2.1.2.2. La configuration V+ SN+ Que P
La structure V+ SN+ Que P est analogue à la
précédente. Il s'agit d'une phrase dans laquelle la
complétive du nom est intégrée au SV. V est le
verbe, SN1 le COD de ce verbe et Que P la complétive.
SN est un complément de V.
6.a. le lobby pro-armes a réussi à imposer
le fait que, pour être commercialisée librement,
une arme de guerre devait avoir deux caractéristiques militaires
supprimées (LP01/11/02)
6.b. Certains parlementaires soulignent le fait
qu'aucun des sénateurs n'a été élu sous la
bannière UMP (LP11/10/02 :27)
6.c. Le principe de précaution c'est garder
à l'esprit l'idée que « science sans conscience
n'est que ruine de l'âme » (LP 03/01/03 :24)
6.d. La politique a été conçue avec
l'idée que le public devait l'emporter sur le privé
(LP11/10/02)
Les SN sont COD des V pour les
énoncés de [6.a.] à [6.c]. En effet, la
pronominalisation des SN permet de le montrer. Les SN sont remplacés par
le pronom le, proforme qui permet généralement
d'identifier le COD.
6.a'. le lobby pro-armes a réussi à l
imposer
6.b'. Certains parlementaires le
soulignent
6.c'. Le principe de précaution c'est la
garder à l'esprit
Le SN peut aussi être un complément interne du
verbe. C'est le cas dans l'énoncé [6.d.]. Dans cet
énoncé, le SN est pronominalisé en elle
après la préposition avec. Ce résultat
montre que le SN est un circonstanciel comme le montre l dérivée
ci-dessous :
6.d'. La politique a été conçue avec
elle
Une propriété importante de ces structures
mérite d'être relevée. La suite V+SN Que P peut
être réécrite en V + Que par effacement
de SN. Il y a des similitudes entre les deux structures. En ce sens,
selon Gross (1975 :52), nous observons une forte corrélation entre
N0=Nnr et N0=Que P et N0= le fait Que P. À l'exception de quelques
verbes et adjectifs, les propositions N0= Que P et N0=le fait Que P vont de
pair. Elles sont alors sémantiquement équivalentes.
Pour l'auteur, les phrases ayant des sujets appartenant
à la classe des noms non restreints (Nnr), celles ayant pour sujet une
complétive et celles qui possèdent un SN opérateur comme
sujet sont semblables. En d'autres mots, la suite V+le fait que P peut
souvent se réécrire en V+Que P. Les
réécritures ci-dessous le prouvent.
6.a». le lobby pro-armes a réussi à
imposer le fait que, pour être
commercialisée librement, une arme de guerre devait avoir deux
caractéristiques militaires supprimées
6.b». Certains parlementaires soulignent le
fait qu'aucun des sénateurs n'a été élu sous la
bannière UMP
6.c». Le principe de précaution c'est garder
à l'esprit l'idée que « science sans
conscience n'est que ruine de l'âme »
6.d». *L a politique a été
conçue avec l'idée que le public devait l'emporter sur le
privé
Le SN, bien que COD, est donc effaçable
c'est-à-dire facultatif. Mais le dernier énoncé n'accepte
pas la transformation par réduction suite à l'effacement de
SN. Cette transformation offre deux conclusions.
D'une part, toutes les constructions V+SN+Que P ne se
réduisent pas en V+Que P. D'autre part, des contraintes sur le
mode de la complétive émergent. Tous ces paramètres
ouvrent des perspectives de recherche intéressantes. Il serait par
exemple utile de faire un tri pour savoir quelles structures admettent la
transformation et quels N1op y entrent. Il est également
souhaitable que soient connues les contraintes qui découlent de cette
transformation. Seulement, pour le moment, cette entreprise va au-delà
de notre travail. Toutefois, s'il n'est pas possible de dresser le profil
complet de tous les N0 et tous les N1, ne peut-on pas au
moins en donner une liste représentative ?
2.2. Les Nop : une catégorie restreinte
Par Nop, nous entendons les noms opérateurs.
Ces derniers désignent des noms suceptibles de se construire avec une
complétive selon Maingueneau (1999 : 99). Il serait inutile de souligner
que tous les noms ne sont pas aptes à introduire une complétive.
Il semble de même illusoire d'espérer aboutir à une
systématique les concernant dans ce travail tant la tâche est
exigeante. Nous nous limitons à un aperçu. Nous nous demanderons
donc quels sont les Nop et quelles propriétés
génériques les définissent.
D'après Riegel et al. (Passim : 827), certains
noms, correspondant généralement pour la forme et le sens
à des verbes [...] ou à des adjectifs eux-mêmes
pourvus d'une construction complétive, ont la possibilité d'avoir
pour compléments des propositions conjonctives introduites par Que.
Autrement dit, la conjonctive est une des expansions du nom. Les noms dont
il est question font partie de la catégorie des noms dits
opérateurs. Leur prototype est le SN le
fait.
Comme le souligne Gross (1975 :52), le N sous-jacent
à la complétive pourra être différent de fait.
D'autres substantifs ont des propriétés formelles leur permettant
de constituer des sources éventuelles pour les complétives, ce
sont les substantifs opérateurs Nop entrant dans les GN (le + la) Nop
(Que P de V). Le corpus constitué compte cent huit (108)
énoncés ayant des complétives du nom. Ces
énoncés nous offrent vingt-huit Nop et un Pronom op,
soit vingt-neuf unités nominales opératrices. Ce sont
temps, conviction, fait, idée, raison, bizarrerie, sentiment,
conclusion, preuve, moins, damnation, impression, démonstration,
évidence, signal, conclusion, souhait et ceci. En voici quelques
illustrations en [7] :
7.a. K. regardait ses pieds et en venait à
la conclusion que cette belle façon de se mouvoir ne
pouvait plus appartenir à la basse existence (LP :301)
7.b. Cette bizarrerie consiste en
ceci que Léni trouve très beaux presque tous les
accusés (LP :230)
7.c. Il est temps qu'ils nous foutent
définitivement la paix ici (TSTA :47)
7.d. Il éprouvait assez souvent la
conviction que c'était précisément maintenant
qu'il pouvait se mesurer sans crainte avec le directeur adjoint (LP
:293)
7.f. L'idée lui vint
aussitôt qu'il n'eût pas dû parler ainsi à haute voix
(LP :24)
7.g. Ce sourire éveilla chez K. le
sentiment qu'il s'agissait de découvrir des contradictions (LP
:194)
Les noms qui s'y trouvent, fait, certitude,
hypothèse, conviction, preuve, signe, impression, croyance, sentiment,
conscience, évidence, raison, souhait, postulat, ont deux
caractéristiques générales.
Comment ne pas souligner qu'ils sont pour la plupart des
déverbaux ? Selon les noms, nous aurons les dérivations suivantes
: fait < faire, sentiment < sentir, souhait < souhaiter, preuve
< prouver, signe < signifier ou signaler, postulat < postuler, etc.
Les noms opérateurs fonctionnent donc comme les verbes dont ils
sont issus. Il s'établit une corrélation entre les deux classes.
La comparaison entre la classe du verbe et celle du nom donne donc d'envisager
une équivalence entre les deux. Le principe de la comparaison des formes
du lexique-grammaire est similaire, mais les formes comparées sont des
phrases et non plus des mots. Gross (1975 :32) le résume en ces termes
:
lorsque nous effectuons des comparaisons de sens [entre
des phrases] ou entre deux interprétations de la phrases, nous dirons
que nous procédons à des évaluations
différentielles de sens. Les intuitions différentielles de sens
ont un caractère opératoire satisfaisant. La comparaison de
phrases voisines par leur forme (éventuellement voisines à des
transformations près) pourrait mettre en évidence des
éléments minimaux.
L'élément minimal est la différence
sémantique entre la suite SNop + Que P et la suite Vop+Que
P. D'autres éléments minimaux peuvent se
révéler par une étude plus détaillée. Notre
hypothèse est que les Nop se rapprochent plus de l'abstrait. La
complétive du nom serait la marque de l'éloignement du concret au
profit de l'abstrait. Voilà peut-être pourquoi elle ne se
construirait pas avec les noms indiquant une localisation dans l'espace, le
culinaire ou ceux liés au domaine agricole.
Dans cette série, il est temps que est une
expression figée. En effet, selon Dubois et al. (1973 :214), le
figement est le processus linguistique qui, d'un syntagme dont les
éléments sont libres, fait un syntagme dont les
éléments ne peuvent être dissociés. Ainsi, on
pourrait adopter deux perspectives d'analyse pour il est temps que. La
première évite de considérer Que P comme une
complétive. Et dans la deuxième
éventualité, on considère Que P comme une
complétive incorporée au SN Op figé. Le tableau qui suit,
construit par nos soins, donne une liste de noms opérateurs et indique
les structures qu'ils acceptent.
SN op
|
SN0+QueP+V
|
V-SN+ Que P
|
V+SN1+Que P
|
N0+ être/ V attributif Que P
|
Le fait
|
+
|
-
|
+
|
+
|
L'idée
|
+
|
+
|
+
|
+
|
La certitude
|
+
|
+
|
+
|
+
|
l'hypothèse
|
+
|
+
|
+
|
+
|
La conviction
|
+
|
+
|
-
|
+
|
La preuve
|
+
|
+
|
+
|
+
|
Le signe
|
+
|
+
|
+
|
+
|
Le doute
|
-
|
+
|
-
|
-
|
L'impression
|
+
|
+
|
-
|
+
|
La croyance
|
-
|
+
|
-
|
+
|
Le sentiment
|
+
|
+
|
+
|
+
|
La crainte
|
+
|
+
|
-
|
+
|
Le prétexte
|
-
|
+
|
+
|
+
|
La conscience
|
-
|
-
|
+
|
-
|
La démonstration
|
+
|
+
|
+
|
+
|
L'évidence
|
+
|
-
|
+
|
+
|
Le signal
|
+
|
+
|
+
|
+
|
La conclusion
|
+
|
+
|
+
|
+
|
temps
|
+
|
+
|
-
|
-
|
le mieux
|
+
|
-
|
-
|
+
|
Le moins
|
+
|
-
|
-
|
+
|
La raison
|
+
|
+
|
+
|
+
|
Le souhait
|
+
|
+
|
+
|
+
|
Le postulat
|
+
|
+
|
+
|
+
|
Le but
|
-
|
-
|
-
|
+
|
La façon
|
+
|
-
|
-
|
-
|
La morale
|
+
|
-
|
+
|
-
|
Tableau 2 : Liste et structures des
Nop
Ce tableau montre la fréquence des Nop de
notre corpus ainsi que les structures dans lesquelles il
rentre.
En somme, la complétive du nom est un constituant
extravalenciel. Son apparition dans un contexte n'est nullement
conditionnée par le verbe. Sa configuration dépend non pas du
verbe, mais d'un actant du verbe. C'est ce dernier qui régit Que P.
De ce fait, nous sommes amené à dire que la
complétive du nom est intrasyntagmatique. Elle s'incorpore soit à
un élément du SN-sujet, soit à un constituant du GV. Cette
hypothèse, reconnaissons-le, à l'heure actuelle, mérite
encore d'être débattue en profondeur. Elle est par ailleurs un
élément généralement non essentiel. Elle peut
être effacée lorsqu'elle rentre dans la structure du SV. Le
N1 prédicatif opérateur est alors lié à
une unité verbale avec laquelle il forme un prédicat complexe. La
complétive du nom, qu'elle soit adnominale ou adverbale, est toujours
postposé à la tête lexicale dont elle dépend. Elle
ne se trouve donc pas en principe en position initiale. Sa place est
médiane.
Intégré dans la structure du SN1, la
complétive du nom est essentielle. Sa suppression entraine
généralement soit une agrammaticalité, soit une extension
de sens. Soulignons aussi qu'en ajustant le déterminant, la phrase
redevient acceptable et il n'y a pas dès lors de différence de
sens inattendue. Les noms opérateurs sont non-humain, N-hum.
Ces substantifs sont restreints. D'où l'annotation Nr. De
ce fait, il serait difficile d'y voir apparaître un nom propre. De
même, ce ne sont pas tous les pronoms qui y figurent. L'observation
globale n'y prédisposent que les démonstratifs ceci /
cela.
Au plan de la restriction modale, le nom recteur
sélectionne toujours le mode de la subordonnée. Certains
admettent l'indicatif et d'autres le subjonctif. Les conditions et les
contextes de ces choix sont à définir. Une définition des
opérateurs en fonction de leur combinatoire est tout aussi souhaitable.
Le régime de détermination des Nop reste à
clarifier. On se demandera par exemple pourquoi le déterminant
défini a une prééminence dans cette structure. La question
de la modification du Nop est aussi intéressante.
Autant de pistes que nous n'ouvrons pas pour le moment compte
tenu des exigences de mensuration et d'économie liées à
notre recherche. On peut d'ores et déjà se demander si ces
propriétés peuvent être corrélées à la
complétive de l'adverbe. Autrement dit, les deux classes de
complétives sont non-verbales. Pour cela, compte tenu des
propriétés de la complétive du nom ci-dessus, on se
demande si la complétive de l'adverbe dont la présentation suit
peut donner des résultats différents.
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