6.1- Les fondements de la responsabilité envers
les générations futures
L'engagement pour les générations futures trouve
son fondement dans la prise de conscience des impacts négatifs du
développement sur la nature et donc des dangers potentiels qu'engendrent
les activités humaines sur la vie des générations
présentes et futures. Précisément ce fut au XIXe
siècle que ces préoccupations font surface et prennent
définitivement forme au XXe siècle avec le Club de Rome qui
proclame « la croissance zéro ». C. Gollier (2010, p. 218)
écrit:
Pendant des dizaines de milliers d'années, les
activités humaines n'avaient qu'un impact marginal sur l'environnement.
Le cycle de la vie semblait se répéter de façon immuable :
les historiens nous ont appris que la croissance économique a
été quasiment nulle entre le néolithique et le
début du XIX siècle. Ainsi l'être humain n'a-t-il pu
développer une conscience de sa responsabilité envers les
générations futures que fort récemment, dès lors
qu'il a pris conscience du fait que son développement rapide risquait de
se faire au détriment de celui des générations à
venir.
Notons que si chez C. Gollier (2010) la question des
générations futures se justifie par la prise de conscience des
dommages causés à la nature par les activités anthropiques
et dont les répercussions menacent déjà les
générations présentes et à venir par la suite, ce
qui est qualifié d' « éthique traditionnelle » par H.
Jonas (1990); d'après ce dernier, le souci des générations
futures se justifie par « un comportement parfaitement
désintéressé face à une progéniture non
encore autonome et non le rapport entre adultes autonomes » (H. Jonas,
1990, p.88). Mais, cette nouvelle configuration de l'éthique qu'apporte
H. Jonas (1990) qui prétend transcender le souci des conséquences
néfastes de l'industrie, a pourtant partie liée avec ces
dernières. Car même si H. Jonas (1990) parle du
désintérêt comme fondement de la responsabilité, le
concept de « responsabilité» a émergé dans le
contexte de la crise environnementale contemporaine et se comprend en tant que
« panacée» du long terme dans un contexte où la
révolution scientifique, augmentant l'impact de l'homme sur la nature et
les conséquences à long terme, implique des préoccupations
qui dépassent l'ordre de l'immédiateté d'où A.
Moroncini et B. Ouchene (2016, p.10) affirment:
Voilà donc que nous apparaissons désormais
responsables, ou du moins coresponsables, d'une action collective dont les
développements et les effets nous sont largement inconnus ; voilà
que se trouve brisé le cercle de proximité qui m'obligeait
seulement à l'égard du proche et du prochain, et distendu le lien
de simultanéité qui me faisait comptable des effets
immédiats, ou à tout le moins voisins, des actes que je posais
aujourd'hui.
Bien que le souci pour les générations futures
s'apparente au souci que se fait un parent pour son enfant, il faudrait noter
une différence entre ces deux responsabilités. En effet,
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la responsabilité d'un parent face à son enfant
qui vit déjà avec ses droits qui font face aux devoirs du parent
à son égard est parfaitement fondée du fait que le parent
est l'auteur direct de la vie de l'enfant et est par conséquent tenu par
devoir moral d'en prendre soin. H. Jonas (1979, p.89) écrit:
L'obligation de prendre soin de l'enfant que nous avons
engendré et qui existe maintenant se laisse parfaitement fonder,
même sans recourir à la stimulation du sentiment sur la base de la
responsabilité effective contractée du fait que nous somme
l'auteur de son existence et ensuite du droit qui appartient
maintenant à cette existence - donc en dépit de la
non-réciprocité elle découle du principe classique des
droits et des obligations bien que dans le cas présent ceux-ci soient
unilatéraux.
Le souci pour les générations futures se
distingue de celui pour de la progéniture directe ou mieux de celle d'un
père pour son enfant du fait qu'ici, les générations
futures dont il est question ne sont pas encore effectives et de
surcroît, tout le monde est obligé d'en être auteur et donc
responsable; c'est dans ce contexte que se justifie le
désintérêt vis-à-vis des générations
futures que nous avons souligné plus haut. C'est de cette
responsabilité qu'il s'agit quand on parle de la responsabilité
envers les générations futures. H. Jonas (1979, p.89)
renchérit:
Mais autre chose que l'obligation résultant du fait
d'être auteur d'une existence qui nous fait face avec ses droits,
serait l'obligation de devenir auteur, d'engendrer des enfants, celle
de la procréation en tant que telle: si elle existe, cette obligation
est incomparablement plus difficile à fonder et en tout cas elle ne peut
pas être fondée sur le même principe (...) or c'est d'une
obligation de ce type qu'il s'agit avec l'obligation à l'égard de
l'humanité future, car elle veut dire en premier lieu que nous avons
l'obligation de l'existence de l'humanité future - indépendamment
même de la question de savoir si notre propre postérité en
fait partie- et en second lieu il s-agit de l'obligation de son
être-tel.
Ce devoir nous incombe, nous générations
présentes car nous sommes les héritiers de nos
prédécesseurs et il est pour nous un devoir de garantir un avenir
meilleur à ceux qui viendront après nous. Désormais, tel
que S. Ferrari (2010, p.6) le note: « la responsabilité trouve
maintenant sa source dans le futur et non plus dans des obligations
passées ou présentes ». Et cette responsabilité passe
obligatoirement par la diminution de l'ampleur de nos activités qui
dégradent l'environnement et la régulation des
inégalités. Tel qu'elle le dit:
L'origine de ce changement d'éthique réside dans
les menaces issues de la puissance de la technologie engendrée par
l'homme. La limitation de l'agir humain résulte de l'obligation que nous
avons à l'égard de l'avenir qui nous oblige à être
responsable aujourd'hui (...) Dans un tel contexte, la nature de la
responsabilité est directement liée au pouvoir de l'agir humain
devenu dangereux pour l'espèce humaine du fait de la puissance de la
technique qu'il a créée. L'homme contrôle la nature
à l'aide de techniques qu'il ne contrôle pas. L'exemple le plus
marquant est celui révélé par l'impact d'origine
anthropique sur le climat, exemple qui révèle l'incapacité
des sociétés à assurer leur responsabilité en
matière environnementale. (S. Ferrari, 2010, p.6).
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L'agir humain dont il urge de limiter l'impact sur
l'environnement a pour conséquence, la dégradation du capital
naturel nécessaire à la satisfaction des besoins des
générations futures conduisant, au cas contraire, à une
injustice environnementale. C'est fort de cette évidence qu'il faudrait
sacrifier les générations présentes, sacrifice bien
sûr au sens de S. Ferrari (2010, p.8): « s'il y a sacrifice au sens
de réduction de la consommation aujourd'hui». Dans le même
temps, avec le même auteur, cela implique de revoir
l'interprétation de la durabilité du développement: «
il s'agit en fait de considérer qu'il peut y avoir simultanément
non-décroissance du bien-être et décroissance de la
consommation pour les générations présentes les plus
favorisées ». Tout ceci, dans le souci de réduire
l'injustice environnementale car, la réduction de la consommation
entraine obligatoirement la baisse de la production et un gain pour la nature
et par conséquent une assurance pour les générations
futures dans la pleine réalisation de leur humanité. Bien que les
pays développés soient ici indexés, il faut aussi insister
sur la limitation des ardeurs consuméristes dans les pays en voie de
développement pour qui l'objectif est de ressembler aux pays
développés.
Le lien entre générations présentes et
futures n'est plus à démontrer; l'impératif jonasien :
« agis de façon que les effets de ton action soient compatibles
avec la permanence d'une vie authentiquement humaine sur terre» (IT.
Jonas, 1990, p.89) le résume; ceci implique également un
engagement de la part des politiques qui doivent aussi oeuvrer à cette
fin.
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