1.4.2.2.1. Les fonctions classiques de la conjonctive
pure
Par fonctions classiques, l'on entend les fonctions connues,
attestées, répertoriées et vulgarisées par le
discours scientifique et les manuels. Dans cette logique, peuvent être
sujet d'un verbe, complément d'objet, complément de l'adjectif ou
du nom, attribut du sujet ou de l'objet et complément de l'adverbe. Ces
fonctions sont respectivement illustrées par les complétives des
énoncés suivants :
19.a. Il était déjà arrivé que
l'avocat me sonnât dans la nuit (LP :227)
19.b. Un soir, Eddie déclara qu'il était venu
dîner (TSTA :54)
19.c. Je rentre chez moi et je m'aperçois que j'avais
oublié d'acheter des cigarettes (TSTA :150)
19.d. M. le fondé de pouvoir sera heureux que nous
l'en soulagions (LP : 169)
19.e. Le but de la vie est que naisse un rejeton (SDI
:76)
19.f. Heureusement que je suis un vieux fauve (SDI
:111)
Ainsi se présente globalement la conjonctive
complétive dans les usages classiques et dans les livres de grammaire
scolaire et théorique. Toutefois, certains usages, qui sont
abordés ci-dessous, posent problème. Avec ceux-là, il est
difficile de décider de la fonction de la subordonnée. Il s'agit
entre autres des cas où un verbe intransitif est employé avec la
complétive, les emplois dans certaines structures elliptiques
construites avec une complétive. Avec de telles occurrences, il convient
de pondérer et d'étendre les considérations.
1.4.2.2.2. La complétive par que et usages non
classiques
À voir les fonctions précédemment
présentées, tout problème relatif à la fonction de
la complétive parait résolu. Pourtant, il existe des occurrences
de la complétive pour lesquels soit il est difficile d'affecter une
fonction. Un paradoxe par rapport au fait communément
admis, à savoir que tous les éléments
d'une phrase y ont une fonction. Ainsi des occurrences suivantes :
20. a. Comment ça se fait que tu n'aies pas encore
une Mercédès alors ? (TSTA : 40)
20. b. Vivement que ça pète (TSTA :
218)
20. c. Sans hésiter, Élisabeth répondit
que, pour rien au monde, elle
n'abandonnerait son pays (TSTA : 93).
Ces exemples présentent une difficulté à
décider de la fonction de la complétive. Pour le premier, se
faire se construit en principe sans complément, il est en quelque sorte
intransitif. Or il est ici suivi d'une complétive dont la fonction se
livre difficilement, d'autant que les tests révélant un COD ne
s'appliquent pas à elle : si l'on pose la traditionnelle question
qu'est-ce que (en dépit de sa désuétude) ou si l'on
pronominalise, on obtient des suites agrammaticales :
20.a'. * qu'est-ce que comment ça se fait ?
20.a» * comment qu'est-ce que ça se fait ? 20.a.''' *comment
ça le se fait
La substitution avec un groupe nominal change le sens :
20.a.'''' comment ça se fait le manque de Mercédès
?
On a le sens « d'expliquez-moi ce qui occasionne ou
justifie que les Mercédès manquent ». Il en va de même
de la transformation passive qui, elle non plus, n'y est pas
opérationnelle car la suite qui en dériverait est peu naturelle
et agrammaticale :
20. a'''''. *Le manque de Mercédès se fait
comment par ?
Le deuxième exemple, vivement que ça
pète, est tout aussi embarrassant quant à la fonction de la
complétive. S'il est vrai que sur le paradigme la complétive
commute avec un GN : vivement l'explosion, le problème
réside sur sa fonction et son acceptabilité. Va-t-on dire que la
complétive est complément de l'adverbe ? Pour en décider,
il faudrait retourner au contexte et procéder soit à une
réécriture, soit à une interprétation de
l'énoncé originel pour postuler que la phrase serait : [Je
souhaite / Je veux, etc] vivement que ça pète. Dans ce cas,
on prendra la complétive pour un COD du verbe elliptique. Mais, encore
une fois, un locuteur peut actualiser la phrase sans ces verbes initiaux dans
des tours exclamatifs marqués d'expressivité, ce qui rend floue
la fonction de la complétive.
Enfin, dans l'énoncé [20.c], c'est le verbe
recteur de la complétive qui pose problème. Ce verbe est
prioritairement destiné à la rection d'un COI. Or, dans
l'occurrence, la complétive, que, pour rien au monde, elle
n'abandonnerait son pays ne répond pas aux propriétés du
COI. Le complément d'objet indirect est complément essentiel du
verbe, relativement immobile, non effaçable, lié au verbe par une
Prép., susceptible d'être pronominalisé par en, lui,
y.
Par ailleurs, le verbe a déjà son sujet ; et
donc, si l'on postule que la complétive est COD, il faudrait qu'elle
réponde aux propriétés de ce constituant. Or, si elle est
pronominalisée ou si elle commute avec un GN, l'acceptabilité de
la phrase est mise en question : ? Élisabeth répondit la
vérité ; ? Élisabeth le répondit. Cette
complétive peut être supprimée sans grande incidence sur
l'intelligibilité de la phrase : Sans hésiter, Élisabeth
répondit. Le COD lui, n'est pas effaçable (ou l'est très
peu) dans la structure transitive directe. Si l'on a enfin recours à la
passivation, on se rend compte que la structure n'est pas disposée
à une transformation passive. On obtient un résultat peu naturel
: ?? Que pour rien au monde, elle n'abandonnerait son pays fut répondu
par Elisabeth. Quelle est donc sa fonction ?
La solution se trouve peut-être dans la commutation de
la complétive avec un adverbe ou un GP bien que ce ne soient pas des
classes équivalentes. En le faisant, la structure demeure correcte et
intelligible. La complétive n'assumerait-elle pas de ce fait des
fonctions adverbiales ? En témoigne le résultat de la
substitution par un adverbe ou un SP :
20.c'. Sans hésiter, Élisabeth répondit
péremptoirement / de cette manière / sentencieusement /
ainsi.
Auquel cas, elle devient complément adverbial du verbe,
bien que ces deux fonctions ne soient pas équivalentes et que la
cooccurrence des deux soit possible. Ces trois cas démontrent que la
complétive peut se prêter à des usages variés,
insoupçonnés ou inattendus. Dès lors, contrairement aux
analyses traditionnelles, qui fixent des fonctions précises à
certains constituants, nous postulons que ce constituant peut assumer les
fonctions qui ne lui étaient pas échues par la tradition.
Les analyses précédentes ont
présenté le fonctionnement global de la conjonctive
complétive ainsi que les problèmes qu'elle soulève. Il
ressort que, globalement, cette subordonnée a un fonctionnement
parallèle à celui du groupe nominal avec lequel elle est
interchangeable. Si plusieurs complétives existent,
seule la complétive du verbe a longtemps retenu l'attention. Or, les
complétives non-verbales apparaissent également dignes
d'intérêt. Elles semblent regorger de nombreux faits pertinents
pour l'analyse et la saisie de la phrase complexe. La présentation
ci-dessous concernera les complétives du nom et de l'adverbe.
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