Chapitre 7 : La justice environnementale participative
: condition de possibilité de la durabilité
7.1-La participation
Dans un contexte contemporain où la protection de
l'environnement fait partie intégrante de la vie de la
société, la justice classique d'origine aristotélicienne
n'est pas à la hauteur des défis contemporains; ainsi la justice
environnementale se veut un dépassement des limites anthropocentrique et
géographique de la justice Aristotélicienne. Ses grandes
orientations sont généralement regroupées sous trois
grands aspects: la légalité qui est du ressort du droit de
l'environnement consacré à la légifération dont
nous avons fait mention dans les paragraphes précédents; la
justice environnementale distributive essentiellement orientée vers
l'équité des bienfaits des qualités environnementales; et
la justice environnementale correctrice tournée vers la
réparation des dommages causés à l'environnement. Ces
trois aspects de la justice environnementale sont soutenus par la justice
environnementale participative qui exige un ordre sociopolitique permettant aux
citoyens de prendre part au débat écologique et de participer
à la délibération11.
La justice environnementale participative, telle que le note
C. Larrère (2017), implique une réflexion sur
l'égalité tout en faisant attention à ne pas construire un
égalitarisme réducteur et autoritaire. Cette plausible confusion
prend naissance à partir de la question: qui appelons-nous
défavorisé? Ce sont des personnes qui manquent de ce que J. Rawls
(1971) appelle les « biens primaires» qui sont des biens accessibles
et nécessaires à tout citoyen libre. Ainsi concevoir
l'égalité seulement sur la base des biens primaires est une
conception réductrice car n'embrassant pas toute la compréhension
de l'égalité et autoritaire car reléguant au second plans
les personnes qui ne jouissent pas « des capabilités de base
», pour parler comme A. Sen (2000), c'est-à-dire de ceux qui
souffrent de handicap physique ou social; parler de justice revient donc
à prendre en compte tous ces paramètres en donnant à
chacun les moyens de se réaliser dans son être. Autrement dit, la
démarche de la participation a en vue de faire de chaque individu
l'agent de sa situation.
11Les trois aspects de la justice environnementale
sus-cités notamment: la légalité, la justice distributive
et réparatrice, sont tirés du cours inédit de
théorie de la justice environnementale du Professeur K. Kouvon,
2016. En effet, ces trois aspects, loin d'être autonomes les uns des
autres, constituent les pièces d'un puzzle dont le manque d'une seule
saboterait la cohérence. Dans un contexte contemporain marqué par
la dégradation de la biosphère couplée des diverses sortes
d'injustice avec lesquelles l'humanité veut découdre, la justice
environnementale dans ses trois aspects, est une pièce capable
de soutenir le projet de la justice classique aristotélicienne.
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La justice environnementale participative consiste finalement
: « pour ceux qui réclament la justice environnementale,
d'être en capacité effective de décider» (C.
Larrère, 2017, p.26). Allant au-delà de la simple
décision, ainsi qu'elle insiste, la participation est plus une
réappropriation active d'espaces communs. Précisément:
Il ne suffit pas, pour éviter les
inégalités environnementales, que dans les objectifs des
éco-quartiers, il y ait la mixité sociale, ou que la restauration
des quartiers défavorisés inclut un volet de restauration
écologique (...) le modèle d'égalité pour
confronter et corriger les inégalités environnementales n'est pas
seulement à rechercher du côté d'une réduction de
l'échelle des revenus ou des patrimoines, mais dans le
développement des pratiques collectives et des usages communs.(C.
Larrère, 2017, p.26).
La fin ultime de la participation, c'est l'implication
disciplinée de l'individu dans la lutte pour son bien-être global
dans un environnement sain. Mais pour que cela soit possible, il convient de
rappeler que trois maillons restent indissociables dans cette procédure.
Comme le notent Jérôme Ballet, Damien Bazin et Jérôme
Pelenc (2014, p. 10) :
La mise à disposition de l'information sans laquelle
l'individu ne peut établir un choix raisonné ; être partie
prenante sans quoi il ne peut exprimer les raisons qu'il a de valoriser tel ou
tel objectif et ne peut contrôler la procédure qui permet les
choix ; la coproduction d'information scientifique qui renvoie à la fois
au fait de contrôler la procédure mais aussi au pouvoir effectif
d'atteindre les objectifs.
Dans ce contexte la responsabilité revient au fait que
tout acte reflète l'obligation de la préservation de la vie, ce
qui renvoie en même temps à une attitude de durabilité qui
consiste à préserver l'équilibre
économie-société-environnement. La participation n'est
donc que la conséquence d'une application conjointe de la
durabilité et de la responsabilité ; c'est cette relation
intrinsèque que remettent en exergue B. Ouchene et A. Moroncini (2016,
p.20) quand ils notent: « (...) La relation est réciproque dans le
sens où la durabilité débouche sur la
responsabilité et, que la responsabilité implique la
durabilité » ; responsabilité ici comprise au sens jonasien
comme l'exigence « qu'un tel monde doive exister à jamais dans
l'avenir-un monde approprié à l'habitation humaine- et que
toujours à l'avenir il doive être habité par une
humanité digne de ce nom » (H. Jonas, 1990, p. 38).
De cette application conjointe de la durabilité et de
la responsabilité, naîtra une nouvelle façon d'exister au
monde qui est celle de l'implication de tous dans la préservation de
l'environnement pour une vie qualitative aussi bien pour nous,
générations présentes que pour les
générations futures.
Cet engagement se traduit d'ailleurs dans les gestes les plus
simples de la vie quotidienne comme acheter des oranges. F. Baddache (2006,
p.16) note:
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Il y a plus d'une façon d'acheter des oranges;
j'achète les oranges selon l'approche traditionnelle. Si je fais
attention à la dépense : j'achète les oranges les moins
chères, en les choisissant de préférence de
qualité. C'est l'argument qui prévaut. Si je veux me faire
plaisir: j'achète les meilleures oranges, sans regarder leur prix, ni
leur provenance, sans me demander non plus si c'est la saison des oranges.
C'est une approche hédoniste.
Maintenant, j'achète des oranges selon l'approche du
développement durable. Les arguments de l'approche traditionnelle
restent valables: je peux tout à fait baser mes achats sur la recherche
du meilleur rapport qualité/prix, ou sur la recherche du plaisir. Mais
d'autres paramètres viennent nourrir ma réflexion avant l'achat.
J'intègre désormais dans ma réflexion des critères
environnementaux et sociaux. Ainsi, je m'interroge: dans quelles conditions ces
oranges ont-elles été plantées et récoltées?
Les travailleurs étaient-ils des ouvriers venus d'Afrique du Nord pour
travailler dans des plantations du Sud de l'Europe où ils sont
payés une misère et traités comme des moins que rien? Dans
quel respect de l'environnement ces oranges ont-elles été
produites? A-t-on utilisé pour ce faire des tonnes de pesticides et
d'engrais? D'où viennent ces oranges? Si elles proviennent de l'autre
bout du monde, les longues distances du transport ont sans doute
été la source d'importantes émissions de gaz qui aggravent
le réchauffement climatique.
Voilà comment nous pouvons participer à la
justice environnementale. Ce qui conduit à ce que F. Baddache (2006)
appelle la consom'action c'est-à-dire l'implication des
individus, dans la préservation de l'environnement et aussi dans la
lutte pour l'égalité des chances afin que tout homme, où
qu'il soit, puisse subvenir à ses besoins et répondre ainsi
à sa responsabilité envers les générations à
venir; tel qu'il le dit: « la consom'action c'est tout simplement une
consommation responsable, qui prend en compte à la fois la
société dans laquelle nous vivons, et le statut d'acteur
économique qui revient à tout acheteur »F. Baddache ( 2006,
p.151). Ceci étant, limitant les risques de pollution, la
consom'action introduit le concept d'égalité permettant
à chacun de tirer équitablement profit des qualités
environnementales tout en participant à la préservation de la
nature.
Mais pour que cette participation fondée sur les
capabilités individuelles, pour parler comme A. Sen (2000),
nécessite une attention particulière au débat public afin
qu'émergent les valeurs d'engagement commun. Jérôme Ballet,
Damien Bazin et Jérôme Pelenc (2014, p. 10) le notent si bien:
Une attention particulière doit donc être
accordée au rôle du débat public, aux espaces de
discussions et aux possibilités d'interactions sociales
itératives pour l'émergence de valeurs et d'engagements communs.
Les capabilités collectives émergent de ces interactions sociales
et sont différentes de la somme des capabilités individuelles.
Elles permettent d'atteindre des objectifs que les capabilités
individuelles ne garantissent pas de réaliser. La capacité
d'agence collective ou la capacité d'un groupe à agir ne vise pas
seulement à changer le niveau de bien-être de ses membres, mais
aussi à favoriser le changement dans la société.
Bien que les intérêts des Etats altèrent
souvent l'efficacité de la justice environnementale participative,
l'ouverture d'un débat public sur les qualités
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environnementales reste l'une des voies qui pourrait mener un
mieux-être de notre maison
commune.
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