LA COMPLÉTIVE ADJECTIVALE : DESCRIPTION
MORPHOSYNTAXIQUE ET SÉMANTIQUE
Nous avons annoncé plus haut un corpus constitué
de complétives du nom, de l'adverbe et de l'adjectif. Les deux
premières ont été étudiées au chapitre
précédent. La complétive de l'adjectif est l'objet du
présent chapitre qui essaiera d'en saisir la singularité. En
effet, en tant que principal objet du travail, elle mérite un traitement
à part.
Au chapitre premier, nous avons vu qu'au-delà de
l'adverbe, l'adjectif qualificatif reçoit quatre types de
compléments en français : la complémentation zéro,
la complémentation par l'infinitif ou par un N au moyen d'une
préposition et la complémentation phrastique. Ces structures sont
respectivement illustrées par les énoncés suivants : a)
Il est noir; b) c'est beau
à voir ; c) la route est
pleine de cailloux et d) je suis heureux
que tu sois là. Noir est construit sans complément,
beau est suivi de l'infinitif voir. L'adjectif pleine,
comme le précédent, est lié à un N,
cailloux, au moyen de la préposition. Dans le dernier segment,
heureux est suivi de la complétive que tu sois
là.
Selon Léger (2006 :21), la complémentation
phrastique réfère aux constructions qui comportent un
prédicat et son sujet (qu'il soit lexicalement réalisé ou
non), c'est-à-dire aux constructions complétives tensées
et non tensées. Dans sa définition de la
complémentation phrastique, Léger inclut les complétives
non tensées, autrement dit les infinitives. Notre propos n'est pas de
les étudier. Nous traiterons d'un volet de la complémentation
phrastique, à savoir des complétives tensées,
c'est-à-dire celles introduites par Que et ayant un mode
fini.
La complétive adjectivale se présente
globalement sous le schéma V+ Adj Que dans notre corpus. V
représente un verbe, Adj l'unité adjectivale et
Que P la complétive. Les énoncés ci-après
le montrent :
1.a. Ils sont convaincus que ses
conséquences sur le bien commun n'intéressent pas
(LP05/04/02)
1.b. K restait étonné
qu'on le renvoyât et qu'on le laissât seul dans sa chambre
(LP :32)
1.c. On trouve normal que les jeunes
gens jettent leur gourme (LP01/11/02
Dans ces énoncés, nous avons les verbes
sont, restait et trouve, les adjectifs convaincus,
étonné et normal suivis de la complétive.
Pour peu qu'il soit régulier, ce schéma global est loin
d'être simple. Il donne non seulement lieu à des contours
variés, mais l'élément V lui-même est
divers tel que nous le verrons infra. Par ailleurs, l'autonomie et l'existence
de ce type de complétive sont sujettes à caution aux yeux de
certains linguistes. Pour ces quelques raisons et beaucoup d'autres à
découvrir dans le corps du chapitre, la complétive de l'adjectif
apparait intéressante, digne d'être analysée et
explorée.
On se demande à cet effet s'il existe réellement
une complétive de l'adjectif. Les arguments militant en sa faveur et
ceux pourraient légitimer sa remise en question méritent
d'être soulevés. Le chapitre interroge les
structures Adj+Que P et leur caractéristiques. Nous
soulevons enfin la problématique du lien entre la complétive et
l'Adj. Nous tenterons de savoir si la complétive est lié
à l'adjectif seul ou concomitamment au verbe et à l'adjectif.
Enfin, nous cherchons à savoir si le verbe et l'adjectif sont
coalescents au point de les considérer comme un prédicat complexe
ou s'ils sont au contraire indépendants à tel point qu'on puisse
les dissocier. Ce chapitre constitue une description des énoncés
à complétives adjectivales contenus dans notre corpus. Pour
parvenir à des résultats acceptables, nous suivrons une
progression en trois parties. La première partie pose le problème
la structure de la complétive adjectivale. La deuxième
étudie les structures de complétives adjectives présentes
dans notre corpus. La troisième partie étudiera la nature du lien
entre l'adjectif et le verbe qui le précède afin de savoir s'ils
sont liés ou non.
1. LA COMPLÉTIVE ADJECTIVALE : UNE STRUCTURE
EN QUESTION La complétive adjectivale est régie par
un adjectif qualificatif dans un énoncé attributif. Selon Riegel
(1993 : 9), une structure attributive renvoie à une construction dans
laquelle l'adjectif apparaît voué à la
caractérisation et à la description des référents
déjà constitués comme tels, c'est-à-dire
catégorisés et identifiés par d'autres moyens
linguistiques. Autrement dit, la structure attributive est une phrase qui
relève les traits d'un référent. Le schéma de la
complétive adjectivale qui s'y trouve est V+Adj+Que P. La
proposition subordonnée complétive y est
précédée d'un adjectif qualificatif. Les exemples
ci-après l'illustrent :
1.a. Ils sont convaincus que ses
conséquences sur le bien commun n'intéressent pas
(LP05/04/02)
1.b. K restait étonné
qu'on le renvoyât et qu'on le laissât seul dans sa chambre
(LP :32)
1.c. On trouve normal que les jeunes gens
jettent leur gourme (LP01/11/02)
Dans ces énoncés, les adjectifs qualificatifs
convaincus, étonné et normal sont
respectivement précédés des verbes sont, restait
et trouve. Ils sont chacun suivis d'une complétive
à droite. La tradition grammaticale voit en ces complétives des
compléments de l'adjectif. Ces trois phrases induisent les structures
être+Adj+Que P, rester +Adj+Que P et Trouver +Adj+Que
P.
Or, pour des études récentes à l'instar
d'Evouna (2015), cette complétive n'est pas liée à
l'adjectif. Par conséquent, il n'existerait pas de complétive
adjectivale. Il est utile de s'interroger sur ce qu'il en est réellement
: existe-t-il ou non une complétive de l'adjectif ? La complétive
dépend-elle de l'adjectif ? Si oui, quelle est sa véritable
fonction ?
1.1. Adj Que P : une complétive nominale en
structure profonde ?
Selon Evouna (2015 : 52-53), la structure Adj + Que P
n'intègre pas une complétive adjectivale. Il n'existerait
pas de complétive adjectivale, pas plus qu'il n'existerait de
complément de l'adjectif de nature propositionnelle. En effet, dire que
la complétive est régie par l'adjectif revient à
considérer la proposition comme un apport et l'adjectif comme un
support.
Pour Evouna (op cit), il est certes vrai que la
complétive est un complément dans cette structure. Mais de
quel constituant est-elle l'argument ? L'auteur pense que des
éléments ont été effacés en surface dans la
structure de ces énoncés. Il postule la disparition d'un
antécédent nominal. Cet antécédent effacé
est réalisé sous la forme d'un SN opérateur.
Quelques Nop ont été étudiés au chapitre
précédent. Il peut s'agir du SN opérateur prototypique
le fait ou des autres, à savoir l'idée,
l'impression, le sentiment, l'hypothèse, etc. La structure
V + Adj + Que P correspond donc à V + Adj + le SN op Que P.
Cette hypothèse s'illustre par les énoncés
ci-dessous.
2.a. Il était à peu près
certain que la culture ne jouerait aucun rôle dans le
duel de la présidentielle (LP05/04/02)
2.b. J'ai été étonné
que vous n'accordiez pas plus de place à Darwin
(LP11/10/02)
2.c. Furieux que Moose donne
l'impression de ne pas le prendre assez au sérieux, Muhammad
téléphone le 21 à la police (LP01/11/02)
En leur adjoignant l'antécédent nominal, nous
obtenons les dérivées suivantes.
2.a'. Il était à peu près certain
du fait que la culture ne jouerait aucun rôle dans le
duel de la présidentielle.
2.b'. J'ai été étonné du
fait que vous n'accordiez pas plus de place à Darwin.
2.c'. Furieux du fait que Moose donne
l'impression de ne pas le prendre assez au sérieux, Muhammad
téléphone le 21 à la police.
Au regard de cette possibilité de réinsertion de
l'antécédent nominal, la complétive de l'adjectif apparait
comme une réalisation pure et simple de la complétive du nom. Le
même phénomène est observé avec beaucoup de verbes
à complétive : Luc persuade Anne /du fait
/que c'est vrai et Luc déplore /le fait
/ que ce soit vrai. Le complément reste un
complément du verbe. Nous souhaitons savoir si la relation entre la
complétive et l'antécédent nominal est la même. Nous
voulons questionner la fonction de la complétive et de celle de son
antécédent nominal.
Le recours à la structure profonde de la phrase et la
réinsertion du SN opérateur induisent une redistribution des
fonctions de QUE P et celle du SN. Pour le prouver, Evouna recommande l'usage
du schème corrélatif tel qu'appliqué dans les
énoncés ci-après.
2.a». *Que la culture ne jouerait aucun rôle
dans le duel de la présidentielle est le fait tel qu'il Il était
à peu près certain.
2.b». *Que vous n'accordiez pas plus de place
à Darwin est l'idée tel que j'en ai été
étonné.
2.c». *Que Moose donne l'impression de ne pas le
prendre assez au sérieux est le sentiment tel que
furieux, Muhammad téléphone le 21 à la
police.
La complétive apparaît, non plus comme
complément de l'adjectif, mais comme sujet dans cette phrase. Sans
schème corrélatif, comme en [2'], c'est
l'antécédent SN op qui assume le rôle du
complément de l'adjectif. En appliquant le schème à la
phrase, ce SN passe au poste attribut de la complétive sujet.
Si on admet cette argumentation d'Evouna (2015 : 53), on est en
droit de conclure
qu'
il n'existe aucun rapport direct ni explicite entre
l'adjectif et la subordonnée. Ce rapport, de type attributif, implique
plutôt `'l'antécédent» et la complétive. En
profondeur, une complétive dans le rôle fonctionnel de «
complément de l'adjectif » joue le rôle du sujet. À
l'observation, ce rôle (complément de l'adjectif) est celui de
l'antécédent souvent effacé en surface (fait).
La structure Adj + Que P est-elle donc à
analyser exclusivement comme complétive nominale ? Il semble donc
possible que la complétive de l'adjectif n'existe pas réellement.
Si l'on ne considère que la position d'Evouna, on répondrait
négativement. Cette position mérite qu'on s'y attarde et la
réalité des faits doit être observée. En
réalité, l'argumentation transformationnelle d'Evouna est valable
et soutenable mais elle est
susceptible d'être nuancée. On se demande si
toutes les structures V + Adj + Que P ont une structure profonde
nominale. Sinon, on s'interroge sur ce qui justifie que certaines ne donnent
pas lieu à cette origine nominale. Par ailleurs, on voudrait voir si le
sens de la phrase est le même dans les structures V + Adj + Que et V
+ Adj + le SN op Que P.s
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