De la critique de la durabilité pour une justice environnementale participative.par Tchilabalo Adjoussi Institut Supérieur de Philosophie et des Sciences Humaines Don Bosco (ISPSH Don Bosco) - Master ès-Sciences de l’Homme et de la Société 2018 |
4.2- Prise en otage de la durabilité par le PIBLa justice en tant que théorie, rappelons-le, prend sa source en Aristote (2001). Cette justice d'Aristote (2001), est essentiellement anthropocentrée et géographiquement limitée car l'objectif d'Aristote (2001) était de rendre possible le vivre ensemble dans la cité en régulant les rapports entre les hommes mais cette dernière ne prenant pas en compte les aspects environnementaux d'où son insuffisante à faire régner la justice. Notons donc avec D. Blanchon, S. Moreau et Y. Veyret (2009) que le mouvement de lutte pour la justice environnementale aux Etats-Unis prend ses sources dans les années 1980 et s'inscrivait dans le contexte du racisme écologique c'est-à-dire la construction des usines polluantes, le rejet des gaz toxiques et des déchets dans les agglomérations occupées par les populations pauvres dont les Noirs constituent la majorité. Cette lutte pour la justice environnementale revendiquait la nécessité de l'égalité des chances en ce qui concerne l'accès aux ressources naturelles et un partage équitable de la dette écologique. Nous inscrivant dans la logique de D. Méda (2009), toutes les avancées scientifique, technique et économique qui ont été faites lors de la révolution industrielle, une fois accumulées, ont été considérées comme une prouesse de la société moderne, prouesse qui doit se perpétuer pour un mieux-être toujours croissant de l'homme. En effet, le PIB est: Un indicateur économique qui permet de mesurer les richesses produites au sein d'un pays ou d'une zone géographique au cours d'une période déterminée. Calculer le PIB consiste à faire la somme des valeurs ajoutées des biens et des services produits au sein d'un pays ou d'une zone géographique par : les entreprises, les collectivités publiques, les associations, les ménages9. Cet indicateur, bien que servant à évaluer l'évolution quantitative d'un pays en termes de recettes, il n'arrive pas à évaluer son évolution qualitative. Précisément, le PIB ne parvient pas à évaluer l'état du développement durable d'un pays, ni le bien-être social ou individuel. N'étant outiller que pour des fins quantitatives, le PIB ne prend pas en compte les facteurs qui conduisent d'une manière ou d'une autre au bien-être qualitatif des populations et par analogie, de la planète. Certaines activités pouvant contribuer au bien-être individuel et collectif de la population ne sont pas prises en compte dans le calcul du PIB, notamment : 9Cette définition du Produit Intérieur Brut est tirée du lien suivant : https://www.lcl.com/guides-pratiques/zooms-economiques/pib-produit-interieur-brut.jsp. Consulté le 19 mars 2017.
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Or ces activités non prises en compte constituent les piliers du bien-être social notamment la cohésion, la convivialité, la sympathie, l'amour etc. En plein coeur du 21è siècle marqué par des questions axiologiques qui font appel à des jugements plus qualitatifs que quantitatifs, le PIB, expression par excellence de la croissance économique, semble être toujours en vigueur en contradiction avec les attentes contemporaines. En plus de sa faiblesse à rendre effectivement compte du rapport entre la croissance économique et le bien-être des populations, le PIB englouti toutes les préoccupations environnementales puisqu'il demeure encore l'indicatif de classification des nations. Trois principales raisons discréditent le PIB ; M. Brezzi, L. De Mello et É. Laurent (2016, p.13-14) notent: Le PIB, comme les indicateurs économiques conventionnels dont il est l'étendard, perd à grande vitesse sa pertinence dans notre début de 21e siècle pour trois raisons fondamentales. Tout d'abord, la croissance économique « quantitative », si forte dans les décennies d'après-guerre (1945-1975), se dissipe peu à peu dans les pays développés et devient en conséquence un objet de poursuite de plus en plus vain pour les politiques publiques. Ensuite, le bien- être objectif et subjectif - c'est-à-dire ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue - est de plus en plus déconnecté de la croissance économique. Enfin, le PIB ne nous dit rien de la soutenabilité environnementale, c'est-à-dire de la compatibilité entre notre bien-être d'aujourd'hui et la vitalité à long terme des écosystèmes dont il dépend en dernier ressort, alors que c'est à coup sûr l'enjeu majeur de notre siècle. Mais hélas, le PIB reste toujours en vigueur entrainant des conséquences de plus en plus alarmantes pour l'environnement. D. Méda (2009, p.2) écrit précisément: De fait, à partir de la révolution industrielle, les conséquences des immenses forces mises au service de la mise enforme de la Nature pour l'usage de l'homme ont été systématiquement comptabilisées et représentées comme un « plus », comme un progrès, sans que les destructions opérées sur des équilibres préexistants, sur la Nature, et pendant longtemps sur les hommes eux-mêmes, aient fait l'objet de considération ou aient été prises en compte. Ce sont ces deux processus dont il nous faut saisir la dynamique : la focalisation de l'ensemble des énergies sur l'activité de production, d'une part, et l'occultation du négatif, d'autre part. 10Ces aspects ignorés par le PIB, nous ont été accessibles grâce au lien http://www.associations.gouv.fr. Consulté le 19 mars 2017. Ici, nous avons voulu insister sur l'inefficacité du PIB en mettant au jour tous les aspects qu'il ignore. Cette ignorance, ou mieux cette non prise en compte des valeurs des activités domestiques et bénévoles montrent combien de fois les estimations de développement des pays sont faussées et aussi combien cet indicateur n'est pas digne de confiance. 48 De ce constat, il semble évident que les indicateurs de bien-être devront prendre le dessus sur ceux de la croissance économique. La mission des indicateurs de bien-être et de la qualité de vie des populations sera de « mesurer pour comprendre, assurément, mais aussi et surtout mesurer pour changer, évaluer pour évoluer» (M. Brezzi, L. De Mello et É. Laurent, 2016, p.13-14). Substituer le PIB par les indicateurs de bien-être, a pour finalité d'évaluer la qualité de vie des populations cette fois-ci non seulement dans les Etats-Nations mais aussi sur les territoires en tant que villes, départements, métropole ou encore régions, bref dans les communautés de vie humaine afin de donner à tous les moyens de travailler à son bonheur dans le plus grand respect de l'environnement. Ainsi qu'ils le disent: Des travaux menés dans le contexte de l'Union européen ne révèlent de la même manière que les écarts entre territoires peuvent être bien plus importants que les écarts entre les pays. On peut l'illustrer avec le cas des taux d'emploi en Italie et au Canada. Ces deux pays sont respectivement les pays de l'OCDE où les taux d'emploi sont les plus faibles et les plus élevés. Or les écarts entre les régions de ces deux nations sont bien plus significatifs que l'écart entre les deux moyennes nationales (l'écart des taux d'emploi entre les deux pays est de 15 points de pourcentage, mais il est de 21 points entre les régions italiennes et de 32 points entre les régions canadiennes). Savoir où le bien-être économique - ici la possibilité d'accéder à un emploi - est le meilleur est tout simplement impossible en se tenant trop loin des conditions réelles de vie des personnes, en partie déterminées par les territoires qu'elles habitent. (M. Brezzi, L. De Mello et É. Laurent, 2016, p.18). En nous montrant l'erreur de la qualification des pays sur la base du PIB, ces auteurs nous montrent d'autre part l'inefficacité du PIB à rendre effectivement compte de la réalité sur le terrain notamment de la qualité de vie des populations à l'intérieur des territoires supposés en pleine croissance économique. Plutôt que de continuer à nous tromper, il urge de faire la mutation du PIB, vers le BNB qui est le Bonheur National Brut et qui rend mieux compte de ce qui est plus important pour l'homme à savoir le bonheur. Les indicateurs du mieux-être convergent donc à évaluer le bonheur dans la logique du Bonheur National Brut. M. Brezzi, L. De Mello et É. Laurent (2016, p.19) écrivent: (...) Ces considérations statistiques nous dévoilent deux réalités essentielles : d'une part, la carte du PIB par habitant ne coïncide pas en France avec celle du développement humain, autrement dit les régions les plus riches économiquement ne sont pas nécessairement les plus développées humainement; d'autre part ,les dimensions non monétaires du développement humain, la santé et l'éducation ,ne «découlent» pas du revenu: il faut donc des politiques spécifiques qui prennent ces enjeux à bras le corps car le simple fait d'être riche ne suffit pas pour être bien éduqué et en bonne santé, ou riche humainement. Bien que la nécessité de la mutation du PIB en d'autres indicateurs de bien-être saute aux yeux, la durabilité tarde encore à se concrétiser. Le PIB avec toutes ses implications sur 49 l'environnement demeure encore l'indicateur conventionnel du niveau de richesse d'un pays ou d'une région; impliquant le manque de la promotion du Bonheur National Brut (BNB), indicateur de bien-être. |
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