2.3- La durabilité: un développement
tridimensionnel
Les difficultés écologiques soulevées par
les deux siècles de développement ont entrainé un
mouvement mondial de lutte pour la cause de l'environnement; lutte qui combine
à la fois le développement et la durabilité: « le
développement durable ». Ce nouveau paradigme de
développement des peuples, se veut plus qualitatif que quantitatif, une
façon de renverser les conceptions traditionnelles qui identifiaient le
développement à la croissance économique; c'est ce que D.
Méda (2012) met en exergue en insistant sur le fait que le PIB, ancien
indicateur du développement, est à contrasté car il
n'évalue que les flux économiques positifs sans évaluer
les inégalités qui règnent souvent dans les
sociétés, ni les conséquences environnementales le plus
souvent désastreuses. De ce fait, se fiant au PIB, l'on pourrait
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décréter qu'un pays est développé
pourvu qu'il atteigne un seuil donné de rentabilité
économique, faisant fi des inégalités sociales et de la
dégradation environnementale inhérente à la croissance
économique. C'est pour donner une réponse efficace à
toutes ces ignorances que le développement durable se veut
établir un nouveau rapport
économie-environnement-société; et comme le stipule le
rapport Brundtland (1987, p.35) :
Environnement et développement ne sont pas deux
défis distincts; ils sont liés inexorablement. Le
développement ne peut se maintenir si la base des ressources ne fait que
se détériorer; l'environnement ne peut être
protégé si la croissance ne tient pas compte du cout de la
destruction de l'environnement. Ces problèmes ne peuvent être
traités séparément dans le cadre d'institutions et de
politiques fragmentaires. Ils sont imbriqués dans un système
complexe de causes et d'effets.
Le terme « durabilité » qui est souvent
affecté pour désigner le développement durable est un
concept apparu bien après le rapport Brundtland notamment en 1990 et qui
renvoie à l'ensemble des alternatives pour pérenniser la vie
humaine sur terre notamment l'articulation
économie-environnement-société; ce faisant, nous pouvons
dire que la durabilité est la quintessence du développement
durable. Le soubassement de la durabilité est une philosophie de la
finitude; selon D. Bourg (2012, p.10) : « la philosophie de la
durabilité est au contraire une philosophie de la finitude, laquelle est
inséparable d'une réflexion sur les limites des technologies
(...) et doit se déployer dans un contexte radicalement nouveau » ;
bien que ce dernier semble inscrire la durabilité dans un débat
authentiquement technologique, il rejoint le débat originel sur le
développement durable en affirmant que le débat sur la
durabilité doit s'inscrire dans un contexte nouveau par rapport à
la conception classique du développement. Ce qui laisse comprendre que
le concept de durabilité n'est rien d'autre que la substance du
développement durable; B. Ouchene et A. Moroncini (2016, p.9)
écrivent: « la durabilité se définit comme
étant un « développement qui répond aux besoins du
présent sans compromettre la possibilité, pour les
générations à venir, de pouvoir répondre à
leurs propres besoins». C'est la dimension spatio-temporelle de
l'activité économique. Elle impose une obligation, un devoir et
une continuité ». Bref la durabilité n'est que
l'abréviation du développement durable apparue en 1990, peu
après le rapport Brundtland.
Pour mieux comprendre le développement durable, il
serait avantageux de clarifier les mots qui le composent. J. Villancourt (1998,
p.6) note:
D'une part, le mot « développement »
évoque l'esprit d'entreprise et d'initiative qui doit
caractériser, au-delà des ensembles de l'industrie, du commerce
et des services, chaque individu tout au long de sa vie s'il veut rester digne,
et encore selon une expression inspirée de Malraux, d'avoir vécu
jusqu'à sa mort. Le développement, c'est l'ouverture de nouveaux
espaces de liberté, le goût du changement et du risque en tant que
facteur de stimulation et
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d'innovation, la création artistique et scientifique.
C'est tout le contraire de la stagnation, de la passivité, de la
résignation.
D'autre part, le qualificatif « durable » recouvre
les espaces de participation et de solidarité avec les autres, proches
et lointains, connus et inconnus, les générations futures, la
nature. C'est l'aspiration sécuritaire et identitaire, la
prévoyance et la défense du patrimoine naturel et culturel. Ses
valeurs sont la dignité, le respect, l'équité et le droit
social. C'est tout le contraire de l'indifférence et du mépris
d'autrui.
De façon succincte, la durabilité revient
à concilier le développement socio-économique et le
respect de la nature. Le rapport Brundtland affirme:
Dans son esprit même, le développement durable
est un processus de transformation dans lequel l'exploitation des ressources,
la direction des investissements, l'orientation des techniques et les
changements institutionnels se font de manière harmonieuse et renforcent
le potentiel présent et à venir permettant de mieux
répondre aux besoins et aspirations de l'humanité7.
Cette recherche d'harmonie, a commencé par hanter le
monde intellectuel depuis la conférence de Stockholm en 1972 en
réaction au concept de « croissance zéro» du club de
Rome. Le développement durable continuera à se clarifier à
travers la Stratégie Mondiale de la Conservation (1980), la Commission
Mondiale des Nations Unies sur l'Environnement et le Développement CMED-
Rapport Brundtland (Notre Avenir à tous) en 1988, la Stratégie
pour l'Avenir de la Vie en 1991 et la déclaration de Rio en 1992.
Sur le plan social, le développement durable consiste
à atténuer voire éradiquer les injustices
environnementales par la satisfaction des besoins de tous passant par la
protection de l'environnement et l'investissement dans la réparation des
qualités environnementales; l'objectif de cette démarche est
d'accroître la qualité de vie des membres de la
société par la possession des structures nécessaires
à cette fin. En ce qui concerne l'aspect social du développement
durable, le rapport Brundtland (1987, p.36) dit: «
Ainsi, toute nouvelle approche du problème doit
comporter des programmes de développement social en vue notamment
d'améliorer la condition des femmes, de protéger les groupes
vulnérables et d'encourager la participation des échelons locaux
à la prise de décision.
Ainsi dit, la notion de « besoins» dans ce contexte,
nécessite une clarification car le rapport Brundtland n'explique pas
assez ce concept qui pourtant reste très important dans le processus
d'amélioration des conditions de vie des populations. S. Ferrari (2010,
p.3) énonce:
L'exigence de durabilité ici repose sur une
équité intergénérationnelle à contenu
restreint, c'est-à-dire qui n'engage les générations
présentes à l'égard des générations futures
que pour garantir la couverture des besoins de base dans la perspective de
maintenir dans le temps un niveau de bien-être non décroissant, et
rien de plus.
7Rapport Brundtland, 1987, p. 42.
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Quant à J. Villancourt (1998, p.7): « la
qualité de vie est une notion qui varie d'une société
à l'autre»; en d'autres termes le développement durable ne
vise pas une harmonisation des styles de vie à travers la planète
mais plutôt une qualité de vie propre à chaque
société et qui se base sur la possession des structures
indispensables à la satisfaction des besoins et la capacité de
les entretenir dans le stricte respect de l'environnement, d'où la
notion de justice environnementale que nous éclaircirons plus loin;
ainsi qu'il le note:
Pour promulguer cette qualité de vie à ses
membres, la société doit satisfaire les besoins des individus qui
la composent dans une perspective de pérennité tout en s'assurant
de posséder (ou de se donner) les structures et la capacité d'y
répondre (...) La qualité de vie humaine passe donc par la
satisfaction des besoins essentiels et conséquemment, un minimum de
consommation est nécessaire pour les satisfaire. Croissance
économique et développement (...) devraient ainsi assurer, pour
tous les peuples de toutes les nations et pour les générations
futures, la satisfaction des besoins essentiels que sont: la santé et la
longévité, l'occupation valorisante, l'éducation, les
sentiments de liberté et de sécurité, le respect des
droits fondamentaux et la culture (J. Villancourt, 1998, p.7).
Ainsi déclinée, la facette sociale de la
durabilité peut se comprendre comme étant une aspiration vers une
société plus juste qui permet à l'individu de jouir de ses
libertés fondamentales nécessaires pour une vie vertueuse et
avoir un accès équitable aux ressources nécessaires
à sa survie. Le principe de « responsabilité communes mais
différenciées », adopté dès la
déclaration de Rio en 1992 et qui traite des questions de justice
climatique renvoie non seulement à la distribution des charges dans la
lutte contre les dégradations environnementales mais aussi à la
question de l'égalité face aux émissions des gaz à
effet de serre; tout ceci pour limiter toute sorte d'inégalité
environnementale et favoriser un mieux être pour tous. Bref, la
sphère sociale du développement durable revient à limiter
les injustices environnementales.
La dimension économique de la durabilité quant
à elle, sans pour autant s'éloigner de la justice
recherchée dans la société, veut se démarquer de la
croissance traditionnelle tant prisée par les Etats. J. Villancourt
(1998, p.7) écrit:
Cette perspective du développement, partagée par
les organisations internationales (et nationales), affirmée dans le
rapport Brundtland et réaffirmée lors du Sommet de la Terre de
Rio en 1992, nous invite à concevoir désormais la croissance sous
un angle plus englobant, plus viable et surtout plus équitable.
Ceci implique une redéfinition des modèles
économiques basés uniquement sur l'accroissement des capitaux et
les fluctuations du PIB comme le soulignait D. Meda (2012). Ne rejetant pas la
croissance, la durabilité lie désormais la croissance et la
protection de l'environnement. J. Villancourt (1998, p.8) note une fois
encore:
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Il faut veiller à ce que cette croissance s'effectue de
manière viable ou soutenable et qu'ainsi elle ne prive pas les
générations futures ou d'autres nations, de nourriture et
d'emplois; selon ce modèle, l'accélération de la
croissance permet de générer des surplus pour que les plus
pauvres survivent et pour financer la lutte contre la pollution.
Nous sommes ici plongés en plein coeur dans la justice
environnementale. Ce nouveau modèle économique proposé par
le développement durable prend clairement le contrepied du modèle
classique qui peut se résumer, comme l'a noté J.
Villancourt(1998), à la destruction des équilibres des
écosystèmes qui permet la rentabilité avec comme
conséquence directe une destruction toujours plus grave de
l'équilibre environnemental et la croissance des
inégalités.
La durabilité se veut une révolution sociale
englobant les aspects économique, social et environnemental ; une
redéfinition du paradigme d'un développement classique qui,
depuis le XVIIIe siècle, n'a cessé d'accentuer la fracture
sociale et de porter de plus en plus atteinte à notre environnement. Le
développement durable se veut donc rétablir « le paradis
perdu » par l'option de pistes inédites qui se sont ouvertes depuis
la révolution industrielle. Né des dérèglements
environnementaux ce nouveau paradigme de développement se veut un
nouveau développement dont la mission serait de prendre le contre-pied
du développement classique et de corriger ses erreurs notamment la crise
écologique; confirmant ainsi notre première hypothèse qui
stipulait que la durabilité, tirant ses fondements du rapport Brundtland
en l'occurrence, se veut être un paradigme de développement
protecteur de l'environnement, économiquement soutenable en vue de
parvenir à une société plus juste.
Cependant, si durant presque trois décennies, le
développement durable n'est encore pas parvenu à atténuer
un tant soit peu le rythme des dégradations de la planète et des
inégalités environnementales toujours croissantes, c'est que le
développement durable semble reléguer au second plan
l'intérêt des populations d'où la nécessité
d'une évaluation critique.
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