2.2.2. Complétives adjectivales des suites
elliptiques
La complétive adjectivale apparaît dans des
structures elliptiques. Ces dernières présentent une
configuration particulière. Pour s'en persuader, il importe de les
observer dans la présentation qui suit.
Pour Bergez et al. (2008 :77), l'ellipse
désigne en général toute suppression dans un discours
ou un récit. On peut distinguer deux sortes d'ellipses : l'ellipse
grammaticale et l'ellipse narrative. L'ellipse grammaticale en question
réfère à la suppression de termes qu'exigerait
normalement une phrase pour être complète. Pour diverses
raisons, il arrive que le locuteur supprime des segments de son
énoncé. C'est ce qui se produit avec certaines structures
à complétives adjectivales de notre corpus. Ils sont tous
construits sous la forme sûr Que P ou Pour sûr Que P comme
le montrent les exemples [9] :
9.a. Sûr que c'est pas un pays comme les autres ici
(TSTA :126)
9.b. Sûr qu'il l'avait déjà vue avant de
la rencontrer (VC :206)
9.c. Sûr qu'il avait moyen (VNM :184)
9.d. Sûr que tu peux encore beaucoup de choses (VNM
:182)
9.e. Pour sûr qu'il n'a rien (VNM : 30)
Dans ces énoncés, la plupart des sujets et des
verbes attributifs ont été supprimés. Seule une partie du
discours, un « adjectif » à valeur prédicative, et la
complétive initiée par elle sont restées. Quel est le
statut grammatical du mot sûr ? Quelles pourraient être
les propriétés syntaxiques de la suite Sûr Que P ?
La suppression du sujet et du verbe permet de mettre en
question la nature grammaticale du mot introduisant la complétive dans
ces énoncés. D'emblée, signalons qu'il ne s'agit plus d'un
adjectif qualificatif. Avec l'ellipse, ce mot devient un adverbe. Le test de
substitution permet de nous en convaincre.
9.a'. Heureusement que ce n'est
pas un pays comme les autres ici
9.b'. Sûrement qu'il l'avait
déjà vue avant de la rencontrer
9.c'. Certainement qu'il avait
moyen
9.d'. Peut-être que tu peux
encore beaucoup de choses
9.e'. Heureusement qu'il n'a
rien
Les complétives de ces structures elliptiques sont
supprimables. Elles n'admettent que l'indicatif, le subjonctif y est exclu.
Ces énoncés s'assimilent donc à des
complétives adverbiales. Seraient-ce donc de fausses complétives
adjectivales ? Ne permettent-elles pas d'illustrer l'unité formelle et
dérivationnelle des complétives dont parle Evouna (2015) ? Les
deux hypothèses sont soutenables. Si l'on considère la
première hypothèse, on appliquerait à ces phrases
l'analyse faite des complétives adverbiales au chapitre
précédent. En d'autres termes, la suite sûr que
serait un « adverbe complexe ». La prédication reposerait
donc réellement sur la proposition qui suit cet ensemble complexe. Par
ailleurs, l'on pourrait à appliquer à ces phrases des
dérivés du modèle Il est + Adj Que P ou alors
C'est + Adj Que P. On aboutirait alors aux mêmes
résultats et aux mêmes réserves que nous avons faites sur
les adverbes associés au complétives. (Voir supra Chap. 2,
section 2). Le segment Adv+Que y est supprimable et sa suppression
donne une proposition indépendante. Cette conclusion est illustré
par les énoncés ci-après :
9.a». Heureusement que ce
n'est pas un pays comme les autres ici
9.b». Sûrement qu'il
l'avait déjà vue avant de la rencontrer
9.c». Certainement qu'il
avait moyen
9.d». Peut être
que tu peux encore beaucoup de choses
9.e». Heureusement qu'il n'a
rien
Nous constatons donc que la suite Adv+Que P est
supprimable. La phrase reste correcte en dépit de l'effacement de cette
forme. Adv+Que P semble par ailleurs une forme figée. La
complétive de l'adverbe serait une proposition indépendante sur
laquelle on porte un jugement affectif ou évaluatif. La forme
figée Adv+Que semble un modalisateur propositionnel.
L'hypothèse de l'unité formelle et
dérivationnelle des complétives se trouve vérifiée
dans la première hypothèse. Les complétives adverbiales et
les adjectivales s'équivalent donc dans certaines configurations. Le
cadre de ces équivalences et leurs modalités restent à
préciser. On devra donc chercher les contextes dans lesquels les deux
sous-classes de complétives s'équivalent et interroger les
changements qui s'opèrent. Les contraintes dérivationnelles et
transformationnelles qui naissent selon que l'on dérive une structure de
l'autre doivent être définies Autant de questions qui
méritent une attention. Seulement, compte tenu de notre objectif
principalement centré sur les adjectifs qualificatifs introducteurs de
complétives, nous préférons surseoir à cette
problématique pour le moment.
En somme, notre corpus montre que les complétives
adjectivales apparaissent dans les phrases attributives. Le verbe
être, les verbes attributifs et les verbes occasionnellement
attributifs sont souvent les socles sur lesquels l'adjectif
qualificatif s'appuie. Ce dernier est en relation avec la complétive
lorsqu'il est attribut du sujet, attribut de l'objet ou mis en apposition. Les
complétives ainsi définies apparaissent donc dans le SV et dans
le SN0. Dans ce dernier, elles s'apparentent à des circonstancielles.
Cela nous permet de rejoindre l'hypothèse d'Evouna (2015 : iv) selon qui
derrière leur diversité de surface se profile une
unité catégorielle profonde des phrases complétives qui se
manifeste à divers niveaux structurel et fonctionnel. Cette
unité se manifeste également dans la possibilité de
dériver une sous-classe de complétive de l'autre. Nous l'avons vu
dans les suites elliptiques.
En début de chapitre, nous avons annoncé un
corpus de complétives adjectivales réparties en deux groupes,
à savoir les structures personnelles et les structures unipersonnelles.
Les énoncés à structures personnelles étant
étudiés, il importe à présent de nous consacrer
à la deuxième partie du corpus.
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