1.2. La réécriture V + Adj + SN Op Que P :
une source nominale en question
Selon Wilmet (1998 :566), les fonctions qui sont
accessibles aux complétives sont : le sujet (dont le « réel
», le complément de l'adjectif, le complément de l'adverbe,
l'objet premier et l'objet second. En effet, les fonctions syntaxiques se
décident à partir des relations existant ente les mots d'une
phrase. Ainsi, si le complément d'objet se définit par rapport au
verbe, on se demande ce qu'il en est du complément de l'adjectif sous la
forme propositionnelle.
Au paragraphe précédent, nous avons vu, avec
Evouna (op cit), qu'il s'agissait en profondeur d'un sujet. Or, si
Wilmet parle de complément de l'adjectif, ne doit-on pas comprendre que
la complétive de ce contexte se définit par rapport à
l'adjectif ? En d'autres termes, l'adjectif qualificatif ne la régit-il
pas ? Pour y répondre, il convient d'analyser la dépendance entre
l'adjectif qualificatif et la complétive dans la structure attributive
Adj + Que P. Mais au préalable, on voudrait davantage
comprendre ce que c'est que la dépendance et ce que sont des
éléments dépendants.
Pour Dubois et al. (1963 :140), en linguistique
structurale, on appelle morphèmes dépendants des morphèmes
tels que leur occurrence dépend de l'occurrence d'un autre
morphème dans une construction donnée et tels qu'un changement
affectant le premier implique un changement affectant l'autre. Appliquant
cette définition aux constituants de la phrase, nous dirons que des
constituants dépendants ne peuvent fonctionner l'un
indépendamment de l'autre. L'effacement de l'un induit alors
généralement une agrammaticalité de toute la structure. Si
la complétive de la structure Adj + Que P dépend d'un
antécédent ellipsé, comme le pense Evouna, ne devrait-elle
pas apparaitre seule dans cette structure ? Autrement dit, si, comme le dit
Evouna (ibid.), il n'existe aucun rapport direct ni explicite
entre l'adjectif et la subordonnée, la structure ne devrait-elle
pas conserver son acceptabilité avec l'effacement l'adjectif
qualificatif ? Seulement, la complétive peut-elle résister
à l'effacement de l'adjectif qualificatif qui le précède ?
Pour y répondre, il convient d'analyser quelques
énoncés.
3.a.
L'analyse des mêmes énoncés avec
restitution de l'antécédent permet d'aboutir à des
résultats similaires. Restituons les antécédents comme le
postule Evouna (2015).
Il reste persuadé que la version officielle a retenu
sa responsabilité latente (LP28/02/03)
3.b. Il n'était pas mécontent qu'elle se mette
à pleurer (VC :201)
3.c. Je trouverais regrettable que les socialistes
traversent une période de plus (Lp18/04/03)
3.d. Il est donc inutile que tu me donnes la parole (VB :
40)
3.a'. Il reste persuadé que la version officielle a
retenu sa responsabilité latente
3.b'. *Il n'était pas mécontent qu'elle se
mette à pleurer
3.c'. Je trouverais regrettable que les socialistes
traversent une période de plus
3.d'. *Il est donc inutile que tu me donnes la
parole
L'effacement de l'adjectif qualificatif entraîne un
certain nombre de constats. L'adjectif qualificatif effacé, certaines
phrases deviennent agrammaticales. C'est le cas des dérivés [3.b'
et 3.d']. Les structures de ces énoncés deviennent
incomplètes et nécessitent un élément. Elles ont
donc un poste vacant si l'on supprime l'adjectif qualificatif.
L'autre possibilité est que la phrase connaisse une
extension ou une rupture de sens. Le sens obtenu n'a plus rien à voir
avec le prédicat de la phrase de départ. En [3.a'], l'effacement
de l'adjectif change le sens de la phrase. Dans l'énoncé initial,
un locuteur décrit l'état de conviction d'un individu. Il
décrit son jugement sur un fait. L'énoncé
dérivé donne un sens autre c'est le constat d'un locuteur qui est
exprimé. Dans l'énoncé source, reste est un verbe
occasionnellement attributif. Par contre, dans la dérivée,
reste veut dire. En conclusion, selon que l'adjectif qualificatif est
effacé ou maintenu, l'énoncé sera constatif ou descriptif.
Dans l'énoncé attributif un locuteur-descripteur asserte quelque
chose sur l'état d'un individu. Avec la suppression de l'adjectif
qualificatif, le locuteur donne son avis sur une situation.
La bipartition de l'énoncé en dictum / modus
de Bally peut nous aider à mieux analyser le troisième
énoncé. Le dictum est l'énoncé, le
modus la modalité. En [3.c'], l'énoncé garde
certes son acceptabilité, mais, il s'y produit une rupture
sémantique. En [3.c], un jugement évaluatif
dépréciatif est porté sur l'action des socialistes. Par
contre, la phrase dérivée est une orientation évaluative
neutre.
3.a». Il reste persuadé du fait
que la version officielle a retenu sa responsabilité
latente
3.b». Il n'était pas mécontent de
la possibilité qu'elle se mette à
pleurer
3.c». Je trouverais regrettable
l'idée que les socialistes traversent une
période de plus
3.d». *Il est donc inutile
l'hypothèse que tu me donnes la parole
Dans ces énoncés, il est impossible de supprimer
l'adjectif qualificatif, sauf en [3.d''], par reconstruction de la phrase. On
ne saurait avoir certains des énoncés dérivés
suivants :
3.a». *Il reste persuadé du fait
que la version officielle a retenu sa responsabilité
latente
3.b». *Il n'était pas mécontent de
la possibilité qu'elle se mette à
pleurer
3.c». Je trouverais regrettable
l'idée que les socialistes traversent une
période de plus
3.d». *Il est donc inutile
l'hypothèse que tu me donnes la parole
Les énoncés deviennent inacceptables pour les
uns, en l'occurrence [3.a'', 3.b'', 3.d'']. D'autres connaissent une rupture
sémantique. La phrase [3.d''] peut néanmoins retrouver une forme
normale si l'on antépose le SN op. On dira
L'hypothèse que tu me donnes la parole est donc (inutile). La
suppression de l'adjectif, contrairement à celle du SN, pèse donc
plus sur la grammaticalité de la phrase. L'adjectif se montre d'un plus
grand poids que le SN antécédent ellipsé.
Que pourrait-on alors conclure et retenir de ce
développement ?
Si la complétive de l'adjectif peut effectivement
donner lieu à une réécriture nominale, cette
possibilité ne doit pas annihiler la place de l'adjectif au sein de
cette structure. La suppression de l'adjectif est très restreinte alors
que celle de l'antécédent nominal ellipsé va de soi. Elle
est toujours possible. La complétive fonctionne sans cet
antécédent nominal de structure profonde. Or, si l'on supprime
l'adjectif, non seulement la complétive n'a plus sa raison d'être,
mais aussi le sens et la grammaticalité de l'énonce deviennent
problématiques.
Conséquemment, on pourrait conclure que la relation
entre SN (antécédent de structure profonde) et Que P
est apparente. La sélection du mode de la complétive par
l'adjectif, et non par le nom opérateur le prouve. Au regard de la
soudure et de la dépendance entre Adj et Que P,
l'adjectif qualificatif apparait comme le véritable
régissant de Que P. L'hypothèse de la transformation
nominale n'est pas totalement satisfaisante. Nous pouvons-nous pas conclure
avec Riegel et al. (2014 :828) qu'il existe également des
adjectifs qui ont la
propriété d'avoir une complétive
comme complément. Par conséquent, la complétive de
l'adjectif existe, le complément de l'adjectif sous forme
propositionnelle aussi.
La complétive de l'adjectif pose également des
problèmes au plan structurel. Avant d'analyser les adjectifs
introducteurs de la complétive, il est nécessaire de savoir dans
quelles structures ils rentrent. Il nous semble que la structure au sein de
laquelle Adj + Que P se trouve pourait jouer sur l'adjectif
qualificatif. Dès lors, quelles sont les structures de la
complétive adjectivale ? Par quoi se caractérisent-elles aux
plans distributionnel et transformationnel ?
|