Partie II:
Evaluation critique de la durabilité
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En vue de pallier tous les dérèglements
environnementaux qui mettent en danger la pérennité de la vie sur
terre, et dont nous avons fait allusion dans la première partie de ce
travail, la durabilité est apparue comme une solution qui permettrait
à coup sûr de rétablir le déséquilibre aussi
bien environnemental que social perdu. Force est alors de constater que
malgré les dangers courus par notre planète à cause d'un
rythme de développement en déphasage complet avec celui de la
restauration de la nature par elle-même, la durabilité peine
à tenir ses promesses plus d'un quart de siècle après son
adoption. Cette problématique est au coeur de cette seconde partie de
notre travail intitulée : évaluation critique de la
durabilité.
Notons que la critique de la durabilité dont il est
question, n'est pas un reniement complet de la durabilité mais une
critique d'une certaine logique du développement durable
caractérisé par une forte institutionnalisation qui n'implique
pas les populations victimes des dérèglements environnementaux.
Les difficultés qu'éprouve la durabilité dans un tel
contexte sont d'origines diverses à savoir les contradictions
définitionnelles, éthiques, politico-économiques, le tout
conduisant à un pessimisme sur la concrétisation de la
durabilité. C'est dans cette logique que cette seconde partie de notre
travail est subdivisée en deux chapitres. Dans le chapitre 3
intitulé les contradictions internes de la durabilité,
il sera essentiellement question de rappeler les différentes causes
de l'inefficacité de la durabilité. Dans le chapitre 4
intitulé la durabilité entre idéal et fait, il
s'agir pour nous de mettre au jour les implications d'un tel état de
fait de la durabilité.
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Chapitre3 : Les contradictions internes de la
durabilité
3.1- Les contradictions définitionnelles de la
durabilité
Vulgarisé par « le sommet de la terre », le
développement durable est devenu le fondement de la plupart des discours
politiques. Repris sur les médias sans cesse, ce concept ne cesse
d'être au coeur de tous les débats sociaux à tel point que
l'on pourrait l'identifier, comme le note D. Pestre (2011), à
l'idéologie du XXIe siècle qui s'exprime à travers les
énoncés de principes comme « la bonne gouvernance »,
« la transparence », « les partenariats
public-privé» etc. Cet élargissement du développement
durable à tous les domaines s'explique par un flou conceptuel qui,
empêchant de cerner clairement l'approche opératoire de la
durabilité, laisse comprendre ce concept de travers compromettant ainsi
son efficacité. D'après le Ministère de l'Écologie,
de l'Énergie du Développement durable et de l'Aménagement
du territoire français (2009, p.14):
John Pezzey de la Banque mondiale en recensait 37 acceptions
différentes et dès le départ, (...), le
développement durable, cet oxymore, contient en lui-même ses
divergences, pour ne pas dire ses contradictions : pour les uns, c'est un
développement respectueux de l'environnement, pour les autres
l'important est que le développement tel qu'il est puisse durer
indéfiniment.
J. Villancourt (1998) note par ailleurs que si le
développement durable prend assez d'ampleur et s'adapte à tout
discours, c'est parce qu'il a été dénué de son sens
initial et ce, à cause d' « un nombre impressionnant de
définitions sectorielles du développement durable ». Il
suffit de jeter un coup d'oeil sur lesdites définitions pour se rendre
compte des différentes priorités que toutes revendiquent au nom
du développement durable ; ainsi qu'il le dit:
Écodéveloppement (« Environment ally sound
development ») Maurice Strong et Ignacy Sachs. Concept qui désigne
un type de développement intégré qui tient compte des
contraintes écologiques et du long terme, un développement
socio-économique écologiquement viable. Développement
autre ou société de conservation.
Fondation Dag Hammarsköld, Kimon Valaskis, Edward
Goldsmith et Société Royale du Canada proposait un autre type de
développement confiant en soi, endogène, centré sur les
besoins réels, en harmonie avec la nature et ouvert au changement
institutionnel.
Développement durable (axe conservation), PNUE, FMN,
FAO, UNESCO, Stratégie mondiale de la conservation (SMC). Le
développement durable est défini comme la modification de la
biosphère et l'emploi de ressources humaines, financières,
vivantes et non vivantes, pour satisfaire aux besoins des hommes et
améliorer la qualité de leur vie. Pour assurer la
pérennité du développement, il faut tenir compte des
facteurs sociaux et écologiques, ainsi que des facteurs
économiques, de la base des ressources vivantes et non vivantes, et des
avantages et désavantages à long terme et à court terme
des autres solutions envisageables.
Développement durable - Déclaration de Rio
(Déclaration adoptée par les représentants de 170 pays en
1992). La déclaration stipule que le développement durable est
centré sur le droit des
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êtres humains à une vie saine et productive en
harmonie avec la nature, et que le droit au développement doit
être réalisé de façon à satisfaire
équitablement les besoins relatifs au développement et à
l'environnement des générations présentes et futures (J.
Villancourt 1998, p. 26).
Si nous optons pour la définition la plus
répandue du développement durable qui est celle de la Commission
Mondiale de l'Environnement et du Développement (CMDE) :« Le
développement durable est un développement qui répond aux
besoins du présent sans compromettre la capacité des
générations futures de répondre aux leurs », nous ne
sommes pour autant pas éloignés des contradictions liées
à ce concept; car ici encore, au coeur de la durabilité, une
tension très forte existe encore entre la durabilité forte et la
durabilité faible. D. Bourg (2012, p.4) écrit:
La durabilité faible, telle qu'elle est définie
par Robert Solow, c'est l'idée que la destruction du capital naturel -
qui découle immanquablement de nos activités économiques-
peut être compensée par la création de capital
reproductible et donc de technologies diverses. Ce n'est ni plus ni moins que
la conception propre de ce que l'on appelle l'économie
mainstream. L'un des sens du développement durable, c'est donc
l'absence de développement durable, le retour au statu quo
ante!
La durabilité forte, c'est l'idée contraire :
à savoir celle selon laquelle une grande part du capital naturel n'est
pas technologiquement substituable et donc remplaçable par des
technologies. Le développement durable signifie donc une chose et son
contraire (...)
Cette difficulté définitionnelle est la
faiblesse fondamentale de la durabilité. De cette confusion naît
une inefficacité dans la régulation des inégalités
environnementales qui ne sont pas non plus privées de confusion. En
effet, dans la gestion des inégalités environnementales, l'on est
également partagé entre d'un côté, oeuvrer à
l'égalité des bien environnementaux comme l'aménagement
équitable des espaces verts des éco-quartiers; et de l'autre
côté, les inégalités sociales qui nécessitent
un plan stratégique efficace; deux responsabilités colossales
dont l'étreinte simultanée semble impossible. Une tâche
ardue à laquelle sont confrontées les politiques
environnementales.
La presqu'inertie de la durabilité depuis la
conférence de Rio s'explique donc par ce manque de précision dans
les objectifs et les méthodes permettant d'aller à une
société vraiment durable. Ceci justifie l'idée de D.
Pestre (2011) selon qui, le ralliement précipité des grandes
institutions telles la Banque mondiale, les institutions du consensus de
Washington, les politiques et les entreprises aux idéaux du
développement durable se comprend par le fait que le
développement durable est vague et elles ne perdraient rien en
s'alliant, bien au contraire, elles gagneraient plus de notoriété
en affirmant être au service d'un monde meilleur.
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Cette faiblesse théorique du développement
durable se fait remarquer aussi dans le rapport Brundtland qui donne une
liberté sans précédent aux différentes
autorités politiques de faire l'option des stratégies durables
qu'elles pensent bénéfiques à long terme pour elles. Cette
lassitude accordée complique la coordination mondiale des progrès
dans les efforts pour la protection de l'environnement et peut constituer une
excuse pour les pays retissants. Le rapport Brundtland stipule: « Nous
n'avons pas de cadre strict à imposer ; nous nous contentons d'indiquer
une voie qui permettrait aux peuples de la Terre de multiplier les
sphères de coopération».
Tel est le manque de précision dans les orientations du
développement durable. Dans la même perspective, dans le bilan
dressé par Francesco di Castri (2000), président du Comité
de l'UNESCO pour le suivi de la conférence de Rio, repris par J.
Villancourt (1998), il ressort que la démotivation des gouvernements
dans les efforts pour le développement durable s'explique par un manque
d'objectifs concrets dans l'option d'une direction claire à suivre. La
conséquence directe d'un tel état de choses est le manque de
financement des initiatives durables, il fait remarquer en outre que l'on n'a
pas encore amorcé la marche vers la conciliation entre le
développement et la durabilité. J. Villancourt (1998, p.6)
note:
Elle est marginalisée le plus souvent dans les
ministères de l'Environnement, eux-mêmes marginalisés au
sein de leurs gouvernements. Le développement durable est de leur
ressort, tandis que l'autre développement est suivi par les bien plus
puissants ministères des Finances, avec le plus souvent un net clivage
entre les deux. Même dans le cadre de l'Organisation des Nations Unies
qui ne peut que refléter la situation des pays, un fossé
infranchissable sépare la Commission pour le développement
durable ou le Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE) du Fonds
monétaire international (FMI) ou de l'Organisation mondiale pour le
commerce. »
Ces contradictions définitionnelles de la
durabilité constituent un handicap à la mise en oeuvre de ce
paradigme de développement. Ces contradictions entrainent avec elles des
désaccords politique et économique.
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