3-2- Discussion
Une proportion de 39,53% seulement des pisciculteurs utilise
un aliment formulé composé pour nourrir les poissons
d'élevage sur un total de 301 pisciculteurs enquêtés. Ce
faible taux d'utilisation d'aliments serait dû à l'utilisation
massive de sous-produits agro-alimentaires de moindre coût (10-105 FCFA)
pour nourrir les poissons d'élevage comme rapporté par plusieurs
auteurs (Gabriel et al., 2007, Acho, 2014). Par ailleurs, parmi les
différents aliments rencontrés sur les fermes, seuls les aliments
commerciaux industriels importés répondent aux besoins de
croissance des différentes tailles et espèces de poissons
élevées. Les aliments industriels commerciaux nationaux
répondent seulement aux besoins de croissance en prégrossissement
du tilapia et en grossissement du tilapia et du silure. Les aliments produits
par les provendiers et par les pisciculteurs sont en général
pauvres en protéines et riches en fibres pour permettre une bonne
croissance des poissons élevés. En effet, les besoins en
protéines des poissons varient entre 25-55% et les taux de fibres
inférieurs à 10% sont recommandés pour une bonne
croissance des poissons (New, 1987 ; Guillaume et al., 1999 ; Lazard,
2007) alors que ces aliments titrent entre 16,51-24,29% de protéines,
9,74-43,21% de fibres, et 10,92-35,90% de protéines et 4,70-56,33% de
fibres respectivement pour les aliments provendiers et les aliments produits
par les pisciculteurs eux-mêmes. De plus, ces aliments ont des
rapport/énergie faibles, présentent quelque fois de faibles
valeurs de rapport calcium/phosphore et sont présentés sous forme
de poudre et utilisés pour tous les stades de production des poissons
élevés. Par ailleurs, les protéines sont essentielles dans
l'alimentation des poissons d'élevage. En effet, elles fournissent les
acides aminés essentiels et l'énergie nécessaire aux
fonctions vitales, à l'entretien, à la croissance et à la
reproduction des poissons (Guillaume et al., 1999). Les aliments
pauvres en protéines pourraient donc entrainer des retards de
croissance. De plus, les fibres ne sont pas digérés par les
poissons quelque soit l'espèce élevée (Burel et Medal,
2014). En effet, les fibres, à fortes concentration lors de la digestion
de l'aliment peuvent se lier aux nutriments tel que les lipides, les
protéines et les minéraux et réduire leur
biodisponibilité (Shah et al., 1982 ; Ward et Reichert, 1986 ).
A l'inverse, les teneurs en fibres de l'aliment en proportion
recommandée (moins de 10%) peuvent améliorer la croissance des
poissons car elles constituent un lest dans le bol alimentaire qui
régule la vitesse du transit intestinal (NRC, 2011). Aussi en
pisciculture la taille de l'aliment distribué joue un rôle
important dans la capacité d'ingestion de l'aliment et d'assimilation
des nutriments (New, 1987).
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A ce propos, Pouomogne (1994), rapporte une réduction
de moitié de l'indice de consommation et une augmentation significative
de la rétention des protéines et de l'énergie
associée à une amélioration de la production piscicole
avec une utilisation d'aliment granulé par rapport aux aliments
présentés sous formes de farines.
Ces différents résultats sur le taux
d'utilisation et la qualité des aliments produits et provendiers
permettent de confirmer la faible disponibilité d'aliments de
qualité sur les fermes d'élevage ivoiriennes déjà
rapporté par plusieurs auteurs (FAO, 2009 ; Brechbühl, 2009). La
faible disponibilité pourrait s'expliquer par le fait que les
pisciculteurs sont en général des planteurs de café, de
cacao, d'huile de palme, et d'autres cultures pour qui la pisciculture est une
seconde activité (FAO, 2008 ; Brechbühl, 2009). De ce fait, ils
s'investissent peu dans la pisciculture et donc dans l'alimentation des
poissons d'élevage. Aussi, les résultats de notre étude
rapportent une forte proportion d'agriculteur-pisciculteurs (37,04%) produisant
un aliment par rapport à celle des agriculteurs-pisciculteurs (34,94%)
qui utilisent un aliment commercial. La faible qualité des aliments
produits par les provendiers et les pisciculteurs eux-mêmes pourrait
s'expliquer par la non qualification de ces producteurs qui sont des
provendiers, des agriculteurs, des salariés ou opérateurs
économiques et un manque d'encadrement et de suivi de l'activité
piscicole. Ce qui explique la forte utilisation de tourteau de coprah, de son
de riz, de son de maïs et de son de blé de moindre coût
(10-110 FCFA/kg) et riche en fibres (25,85-51,75) à des taux
d'incorporation élevées (27,80-89,30%) dans les formulations des
aliments produits par les pisciculteurs d'une part et d'autre part, la faible
utilisation de prémix vitamines minéraux et enfin par l'absence
de lysine et de méthionine dans les formules alimentaires.
L'absence de pisciculteurs utilisant un aliment formulé
composé pour nourrir les poissons dans les régions du Goh et du
Moronou et la faible proportion de pisciculteurs utilisant un aliment
formulé et composé dans les régions de la Marahoué,
du Haut Sassandra et de la Nawa s'expliquent par l'utilisation massive de sous
produits agricoles (son de riz, son de blé, son de maïs, farine
basse de riz) directement comme aliment dans ces régions rapporté
par Acho (2014). La forte utilisation d'aliment commercial dans les
régions de l'Agnéby-Tiassa, du District d'Abidjan, du Sud
Comoé, des Grands Ponds du Tonkpi, du Cavally, du Bélier et de
l'Indénié Djuablin pourrait s'expliquer par une forte proportion
de salarié et d'opérateur économique parmi les promoteurs
de ferme. En effet, les résultats de l'étude montre une tendance
plus élevée des promoteurs salariés et opérateurs
économiques à utiliser un aliment commercial.
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Aussi, la forte production d'aliment dans les régions
du Tonkpi, du Cavally, des Grand Ponts, du Sud Comoé, du District
d'Abidjan, de l'Agnéby Tiassa, du Bélier de
l'Indénié Djuablin pourrait traduire une forte
disponibilité des matières premières utilisés pour
la production d'aliment dans ces régions, et une forte localisation des
fermes en zone urbaine et périurbaine. Par ailleurs, l'utilisation
d'aliment (commercial + produit) dans les régions du Tonkpi, du Cavally,
des Grands Ponts, du Sud Comoé, du District d'Abidjan, de
l'Agnéby Tiassa, du Bélier de l'Indénié Djuablin et
de la Mé pourrait s'expliquer par une culture semi-intensif de
l'élevage des poissons avec utilisation d'aliment transmise dans ces
régions par les projets d'appui à la professionnalisation
piscicole. En effet, Ces régions ont été les zones de
projets d'appui au développement de l'aquaculture orienté vers le
développement des systèmes semi-intensif d'élevage
(MIPARH, 2008).
Les fortes valeurs de croissance du tilapia et du silure, de
production et d'économie des fermes observées avec les aliments
commerciaux industriels importés par rapport aux aliments industriels
commerciaux locaux et les aliments commerciaux nationaux par rapport aux
aliments produits par les pisciculteurs pourraient s'expliquer par les
différences de qualité de composition (protéines, fibres,
énergie) et de présentation (taille, nature) de ces
différents aliments. En effet, les poissons requièrent une
alimentation spécifique à l'espèce et au stade de
croissance pour atteindre un poids marchands compétitif en un temps
court de ce fait, la qualité de l'aliment est le facteur qui garantisse
la productivité et la rentabilité des fermes piscicoles (New,
1987, Guillaume et al., 1999, Jamu et Ayinla, 2003, Gabriel et
al., 2007, Médale et Kaushik, 2009). La faible disponibilité
en aliment de qualité sur les fermes pourrait donc être à
la base de la faible production piscicole de poissons en Côte d'Ivoire.
Ces résultats expriment la nécessité d'améliorer la
qualité des aliments provendiers et produits par les pisciculteurs mais
aussi de mettre à la disposition de la majorité des pisciculteurs
des aliments piscicoles couvrant des besoins des différents stades de
croissance des espèces de poissons élevées en Côte
d'Ivoire et le besoin de promouvoir le respect des bonnes pratiques
d'alimentation.
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