3.3. La suite Adv Que P et sa structure profonde
Certains énoncés présentent des
structures en surface. Ces structures de surface masquent
généralement des phrases en structures profondes. Par moult
opérations, la structure profonde d'un énoncé peut
être révélée. Un soupçon pèse sur la
suite Adv Que P. La phrase Adv Que P semble issue par
dérivation d'une autre structure. Le Goffic et Wilmet proposent que
l'analyse de ce type de phrase se fasse par la paraphrase adjectivale «
IL est ADJ. QUE P ». En procédant à cette analyse,
les auteurs recommandent de considérer QUE P comme sujet
réel de « est ADJ » et donc à retourner aux suites
impersonnelles. On s'interroge néanmoins sur l'étendue de cette
dérivation. D'autres questions naissent de cette description de Wilmet
et Le Goffic : quelles sont les structures dont dérivent les phrases
Adv Que P ? Par ailleurs, toutes les complétives adverbiales
admettent-elles réellement cette source ? Vu que les auteurs se fondent
sur la morphologie de l'adverbe pour postuler à cette source
dérivationnelle, on se demande par la même occasion si tous les
adverbes donnent la possibilité d'une dérivation.
Pour Le Goffic (1993 : 522), l'adverbe heureusement est le
prédicat (non verbal) de la complétive. Elle est
analysée comme son sujet : «Heureusement que P =
«heureusement [est, il y a] que P» (paraphrases : Heureusement, P ;
// est heureux que P)». Observons le fonctionnement de la
complétive adverbiale dans les énoncés ci-dessous
12. a. Heureusement que vous êtes
arrivés à temps.
12.b. Sûrement que cet homme
agité a commis un forfait.
12.c. Bien-sûr que je le
regretterai toute la vie.
12.d. Sans doute que ma vie
changera après ce torrent de malheurs que je traverse.
En procédant à la dérivation, les
énoncés permettent de donner les résultats
ci-après.
12.a'. *Il est heureux que vous
êtes arrivés à temps / *il y a..../ Heureusement,
que vous êtes arrivés à temps
12.b'. Il est sûr que cet
homme agité a commis un forfait / sûrement, que
cet homme agité a commis un forfait
12.c'. Bien-sûr, que je
le regretterai toute la vie./ * ?Il est que je le regretterai
toute la vie
12.d'. Sans doute, que ma vie
changera après ce torrent de malheurs que je traverse / Il n'y a
pas de doute que ma vie changera après ce torrent de malheurs
que je traverse/ Il est indubitable que ma vie changera
après ce torrent de malheurs.
Ces dérivés permettent de nuancer
l'hypothèse de la dérivation de cette structure. En effet, tous
les adverbes introduisant une complétive ne sont pas des adverbes en
-ment, c'est-à-dire généralement issus des
adjectifs qualificatifs. De ce fait, il n'est pas toujours possible d'obtenir
la paraphrase adjectivale. C'est le cas dans l'énoncé 12.c et
dans la phrase 12.d.
Quand le retour à la structure adjective est possible,
il faut tenir compte de la concordance modo temporelle. Car un glissement
sémantique considérable se produit comme le montrera la phrase
ci-après.
13.a. Heureusement que je suis un vieux fauve 13.a'. Il est
heureux que je sois un vieux fauve 13.a». *je suis heureux que je sois un
vieux fauve 13.a'''. ? Que je sois un vieux fauve est heureux
Dans les énoncés dérivés de la
périphrase, le morphème il est souvent
asémantique. Il pallie la vacuité sémantique et syntaxique
du poste sujet en construction unipersonnelle. En [13.a.'], il est un
véritable pronom personnel. Il représente un être humain
ayant des traits masculin. Les deux dernières dérivées
sont agrammaticales.
En somme, avec cette réécriture, la
dérivation fonctionne dans certains cas. Elle s'avère
inopérante dans d'autres. Bacha (1998 : 26-27) nous permet de conclure
que
si l'on peut effectivement établir un
parallélisme entre l'adverbe en -ment et l'adjectif correspondant pour
heureusement, ce n'est pas le cas pour bien sûr, peut- être ou sans
doute. De plus, les adverbes en -ment eux-mêmes ne sont pas tous
sémantiquement équivalents à la phrase impersonnelle
comportant l'adjectif apparenté (// est certain que Paul est venu
comporte un degré de certitude plus grand que Certainement, Paul est
venu, et la mise en équivalence elle-même n'est
pas toujours possible (on ne dirait pas *// est infaillible
que Pierre arrive en retard comme on dit Pierre arrive infailliblement en
retard).
Les possibilités et les contraintes ne sont pas les
mêmes dans toutes ces constructions. Chacune implique des
mécanismes syntaxiques qu'une étude plus approfondie pourrait
mettre en lumière. La question qui nous intéresse est de savoir
quels sont les adverbes rentrant dans la structure Adv Que P.
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