2006 a initié une réforme institutionnelle dans le but de réaliser une Administration de proximité pour servir d'outil indispensable au service de développement en RépubliqueDémocratique Congo. Cette réforme se caractérise notamment par l'augmentation de nombre de provinces de 10 à 25 plus la ville de Kinshasa qui a le statut de Province. En effet, l'article 2 alinéa 1er de cette Constitution dispose que la République Démocratique du Congo est composée de la ville de Kinshasa et 25 provinces dotées de la personnalité juridique et suivant l'alinéa 3 de cet article, la ville de Kinshasa a le statut de Province.3(*) Les textes légaux étant bien connus de tous, notre étude se justifie donc par rapport à la situation concrète que l'entité territoriale décentralisée des Bakisi connait ; c'est-à-dire un dysfonctionnement, on ne peut plus ridicule, qui bloque le développement des administrés sur tous les plans. Ainsi, nous aurons dans les pages qui suivent, à présenter la problématique de l'étude qui sera suivie de l'état de la question dans lequel l'hypothèse de travail c'est-à-dire la réponse provisoire transparait clairement à travers les écrits de certains auteurs autour de lamême question sont critiqués ou adoptés par nous. Nous présenteronségalement l'objet et l'intérêt du sujet ainsi que les méthodes et techniques de notre recherche avant d'énoncer le plan de notre travail. I. Problématique du travailSelon le dictionnaire Petit Robert, une problématique n'est rien d'autre que ce dont l'on peut douter soit ce qui fait problème ou ce qui est difficile à interpréter par son caractère peu clair ou ambigu4(*). Dans le cadre de notre travail, la problématique posée par la gestion de l'entité territoriale décentralisée des Bakisi filtre des dispositions de la Constitution du 18 février 2006. En effet, l'article 3, alinéa 1er de cette Constitution dispose : « les Provinces et les entités territoriales décentralisée de la République Démocratique du Congo sont dotées de la personnalité juridique et sont gérées par les organes locaux » tandis que l'alinéa 2 du même article dispose : « ces entités territoriales décentralisées sont la ville, la commune, le secteur et la chefferie ». Et l'alinéa 3 dispose : « elles jouissent de la libre administration et de l'autonomie des ressources humaines, économiques, financières et techniques »5(*). Ces dispositions constitutionnelles constituent la principale base juridique pouvant définir la nature des entités territoriales décentralisées. En application de ces dispositions, le législateur congolais a édicté la loi n°08/016 du 07/10/2008 portant composition, organisation et fonctionnement des entités territoriales décentralisées et leurs rapports avec l'Etat et les Provinces.6(*) L'article 5 alinéas 2et 3 de ladite loi dispose : « la ville, la commune, le secteur et la chefferie sont des entités territoriales décentralisées dotées de la personnalité juridique. Elles jouissent de la libreadministration et de l'autonomie de gestion de leur ressources humaines, économiques, financières et techniques »7(*). L'article 65 de la même loi dispose : « le secteur ou la chefferie est une subdivision du territoire ». Et l'article 66 définit le secteur comme un ensemble généralement hétérogène de communautés traditionnelles indépendantes, organisées sur base de la coutume. Il a sa tête un chef élu et investi par les pouvoirs publics. Tandis que l'article 67 définit la chefferie comme un ensemble généralement homogène de communautés traditionnelles, organisées sur base de la coutume et ayant à sa tête un chef désigné par la coutume et investi par les pouvoirs publics. Les dispositions constitutionnelles et légales ci haut citées sont loin d'être observées dans la pratique car, les entités territoriales décentralisées dont il est question ne sont pas encore dotées de tous les outils nécessaires pour leur organisation et fonctionnement. Il y a lieu de signaler que le nombre ainsi que les dénominations des entités territoriales décentralisées créées avant 1960 exception faite de villes et communes, sont fixés par les mesures d'application du Décret du 10 mai 1957 modifiant le Décret du 05 décembre 1933 sur les circonscriptions indigènes qui attribuent aux Gouverneurs de Province, agissant par Arrêté la compétence d'arrêter ou de créer les Secteurs et chefferies dans leurs provinces respectives. Il importe de souligner que dans la pratique, l'entité territoriale décentralisée des Bakisi dans le territoire de Shabunda, Province du Sud-Kivu, le textejuridique de base qui l'érige en Secteur, soit l'Arrêté n°21/258 du 10 décembre 1957 du Gouverneur du Kivu,est constamment violé par les Autorités Administratives alors qu'il est toujours en vigueur. Force est de constater, comme l'a si bien indiqué Monsieur Gabriel PANDA NZYLA, qu'à travers le temps, la plupart de textes légaux et règlementaires intervenus en matière d'organisation territoriale en République Démocratique du Congo ont été soit mal appliqués, soit non accompagnés de mesures d'application, soit encore sont restés lettre morte.8(*) Cet état de choses a été observé dans le Secteur des Bakisi sous le Régime Mobutu et sous le Régime Kabila. La mise en place du Conseil d'Etat sous le Régime Tshisekedi offre à la population de cette entité territoriale décentralisée une lueur d'espoir. En effet, le Président Tshisekedi tient à voir la justice jouer son rôle lorsqu'il soutient que la République Démocratique du Congo doit être un Etat de droit c'est-à-dire un Etat où tout le monde est soumis à la Loi et où les actes des autorités publiques sont soumis au contrôle du juge. S'agissant du conflit sur le statut juridique de l'entité territoriale des Bakisi, le juge des référés saisi sous ROR.087 a ordonné la suspension des effets de l'arrêté ministériel n°95/0955 du 14 septembre 1995 portant reconnaissance d'un chef de collectivité-chefferie dans la zone de Shabunda, Région du Sud-Kivu. Dans sa motivation le juge a soutenu l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté attaqué, en constatant notamment que l'arrêté en question n'est pas conforme à la Loi, mieux au droit dans la mesure où cet arrêté considère l'entité territoriale des Bakisi comme une chefferie alors que celle-ci est érigée en Secteur par l'Arrêté n°21/258 du 10 décembre 1957 du Gouverneur de la Province du Kivu, pris en exécution de l'article 9 alinéa 1er du Décret du 10 mai 1957 sur les circonscriptions indigènes qui confère au Gouverneur de province les pouvoir et compétence exclusifs d'arrêter le nombre et la dénomination des circonscriptions indigènes(Secteur ou Chefferie) de différents territoires de sa province. L'article 250, alinéa 2 de la Loi-Organique n°16/027 la 15/10/2016 portant organisation, compétence et fonctionnement de juridictions de l'ordre administratif dispose: « les arrêts, jugements et ordonnances sont exécutés au nom du Président de la République »9(*). Au regard de cette disposition légale, une question s'impose à savoir : Qui doit exécuter l'ordonnance rendue le 22 janvier 2020 par le Conseil d'Etat sous ROR.087? Est-ce que c'est le Ministre ayant les affaires intérieures dans ses attributions? ou c'est le Gouverneur de la province du Sud-Kivu? Nous estimons qu'étant donné que cette ordonnance constitue une mesure provisoire c'est le Gouverneur de la Province du Sud-Kivu qui devra prendre à son tour une mesure provisoire en installant, à titre intérimaire, à la tête de cette entité administrative un agent de l'Etat.Il n'est pas exclu que le Ministre de l'intérieur puisse également intervenir par mesure provisoire pour éviter un vide à la tête de cette entité territoriale décentralisée. L'article 282 de la même loi dispose : « lorsqu'une décision administrative fait objet d'une requête en annulation ou en reformation, qu'il existe un doute sérieux quant à sa légalité et qu'il y a urgence, le juge des référés saisi par une demande en référé-suspension peut décider qu'il y a lieu d'ordonner la suspension de la décision attaquée pour une durée qui ne peut excéder la date de la décision quant au fond du litige soulevé par la requête principale en annulation ou en reformation »10(*). Il y a lieu de signaler ici que l'expédition de l'ordonnance rendue par le Conseil d'Etat en date du 22/01/2020 en matière de référé-suspension dans l'affaire inscrite sous ROR.087 a été notifiée à toutes les parties ; la même ordonnance a été publiée au Journal Officiel n°5,61e année du 1er mars 2020, pages 87 à 91. Aussi, le bénéficiaire de l'arrêté dont les effets ont été suspendus par l'ordonnance précitée, a initié trois recours sous ROR.111, ROR.142 et ROR.167 qui se sont tous soldés par le rejet. D'où la deuxième question, et ce, au regard de l'alinéa 2 de l'article 282 de la loi précitée qui dispose: « il est alors statué sur la requête principale dans les huit jours de la saisine »11(*). Pourquoi le Conseil d'Etat n'a toujours pas rendu un arrêt définitif sur le fond depuis une année ou presque ? * 1 BOTAKILE BATANGA, Précis du contentieux Administratif Congolais, Tom1, Ed. Academia, Bruxelles , 2014,p.9. * 2 Bulletin Administratif de 1958, p560. * 3Article 2 de la Constitution du 18 février 2006 telle que modifiée à ce jour. * 4 Le Petit Robert illustré, 2013, p.880. * 5 Voir l'Art. 3 al.1er, 2, et3 de la Constitution. * 6 Loi-Organique n°08/016 du 07 Octobre 2008 portant composition, organisation et fonctionnement des entités territoriales décentralisées et leurs rapports avec l'Etat et les Provinces, JORDC, 49e Année, Spécial, Kinshasa 10 Octobre2008. * 7 Voir l'Art.5 al. 2 et 3 de la Loi-Organique sur les ETD précitée. * 8 MAKWALA ma VUMBU B. (Dir), « Administration Publique », Kinshasa, in IDLP, 2000, p.149 et S. * 9 Loi organique n°16/027 du 15 Octobre 2016 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l'ordre administratif, JORDC, 57e Année, Spécial, Kinshasa 18 Octobre 2016. * 10 Voir l'article 282 de la Loi organique sur les juridictions de l'ordre administratif précitée. * 11 Voir l'alinéa 2 du même article de la Loi organique sur les juridictions de l'ordre administratif précitée. |
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