3.1.4. Quatrième séance : mise en danger
La séance qui suit se déroule avec beaucoup
d'agitation chez Jamil. S'il escaladait déjà beaucoup le mobilier
lors des séances précédentes, cela est encore plus
marqué lors de celle-ci. Jamil est très actif et nous peinons
à le maintenir sur les activités. Plus que d'habitude, Jamil se
met en danger en grimpant sur les agrès, l'espalier, en prenant des
positions d'équilibre instable, il lâche par exemple les mains, ne
tient que sur un pied, se jette sur le mobilier.
Sur le temps sensoriel, que nous avons décidé de
maintenir en début de séance, Jamil utilise la balançoire
et se jette dedans, la fait monter très haut en ne prenant pas en compte
d'autres enfants qu'il pourrait blesser ou de sa propre sécurité.
Nous ne parvenons pas à lui faire réaliser le parcours, et encore
moins à l'aider à se poser pendant le temps calme, durant lequel
il pousse des cris en courant notamment.
L'après-midi qui suit, nous apprenons qu'au cours d'une
promenade, Jamil a chuté du haut du toboggan d'une structure pour
enfant. Il était toujours dans des comportements d'escalade et de mise
en danger et la chute lui a causé de se casser les incisives
supérieures. Les professionnels nous rapportent que Jamil a réagi
très fort à la vue du sang, et probablement à la frayeur
de la chute, en hurlant et pleurant. Ils identifient difficilement si la
réaction est due à une douleur ressentie ou non.
Après cet évènement, je ressens une
inquiétude vis-à-vis de cet enfant. Je me demande comment l'aider
à contrôler son besoin de sensations vestibulaires, à lui
faire comprendre les situations de danger dans lesquelles il se place. J'ai
l'impression que son besoin sensoriel n'est jamais rassasié, qu'il a
toujours besoin de plus, et je me sens impuissante face à cela.
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
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LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
3.1.5. Cinquième et sixième séance :
mise en place d'une routine
Les séances suivantes se ressemblent, les conduites
d'escalade et de course de Jamil sont toujours présentes,
répétées et leur forme ne change pas. Le cadre de la
séance semble compris par Jamil, et plutôt bien
intégré, mais il est toujours difficile de lui faire
réaliser une activité du début à la fin.
La sixième séance se déroule en deux
temps, car il manque des professionnels sur les unités, la
monitrice-éducatrice ne peut pas nous accompagner. Dans un premier
temps, nous accueillons sur le groupe Jamil et l'enfant avec qui il avait
déjà partagé une séance, puis dans un second temps
nous accueillons les deux autres enfants du groupe. Jamil ne se montre pas plus
perturbé par ce changement du cadre, peut-être parce que cette
configuration a déjà eu lieu, et que la psychomotricienne et moi
sommes mieux intégrées par ces enfants. Jamil accepte de
réaliser les activités de déplacements et de parcours
aisément, même si cela est parasité par ses
échappées vers l'espalier ou les agrès. Je suis surprise
de le voir continuer à escalader l'espalier et se balancer toujours
aussi fort alors qu'avant les vacances de Noël, Jamil a fait une chute
effrayante. Il ne montre pas d'appréhension, ce qui me questionne sur ce
qui fait trace chez cet enfant. Depuis mon arrivée, Jamil montre des
conduites d'escalade pendant les séances, son besoin de grimper semble
toujours le même. C'est comme s'il était impossible à
satisfaire sur le plan sensoriel. Est-ce alors que son besoin est trop grand
pour parvenir à en atteindre la satisfaction ? Ou est-ce parce que les
expériences ne font pas trace, et que tout « repart à
zéro » à chaque fois qu'il descend ?
En prêtant plus attention à ces moments où
Jamil escalade le mobilier ou se place en cochon pendu les yeux fermés
sur l'espalier, je remarque que plus rien d'autre ne semble exister pour lui.
C'est comme s'il n'y avait plus que lui, ses sensations, et que les autres
enfants, les professionnelles et tout autre élément de la
pièce disparaissaient. En nous manifestant verbalement, en lui demandant
de descendre et de réaliser l'activité, nous sommes de nouveau
présentes, pour un court moment.
Ce sentiment de ne plus exister aux yeux de Jamil me fait
presque violence, quand je le réalise, comme si je cessais
réellement d'exister. C'est comme si son regard, son attention
conditionnait ma présence, et qu'en l'absence de celle-ci je
n'étais plus. Comme je l'ai déjà mentionné, la
constante vigilance qu'il provoque chez l'autre en se mettant facilement en
danger lui permettrait peut-être d'exister au travers de cette attention.
Ainsi, mon sentiment serait un miroir de ce processus : tout comme il n'est
plus sans le regard de l'autre sur lui, je n'existe plus sans son regard
à lui.
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LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
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