Chapitre 4 : La durabilité entre idéal et
fait
4.1- La durabilité et la complexité de
l'espace sociétal
Le développement durable en tant que « projet de
société, choix pour la vie bonne et en commun sur Terre» (D.
Pestre, 2011, p.32), arrive à point nommé dans un contexte de
remise en cause du modèle de développement amorcé par
l'humanité depuis le XVIIIème siècle et dont les
conséquences laissent à désirer de nos jours.
Systématisé par le rapport Brundtland, les implications des
principes stipulés pour la mise en oeuvre de ce projet de
société mettent en exergue le fait, tel que l'écrit D.
Pestre (2011, p.34): « qu'il peut ici exister un grand fossé des
promesses aux réalisations, des mots aux choses ». Cette situation
qui handicape gravement l'évolution ou mieux la mise en oeuvre effective
et efficace des principes de la durabilité, laisserait dire que le
développement durable reste un idéal.
Par idéal, nous entendons ici ce que l'on pourrait
souhaiter de mieux, ce qui est une construction de l'esprit et qui n'existe pas
dans la réalité. C'est justement en ses principes que le
développement durable pèche car il a une vision homogène
de la vie et propose en conséquence une logique
d'homogénéisation des actions durables. Or la
réalité de nos sociétés est
l'hétérogénéité dans les valeurs, les
orientations, quelques fois même contradictoires. D. Pestre (2011, p.33)
écrit:
La situation à laquelle ce projet de
développement durable fait face est que les sociétés dans
lesquelles il s'inscrit ne sont pas réglées par le principe
unique qu'il met en avant, mais par des principes, des intérêts et
des modes de déploiement contradictoires et nombreux.
. C'est en ce sens que l'on peut comprendre l'attitude du
Brésil par rapport aux idéaux
environnementaux ; pays ayant abrité « le sommet
de la terre » et doté d'outils pour mettre en pratique les
résolutions qui en ont découlé afin d'être pays
pilote du développement durable a échoué. Le Plan
d'Accélération de la Croissance (PAC) lancé par la
présidente Dilma Rousseff vingt ans après « le sommet de la
terre » témoigne une fois encore de la complexité de
l'application des recommandations du développement durable. C. Aubertin
(2012, p.46) écrit:
La posture du Brésil est paradoxale. Il apparaît
comme un défenseur et un excellent médiateur de la cause
environnementale sur la scène internationale. Il possède des
outils de conservation exemplaires (code forestier, système national des
unités de conservation, veille satellitaire, etc.), Alors que sa
pratique est controversée quant à l'application de ces outils,
les droits de ses populations indigènes et la violence entretenue par
les propriétaires terriens -les fazendeiros réunis sous la
bannière des « ruralistes ». Depuis l'arrivée à
la présidence de Dilma Rousseff, initiatrice du très
productiviste Plan d'Accélération de la Croissance (PAC), on
observe une nette remise en cause des acquis environnementaux.
La configuration de nos sociétés actuelles
dominées par les intérêts politiques, constitue un frein au
développement durable ; autrement dit, le développement durable
tel que
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stipulé par le rapport Brundtland, n'est pas
adapté à la configuration de nos sociétés. En plus
de cette logique hétérogène de nos sociétés
à laquelle se confronte la logique homogène du
développement durable, s'ajoute la dimension de la temporalité.
En effet, l'organisation économique de nos sociétés est
marquée par le court terme; un investissement ne se voit
généralement récompensé que lorsque les gains
s'accumulent de façon rapide après l'investissement. Dans le cas
des actions marchandes, les produits doivent être sur le marché
mondial afin d'accroitre les chances de consommation massive au dépend
de l'environnement, conduisant à la multiplication des moyens de
transport plus consommateurs les uns des autres en énergie. Cette
logique de rapidité ici caricaturé et qui est le modèle de
la plupart de nos sociétés, fait désormais face à
la logique de la durabilité qui préconise un rythme de
développement à « la vitesse de la nature» afin
d'incorporer au maximum nos activités dans l'équilibre
écologique. D. Pestre (2011, p. 33) réitère:
La seconde tension relève des différences de
temporalité de ces deux univers. Le premier a une logique d'action
à court terme - ce qui importe est le retour rapide sur investissement
ici et maintenant, la protection des intérêts bien compris des
États, des individus et des entrepreneurs et ses critères
d'évaluation ne sont pas de l'ordre d'un bien commun abstrait, mais les
avantages particuliers qui peuvent être obtenus pour soi.(...) Et comme
les avantages et inconvénients de ces nouveautés sont loin
d'être jugés de la même façon partout un chacun -
Quels sont les effets négatifs des OGM, if any? Assiste-t-on
à un réchauffement de nature essentiellement anthropique ? -
cette asymétrie temporelle est un handicap pour la précaution.
Ces différentes logiques sont celles qui remettent en
cause le développement durable tel que stipulé par le rapport
Brundtland. Toutes ces contradictions qui rendent presque impraticables les
principes du développement durable, laissent croire que le
développement durable est un oxymore; D. Pestre (2011, p.34)
écrit:
Un oxymore qui a été utile au moment du rapport
Brundtland pour dire l'importance de tenir ensemble des questions sociales,
questions de développement et questions environnementales, qui est utile
en lui-même dans de nombreuses situations, qui est utile par les
institutions qu'il permet de secréter, mais un oxymore tout de
même puisqu'il masque ou feint d'ignorer la complexité des
situations, les tensions inévitables propres à tout univers
social.
Tel est le développement durable dans ses
différentes articulations et les contradictions qui le
discréditent dans la sphère sociale. Ceci pose donc la question
de savoir si l'on devrait faire tabula rasa de la durabilité eu
égard à cet environnement complexe dans lequel il s'insère
ou brandir toujours plus haut cet idéal mais en modifiant la
méthodologie de son application? Mais bien avant de répondre
à cette question cruciale, il importe de noter que, même si la
durabilité telle que nous la connaissons communément par le
truchement du rapport Brundtland, semble irréalisable dans ses
principes, elle demeure néanmoins l'orient de
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l'humanité; sauf qu'il faudrait, pour l'atteindre,
faire assez d'efforts de renonciation de notre confort actuel.
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