6.3- La responsabilité du pouvoir politique dans
la mise en oeuvre de la justice environnementale
L'écologie, destination de la responsabilité,
est la voix qui pourrait nous amener à atténuer les effets
néfastes de nos activités sur l'environnement. Pour que cette
entreprise advienne, nous ne pouvons pas faire fi de l'engagement des
politiques.
Parmi les contradictions qui ont conduit à
l'échec de la durabilité, nous avons souligné les
désaccords politique et économique comme étant en partie,
responsables; ces désaccords politique et économique ont
consisté, rappelons-le, en une attitude de révolte de la part des
pays en voie de développement qui ont vu dans les stratégies de
réduction des émissions des gaz à effet de serre, et la
reconsidération de la gestion de l'environnement pour une justice
environnementale effective comme une stratégie de plus de la part des
pays développés pour les maintenir dans un état de
sous-développement.
Désormais, tournés vers l'avenir et avec au
coeur le souci des générations futures, l'efficacité des
actions aussi bien individuelles que globales doit naître d'une meilleure
coordination politique afin d'éviter les pièges soulevés
plus haut. Tout comme H. Jonas (1990), C. Grino (2001, p. 63) note
également: « le véritable domaine d'application de la notion
de responsabilité ainsi remaniée est la sphère
publique, et non la sphère privée », et cette
responsabilité qui revient au politique dans ce contexte est celle de
« la prévoyance ». La prévoyance du politique dans la
construction d'une société justice, revient quant à elle
à la sagesse comme le préconisait Platon dans le livre III de
La République; ce que H. Jonas (1999, p.47) reprendra: «
la prévoyance de l'homme politique consiste donc dans la sagesse et dans
la mesure qu'il consacre au présent ».
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Dans le contexte de la crise écologique qui est le
nôtre, la responsabilité politique, de façon
concrète renvoie d'abord à une prise de conscience de chaque Etat
qu'il soit développé ou en voie de développement, de la
menace réelle de l'environnement à cause de l'écart entre
le rythme de restauration de l'environnement et celui des activités
anthropiques de plus en plus polluantes. Cette prise de conscience entraine une
attitude responsable qui débouchera sur la construction d'un meilleur
état global, entendu ici comme un meilleur cadre de vie :
Egalement le meilleur à l'avenir,
précisément parce que dans son équilibre interne de tout
temps actuel il est le garant de l'avenir en tant que tel et qu'ensuite il est
naturellement également le meilleur de l'avenir, parce que les
critères d'un bon ordre ne changent pas » (H. Jonas, 1999,
p.46).
Tout ceci rejoint l'idée de l'urgence d'un droit
cosmopolite de l'environnement tel que porté par la conférence de
Stockholm (1972), l'Acte de l'Union Européenne (1985) et le
traité de Rio (1992) qui stipulait dans son préambule qu'il
faudrait instaurer un partenariat mondial sur une base nouvelle en
reconnaissant que la terre, berceau de l'humanité, constitue un tout
marqué par la complémentarité.
La lutte pour la justice environnementale est de l'avantage de
tous, aussi bien nous générations présentes que pour les
générations futures. Cet intérêt bien que
justifiée, a besoin de force juridictionnelle afin que le droit à
l'environnement soit reconnu comme droit fondamental de l'homme. Pour ce faire,
le droit de l'environnement doit reposer, Comme le dit si bien M. Prieur
(2017), sur trois composantes complémentaire : la
légalité, le service public de l'environnement et l'ordre public
écologique.
Du point de vue de la légalité, la
légifération sur l'environnement doit tenir compte d'un certain
équilibre notamment:
Une opération ne peut légalement être
déclarée d'utilité que si les atteintes à la
propriété privée, le coût financier et
éventuellement les inconvénients d'ordre social ou
écologiques qu'elle comporte ne sont pas excessifs eu égard
à l'intérêt qu'elle présente (...) a un moment
où il est beaucoup question, et à juste titre, d'environnement et
de cadre de vie, il faut éviter que des projets par ailleurs utiles
viennent aggraver la pollution ou détruire une partie du patrimoine
naturel et culturel du pays (M. Prieur, 2017, p.5).
Tout les pays devront donc unir leur force en s'engageant
chacun sur cette voie de la préservation de l'environnement. Cet
équilibre doit être recherché à envergure
universelle. Une fois que ce principe est assimilé, il va de soit que
les pouvoirs publics s'engagent dans la création de services publics
spécialisés dans la prise en charge et la gestion de
l'environnement. Ces services peuvent être matériels ou organique:
matériels quand ces services sont entre autres des établissements
publics spécialisés ou des agences de l'eau; et
organiques quand il s'agit plutôt des organismes de
droit privé comme des associations de défense de
l'environnement.
Tout ceci doit être soutenu par l'engagement responsable
des populations en faveur des valeurs écologiques et seule la
vulgarisation du débat écologique permettrait de parvenir
à cette fin; vulgarisation qui est aussi du devoir des politiques.
Vulgarisation qui s'avère très importante pour la bonne marche de
la justice environnementale participative. Et cette vulgarisation consistera
dans la mesure du possible à favoriser les actions en phase avec la
protection de l'environnement. D'où l'importance du troisième
maillon complémentaire de l'engagement des politiques; celui-ci est la
préservation de l'ordre public écologique qui se résume
à la nécessité d' « assurer les objectifs d'ordre
public que sont traditionnellement la sûreté, la
tranquillité et la salubrité publique» (M. Prieur, 2017,
p.8) par une police de l'environnement. Dans cet élan, non seulement les
dégradations de la biosphère sont réparées, mais
ces réparations sont aussi sujettes à la protection dans le but
de minimiser les risques environnementaux et donc d'éradiquer les
inégalités environnementales. Tel est l'équilibre que
doivent rechercher les politiques. Mais ce droit reste jusqu'aujourd'hui non
reconnu par nombre de pays comme le souligne toujours M. Prieur (2017).
D'où la nécessité d'accroître aussi la
sensibilité écologique chez les populations.
Les données scientifiques de l'état de la
dégradation de la biosphère et les conséquences qui lui
sont inhérentes ne laissent personne indifférent. Pis encore, les
projections à long terme de la dégradation de la biosphère
et ses conséquences tourmentent plus d'un. Face à cette
évidence, d'aucuns pensent que les politiques doivent choisir pour
l'ensemble des populations, un choix averti qui élimine tout risque de
pollution; ceci renvoie par exemple à restreindre la fourniture des
machines polluantes ainsi que des produits toxiques pour éviter aux
populations de polluer l'environnement. C'est la position soutenue par P.
Fauquemberg (2002, p. 88) :
(...) Nous pouvons par exemple penser que des mesures
politiques de restriction, notamment en ce qui concerne l'offre des mesures
politiques de restriction, notamment en ce qui concerne l'offre de produits
technologiques et donc polluants, sont nécessaires.
Mais une telle position est naïve car ce serait ignorer
la force de phagocytose exercée par l'économie sur l'espace
sociétal et politique qui fragilisent une telle option. La solution
politique qui serait efficace constituerait, en plus de l'harmonie
environnementale internationale recherchée entre
l'égalité, le service de l'environnement et l'ordre public
écologique, l'accroissement de la responsabilité des populations
tout simplement comme nous
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l'avons énoncé plus haut; elles ont la
capacité de former un blocus contre la pollution et les
inégalités environnementales par leurs choix quotidiens. C'est
alors que nous parviendrons à ce que H. Jonas (1990, p. 68) appelle
« la seconde obligation éthique» c'est-à-dire «
l'apprêtement personnel à la disponibilité de se laisser
affecter par le salut ou par le malheur des générations à
venir, quoique d'abord seulement imagée » (H. Jonas, 1990, p.
69).
Il est vrai que l'intervention politique reste incontournable
dans la diminution des pollutions de toute sorte, mais en ce qui concerne
l'éradication des injustices environnementales, elle l'est plus encore.
Car, notons que la qualité environnementale que nous recherchons est
aussi l'une des causes de l'accroissement des inégalités
environnementales ; car, la qualité environnementale est de nos jours un
argument de vente du côté des promoteurs immobiliers et de
légitimation du côté des élus comme le dit C.
Larrère (2017, p.77). La crise écologique a donc introduit une
recherche effrénée de la qualité environnementale qui
accentue toujours les injustices environnementales car le confort de
l'environnement de qualité a son prix mettant donc à
l'écart les populations vulnérables qui n'ont qu'a subir la crise
écologique comme une fatalité. Cet acharnement environnemental
qui laisse croire que les injustices environnementales semblent
incontrôlables, serait atténué par le couplage entre :
« la participation au changement de son environnement et de nouvelles
modalités politiques travaillant le corps social plutôt que ses
organes de direction» (C. Larrère, 2017, p. 79).
Etant donné que seules les populations qui
réclament justice sont les seules aptes à oeuvrer au changement
de leur sort, il revient alors aux politiques de donner à ces
dernières les moyens d'oeuvrer à cette fin; c'est donc un appel
au libéralisme solidariste où la justice consiste à :
« Distribuer d'une certaine manière (c'est le critère de
répartition) une variable dont la distribution interindividuelle importe
directement (pas seulement au titre d'indicateur ou de facteur causal) c'est le
distribuendum » (P. Van Parijs, 1991, p. 251). Dans notre
contexte, la variable étant l'environnement, les politiques pourraient
le distribuer de façon à ce que tous bénéficient de
la même qualité environnementale et comme le notait C.
Larrère (2017), ceci passe par exemple par la protection et
l'interdiction d'occupation des zones immergées, l'aménagement
équitable des quartiers, l'accès équitable aux
technologies vertes etc. L'option de la théorie libérale
solidariste de la justice dans la résolution de la crise
écologique nous paraît efficace pour une raison bien
énoncée par P. Van Parijs (1991, p. 278) :
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Le pluralisme interne aux diverses nations continue de
s'approfondir, de se révéler, de s'affirmer, rendant toujours
plus illusoire l'espoir de régler les conflits par l'appel à une
conception englobante de la société bonne appuyée sur une
tradition partagée par l'ensemble de la communauté nationale.
Vis-à-vis à cette évidence, pour que
notre environnement devienne toujours plus viable et les
inégalités environnementales atténuées
indépendamment de la complexité des enjeux politiques, il
faudrait veiller à une distribution réfléchie des
qualités environnementales qui ne seraient en aucun cas entamée
par les tourbillons politiques. D'où la place de la vulgarisation du
débat écologique et de la croissance de l'harmonie du corps
politique. Bref, la participation reste nécessaire dans la
résolution de la crise écologique.
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