Partie III:
Revitalisation de la durabilité par la
justice
environnementale participative
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Malgré l'inefficacité du développement
durable face aux enjeux politico-économiques, éthiques et
sociaux, nous avons un devoir vis-à-vis des générations
futures; ce devoir est celui de leur léguer un environnement aussi
viable que le notre et capable de répondre à tous leurs besoins.
Ce faisant aucun obstacle ne peut constituer une barrière à
l'atteinte de cet objectif d'où la nécessité de
revitaliser le développement durable par la justice environnementale
participative qui est un appel à une action unifiée en faveur des
qualités environnementales. Telle est la quintessence de cette
troisième partie scindée en trois chapitres.
Au chapitre 5 intitulé repenser la
durabilité, il sera question, en tirant leçon des
difficultés actuelles du développement durable, de repenser son
articulation et son déploiement. Au chapitre 6 intitulé la
responsabilité: fondement de la justice environnementale, notre
travail a consisté à rappeler la place
prépondérante de la responsabilité dans le débat
écologique; car sans elle, la durabilité laissée à
elle-même n'est pas opératoire et ne mènera à aucun
résultat satisfaisant. Enfin le chapitre 7 intitulé la
justice environnementale participative: condition de possibilité de la
durabilité, met l'accent sur la participation qui est une
conséquence de la responsabilité; partant de la
responsabilité pour aboutir à la participation, ce chapitre pose
le fait que la durabilité tant voulue est conditionnée par la
participation.
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Chapitre 5 : Repenser la durabilité
5.1- Apprendre des sociétés
primitives
Une réflexion approfondie sur les contradictions du
développement durable et des défis environnementaux à
relever de nos jours, laisse voir que deux maillons sont essentiels pour
l'effectivité de la durabilité; ce sont: notre conception du
développement et notre gestion des déchets. Mais pour arriver
à bien manipuler ces deux leviers, la participation est
nécessaire; et la participation renvoie non seulement à un
accès aux instances de décisions mais aussi à une forme de
réappropriation d'espaces communs en s'inspirant, comme le note C.
Larrère (2017), de la façon dont certaines communautés se
sont organisées pour restaurer et garder des biens naturels communs.
Comme l'énonce E. Bonnefous (1973), Aujourd'hui, les
ressources énergétiques fossiles, les ressources minières,
le couvert végétal sont tous en grande décroissance alors
que les besoins de l'humanité eux sont toujours croissants; le
désert du Sahara avance chaque année de 1,5 à 10
kilomètres, chaque année un million d'hectare de sol sont
dévorés par les routes, les usines et les villes, la
température terrestre augmente et est à certains endroits du
globe déjà insupportable ; les glaciers fondent etc. d'où
nous avions posé la question de savoir quel modèle de
développement pourrait atténuer cet état inquiétant
de notre planète? Par développement nous n'entendons pas ici
l'aspect unilatéral de la croissance économique mais aussi et
surtout la qualité de la vie des populations en harmonie avec leur
milieu de vie; en d'autres termes, quel serait le modèle de
développement qui pourrait le mieux concilier la croissance
économique, la qualité de vie des populations et la protection de
l'environnement? J. Fourastié (1962) quant à lui posera la
question de savoir comment l'homme pourrait-il sortir de l'impasse dans
laquelle il se trouve étant donné qu'il ne dispose que de moyens
limités pour se situer dans un univers si mouvant ? Il écrit:
(...) Avec les moyens si infimes pour prendre conscience d'un
univers si mouvant, quelles conceptions de l'univers a-t-il pu et peut-il se
former? Que peut-il pour redresser ses erreurs inéluctables dans
lesquelles il est tombé, et pour réduire celles dans lesquelles
il tombe et tombera chaque jour? De quelles méthodes dispose-t-il pour
réduire ses servitudes? (J. Fourastié 1962, p.68).
Lors de son discours le 08 mai 2004, S. Le Peltier (2004)
affirmait: « si le monde entier vivait comme nous occidentaux, il nous
faudrait trois planètes»; tout ceci pour dire que le
développement tel que nous le percevons doit être redéfini.
E. Dronne et R. Morin (2016) rendent encore plus explicite le concept de
développement à travers leurs écrits en
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laissant voir que les religions et sociétés
dites primitives ont assez à apprendre au monde; ils écrivent
précisément:
Ces peuples profondément respectueux de la nature sont
conscients des enjeux environnementaux d'aujourd'hui. Leur mode de vie n'a pas
d'impact négatif sur l'environnement et pourtant ce sont eux les
premières victimes de la crise environnementale notamment avec la
déforestation. (E. Dronne et R. Morin, 2016, p. 10).
Basées le plus souvent sur le principe « les morts
ne sont pas morts », comme le note ces auteurs, ces sociétés
ont la croyance que les ancêtres continueraient à vivre sous
d'autres formes soit en d'autres hommes, sous forme de fantômes ou encore
dans certains animaux ou végétaux; cette conception biocentrique
du monde est au coeur de la vie de ces peuples. Cette croyance a permis
l'instauration d'une hygiène de vie basée sur l'harmonie avec
l'environnement. Le peuple Kayapo situé en Amérique du Sud est un
exemple frappant; tel qu'ils le disent toujours, vivant sur le principe «
puiser sans épuiser» (E. Dronne et R. Morin, 2010, p. 9), ce peuple
est fortement attaché à la nature de laquelle il tire toutes les
ressources nécessaires à sa vie sans porter atteinte à
l'harmonie de cet ensemble.
Marquées par le capitalisme, les sociétés
modernes quant à elles sont focalisées sur la rentabilité
économique et ses corollaires au détriment de l'équilibre
écologique. C'est frappé par ce phénomène que les
Indiens Cree affirmaient à l'égard des Américains au XIXe
siècle: « quand le dernier arbre sera abattu, la dernière
rivière empoisonnée, le dernier poisson capturé, alors
vous vous apercevrez que l'argent ne se mange pas » (Anon., 2015). La
concentration sur l'accroissement des richesses basées sur une
exploitation à outrance de l'environnement, se révèle non
durable d'où la nécessité pour nous de réapprendre
à vivre chez ceux qui ont renoncé à la consommation en
faveur de l'environnement et du bien-être de l'homme; autrement dit, nous
devons réapprendre le développement, développement ici
entendu comme une marche vers un changement de mentalité et des
institutions conduisant à la responsabilité écologique.
Dans cet ordre d'idée, l'un des moyens de prendre
connaissance des autres cultures qui ont réussi à vivre
jusqu'aujourd'hui en prenant à coeur le bien-être de
l'environnement, est le tourisme durable. Tourisme durable qui est l'un des
meilleurs moyens d'ouverture vers les autres cultures et tel que S. Camus, L.
Hikkerova et J. M. Sahut (2010) le notent, bien qu'étant
éloigné conceptuellement de la durabilité, le tourisme en
est néanmoins très proche car il est un canal de divulgation des
principes de la durabilité. En effet, les désaccords
recensés lors des différentes conférences sur
l'environnement et notamment dans la mise en
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oeuvre des clauses qui ont été adoptées,
ont montré que le changement de mentalité et l'adoption d'une
hygiène de vie durable passent par les individus pour progressivement
prendre une envergure mondiale et non l'inverse. C'est dans cette perspective
que le tourisme durable qui consiste à s'ouvrir aux autres
sociétés et à apprendre d'elles les valeurs qui nous
permettraient de participer à la sauvegarde de notre environnement,
apparaît comme un moyen efficace qui permet de concilier diversité
culturelle et développement durable.
Parler de tourisme durable signifie donc une ouverture, ou
mieux un émerveillement face à toute option pour la protection de
l'environnement et la prédisposition à en apprendre. Ceci
étant, le tourisme écologique, contrairement à la
conception classique du tourisme, peut se faire au sein d'un même pays
pourvu que la toile de fond qui est l'échange de connaissances en faveur
de l'environnement et d'une meilleure qualité de vie pour tous soit en
vigueur dans le but de l'élever à l'universel. L. Ferry (1993,
p.55) écrit:
L'écologie ne saurait cependant faire oublier que dans
les trois moments qui la composent, le particulier, l'universel et le
singulier, c'est bien le second, celui de l'arrachement, de la liberté
conçue comme transcendance, qui constitue l'espace proprement humain.
L'ouverture à l'universel et la disposition à
apprendre de lui est notre devoir aujourd'hui pour renverser l'élan de
la crise écologique. Nous ne pourrions vraiment être
développés que dans la culture d'une meilleure relation avec la
nature. De ce brassage naissent des idées complémentaires et
efficaces qui permettront de lutter efficacement pour rétablir
l'équilibre de la biosphère en l'occurrence par la lutte contre
les déchets.
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