4.3.3 L'appareil administratif et la fonction publique
En ce qui a trait à l'appareil administratif et surtout
la fonction publique, la déficience administrative apparait plus
dangereuse pour le pays lorsqu'on sait qu'« aucune politique publique
ne peut être exécutée, voire a priori
élaborée, en l'absence des connaissances, des savoir-faire et
savoir-être d'un corps bien rodé de techniciens capables de la
porter84 ». Tant du point de vue leur performance que du
point de vue de leur répartition, la fonction publique est loin de
répondre à sa vocation. L'effectif de la fonction publique peut
être considéré pléthorique lorsque l'on prend en
compte la taille du personnel d'appui et la pénurie des
compétences techniques, leurs allocations spatiales et la non
disponibilité des ressources matérielles indispensables au bon
fonctionnement des administrations85. C'est l'un des plus grands
maux de l'administration publique haïtienne. Mais il s'ajoute aussi la
question des services publics qui font défaut particulièrement en
dehors de la capitale.
En dépit des principes et instruments de gestion
prévus par la loi en la matière, le recrutement des
fonctionnaires se fait essentiellement sur recommandation et non par
concours86. Dans cette condition, il est impossible de
procéder à une bonne répartition des ressources humaines
car on ne sait pas les compétences du personnel.
Les faiblesses de l'administration publique est d'autant plus
grave lorsqu'on tient compte de la concentration du services publics, et la
gestion des collectivités territoriales.
« Rien d'étonnant donc que les élections du
21 mai 2000 aient abouti à un fiasco. Le climat
pré-électoral, dominée par un esprit d'intolérance
exacerbée, avaient été des plus violents87.
Les problèmes de l'administration
publique
Les faiblesses structurelles constituent les causes majeures
des problèmes économiques et sociaux du pays. Etant par nature
une problématique transversale, la gouvernance recoupe en
83 Jean Robert Simonise, « Aux origines de
l'insécurité en Haïti », Le Nouvelliste,
03-11-2011.
84 Jean-Abel PIERRE, Sociologie Economique de la
Corruption. Vers une étude emblématique
85 CCI, p19-20.
86 Jean Abel Pierre, op. cit.
87 PROSPER Avril, op cit, Page 75
84
long et en large toutes les entités de la
société88. Et elle est constitué le cadre de
références de la sphère publique. De la façon dont
l'administration publique fonctionne aujourd'hui, elle est le domaine
privilégié du népotisme, de la prévarication et de
l'enrichissement rapide.
Le phénomène de la
corruption
Dans les premières années du 3e
millénaire, la déficience de l'administration publique, tant du
point de vue des cadre (la fonction publique) que du fonctionnement de
l'appareil administratif, et l'ampleur était telle que le gouvernement
en place a dû mettre sur pied une cellule de réflexion sur
l'administration publique baptisée CNRA. Les résultats ont
révélé une administration inefficace et ne peut
répondre aux besoins de la population conformément avec sa
mission. La question de la mauvaise gouvernance et surtout de la corruption est
l'un des problèmes qui caractérisent ladite administration.
L'ULCC (2007a) a écrit :
« Des mesures concrètes, permettant de ralentir la
tendance évolutive de la corruption au sein des institutions publiques,
furent décidées et appliquées. En effet, à la
diligence du Ministère des Affaires étrangères, Haïti
a déposé le 7 juin 2004 à l'Organisation des États
américains (OEA) ses instruments de ratification de la convention contre
la corruption. L'Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) a
été officiellement créée en septembre 2004. Plus
récemment, une Commission Gouvernementale d'Enquêtes
Administratives sur la corruption a été constituée et a
remis un rapport volumineux sur la corruption dans l'Administration Publique au
cours de la période 2002- 2004. »
Tous les rapports ont fait ressortir ce fléau qui
paralysent le secteur public. Jean Abel Pierre (2014) a écrit :
« Haïti est l'un des pays dont le niveau de
corruption est le plus élevé au monde. Telle est, en
général, la conclusion des études réalisées
tant par des organismes nationaux qu'internationaux durant les deux
dernières décennies. Dans un rapport publié en 2004 par
l'organisation Transparency International (TI) sous le thème
spécifique de « corruption politique », Haïti figure
parmi les trois pays perçus comme les plus corrompus du monde
avec le Nigeria et le Bangladesh. Selon les données
agrégées des rapports annuels de TI, dont une vue panoramique est
présentée dans le tableau I (ci-après), de 2002 à
2013 Haïti accuse une note moyenne de 1,8
88 Mémoire du Gouvernement d'Haïti,
p15.
85
dans l'Indice de Perception de la Corruption (IPC), le situant
dans la catégorie des pays perçus comme les plus corrompus au
monde89. »
Si les acteurs de la communauté internationale, les
bailleurs de fonds notamment la BM ont toujours fait de la lutte contre la
corruption une de leurs préoccupations majeures en ce sens que celle-ci
est une entrave pour le développement économique, social et
politique (Magaly Brodeur, 2012 et Tearfund 2012), en Haïti, la corruption
et la bonne gouvernance semble ne pas être une mesure de l'allocation de
l'aide. Car, au fur et à mesure que l'allocation de l'aide augmente, la
corruption augmente d'ampleur. On se demande alors ou est le renforcement
institutionnel comme facteur de la bonne gouvernance ? (Darine Bakkour, 2013).
Dans cette perspective, certains critiquent vont même dire que l'aide
internationale favorise la corruption, comme M. Cue Rio (2013) : « La
question de la capacité d'absorption se pose avec plus d'acuité
encore lorsque l'aide est destinée à des pays mal
gouvernés, où la corruption est très présente et
les institutions sont faibles. Dans un tel contexte, une partie de la
littérature soulève le risque de gaspillage, voire d'une aide qui
pourrait encourager la corruption ».
Les études menées sur la corruption et la
mauvaise gouvernance dans l'administration publique ont
révélé que le secteur public haïtien est très
malade. Dans son rapport publié en mai 2007, le BRIDES, pour le compte
de l'ULCC nous a laissé ce tableau :
% ONG %
Tableau 11 : Classement des
institutions les plus corrompues : (Utilisateurs) ménages, entreprises
privées et ONG
Rang Ménages % Entreprises
privées
1 Justice 81 DGI 68 DGI 74
2 AGD 78 Partis Politiques 66 AGD 71
3 DGI 73 Maires 63 Juges et
Magistrats
|
66
|
4 Collectivités 70 AGD 61 Partis politiques 64
territoires
89 Jean Abel Pierre, op cit., page 99
86
5 TELECO 69 Parlementaires 58 Tribunaux 1e
|
63
|
instance
6 Min. Justice 68 Tribunaux 55 EDH 61
7 Travaux publics 68 Min. Justice 51 Coopératives 59
8 CAMEP et SNEP 66 Serv. Circulation
véhicules
|
51 PNH 58
|
9 Circulation des
véhicules
|
66 Tribunaux 1ere instance
|
47 Autorités locales 58
|
10 PNH 64 PNH 45 Gouvernement 56
Source : BRIDES-ULCC, Gouvernance et corruption en
Haïti, mai 2007, p27.
Les insuffisances dans les pratiques du secteur public
créent des points d'entrée pour la corruption et sont un facteur
clé du manque d'intégrité des agences publiques (BRIDES,
2007) et créent donc, comme le montre le tableau ci-dessus, un manque de
confiance de la part de la population à leur égard. Quant aux
formes de manifestation de la corruption, Jean-Abel P. (2014)
énumère dont : Favoritisme90,
Concussionnaire91, Evasion fiscale92,
Pots-de-vin93 Prévarication94, Délit
d'initié95 et le Trafic d'influence96. Bien que
nous ne tentions pas dans le cadre de ce travail faire l'état sur chacun
de ces formes ou pratiques corruptives, nous allons toutefois présenter
quelques-unes :
Le clientélisme et le
favoritisme
Les données fournies par BRIDES dans son étude
recommandée par l'ULCC composent un tableau relativement favorable du
recrutement du personnel. [...] Néanmoins, plus d'un tiers des
employés du service public interrogés (41,5%) répondent
que les recommandations d'un ami personnel ou d'une relation du responsable du
service ont joué un rôle dans l'obtention de
90 Le favoritisme est une tendance selon laquelle
on accorde des avantages par faveur au mépris de la règle ou du
mérite.
91 Personne ayant commis un délit consistant
à recevoir ou à exiger des sommes non dues, dans l'exercice d'une
fonction publique.
92 L'évasion fiscale : ensemble de
subterfuges employés par le contribuable pour payer moins d'impôts
au gouvernement avec la contribution d'un agent du fisc.
93 Somme d'argent ou toute autre faveur offerte
à une personne occupant une position de pouvoir pour
accélérer les formalités administratives.
94 Détournement de fonds publics.
95 Consistant, dans les affaires, à se servir
d'informations confidentielles pour en tirer un profit personnel.
96 Infraction qui consiste à obtenir de
l'autorité publique des avantages en échange d'une
récompense.
87
leur poste, et moins de la moitié (45,8%) confirment
avoir été soumis à la période d'essai
recommandée de 3 mois. L'accès à l'information sur
l'emploi dans la fonction publique dépend également des relations
personnelles : 36% des fonctionnaires ont dit avoir entendu parler de leur
poste par notification personnelle (BRIDES, 2007a et 2007b)
Toutefois, CNRA arrivait à une conclusion que de graves
problèmes liés à la déficience des ressources
humaines et à la carence managériale qui perturbent le
fonctionnement de cet appareil administratives, conclusion que Naud (2008)
reprend dix ans plus tard. L'accointance politique et le favoritisme
constituent des caractéristiques typiques de cette déficience.
La lourdeur administrative
L'administration publique haïtienne ne donne presque pas
de résultats, elle est quasi-incapable de le faire avec de faibles
moyens et l'administré se plaint quotidiennement [...]. En outre, c'est
aussi une cause du désarroi des acteurs internationaux intervenant dans
le renforcement des capacités nationales en Haïti qui se plaignent
de la lourdeur de l'Administration (Destin JEAN, 2011). L'administration public
haïtienne est en proie à ce phénomène de lourdeur
surplombante qui est responsable majoritairement de son mauvais
fonctionnement (J. Abel Pierre, 2014 :122). La conséquence directe et
immédiate de cette lourdeur administrative est la fuite des services par
les usagers.
L'inefficacité et
l'inefficience
Le pourcentage des ménages répondants à
l'étude de BRIDES montre un secteur public ou la mauvaise gouvernance
jailli : ils ont classé les services fournis comme mauvais ou
très mauvais, en se basant sur la qualité des services et leur
efficacité. Cette piètre qualité de service constitue un
obstacle important à l'accès aux services publics,
décourageant complètement certains utilisateurs. Par exemple,
24,3% des utilisateurs qui avaient besoin des services de la Direction
Générale des Impôts ont décidé de recourir
à de tiers, et 31,9% de ceux-ci ont dit qu'ils perdraient trop de temps
à utiliser ce service en particulier. Ce problème
d'inefficacité fait partie des principales raisons invoquées par
les répondants pour ne pas essayer d'accéder à un service
public. L'une des raisons qui expliquent cette inefficience et
cette inefficacité est que le budget des institutions publiques est
quasi de fonctionnement (dans la rémunération du personnel
seulement), et le volet d'investissement représente un très
faible pourcentage.
88
|