2. STRUCTURES DE LA COMPLÉTIVE ADJECTIVALE
Cette partie du travail voudrait répondre à deux
questions : celles des types de structures propres aux adjectifs introducteurs
de complétives et celle de leurs traits distinctifs aux plans
distributionnel, transformationnel et sémantique.
Selon Dubois et al. (1963 :455), le concept de
structure, si l'on se réfère à la diversité des
structuralismes, est difficile à définir. Sans entrer dans
le détail des considérations liées à sa
complexité, nous appréhendons cette notion dans son acception
syntaxique. Par structure, nous entendons une construction de phrase. Ainsi
perçue, la notion de structure amène à nous approprier la
définition de la construction de phrase proposée par Le
Goffic et MC Combe Bride (1975 :14).
Par construction de phrase, nous entendons des structures
(types de phrases) N+V+N+ à N ou N + être +adj + Que P. Dans la
seconde phrase, l'élément pivot est l'adjectif : la structure
indiquée n'est possible qu'avec un nombre restreint d'adjectifs.
Étudier les constructions de phrases possibles, c'est donc voir quelles
sont les constructions possibles pour des éléments pivots :
verbes et adjectifs essentiellement. Étant donné par exemple un
verbe, quelles sont ses constructions possibles ? Étant donné une
construction, quels sont les verbes pour lesquels elle est possible ?
L'élément pivot de notre étude est
l'adjectif qualificatif. Dans ce chapitre, rechercherons ses constructions
types en tant que pivot. Ainsi, étant donné par exemple un
[adjectif qualificatif], quelles sont ses constructions possibles ?
Les adjectifs introducteurs de complétives du
français apparaissent dans deux structures. Il s'agit de la construction
personnelle et de la construction « impersonnelle ». Il
convient d'analyser leur fonctionnement et leurs propriétés.
2.1. Adjectifs introducteurs de complétives et
constructions personnelles
L'analyse des constructions personnelles passe par la mise en
lumière de leurs propriétés syntaxiques et des
sous-classes qui les composent au plan formel. Nous pensons que l'adjectif
qualificatif introducteur d'une complétive conditionne sa forme. Car, en
effet, selon Kanté (2016 :11), les propriétés
sémantiques des prédicats sont déterminantes dans la
rection des complétives. Plusieurs questions sont soulevées
à ce titre : quelle est la structure argumentale des constructions
personnelles ? Quelle est la place du prédicat adjectival dans la
sélection du mode ? À quelles autres constructions peuvent-elles
donner lieu par réécriture ?
2.1.1. Structure argumentale et mode des constructions
personnelles
Les constructions personnelles sont des structures de phrases
construites sur le modèle N0 V + Adj Que P. Elles se trouvent
illustrées dans les énoncés qui suivent.
4.a. Ils sont convaincus que ses conséquences sur
le bien commun n'intéressent pas (LP05/04/02 :69)
4.b. Marcel Dassault a toujours été
persuadé que Serge était le bon poulain pour lui succéder
(LP01/11/02 :57)
4.c. J'ai été très
étonné que toute référence aux Arméniens
soit totalement exclue (LP03/01/03 :104)
4.d. Je suis certain qu'il reste toujours des tonnes
d'arsenic planquées sous ma maison (LP28/02/03 :57)
Les tournures personnelles ci-dessus montrent des adjectifs
ayant deux arguments. Elles ont un sujet et une affirmation. En [4.a] par
exemple, le sujet c'est ils et l'affirmation est que ses
conséquences sur le bien commun n'intéressent pas. Notre
corpus rejoint l'idée de Léger (2006 : 170). Parlant des
adjectifs qui expriment des jugements de valeur de vérité, comme
certain, elle affirme : dans les tournures personnelles,
l'adjectif sélectionne deux arguments : l'un étant un être
doté d'une faculté cognitive lui permettant de porter des
jugements de valeur, de vérité ; et l'autre une «
proposition ». Dans toutes les phrases précédentes,
l'adjectif qualificatif dénote un état mental d'un sujet.
Si l'on fait fi des emplois métaphoriques, le sujet
semble généralement avoir le trait [+hum], [+activité
intellectuelle] dans notre corpus. Les sujets Marcel Dassault, j' et je,
réfèrent tous à des individus, à des sujets
capables de porter un jugement. La structure argumentale de la
complétive adjectivale devient alors N0hum + V + Adj + Que
P.
En fonction du prédicat adjectival qui les
régit, les complétives des tournures personnelles
sélectionnent deux modes, l'indicatif ou le subjonctif. Observons
à ce sujet le fonctionnement des phrases ci-après.
4.a'. Ils sont convaincus que ses conséquences sur
le bien commun ne font pas consensus /
*Ils sont convaincus que ses conséquences sur le
bien commun ne fassent pas consensus
4.b'. Marcel Dassault a toujours été
persuadé que Serge était le bon poulain pour /lui
succéder
*Marcel Dassault a toujours été
persuadé que Serge fût le bon poulain pour lui
succéder
4.c'. J'ai été très
étonné que toute référence aux Arméniens
soit totalement exclue / *J'ai été très
étonné que toute référence aux Arméniens
est/ a été totalement exclue
4.d'. Je suis certain qu'il y a toujours
des tonnes d'arsenic planquées sous ma maison/
*Je suis certain qu'il y ait toujours des
tonnes d'arsenic planquées sous ma maison
Le changement de mode agit sur l'acceptabilité de la
phrase. Les acceptabilités sont relativement nettes. Dans ces
énoncés, les adjectifs qualificatifs refusent le mode subjonctif
dans leur structure. Ils sont compatibles avec l'indicatif.
Ainsi, tout comme le verbe, l'adjectif qualificatif, en tant
que régissant d'une complétive, sélectionne le mode de
cette dernière. Certains adjectifs sont dévolus à
l'indicatif alors que d'autres s'accommodent du subjonctif.
Plusieurs questions se posent à partir du
développement qui précède : quels sont les adjectifs
qualificatifs compatibles avec l'indicatif ? Quels sont ceux qui admettent le
subjonctif ? La bipartition Adj subj/ Adj Ind est-elle stricte ou
gradable et fonction des constructions ? Par ailleurs, peut-on envisager une
classification des adjectifs introducteurs de complétives à
l'aune du mode qu'ils sélectionnent ? La tâche est possible mais
son étendue dépasse le cadre de notre travail.
Au plan formel, nous pouvons distinguer trois configurations
de la complétive adjectivale dans les constructions personnelles. Ce
sont être+ Adj Que P, Verbe attrib +Adj Que P et Verbe
occas. Attrib + Adj Que P. Il s'agit donc des phrases attributives dans
lesquelles on retrouve la copule être, ses
succédanés ou substituts et les verbes occasionnellement
attributifs. Il convient de les analyser respectivement.
2.1.2. Verbes attributifs et sous-structures des
constructions personnelles L'expression verbe attributif est
générique et englobe des verbes aux propriétés
syntaxiques variées. Qu'est-ce qu'un verbe attributif ? Selon Leeman
(1996 :192),
à partir de l'hypothèse que être est
le verbe attributif typique, on admettra qu'un verbe est attributif lorsque
d'une part, il commute avec être, mais d'autre part de telle sorte que
l'attribut présumé ne soit ni supprimable, ni
déplaçable, ni détachable.
Bien que contestable sur certains points, cette
définition est retenue comme point de départ de notre analyse.
Elle sera revue au fil des développements subséquents.
L'ensemble des verbes attributifs regroupe deux
catégories de verbes. D'une part, il y a des verbes qui, comme la copule
être et ses succédanées, sont dits essentiellement
attributifs (VEA) et des verbes occasionnellement attributifs
(VOA). Quelle différence existe-t-il entre les deux classes ?
Comment la complétive adjectivale s'y comporte-t-elle ?
L'essentiel du travail consistera à mettre en
lumière la structure formelle de l'énoncé, la
réaction de la complétive aux tests de l'effacement et à
celui du détachement ainsi que la sélection du mode. Nous
mettrons également en lumière les possibles transformations de la
complétive. Comme la complétive du nom et celle de l'adverbe,
l'enjeu des tests est de vérifier si la complétive de l'adjectif
est accessoire dans notre corpus.
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