IV. L'intérêt économique d'une
stratégie Lean pour l'entreprise
Pour se protéger des crises financières, qui
affectent leur stabilité, toutes les entreprises cherchent à
améliorer leurs performances, afin de maximiser les profits et minimiser
les pertes. C'est particulièrement vrai depuis les années 2000,
avec la volonté des gouvernements de diminuer les dépenses de
santé.
Nous allons tout d'abord définir la performance de
façon générale. Ensuite, nous étudieront comment le
Lean peut influencer cette performance, à travers la chasse aux
gaspillages.
Qu'est-ce que la performance?
Nous pouvons décrire la performance grâce
à deux outils. Le premier est couramment utilisé dans le domaine
de la gestion de projet. La performance peut être décrite à
l'aide d'un triangle, dont les trois sommets sont une bonne qualité, un
coût maitrisé et des délais respectés :
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Figure 1 : Modèle de la performance en gestion de
projets
L'évaluation de la performance se fait alors en
analysant l'équilibre entre ces trois dimensions. Cet équilibre
doit correspondre aux besoins du client, et cela influencera sa
satisfaction.
Le deuxième est le modèle de performance de
Gilbert, qui décrit la performance comme « Un équilibre
entre les objectifs visés, les moyens matériels et
immatériels pour les réaliser, et les résultats obtenus
» (GILBERT & YALENIOS, 2017). On peut alors préciser trois
axes d'évaluation de la performance :
- La pertinence, qui est définie par le rapport entre
les objectifs initiaux et les ressources acquises pour les atteindre.
- L'efficience, qui est le rapport entre les résultats
obtenus et les ressources utilisées - L'efficacité, qui est le
rapport entre les résultats obtenus et les objectifs initiaux.
Figure 2 : Schéma représentant le
modèle de performance de Gibert (GILBERT & YALENIOS,
2017)
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On peut développer la performance d'une organisation en
agissant sur ces trois axes. On cherchera alors à optimiser les
méthodes d'acquisition des ressources pour n'obtenir que ce qui est
nécessaire (pertinence), ou bien améliorer les méthodes de
production des résultats afin de diminuer la consommation des ressources
(efficience) ou encore fixer des objectifs au en tenant compte des
capacités réelles de l'organisation (efficacité).
Ces deux modèles peuvent être appliqués
à un service d'Assurance Qualité, qui agit alors comme une
organisation à l'intérieur de l'entreprise, en étant
à la fois un fournisseur de services, mais aussi un client,
vis-à-vis des autres départements de l'entreprise.
Les gaspillages nuisent à la performance
Nous avons vu précédemment cinq valeurs
appliquées par les japonais sur l'usine Toyota, pour redresser la
performance de l'entreprise :
- Réduire les gaspillages
- Assurer une qualité optimale des produits, dès le
début de la production
- Produire à la demande des clients, pour réduire
les stocks
- Impliquer le personnel de production dans le diagnostic et la
résolution des problèmes
- Favoriser l'amélioration en continu, de façon
dynamique et en intégrant tous les acteurs
concernés
Nous allons voir que la réduction des gaspillages
facilite l'adoption des quatre autres valeurs. Les gaspillages nuisent à
la performance, car ils ajoutent un coût supplémentaire et non
essentiel au cout de fabrication d'un produit. Michael BALLE et Godefroy
BEAUVALLET définissent dans leur ouvrage Le Management Lean
(2016) la marge d'une entreprise. C'est un facteur de rentabilité,
qui représente la différence entre le prix, c'est-à-dire
ce que le client donne pour un produit, et les couts engagés par
l'entreprise pour ce produit :
Marge = Prix - Coût
Selon ces deux auteurs, « toute activité
industrielle a un coût inévitable, auquel s'ajoute un
surcoût évitable : le coût de gaspillage (BALLE &
BEAUVALLET, Le Management Lean, 2016). On peut donc écrire :
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Marge = Prix -- (Coût inévitable +
surcoût évitable)
En diminuant le surcout évitable, on diminue le
coût global de production, et on augmente donc la marge
engendrée.
Dans la philosophie Lean, le gaspillage est défini
comme « le coût de la non-valeur ajoutée » (
(BALLE & BEAUVALLET, Le Management Lean, 2016). Cela nous amène
à définir le terme de valeur ajoutée, qui peut être
traduit par « la valeur que le client est en droit d'attendre d'un
produit ou service, qui correspond à la satisfaction d'un besoin
» (DEMETRESCOUX, 2017).
Nous retrouvons ici la satisfaction du client, qui est au
coeur d'une démarche qualité. Le gaspillage serait alors
l'utilisation de ressources pour produire un produit ou un service, mais qui
n'ajouterait pas de valeur au produit, du point de vue du client.
Taiichi Ôhno, ingénieur chez Toyota, est le
premier à avoir étudié en détail cette non-valeur
ajoutée. Il montre dans son livre Toyota Production
System4 que la vraie valeur du travail ne représente
qu'une partie du temps des opérateurs, le reste pouvant être
qualifié de gaspillage. Il a ainsi détaillé sept
catégories de gaspillages, qu'il appelle Mudas (déchets
en japonais). Ils peuvent être rencontrés dans tous les domaines,
comme les zones de production ou les espaces de bureaux.
- Surproduction : produire plus que le besoin, ou bien
trop tôt par rapport au besoin. C'est le plus important des types de
gaspillages, car il peut entrainer d'autres types de gaspillages, comme les
stocks.
- Attente : toute ressource (machine, personnel,
matière) à l'arrêt, en attente. Cela entraine des stocks,
mais peut aussi altérer la ressource (péremption de
matière, désengagement du personnel)
- Transport : tout déplacement de ressource
(matériel, personnes, information), qui n'est pas nécessaire
à la production.
4 Source : Source : Taiichi Ôhno, Toyota
Production System : beyond large-scale production, Productivity Press,
(1988)
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- Stocks : accumulation de plus de matière que
le minimum raisonnable pour la production. Cela engendre un cout très
important, car un stock nécessite de la place qui n'est plus disponible
pour la production, mais il faut aussi garantir de bonnes conditions pour
éviter d'altérer la matière. Enfin, d'un point de vue
comptable, les produits stockés sont une perte, car ils ont
consommé de la ressource, nais n'ont pas encore été
valorisés.
- Mouvement : tout mouvement superflu, qui est
dangereux ou pénible pour le personnel. - Défaut : toute
perte entrainée par une activité qui ne correspond pas à
l'exigence. Cela
concerne aussi les activités qui ne sont pas «
bonnes du premier coup », et qui nécessitent
une correction, ne réparation ou la mise au rebut de la
production.
- Processus excessif (ou sur-qualité) :
processus qui comporte des actions superflues, ou excessivement complexe. Cela
peut être la source d'erreurs, et donc paradoxalement, de
défauts.
Un huitième gaspillage a été
rajouté ultérieurement, et concerne une mauvaise utilisation du
potentiel humain des collaborateurs, par exemple, en ignorant le potentiel des
opérateurs dans les activités d'amélioration continue, qui
sont pourtant au contact de l'outil de production et ses dysfonctionnements.
Ces gaspillages peuvent être engendrés par deux
autres formes de gâchis, qui en sont donc des causes plus profondes. Le
premier est appelé Mura, ou variabilité et le
deuxième Muri, l'excès.
La variabilité et l'excès, des causes de
gaspillages
Le mot Mura désigne en japonais ce qui est
irrégulier, variable ou aléatoire. En pratique, cela se traduit
par des pics d'activités en fin de période, une
répartition inégale de la charge de travail, un manque de
standards conduisant à la variabilité des résultats, mais
aussi des pannes, l'absentéisme, ou encore des ruptures
d'approvisionnement.
Tout cela conduit à produire des gaspillages, qui ont
pour rôle de prévenir ces évènements
aléatoires. On peut penser aux stocks de matière première
ou d'en-cours, pour pallier des ruptures de la chaine de production, ou encore
à l'attente engendrée si ces stocks ne sont pas suffisants. Des
défauts sont aussi engendrés par la variabilité des
processus, qui ne sont alors plus conformes aux exigences.
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Le mot Muri désigne tout ce qui est excessif
dans une organisation. Cela peut être l'achat d'un trop grand nombre de
machines pour les besoins de la production, une sur-utilisation d'un
équipement, ou bien la fixation de délais excessivement courts,
une surcharge de travail ou de pression sur les employés. Cela peut
entrainer des pannes, qui provoquent des attentes sur la chaine de production,
mais aussi de la fatigue et du stress pour le personnel.
Pour conclure, nous avons vu que l'ensemble des outils Lean
ont pour but de réduire ces gaspillages, en préservant les
ressources utilisées à mauvais escient, et en améliorant
les processus de production, ce qui permet d'augmenter la productivité
d'une entreprise.
Cependant, les Hommes sont au coeur du travail, et de la
performance d'une entreprise. En effet ils dirigent l'entreprise, prennent des
décisions et contrôlent l'outil de production. Quelle est leur
place dans une démarche Lean, et quels sont les apports d'une telle
démarche pour le management ?
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