2- Synthèses des travaux
empiriques
De nombreuses études empiriques ont analysé
l'impact de la dette sur les Pays en Développement (PED) avec des
résultats divergents. Alors que certaines études soutiennent que
la dette a des effets positifs sur la croissance économique des pays
d'accueil, d'autres par contre pensent que la dette n'est pas une condition
nécessaire ni suffisante.
Ø Effet de la dette sur la
croissance
Ojo (1989), à travers une approche
économétrique, montre que le rapport de l'encours de la dette/PIB
d'une trentaine de pays africains durant la période de 1976 à
1984 a été déterminé par : la variation des
exportations, le rapport des importations/PIB, le taux de croissance de la
population et au taux de croissance du PIB. Les résultats statistiques
lui permettent de conclure que le rapport de l'encours de la dette/PIB est
lié négativement à la variation des exportations, au taux
de croissance du PIB et positivement au rapport des importations /PIB, et
à la croissance de la population.
Borensztien (1991), dans une étude sur l'endettement
aux Philippines a conclu que la dette extérieure a un effet dissuasif
sur l'investissement privé. Selon son étude, un taux
d'endettement élevé freine indirectement l'investissement
productif à travers une faible rentabilité et donc la croissance.
Cette faible rentabilité de l'investissement est consécutive
à une baisse de l'activité économique et une hausse des
taux d'intérêts réels domestiques.
Cohen (1996), a montré empiriquement, que la dette a
entravé la croissance dans les Pays en Développement (PED).
Cependant, ce résultat général n'est pas obtenu pour tous
les pays de l'échantillon, notamment pour les pays africains. L'impact
de l'endettement sur la réduction de la croissance est faible pour le
Burkina Faso, le Kenya, l'ile Maurice, le Rwanda, l'Afrique du Sud, le
Zaïre, le Zimbabwe et le Mali. Pour le cas du Ghana et de la Tanzanie,
l'impact de la dette publique sur la croissance économique est
même positif ;
Coulibaly, Diarra et Keita (2001), dans un article sur
l'endettement des pays les plus pauvres : cas du Mali, ont montré par
des indicateurs statistiques, que le taux d'intérêt, le
financement des importations, surtout de biens de consommation courante, et le
processus cumulatif de l'endettement ont un effet positif sur le niveau
d'endettement du Mali.
Yapo (2002), a trouvé dans une étude empirique,
que le taux de croissance du PIB évolue dans le sens contraire de
l'endettement en Côte d'ivoire. Donc, un taux de croissance
économique assez élevé réduit les
opportunités d'endettement ; ce qui amène à la conclusion
selon laquelle les performances macroéconomiques ont tendance à
limiter dans une certaine proportion les contraintes liées aux besoins
en capitaux extérieurs.
Pattillo, Ricci etPoirson (2002), ont mené des
études s'appuyant sur les analyses de régression multiple pour
vérifier si la dette et la croissance sont liées. Cette
étude a pris en compte les déterminants types de la croissance :
le revenu par habitant (décalé), les taux d'investissement, de
scolarisation dans le secondaire, de croissance démographique (tous en
logarithme), la différence des politiques suivies (l'ouverture
économique, le solde budgétaire) et les chocs extérieurs
(les termes de l'échange). Sur la base de données de panel moyen
sur trois ans pour 93 pays en développement couvrant la période
1969-1998, leur étude a permis de prouver que la dette publique aurait
une relation en forme de U inversée (courbe de Laffer) avec la
croissance. L'incidence de la dette extérieure sur la croissance du PIB
par habitant commence à être négative à partir du
moment où la valeur actuelle nette (VAN) de la dette dépasse 160
à170% des exportations et 35 à 40% du PIB. Pour eux,
l'accroissement de la dette rend négative la croissance
économique.
Zokouri (2004),affirme que les exportations et les
investissements au Mali ont un impact positif sur la croissance
économique du PIB et cet effet est significatif tant dans le court terme
que dans le long terme. A court terme, une augmentation des investissements de
1% entraîne une hausse de la croissance économique de 0,02%. Cet
effet devient plus important à long terme et est de 0,07%. Concernant
les exportations, une hausse de 1% entraîne dans le court terme une
augmentation du PIB de 0,26% et une augmentation de 0,43% dans le long
terme.
Cléments, Bhattacharya et Nguyen (2005),
ont fait une analyse empirique de la relation dette extérieure
et la croissance à partir de données portant sur la même
période 1970-1999 pour 55 pays à faible revenu. L'enseignement
tiré de cette étude est : afin qu'un endettement
élevé ne puisse freiner la croissance économique dans les
pays à faible revenu, la dette ne pèse sur la croissance
économique qu'à partir du moment où elle atteint un seuil,
estimé à 50% du PIB environ pour la valeur nominale de la dette
extérieure (ou à 20-25 % pour sa valeur actuelle nette).
Wejeweera et al. (2005), ont mis en évidence le lien
entre la croissance économique et l'endettement au Sri Lanka durant la
période 1952 -2002. Ils indiquent que le pays n'a pas un problème
de surendettement et que l'endettement n'est pas le principal obstacle à
la croissance économique, parce que probablement le stock de la dette
totale n'est pas trop élevé.
Idlemounden et Raffinot (2005),pensent que la dette
extérieure constitue un fardeau pour une économie. Ils affirment
que le paiement du service de la dette tend à évincer les
dépenses publiques menant à une baisse de l'investissement global
et son poids futur décrit par l'encours de la dette, influerait sur les
incitations des agents économiques privés via l'accroissement de
la pression fiscale. Ensuite, cet effet, selon les auteurs, ne va se manifester
qu'à partir d'un certain seuil, justifiant ainsi l'annulation partielle
de la dette lorsque ce seuil est dépassé.
Diallo (2007), soutient dans une étude de la
Guinée que le ratio du service de la dette est négativement
corrélé à la croissance économique. Toutefois, de
par son coefficient, l'accroissement du ratio de l'encours de la dette par
rapport à la principale source de revenu (exportation) est la principale
cause des faibles performances de la Guinée. De toutes les variables
prises ensemble, ce sont le taux d'investissement et le développement du
capital humain qui sont les sources de croissance tandis que le pays profite
peu de son ouverture commerciale et de la dépréciation de sa
monnaie bien qu'étant toutes positivement corrélées au
taux de croissance du PIB par habitant.
Kumar et Woo (2010), ont analysé la corrélation
entre le taux d'endettement initial et la croissance du revenu par habitant sur
cinq années suivantes dans 38 pays industrialisés et
émergents. Ils arrivent à la conclusion qu'indépendamment
de l'approche économétrique appliquée, une forte dette
publique réduit effectivement la croissance en raison notamment de la
baisse du stock de capital. Ils estiment qu'une augmentation de 10 points de la
dette publique réduit la croissance annuelle de 0,15 point de
pourcentage.
Faye et Thiam (2015), utilisent un modèle à
générations imbriquées pour étudier l'effet de
l'endettement public sur la consommation, le PIB, l'épargne, les
recettes budgétaires, l'investissement, et la dynamique du capital au
Sénégal. Les résultats montrent qu'une hausse de 10% de la
dette publique influence positivement les variables macroéconomiques
mais dégrade le déficit de la balance courante. Pour être
efficace, il faudrait intégrer une dette publique de 65% du PIB au
minimum dans le processus d'accumulation du capital. Une hausse de la dette
extérieure de 10% impacte positivement les variables
macroéconomiques mais dégrade plus le déficit de la
balance courante. Une augmentation de10% de la dette interne entraine une
récession. Une augmentation des dépenses publiques
financées par emprunt entraine une hausse de la dette publique
léguée aux générations futures de 15% et une
augmentation de la consommation future d'environ 2%.
Ø Effet de seuil dans la relation entre dette
et croissance
Dans la littérature économique plusieurs
techniques sont utilisées pour détecter l'effet de seuil dans la
relation entre la dette publique et la croissance économique.
Reinhart et Rogoff (2010),ont analysé
l'évolution de la dette publique et de la croissance réelle du
PIB en se basant sur un ensemble de données relatives à 44 pays
(20 pays développés et 24 pays en développement) sur une
période couvrant environ deux siècles (1790-2009). Leur
principale constatation est la suivante : jusqu'au seuil de 90 % du PIB, il n'y
a pas de lien apparent entre la croissance économique et la dette
publique, mais au-delà de ce niveau, la croissance se ralentie.
Checherita et Rother (2010), sur un échantillon de 12
pays de la zone euro et durant presque quatre décennies, ont
considéré une relation quadratique entre la dette publique et la
croissance économique. Les résultats obtenus prouvent que la
dette a une relation en forme de courbe en U inversée avec la croissance
et confirment ainsi, l'hypothèse de non linéarité.
Au-delà d'un seuil de 90% à 100% du ratio dette / PIB, la dette
publique est préjudiciable à la croissance économique.
Toutefois, lorsque la dette atteint 70% du PIB, ses effets négatifs sur
la croissance apparaissent.
Caner et al. (2010), utilisent des moindres carrées
ordinaires, sur 101 pays (75 pays développés et 26 en
développement) durant la période allant de 1980 à 2008, et
montrent qu'il existe un effet de seuil entre la dette publique et la
croissance économique. Les résultats obtenus au niveau de
l'échantillon total montrent que jusqu'au seuil de 77%, la relation
entre la dette publique et la croissance est affaiblie. Ce seuil est
estimé à 64% pour les pays en développement.
Sur un échantillon de 18 pays de l'OCDE et durant la
période 1980-2010, Cecchetti et al. (2011) examinent les données
annuelles du PIB par tête et du stock de la dette du secteur non
financier. Ils démontrent qu'à partir d'un seuil estimé
à environ 85% du PIB, la dette publique affecte négativement la
croissance économique.
Minea et Parent (2012), appliquent le modèle de panel
à seuil à transition lisse ou PSTR sur un échantillon de
pays développés pour la période 1945-2009. Leurs
résultats confortent ceux issus de l'étude de Reinhart et Rogoff
(2010). Lorsque le ratio de dette/ PIB passe de la tranche 60-90% a plus de
90%, la croissance ralentit. En outre, la relation le niveau de la dette
publique et la croissance n'est pas toujours évidente. Les auteurs
considèrent alors qu'il faut saisir les causalités complexes de
l'endettement public, distinguant par exemple entre investissements productifs
sur le long terme et dépenses fiscales stériles pour la
consommation sur le court terme.
En adoptant la méthode d'effet seuil sur panel
dynamique, Checherita et al. (2013) ont essayé d'analyser l'impact non
linéaire de la dette publique sur la croissance du PIB pour un
échantillon de 12 pays de la zone euro durant la période
1990-2010. Les résultats montrent qu'à court terme la dette
publique a un effet positif et statistiquement significatif sur la croissance
économique. Mais au-delà d'un seuil estimé à 67% du
PIB, cet effet positif baisse et devient même nul. Au-delà d'un
seuil de 95% du ratio dette/PIB, un niveau élevé de l'endettement
affecte négativement l'activité économique.
Quant à Wade (2015), elle estime l'impact de la dette
publique totale en pourcentage du PIB sur le taux de croissance du PIB par
tête avec un PSTR et la méthode GMM. L'étude porte sur les
huit (08) pays de l'UEMOA et couvre la période 1980-2011. Les
résultats obtenus avec la méthode GMM indiquent un seuil optimal
de dette publique de 48,8% du PIB, alors que le PSTR donne un seuil critique de
49,8% du PIB.
Bini, Yohou et Ouattara (2016), en utilisant le PSTR (Panel
Smooth Transition Regression Model) sur la période 1989-2012, montrent
que la dette influence négativement et de façon significative
l'efficacité de la politique budgétaire. L'impact de la politique
budgétaire sur la croissance diminue progressivement quand le niveau de
la dette extérieure augmente. Ils estiment un seuil critique de 48% du
PIB au-dessus duquel les effets deviennent négatifs. Les
résultats indiquent l'existence d'une
hétérogénéité entre les pays et d'une
année à une autre.
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