7.3- La transition écologique
Méconnu et ne figurant pas parmi les pays les plus
développés au monde, le Bhoutan encore appelé DrukYul
( la terre du dragon) se fait distinguer par la résistance qu'elle
adresse au reste du monde concentré sur le PIB, indicateur conventionnel
de développement, quand le BNB, base du bonheur et de la cohésion
des peuples, est l'indicateur en vigueur dans ce pays. Ce pays qui
intéresse de plus en plus les écologistes, est de nos jours
l'exemple palpable que l'option de l'écologie comme orient, est possible
à l'échelle étatique et par analogie à
l'échelle mondiale aussi.
Reconnu plutôt comme un royaume, le Bhoutan est
enclavé entre l'Inde et la Chine (région autonome du Tibet) avec
une superficie de 46 500 km2 (L. Reuter 2009, p.18). Très
conservateur, le Bhoutan reçoit sa renommée de son état;
malgré les différentes mutations aussi bien politique,
économique que sociale qui ballotent le monde entier, le Bhoutan reste
focalisé sur ce qui le caractérise: le bonheur de ses habitants
par le biais d'un équilibre
économie-environnement-société extraordinaire. A en croire
L. Reuter (2009, p.18) : « le Bhoutan est un des pays les plus
énigmatiques au monde. Malgré différentes décisions
politiques prises depuis les années 1960 pour « ouvrir » le
pays et le sortir de son isolement, il reste toujours entouré du«
mythe »d'être le dernier « Shangrila », le « paradis
terrestre » ».
Sur le plan économique notons que l'économie du
Bhoutan est l'une des moins développée de la planète. L.
Reuter (2009, p.18) écrit:
Elle est fondée principalement sur l'agriculture et
l'exploitation forestière - qui fournissent un moyen de subsistance
à plus de 90% de la population- et sur la vente à l'Inde
d'électricité d'origine hydrodynamique. L'enclavement du pays
limite non seulement le développement et la construction de routes et
d'infrastructures, mais rend également l'agriculture et l'élevage
très difficiles. Par conséquent, la survie économique est
basée sur de forts liens commerciaux avec l'Inde et une certaine
dépendance de leur aide financière. Le secteur industriel est
technologiquement très en retard avec une prédominance d'ateliers
familiaux.
En d'autres termes nous dirions que le Bhoutan est
situé dans des conditions extrêmes qu'un pays puisse
expérimenter. Dans ces conditions géographiques extrêmes,
l'amorce d'un développement au sens courant du terme, ne pourrait se
faire sans destruction d'une grande partie de ce paradis naturel
considéré par la modernité comme entrave au
développement. Il
suffit de se faire à l'idée les étendues
de terres et surtout les écosystèmes qui sont détruits
chaque année pour la construction des routes et aéroports,
d'usines et de villes. E. Bonnefous (1973, p.22) écrit: « chaque
année des dizaines de millions d'hectares de sols productifs sont
dévorés par les routes, les usines, et les villes ». Ceci,
une fois encore, met plus de lumière sur les dégâts
causés par le développement sur les écosystèmes et
donc sur l'équilibre de la biosphère tout entière.
Ces conditions extrêmes qui sont celles du Bhoutan,
conditions considérées comme causes de pauvreté dans
certains pays, constituent en fait un levier pour le bien être de sa
population et du monde entier.
Pour L. Reuter (2009, p.18), amorcer un développement
en préservant « l'intégrité de l'environnement et de
sa culture » n'est certes pas facile surtout dans un contexte où le
monde entier veut tout quantifier. Avec un relief hostile allant de +97
à +7553m, le Bhoutan est un des écosystèmes les plus
préservés du monde avec 5500 espèces
végétales dont environ 300 plantes médicinales, 750
espèces d'oiseaux et 165 mammifères. D'où lui vient la
force qui maintient le Bhoutan dans la droite ligne de la préservation
de l'environnement et la culture du bonheur plutôt qu'à la course
capitaliste?
La première force d'une telle option, c'est la
volonté politique. Le Bhoutan n'a pas depuis toujours eu comme
indicateur le BNB; en effet ce fut depuis 1972 que, sous l'impulsion du roi
Jingme Singye Wangchuck, qui estima que les indicateurs conventionnels
étaient inadéquats pour mesurer le bonheur des populations, ce
concept vu le jour. Bien que le Bhoutan soit le seul pays où le
bouddhisme tantrique soit la religion d'Etat et que l'on puisse croire que le
BNB ait des présupposés bouddhistes tel que la recherche du
nirvana, cet antécédent religieux n'infirme en rien la
place capitale qu'occupe la volonté politique dans une telle option
puisse que tous les pays à majorité bouddhiste ne sont pas autant
engagés envers l'environnement; ce qui nous permet de déduire que
chez les Bhoutanais, une rationalité environnementale qui surpasse les
présupposés religieux est bien enracinée; la Chine est un
exemple palpable en ce domaine. Une fois encore est réaffirmée
ici la nécessité de revenir aux valeurs qui donnent sens à
la vie telles que la culture de la paix et du bonheur faisant ainsi appel
à D. Méda (2012) qui n'a cesser de marteler en reprenant M. Weber
(1964) que la passion de l'enrichissement est issue de la conversion des
énergies spirituelles vers l'ici-bas.
La deuxième raison de l'efficacité de cette
option, est l'adhésion des Bhoutanais à un tel idéal.
Attentive et informée grâce à une démocratisation
bien élaborée du débat écologique, les Bhoutanais
ont épousé sans tarder cette philosophie. L'on pourrait une
fois
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encore interpréter l'adhésion de la population
aux idéaux environnementaux comme une dictature qui ne dit pas son nom;
mais si tel fut le cas, la tendance aurait probablement changé depuis la
démocratisation du pays en 2005. Autrement dit nous voyons là une
adhésion totale de la population aux valeurs telles que le bonheur, le
bien-être environnemental la culture de la paix etc. Cette
adhésion sociale au BNB se fait ressentir à travers des actes
tels que la préservation des réserves écologiques
malgré la situation économique très complexe et de
laquelle la population pourrait échapper par la vente clandestine des
ressources forestières telles que c'est encore le cas dans nombre de
pays aujourd'hui.
La force de l'adhésion des Bhoutanais aux valeurs
environnementales se comprend par la compréhension du bien fondé
d'une telle option ; et nous pouvons indexer, une fois encore, le bouddhisme
d'être à l'origine de la construction d'une telle hygiène
de vie ce qui laisse voir que la compréhension de l'intérêt
de la préservation de l'environnement est un pilier très
important à la construction d'une justice environnementale
participative; sans cette dernière, la volonté politique ne
pourrait pas à elle seule arriver aux fins escomptées ce qui est
le cas dans la majorité des pays où le développement
durable, ne parvient pas à prendre forme dans les habitudes des
différentes populations à cause de l'intérêt mal
compris.
Bref, la justice environnementale participative n'est possible
que dans la satisfaction de trois conditions. D'abord une volonté
politique pilotée par les dirigeants animés par les idéaux
de la durabilité; Cette première condition est réalisable
grâce à l'adhésion des populations qui à leur tour
agissent de façon responsable en faveur de l'environnement; cette
responsabilité se matérialise par un engagement concret
reflété dans les actes quotidiens et qui manifestent la
protection de l'environnement. Même si des poches
d'inégalités environnementales demeurent encore au Bhoutan, il
demeure toujours un exemple admirable sur le chemin de la participation
environnementale.
Tout ceci confirme notre troisième hypothèse qui
émettait l'idée selon laquelle une solution à la crise
écologique reste néanmoins envisageable dans la mesure où,
ceux qui réclament justice participent non seulement à la
délibération mais aussi à la restauration des
qualités environnementales.
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