Conclusion
Somme toute, notre objectif tout au long de ce travail fut de
montrer que la justice environnementale participative est une condition de
possibilité de la durabilité. C'est donc à cette fin que
nous sommes partis de la question: en quoi la justice environnementale
participative est-elle une condition de possibilité de la
durabilité ? Pour juguler cette question, nous avons projeté
notre travail autour de trois axes fondamentaux.
Dans un premier temps, notre travail a consisté
à rappeler les fondements du développement durable permettant de
mieux cerner le contexte d'émergence de la durabilité et de ses
enjeux. Il en est ressorti que les signes précurseurs de la
durabilité, en tant que paradigme de développement, se regroupent
en quatre faits complémentaires à savoir: une surexploitation de
la nature conduisant à l'altération de la capacité de la
planète à reproduire les conditions de son équilibre, le
réchauffement de la planète et les inégalités
environnementales. C'est dans ce contexte de crise écologique
qu'émerge la durabilité comme la solution pouvant garantir un
mieux être de l'homme en relation avec son écosystème,
fondé sur le rapport Brundtland qui est son « acte de naissance
».
Les dérèglements de la biosphère qui se
remarquent à travers la pollution de l'atmosphère, la destruction
de la couche d'ozone, les pluies acides etc. sont les conséquences de
comportements peu responsables de l'homme dans son espace de vie. C'est dans ce
contexte que les réflexions critiques sur la consommation
énergétique par exemple émergeront du constat qu'une
fourniture énergétique toujours croissante basée
essentiellement sur les énergies fossiles non renouvelables est
impossible à cause de la capacité limitée de ces
ressources. Cette demande toujours croissante en énergie non
renouvelable accroît l'exploration des mines à la recherche du
charbon et le creusage de nouvelles pompes à pétrole dont les
conséquences sur l'environnement ne sont plus à démontrer.
Quant aux autres ressources notamment l'eau douce, principal ingrédient
de la vie de l'homme, elle n'est pas non plus épargnée par les
pollutions posant un véritable problème de santé mondiale
d'une part, et d'autre part un problème d'épuisement vu le
gaspillage de cette ressource très prononcée de nos jours;
l'épuisement des ressources minières inquiète
également et plus encore le caractère non biodégradable
des produits qui en sortent. Les villes, Symbole de la modernité, quant
à elles attirent toujours et concentrent plus de la moitié de la
population mondiale accentuant les inégalités environnementales;
cette concentration n'est pas sans
77
effets sur les écosystèmes qui sont
détruits pour permettre l'installation de l'homme. Bref, la
configuration actuelle de notre société a accentué l'effet
des activités anthropiques sur l'environnement.
Cette conscience environnementale s'est construite
progressivement et apparaît comme le couronnement d'un paradigme de
développement amorcé depuis la Modernité; et c'est en
reconsidérant les grands tournants de la science depuis la
modernité que la transition vers la durabilité se perçoit
mieux. Car, d'une part, la crise écologique tire son origine de l'esprit
de la modernité; cet esprit de la modernité fait de l'idée
de s'affranchir de toute sorte de tutelle aussi bien religieuse, familiale que
politique. Cet affranchissement a conduit à la naissance du nouvel
homme désormais autonome qui, fort de son autonomie peut
désormais s'élancer dans l'exploration de son espace de vie par
l'usage de la technique impliquant des conséquences
insoupçonnées sur l'environnement.
En vue de pallier tous ces dérèglements
environnementaux qui mettent en danger la pérennité de la vie sur
terre, la durabilité est apparue comme une solution qui permettrait
à coup sûr de rétablir l'équilibre aussi bien
environnemental que social perdu. Force est alors de constater que
malgré les dangers courus par notre planète à cause d'un
rythme de développement en déphasage complet avec celui de la
restauration de la nature, la durabilité peine à tenir ses
promesses. Cette évidence nous a conduits à la seconde
articulation de notre travail consacrée à l'évaluation
critique de la durabilité.
D'après nos investigations, les difficultés
qu'éprouve la durabilité sont dues aux contradictions qui lui
sont inhérentes. Au concept unique de durabilité, sont
associées plusieurs définitions selon les urgences des
institutions et des nations conduisant à un manque de consensus et
d'inefficacité dans l'action. Des institutions telles que l'UNESCO et la
S.A.V (Stratégie pour l'Avenir de la Vie) ont des définitions du
développement durable assez différentes et dépendantes des
orientations de chacune. Quant à la déclaration de Rio
adoptée par les représentants de 170 pays en 1992, le
développement durable a une orientation plus
généralisée. Le concept d'inégalité
environnementale ne fait pas exception de ces rouages conceptuels
également.
Ces contradictions définitionnelles sont
renforcées par un désaccord d'ordre politique et
économique entre les pays développés et les moins
développés. Les BASIC (Brésil, Afrique du Sud, Inde et
Chine) qui sont aujourd'hui des pays émergents à grande influence
mondiale, indexent notamment l'Europe et les Etats-Unis de s'être
développés en polluant
78
l'environnement, et trouvent dans la durabilité un
moyen de plus pour les maintenir dans leur état de
sous-développement. La conséquence d'une telle revendication est
le rejet des clauses de la conférence de Rio et des Conférences
des Parties (COP).
La troisième difficulté de la durabilité
est d'ordre éthique et culturel. La divergence éthique et
culturelle dans la mise en oeuvre du développement durable est non moins
négligeable car elle pose le problème de choix entre la
préservation de l'environnement et la croissance économique. La
protection de l'environnement, implique une économie moins ambitieuse;
or autant l'environnement dégradé a besoin d'un
développement durable, nos sociétés, ont autant besoin
d'une croissance économique pour assurer leur survie tout en sachant que
les deux facettes de la médaille contiennent inéluctablement des
conséquences moins bonnes tant pour l'environnement que pour les
populations. Ce dilemme se pose également dans la gestion des
inégalités environnementales où les politiques
environnementales sont partagées entre une répartition
équitable des qualités environnementales telles que les espaces
verts et la réparation des dommages causés à
l'environnement; une situation qui condamne les populations
défavorisées à subir injustement les revers
négatifs de la crise écologique.
Toutes ces contradictions de la durabilité laissent
voir clairement le fossé entre l'idéal du développement
durable et la complexité de l'espace sociétal et permettent de
mieux comprendre pourquoi le PIB, indicateur conventionnel dont la croissance
ne pourrait être effective sans effets négatifs sur
l'environnement demeure en vigueur alors que le BNB, gage de la
durabilité, demeure peu promu. Face à cette complexité de
la durabilité, devrions-nous nous résigner face aux
dégradations de plus en plus aigues de l'environnement?
Pour que le projet de la durabilité puisse advenir, il
faudrait repenser la durabilité. Redéfinir le
développement durable revient concrètement à une
redéfinition du concept de développement. Face à la crise
écologique considérée comme le couronnement de la
modernité, repenser le développement revient à une
redéfinition de ce concept; redéfinition qui consiste à
privilégier la qualité de vie au détriment de la
quantité de biens possédés; étalon qui fut et
demeure la caractéristique des peuples dits primitifs qui s'efforcent de
mieux vivre avec moins de biens dans le respect de l'environnement.
Repenser le développement revient aussi à
reconsidérer notre gestion des déchets alors que la culture du
jetable prend de l'ampleur d'où nous avons opté pour une approche
capabilitaire de la résorption de la crise écologique; bien que
le recyclage soit un pas dans
79
cette logique, plutôt que de recycler nous
participerions plus efficacement à la justice environnementale en
réduisant notre consommation, ou encore en cultivant la
réparation et la réutilisation. De là la notion de
responsabilité prend tout son sens dans le processus de la
participation; et la durabilité loin d'être un voeu pieux envers
les générations futures, se trouvera renforcée par la
responsabilité qui la rend désormais opératoire. Car:
Le développement durable n'est pas un concept
opératoire pour faire face aux défis globaux auxquels doivent
répondre les sept milliards d'êtres humains mais, au contraire,
une déclinaison du conformisme, une manière de nous cacher,
encore une fois, que nous sommes devant une « cascade de finitudes
». D. Bourg (2012, p.4):
Et dans un tel contexte la responsabilité demeure la
seule issue possible. Cette responsabilité est partagée entre le
pouvoir public d'une part et la population d'autre part. Désormais,
tournés vers l'avenir et avec au coeur le souci des
générations futures, l'efficacité des actions aussi bien
individuelles que globales doit naître d'une meilleure coordination
politique afin d'éviter les pièges soulevés plus haut.
Tout comme H. Jonas (1990), C. Grino (2001, p. 63) note également:
« le véritable domaine d'application de la notion de
responsabilité ainsi remaniée est la sphère
publique, et non la sphère privée », et cette
responsabilité qui revient au politique dans ce contexte est celle de
« la prévoyance ». La prévoyance du politique dans la
construction d'une société justice, revient quant à elle
à la sagesse comme le préconisait Platon dans le livre III de
La République; ce que H. Jonas (1999, p.47) reprendra: «
la prévoyance de l'homme politique consiste donc dans la sagesse et dans
la mesure qu'il consacre au présent ».
Dans le contexte de la crise écologique qui est le
nôtre, la responsabilité politique, de façon
concrète renvoie d'abord à une prise de conscience de chaque Etat
qu'il soit développé ou en voie de développement, de la
menace réelle de l'environnement à cause de l'écart entre
le rythme de restauration de l'environnement et celui des activités
anthropiques de plus en plus polluantes. Tout ceci rejoint l'idée de
l'urgence d'un droit cosmopolite de l'environnement tel que porté par la
conférence de Stockholm (1972), l'Acte de l'Union Européenne
(1985) et le traité de Rio (1992) qui stipulait dans son
préambule qu'il faudrait instaurer un partenariat mondial sur une base
nouvelle en reconnaissant que la terre, berceau de l'humanité, constitue
un tout marqué par la complémentarité.
Du point de vue de la légalité, la
légifération sur l'environnement doit tenir compte d'un certain
équilibre notamment:
80
Une opération ne peut légalement être
déclarée d'utilité que si les atteintes à la
propriété privée, le coût financier et
éventuellement les inconvénients d'ordre social ou
écologiques qu'elle comporte ne sont pas excessifs eu égard
à l'intérêt qu'elle présente (...) a un moment
où il est beaucoup question, et à juste titre, d'environnement et
de cadre de vie, il faut éviter que des projets par ailleurs utiles
viennent aggraver la pollution ou détruire une partie du patrimoine
naturel et culturel du pays (M. Prieur, 2017, p.5).
Tout ceci doit être soutenu par l'engagement responsable
des populations en faveur des valeurs écologiques et seule la
vulgarisation du débat écologique permettrait de parvenir
à cette fin; vulgarisation qui est aussi du devoir des politiques.
Vulgarisation qui s'avère très importante pour la bonne marche de
la justice environnementale participative. Et cette vulgarisation consistera
à promouvoir les actions en phase avec la protection de l'environnement.
D'où l'importance du troisième maillon complémentaire de
l'engagement des politiques; celui-ci est la préservation de l'ordre
public écologique qui se résume à la
nécessité d' « assurer les objectifs d'ordre public que sont
traditionnellement la sûreté, la tranquillité et la
salubrité publique » (M. Prieur, 2017, p.8) par une police de
l'environnement. Dans cet élan, non seulement les dégradations de
la biosphère sont réparées, mais ces réparations
sont aussi sujettes à la protection dans le but de minimiser les risques
environnementaux et donc d'éradiquer les inégalités
environnementales. Tel est l'équilibre que doivent rechercher les
politiques. Mais ce droit reste jusqu'aujourd'hui non reconnu par nombre de
pays comme le souligne toujours M. Prieur (2017). D'où la
nécessité d'accroître la sensibilité
écologique chez les populations.
Nous sommes donc désormais au coeur de la justice
environnementale participative qui d'après C. Larrère (2017),
implique une réflexion sur l'égalité tout en faisant
attention à ne pas construire un égalitarisme réducteur et
autoritaire.
La participation à la justice environnementale consiste
finalement : « pour ceux qui réclament la justice environnementale,
d'être en capacité effective de décider» (C.
Larrère, 2017, p.26). Allant au-delà de la simple
décision, ainsi qu'elle insiste, la participation est plus une
réappropriation active d'espaces communs. Précisément:
Il ne suffit pas, pour éviter les
inégalités environnementales, que dans les objectifs des
éco-quartiers, il y ait la mixité sociale, ou que la restauration
des quartiers défavorisés inclut un volet de restauration
écologique (...) le modèle d'égalité pour
confronter et corriger les inégalités environnementales n'est pas
seulement à rechercher du côté d'une réduction de
l'échelle des revenus ou des patrimoines, mais dans le
développement des pratiques collectives et des usages communs.(C.
Larrère, 2017, p.26).
La fin ultime de la participation, c'est l'implication
disciplinée de l'individu dans la lutte pour son bien-être global
dans un environnement sain. Dès lors nous passons du
81
développement à la transition écologique
dont le maitre mot est de « vivre mieux avec moins ». Sur le plan
économique, la transition écologique nécessite la
construction de nouvelles stratégies permettant d'arrêter la
construction de la société sur la base d'une demande toujours
croissante en énergie et en ressources. Ceci demande à avoir un
autre indicateur du développement des peuples que le P11B ; D. Bourg
(2012, p.7) écrit: « Cela ne veut pas dire que le P11B n'a plus
aucun intérêt, mais qu'il ne peut plus être l'orient de
toute politique publique »; M. Brezzi, L. de Mello et É. Laurent
(2016, p.14) quant à eux: « il servira plutôt à
mesurer pour comprendre, assurément, mais aussi et surtout mesurer pour
changer ». Tout ceci, une fois encore, passe par la bonne volonté
des politiques qui vont oeuvrer à cette fin.
Quant à l'aspect axiologique, il est question de
changer nos habitudes par une discipline qui permettrait de vivre heureux en
produisant et en consommant moins; en d'autres termes, il s'agit de la culture
de la durabilité au quotidien. Mais une question demeure : une telle
option est-elle possible?
De nos jours un modèle de développement durable
fascine le monde entier et ce modèle est le Bhoutan qui malgré sa
situation politico-économique très complexe, est un exemple
démontrant la possibilité de la durabilité à
l'échelle étatique. Et la condition de la mise en place effective
de la durabilité dans ce pays est la participation.
Toutefois d'autres options autres que la participation sont
possibles dans la logique de la revitalisation de la durabilité telles
que: le renforcement de l'éducation en faveur de l'environnement, est
aussi une option envisageable pour pallier la difficulté de la mise en
oeuvre effective de la durabilité le tout couplée d'une
implication profonde des politiques dans la régulation des
inégalités environnementales. Mais l'exploration de toutes ces
options nous obligerait à dépasser les limites que nous nous
sommes fixées ici par notre problématique. Ceci étant, la
justice environnementale participative nous paraît être une
condition indispensable à l'efficacité de la durabilité.
Une telle option doit permettre la consolidation de notre responsabilité
envers notre environnement et envers les générations futures en
leur garantissant ainsi leur droit à un environnement sain.
82
|