1- Synthèses des travaux
théoriques
Théoriquement, le lien entre la dette publique et la
croissance économique a suscité depuis les années 80, des
débats macroéconomiques opposant deux (02) principaux courants de
pensée : le keynésianisme et le courant néoclassique.
Cependant, aucune théorie économique n'a encore établi de
façon formelle l'existence d'un plafond optimal de dette publique.
Chacune d'elles développe des argumentations très divergentes
visant à démontrer que les déficits publics sont
terriblement néfastes, incroyablement bénéfiques ou sans
importance.
Pour les keynésiensl'idée maitresse est que
l'endettement n'occasionne ni de charges pour les générations
actuelles et futures, en raison des investissements qu'il génère.
De cette approche l'endettement relance la demande, l'effet
accélérateur d'une hausse de l'investissement entraîne un
accroissement de la production. Le déficit budgétaire menant par
ses flux successifs à augmenter le stock de la dette produit l'expansion
du cycle économique par la demande et l'investissement autonome. Ainsi,
le déficit auquel correspond l'emprunt stimule la demande et ne permet
d'alléger le coût de son remboursement que seulement et
probablement en situation de sous-emploi des ressources productives.
Par contre, les classiquesou néoclassiques
considèrent l'endettement comme un impôt futur et l'imputent
à l'État. Selon eux l'endettement public a un effet
négatif sur l'accumulation du capital et la consommation des
générations futures et présentes. En fait les citoyens,
selon Ricardo voient dans l'emprunt un impôt différé dans
le temps et vont se comporter comme s'ils sont contraints de payer un
impôt ultérieurement pour rembourser cet emprunt peu importe le
décalage intergénérationnel. Autrement, les comportements
des agents économiques sont guidés par une anticipation à
la hausse des impôts. Toutefois, une réserve peut être
introduite selon la nature ou la qualité des dépenses
(dépenses de transferts et d'investissement) financée par
l'emprunt.
Le modèle de Barro (1990)a attribué un
rôle très important aux dépenses publiques productives (les
dépenses publiques en capital d'infrastructure) dans le processus de
croissance économique à long terme. Selon l'auteur, la dette ne
constitue ni une richesse pour la génération actuelle, ni un pont
entre les générations à cause de l'anticipation des agents
sur les impôts futurs. Ainsi une partie de la dette sera
transférée à la génération future (dette
fiscale) et l'autre sera compensée par titres publics. Cause pour
laquelle le fait de substituer l'emprunt à l'impôt
n'entraîne pas nécessairement la croissance.
Ces deux approches, aux conclusions radicalement
opposées, illustrent à quel point les débats liés
à l'opportunité du financement par emprunt ou par impôt et
à l'impact de l'endettement sur l'activité économique sont
complexes. Le théorème de Barro est moins soutenable à
plusieurs égards car il suppose l'existence d'un altruisme
intergénérationnel des ménages, un marché financier
parfait et l'absence de contrainte de liquidité chose inobservable pour
les deux dernières hypothèses en pratique. Les keynésiens
ne prennent pas en compte l'accumulation des arriérés due
à l'inefficacité de l'investissement ou de l'utilisation de la
dette (l'hypothèse est que toute dette est bien utilisée). Dans
la situation des pays en développement surtout des pays africains la
dette est parfois mal gérée si bien qu'en réalité
elle devient un poids pour les générations futures. Les avantages
et les inconvénients de chaque mode de financement dépendent
grandement du contexte économique, social et politique en vigueur, au
sein des pays concernés, à un moment donné. Actuellement,
l'équilibre budgétaire prôné par la conception
classique est assurément à la mode : aux Etats-Unis, plusieurs
états ont adopté une règle visant à rendre
obligatoire l'adéquation des dépenses aux recettes ; au sein de
la zone euro, les pays se sont engagés à respecter le pacte de
croissance et de stabilité. Pour les pays en développement de la
zone franc, l'application effective depuis 2000 de critères de
convergences de l'UEMOA, dont l'objectif est la maîtrise de
l'évolution des charges salariales, la constitution d'une épargne
par les administrations publiques, la réduction des déficits
publics, la réalisation d'un solde primaire de base positif et
l'élimination des arriérés de paiement, est soutenue par
une analyse néolibérale.
Krugman (1988) et Sachs (1989),prédisent qu'une dette
élevée est nuisible à la croissance économique,
dès lors qu'elle décourage les investissements. Pour ces auteurs,
lorsque la dette excède les ressources internes d'un pays, ce pays
risque de ne plus être capable de rembourser les emprunts passés,
ce qui aura un effet dissuasif sur les créanciers et les investisseurs
potentiels.
Romer (1992), Barro et Gordon (1994) ont montré que
l'intervention de l'État permet la croissance économique du fait
des externalités positives des dépenses publiques (fournitures
d'infrastructures, dépenses de santé, d'éducation,) sur la
productivité du secteur privé. Le budget de l'État est
devenu un instrument privilégié de politique économique,
une arme essentielle dans la régulation que les pouvoirs publics tentent
de mettre en oeuvre. Par conséquent nous privilégierons dans
cette étude l'approche keynésienne de l'endettement qui semble
suivre la logique des pays en développement.
L'idée de l'équivalence ricardienne a
été testée dans les pays en développement
en particulier par Montiel et Uqhual(cité par Raffinot. M, 1998)sur
un échantillon de 16 pays en développement. Pour ces pays
l'évidence empirique ne montre pas le caractère
opérationnel de cette théorie puisque le financement par emprunt
extérieur de la majorité de ces pays s'est traduit par des effets
d'éviction. L'épargne externe se substitue à
l'épargne interne entraînant une baisse de l'investissement
domestique. On constate que l'analyse keynésienne a permis
d'intégrer les finances publiques dans l'activité
économique générale.
La dette extérieure a le potentiel de stimuler la
croissance économique selon Rina et al. (2004), à condition
qu'elle serve à financer les investissements. Pour ces auteurs, il
convient d'avoir une mesure de l'endettement, car il existe un certain seuil
au-delà duquel la dette influence négativement la croissance
économique. En effet, lorsque le rendement du capital est en baisse, les
avantages de tout nouvel investissement sur la croissance économique
pourraient diminuer à mesure que la dette s'accroit. Cette
théorie donne lieu à une relation en forme de "Courbe de Laffer"
entre la dette extérieure d'une part et la croissance du revenu par
habitant d'autre part.
Minea et villieu (2008) mettent en évidence une
relation non linéaire entre les déficits budgétaires et la
croissance économique. Lorsque la dette publique est faible, l'impact du
déficit sur la croissance est positif, car la hausse de la charge de la
dette peut être absorbée par une réduction des
dépenses publiques de consommation. En revanche, lorsque la dette est
élevée, il n'est plus possible d'abaisser les dépenses
publiques, et l'ajustement s'opère par les dépenses
d'investissement, de sorte que la relation entre déficit et croissance
deviennent négative.
Greiner (2011)montre sur la base d'un modèle de
croissance endogène sans dépenses publiques productives que la
dette publique et croissance économique sont corrélées
négativement. Une dette élevée entraine une baisse du
volume de l'épargne net au niveau national et corolairement une hausse
des taux d'intérêt. Celle-ci entraine une chute de
l'investissement et un ralentissement de la croissance du stock de capital. La
moindre accumulation du capital se traduit par de moindre innovation et par
conséquent une baisse de la productivité du travail.
Greiner (2012)précise qu'il n'existe pas un
modèle bien spécifié qui pourra générer une
relation en U-inverse entre la dette et la croissance. La
non-linéarité peut survenir s'il existe un certain seuil à
partir du duquel la dette devient insoutenable (Ghosh, Kim, Men-doza, Ostry,
and Qureshi, 2012).
Arai et al. (2013) développent un modèle
d'équilibre général dynamique à durée de vie
infinie pour expliquer la relation inverse entre la dette publique et la
croissance économique. Les auteurs ne s'intéressent pas
uniquement à l'effet d'éviction mais aussi à l'effet de
levier que la dette publique peut exercer sur l'inversement privé. Si
le niveau de la dette publique est inférieur à un certain seuil,
l'effet de levier domine l'effet d'éviction et l'accumulation de la
dette publique améliore la croissance économique. Toutefois si le
ratio de la dette excède le seuil optimal, l'augmentation de la dette
publique réduit la croissance économique et ainsi, c'est l'effet
d'éviction qui domine.
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