1.1.3- La saturation de l'environnement sonore
De la machine à tisser antique à la machine
électronique moderne en passant par la machine à vapeur, la
relation entre l'homme et les machines s'est consolidée. Ces
machines/moteurs ont inauguré, avec leur considérable
utilité à la vie de l'homme, une ère de bruit à
telle enseigne que l'on puisse affirmer, sans euphémisme, avec V.
Decleire (2006, p. 240) :« le bruit des moteurs est devenu l'une des
composantes sonores emblématiques de notre société
envahissant une bonne partie de notre environnement sonore »; en plus des
moteurs qui constituent la majorité de notre environnement sonore, le
génie technologique a rendu possible, ainsi qu'elle le dit: « les
voix sans corps qui parlent et chantent par-delà le temps et
l'espace» (V. Decleire, 2006, p. 240); E. Giuliani (2006, p.238)
écrit: « les signes sonores de la technologie moderne -
téléphones portables, montres à sonnerie automatique ou
celles qu'une marque suisse fameuse agrémentée d'un tic-tac
indélébile - ont enrichi la gamme des pollutions auditives
».
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La saturation sonore de notre environnement tout en
étant un mal social, est une alarme qui interpelle sur les
répercussions néfastes de la modernité sur l'homme et donc
sur la société. Notons que le bruit est ici
appréhendé comme l'ensemble des agitations bruyantes et
désordonnées. Les répercussions négatives de cette
pollution, tant ignorées restent pourtant réelles et très
nocives. Elles sont d'ordres physiologique et psychologique. En effet
d'après B. Leboucq (2006, p.232), la pollution sonore citadine frise les
90 décibels, or l'oreille souffre aux alentours de 110 décibels
et les dommages définitifs de l'ouïe apparaissent quelques minutes
après 115 décibels et la douleur s'établit à 120
décibels tout en sachant que l'ouïe se dégrade avant
l'apparition de la douleur; étant donné que l'environnement
sonore citadin se situe autour de 90 décibels, tout son, pour être
audible, doit dépasser l'environnement sonore de 15 décibels
c'est-à-dire doit atteindre 105 décibels avec l'oreille se
dégradant à 120 décibels. Bref, ceci étant, plus de
la moitié de la population mondiale cohabite le dommage de l'ouïe
qui est un organe de sens indispensable à un jugement
équilibré. La conséquence physiologique directe de la
pollution sonore reste la perte de l'ouïe qui entraine une augmentation
toujours croissante du bruit.
Nous vivons constamment dans le bruit, il suffit de penser
à une journée de travail normale pour que nous nous rendions
compte de la quantité de bruit que nous cohabitons. E. Giuliani (2006,
p.235) écrit:
Après un claquement de porte et un vibrato d'ascenseur,
vite oubliés, me voici dans la rue. D'une sonnette guillerette et
écologique, une voisine vélocipédiste avertit les passants
encore embrumés de sa trajectoire sillonnante entre trottoir et
chaussée. Son allègre civisme antipollution et antibruit est vite
laminé par le fracas des embarras de la circulation urbaine. Ici un
automobiliste, déjà agressif, teste sur tout un chacun son
trompetant klaxon ; là, le camion des poubelles siffle, ronronne,
éructe pour signaler ses manoeuvres de pachyderme. Plus loin, un
motocycliste pétaradant - existe-t-il une autre catégorie de
motocycliste ? - cloue le bec à toute la gent à moteur. Je me
réfugie dans un autobus, accueillie par le tintement argentin de la
machine à contrôler les cartes de circulation. Plus virile et
métallique semble la décharge de l'appareil à composter,
destinée aux voyageurs munis de tickets. Ma ligne étant fort
perfectionnée, une chaleureuse voix féminine (certes
synthétique) annonce scrupuleusement chaque arrêt. Pour
l'accompagner, les usagers exhibent les performances de leurs
téléphones mobiles ou de leurs baladeurs numériques.
(...)Studieuse sans doute, silencieuse sûrement pas, l'atmosphère
du « bureau » où je m'installe résonne de mille bruits
insistants, insinuants, stressants à la longue. De ceux dont on dit que
« ça fait du bien quand ça s'arrête ! ». Je me
sens comme prise dans une centrifugeuse sonore : le ronronnement des
ordinateurs, le téléphone, les rappels à l'ordre des
photocopieuses lorsque « l'original est oublié sous le capot
», les diverses alertes informatiques et autres messages d'erreur qui,
gentiment mais bruyamment, vous préviennent de l'arrivée d'un
e-mail ou d'une frappe erronée sur le clavier... Pour
échapper à cet arrière-plan bourdonnant, un petit tour de
« shopping » à l'heure du déjeuner livre mon oreille
à d'autres épreuves. L'attrait champêtre d'une petite robe
d'été repérée dans une vitrine est aussitôt
démenti par le bombardement sauvage des haut-parleurs qui truffent la
boutique et déversent un flot de notes hyper-amplifiées.
Le bruit est considéré comme une pollution dans
une certaine mesure; et comme le note C. Grino (2001, p. 41) :
L'environnement est un mot dont l'origine anglo-saxonne
signifie «milieu ». Il est introduit en France en 1927 par le
géographe français Vidal de La Blache et désigne dans son
acception écologiste le cadre de vie, c'est-à-dire l'ensemble des
conditions externes qui rendent possible et conditionnent l'existence des
êtres vivants, d'une population, d'une communauté, y compris des
sociétés humaines. Le terme « environnement » suppose
un sujet placé au centre, qu'entoure l'environnement. Il met donc
directement en rapport l'environné avec son milieu. L'environnement dont
il est question dans les discours écologistes est celui de l'homme, non
du lapin ou de la luzerne. Le bruit par exemple est souvent
dénoncé en tant que pollution sonore, alors qu'il ne constitue
pas un facteur de perturbation des écosystèmes. Il ne devient une
pollution qu'en référence à l'environnement humain.
Le bruit ne serait donc pas objet de notre réflexion
s'il suffisait de montrer qu'il contribue à la perte de l'ouïe et
par conséquent à une surdité mondiale. Le bruit nuit
à l'humanité du fait qu'il est l'agent principal qui maintient le
monde dans une voie qui est responsable de la dégradation
écologique et dont nous essuyons déjà les
conséquences. C'est-à-dire que le consumérisme qui est le
maitre-mot de la modernité et de la postmodernité a
été et reste encore divulgué par le truchement des «
voies sans corps» qui identifient besoin et plaisir conduisant à
une consommation sans raison ni limite; elles sont les principales voies de
divulgation d'un mode de vie irresponsable principalement par le truchement des
publicités et de la célébration d'un mode de vie
occidentalisé tel que le note D. Tabutin (2000) et qui est responsable
de l'aggravation de la crise écologique. Abondant une fois encore dans
le même sens, E. Giuliani (2006) affirme que de sérieuses
études en marketing ont révélé une
corrélation favorable entre la diffusion de la musique et le taux
d'achat des clients. La musique en particulier apparaît ici comme une
drogue dont le but est de limiter le raisonnement logique sur les choix
nécessaires pour laisser libre cours au désir afin de n'opter que
pour le plaisant plutôt que le nécessaire; une façon de
taire la délibération. En plus du conditionnement psychologique
dont est responsable le bruit et qui conduit à l'obstination sur la
consommation, le bruit, qu'il provienne des moteurs ou machines,
présuppose une consommation d'énergie; par conséquent,
l'augmentation du bruit dans l'atmosphère ambiante due à la
surdité généralisée présuppose
également une augmentation de la consommation énergétique
déjà inquiétante.
Plus qu'un danger physiologique, l'environnement sonore, comme
explicité plus haut, est une drogue subtile qui éloigne du
nécessaire vers le plaisant et donc capable de mettre en danger
l'humanité tout entière par des options peu
réfléchies tant individuelles que communautaires qu'il
inspire.
La saturation atmosphérique, les pollutions de l'eau et
de l'environnement sonore, bien qu'ayant une responsabilité importante
dans l'avènement de la durabilité, n'en sont pour autant pas les
seuls facteurs ; l'épuisement des ressources, très
inquiétant, en est un aussi.
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