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Contribution du programme cartographie participative dans la promotion des droits des communautés forestières en RDC


par Blaise Mudodosi Muhigwa
Chaire de l'UNESCO de l'université du Burundi - DESS en Droit de l'Homme et résolution pacifique des conflits 2008
  

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Section 1. LA CARTOGRAPHIE PARTICIPATIVE PAR LE RRN

§1. Le Réseau Ressources Naturelles (RRN)

Le RRN est un groupement d'ONG oeuvrant dans les domaines de l'environnement, des ressources naturelles et de la défense des droits des communautés locales et les peuples autochtones en RDC soucieuses de la prise en compte effective des intérêts, des droits et pratiques traditionnels des communautés locales et peuples autochtones dans le processus des reformes forestières et la gestion des ressources minières55(*).

Crée en 2002 en RDC, le RRN est une association sans but lucratif regroupant 26 membres effectifs oeuvrant sur tout le territoire du pays. Il a pour objectifs56(*) d'assurer la prise en compte des intérêts, droits et pratiques traditionnels des communautés locales et des peuples autochtones dans la gestion des ressources naturelles ; de renforcer les capacités des communautés locales et peuples autochtones pour un plaidoyer en vue de la reconnaissance de leurs droits d'accès aux ressources naturelles et aux terres, et leur apporter le cas échéant, une assistance judiciaire et administrative en vue du respect effectif de leurs droits.

Le RRN fonctionne sur toute l'étendue de la RDC à travers ses cinq organes57(*) qui sont : l'Assemblée Générale, le Comité National, la Coordination Nationale, les Comités d'Orientation et les Points Focaux provinciaux.

§2. La cartographie participative en RDC

La cartographie participative est une approche du RRN, en collaboration avec le CED Cameroun et la Rainforest Foundation, qui vise à sécuriser les communautés forestières contre toute tentative de spoliation ou de négation de leurs droits dans le processus de mise en oeuvre du code forestier qui placel'exploitation forestière et la conservation avant le zonage. Cette situation a causé plusieurs préjudices et conflits dans le secteur forestier au Cameroun.

En RDC, des conflits liés aux limités d'aires protégées ou d'une concession sont déjà nés et la cartographie participative est capable de fixer les uns et les autres sur l'étendue de leurs droits et parvient ainsi à juguler les différents conflits qui pourraient en résulter.

A. Historique et motivation

La cartographie participative s'est inspirée non seulement des expériences de Rainforest Foundation qui, depuis de longues années, a facilité les activités de cartographie participative dans d'autres continents, par exemple le travail des Ye'kwana et Sanema au Venezuela, mais aussi des expériences de la Rainforest Foundation et le CED au Cameroun. Les droits des Baka et les Bagyeli58(*) ont connu des restrictions sérieuses depuis la loi forestière camerounaise de 1994 qui inspira59(*)paradoxalement le code congolais de 2002. Le CED a, avec ces communautés, produit des cartes participatives afin d'assurer la prise en compte de leurs droits dans le Plan de Gestion de plusieurs Parcs Nationaux.

Conscients du danger qui guette les communautés forestières de la RDC, Rainforest Foundation et CED ont entré en contact avec le RRN pour développer une stratégie deveilleafin que les droits de contrôle, d'accès et d'utilisation des ressources par les communautés forestières soient inscrits dans les politiques et processus législatifs congolais liés à la forêt.

Le volet important de cette stratégie est la cartographie participative. Depuis 2006, elle est réalisée par plusieurs communautés autochtones et locales dans toutes les provinces du pays, avec l'appui technique des membres du RRN (Facilitateurs et Techniciens labo) formés, à Kisanganien mai 2006 à la facilitation de la production des cartes auprès des communautés et à l'utilisation du GPS; et, à Kinshasa en mai 2006 au cours de cette formation,certains facilitateurs du RRN ont été initiés au Système d'Information Géographique (SIG) et Arcview 3.X. Cette dernière formation a porté sur le SIG, un outil informatique qui permet d'intégrer, de localiser, d'analyser et de représenter des données ayant ou non une dimension géographique ; elle a porté également sur le logiciel de traitement Arcview 3.X.

Il est vrai que partout la cartographie a contribué beaucoup au respect des droits traditionnels des communautés forestières. Le RRN a identifié le fait de sécuriser les droits60(*) des communautés sur leurs espaces de vie comme une nécessité absolue. La coordination avait discuté cette problématique avec des partenaires qui se sont mis d'accord sur « la stratégie appropriée pour identifier les droits des communautés forestières et leur prise en compte dans la planification et la gestion des forêts est la cartographie participative ».

B. Enjeux de la cartographie participative en RDC

L'idée de la cartographie participative en RDC est née à partir du Processus de planification de terre et le plan de zonage issu de l'adoption du code forestier de 2002 qui apporte des changements dans la gestion des forêts congolaises.Vu les enjeux autour de la gestion des forêts de la RDC, particulièrement les processus de zonage et de conversion des titres forestiers, avant le zonage, le RRN a trouvé qu'il était opportun de faire participer les communautés locales et peuples autochtones vivant dans et de ces forêts à ce processus, à travers l'élaboration des cartes de leurs espaces coutumiers et des espaces d'utilisation des ressources naturelles qu'ils tirent de ces forêts. Cette technique pourrait constituer « un remède pour contrer le zonage » test déjà fait sur base des images satellitaires, c'est-à-dire prises à partir des avions. De telles images n'avaient pas réussi à faire apparaître sur les cartes des villages ou encore des habitations isolées situées sous le feuillage des arbres. La conversion des titres précédent le zonage apparaissait aux yeux du RRN comme un zonage imposé.De ce fait, la cartographie participative s'avéraitcomme une arme appropriée au service des communautés locales, pour fixer la situation de leurs espaces vitales et celles de production sur papier,avant ou pendant une allocation forestière.

Selon la loi, l'Etat aurait dû élaborer un plan de zonage61(*) pour délimiter les concessions forestières, les espaces de production des populations et ceux destinés à l'érection des nouvelles aires protégées. Est apparu comme un zonage de fait, à sens unique, et concentré sur l'exploitation industrielle du bois sans implication effective des communautés locales.

Le code prévoit62(*)par ailleurs l'augmentation des forêts classées à la hauteur de 15% de la superficie totale du territoire national au lieu de 9%.La cartographie participative est, à cet égard une méthodologie qui permettra aux communautés locales de protéger leurs espaces de champs, d'habitation, de rituel, de chasse, de pêche, etc. susceptibles d'être affectées par le processus de mise en oeuvre du code forestier.

C. Importance et utilité des cartes communautaires

Les cartes d'utilisation des ressources des communautés forestières ont une importance capitale dans les activités des différentes associations de promotion et de protection des droits des communautés.

Elles déterminent :

- les zones d'activités des communautés locales affectées par l'exploitation forestière, minière et pétrolière (champs, pêche, chasse, cueillette etc.) ;

- les sites des villages délocalisés suite au classement d'une forêt ou d'une exploitation industrielle des minerais, etc. ;

- les cours d'eau affectés par la pollution.

Les cartes communautaires seront utilisées, il a déjà été dit, dans le lobbying visant le respect des droits des communautés pour une paix dans le secteur forestier.

De ce fait les carte:

1. doivent constituer un élément important du dossier de demande de la forêt communautaire ;

2. les cartes feront partie des documents utiles à l'élaboration du plan d'aménagement et de gestion des forêts communautaires ;

3. préviendront les conflits avec les voisins concernant les limites de la forêt communautaire ;

4. constituent la base de défense des droits des communautés locales contre le débordement des exploitants et des gestionnaires des aires protégées.

Elément essentiel du plaidoyer des droits des communautés forestières, les cartes communautaires constituent les preuves de l'exercice des certains droits coutumier et délimitent l'étendue des droits des populations et des éventuels prétendants. Les Baka et les Bagyeli avaient réussi, avec la carte d'utilisation de leurs ressources produite avec le concours de CED, à avoir la reconnaissance de leur droit d'usage dans le parc national de Djah

D. Objectifs d'une carte communautaire

Une carte communautaire a pour objectif principal de permettre aux intervenants dans le secteur forestier, de connaître les espaces de production des communautés pour empêcher une éventuelle dépossession par les exploitants forestiers et le gouvernement (concessions forestières, parcs nationaux,...) ;de permettre aussi aux communautés de montrer leurs droits sur la forêt. Enfin, une carte communautaire permet à la communauté concernée de bien cerner les parties ou le contenu d'une carte.

Une carte doit comporter les mentions suivantes:

- un titre qui indiquel'objectif essentiel de la carte. C'est pourquoi les cartes produites par les laboratoires du RRN portent le titre comme par exemple «  Carte d'utilisation des ressources forestières de la communautés... » ;

- une légende qui explique ou interprète les symboles utilisés.Lors du travail d'une carte communautaire, une attention particulière sera accordée aux activités des communautés superposées soit aux concessions forestières, soit aux aires protégées tels que la chasse, la cueillette, le champ agricole, les sources d'eau, etc. ;

- une date et les auteurs. Ces éléments sont importants parce que si beaucoup de jours passaient, la carte peut perdre sa valeur ; ne plus contenir les informations essentielles. Les symboles peuvent ne plus correspondre aux repères physiques ;

- une échelle. Celle-ci est le rapport entre la distance sur la carte et la distance réelle. Pour dessiner une carte de façon pratique, il faut diviser la longueur de l'espace à utiliser sur le papier par la distance réelle sur le terrain et trouver l'échelle. En réalité, on ne peut déterminer facilement avec précision la distance entre deux points sur le terrain. Pour y parvenir, il faut utiliser un GPS63(*).

§3. Acteurs et cibles de la cartographie participative

A. Acteurs de la cartographie participative du RRN

Les activités de cartographie participative du RRN connaissent la participation des acteurs ci-après.

1. Les facilitateurs 

Ils sont tous des activistes des droits de l'homme venus des associations membres du RRN. Ils ont apprisles techniques qui aident les communautés à dresser leur carte etla manipulation et l'utilisation du GPS à travers les différentes formations des facilitateurs organisées, soit par la coordination au niveau national, soit par les points focaux au niveau provincial. Ce sont eux qui, lors des ateliers communautaires de cartographie, apprennent le GPS aux membres de la communautés désignés pour le prélèvement des waypoints64(*) représentant les différentes utilisation des ressources,après avoir expliqué les enjeux et le processus de mise en oeuvre du code forestier et le danger qui guette les communautés, si elles ne possèdent pas une « preuve » de leur occupation et des leurs activités.

2. Les techniciens de laboratoire

Avant d'être techniciens, ils sont d'abord facilitateurs ; mais ils sont à l'aise avec les logiciels de cartographie tels que Arcview, Mapsource et GPS Utility pour traiter les données prélevées lors des descentes dans la forêt afin de produire les cartes géo - référencées ;

3. Les cartographes locaux 

Ils sont tous membres de la communauté intéressée et sont désignés par elle sur base de la connaissance des zones importantes que la communauté tient à voir figurées sur leur carte, telles que les zones de chasse, les sites sacrés, etc.

Ils apprennent des facilitateurs comment utiliser le GPS pour prélever les données eux-mêmes. Ceci constitue une stratégie conduisant les communautés à s'approprier le travail, et par la suite, la carte.

B) Cibles de la cartographie participative

La cartographie participative doit avoir comme cible :

1. Les communautés situées à l'intérieur ou aux cotés des concessions forestières.

Par celles-ci, il s'agit des communautés locales ou les populations autochtones pygmées qui redoutentque leurs droits soient coincés par une exploitation industrielle du bois. Ceci dit, il faut bien cibler la communauté qui a besoin de la carte. La doit venir résoudre un problème.

2. Les communautés se trouvant dans ou à la lisière des aires protégées.

Ici aussi, il peut s'agir des communautés locales ou des populations pygmées se trouvant lésées par la conservation de la nature. Elles ont été chassées de l'aire protégée ou avaient des activités dans une forêt classées.Une carte montrant cette situation servira de preuve des différents droits coutumiers qu'ont les communautés sur l'aire protégée. Une fois leurs droits confirmés, ces communautés peuvent se voir, soit indemnisées, soit participer dans sa gestion ou exercer leurs droits d'usage sans condition.

3. La présence des populations autochtones pygmées.

La population pygmée de la RDC compte parmi les plus démunies des populations pauvres du monde. Les pygmées sont tributaires de la forêt pour leur alimentation, leur revenu, leur énergie, leur logement, leurs médicaments et leurs besoins culturels.Ce dénouement pourrait être le fait qu'elles ont été, généralement, chassées de leurs milieux naturels pour se retrouver aujourd'hui en train d'errer sur les terres d'autrui.La carte servira dans le plaidoyer visant amener ces communautés sur leurs terres d'origine.

De ce qui précède, il ressort que le RRN ne fait pas la carte en choisissant le site à cartographier au hasard. La carte coûte cher. Elle a pour objectif de résoudre un problème lié à l'exploitation des ressources naturelles. Ce qui amène le RRN à examiner munitieusement le caractère « chaud65(*) » du site concerné.

Section 2. EXPERIENCES DE LA CARTOGRAPHIE PARTICIPATIVE DANS LA DEFENSE DES DROITS DES COMMUNAUTÉS FORESTIÈRES : ETUDE DE CAS

Le RRN a déjà une expérience suffisante en matière de cartographie. Les laboratoires des différentes provinces ont déjà produit une quarantaine de cartes communautaires ; d'autres sont en cours de production. Pour faire une bonne cartographie participative, il existe un schéma général de l'approche à suivre (§1). Pour des raisons d'efficacité, seront analysés deux cas de cartographie participative dans la promotion des droits des communautés à l'occasion de la conservation (§2) et del'exploitation (§3) des forêts par des compagnies forestières.

§1. Procédure de l'approche participative de la cartographie

Les activités de la cartographie participative du RRN en RDC suivent le schéma ci-après :

1. L'identification des zones chaudes

Cette activité consiste à cibler, dans une réunions, les communautés dont la jouissance de leurs droits est restreinte par la présence des concessions forestières, minières et des aires protégés. Elle peut aussi cibler présences des populations autochtones sans terres ou chassées de leurs terres. Il est important de bien identifier les sites avant de réaliser la cartographie participative, car elle a pour finalité de résoudre un problème communautaire.

2. Les missions de prospection

Lors de cette mission, les facilitateurs se rendent sur le terrain pour s'enquérir du « caractère chaud » du terroir ciblé et aussi de préparer, d'annoncer et d'étudier la faisabilité de la prochaine mission de cartographie.

3. Les missions de cartographie proprement dites

Les activités principales suivantes sont à répertorier lors de la mission de la cartographie participative:

- les ateliers de formation des cartographes locaux ou « atelier communautaire » au cours desquels les cartographes locaux apprendront principalement les enjeux forestiers du moment et la manipulation du GPS, et dessineront les esquisses qui orienteront les équipes lors de prélèvement des données. Cette formation impliquera toutes les communautés du milieu ainsi que les autorités politico - administratives. Les facilitateurs formateurs doivent maîtriser les techniques de résolution pacifique des conflits.

- Le prélèvement des waypoints66(*). Cette opération sera conduite par les cartographes locaux qui, accompagnés par les facilitateurs, iront dans la forêt et partout où la communauté a des activités pour prélever ces points afin qu'ils apparaissent sur la carte.

4. Travail de laboratoire 

Le technicien labo va se servir des esquisses produites par les membres de la communauté et des carnets des bords contenant tous les waypoints prélevés, leurs numéros et les noms des lieux qu'ils représentent suivis des observations. Avec cette technique, le laboratoire produira une carte qui ne sera pas contestée par la communauté lors de la validation.

5. Validation de la carte 

L'approche de la cartographie du RRN veut qu'immédiatement après la production par le laboratoire de la première carte, celle-ci soit amenée devant la communauté concernée pour qu'elle y reçoive quelques correctifs et observations. Ce n'est qu'après cette étape, que la carte finale peut éditée.

6. Sensibilisations des autorités politico - administratives

Cette étape consiste à sensibiliser et faire le plaidoyer aux près des autorités pour remettre la communauté concernée par la carte dans ses droits.

La cartographie participative doit être considérée comme un processus dont il faut respecter les étapes vues ci haut. La mission placera au premier plan les droits des communautés qui sont superposés aux concessions ou aux aires protégées (chasse, pêche, cueillette, habitation, etc.). Ces droits doivent être exercés par les communautés conformément à la législation en vigueur. Comme il a été démontré dans le chapitre précédent, les instrumentsjuridiques internationaux et nationaux reconnaissent notamment les droits d'usage, de jouissance et d'être consulté qui doivent être respectés par tous.

§2. La cartographie face à la conservation des forêts: cas de la cartographie faite dans le massif forestier d'Itombwe dans la province du Sud-Kivu

A) Bref aperçu sur la conservation en RDC.

Les forêts de la RDC sont conservées aujourd'hui à travers soixante aires protégées dont sept parcs nationaux couvrant 18,5 millions d'hectares, soit 9% de la RDC. Beaucoup d'elles ne sont protégées que sur papier67(*). La Banque Mondiale reconnaît d'ailleurs que les zones protégées existantes sont inadéquates : « le réseau actuel des aires protégées, comportant seulement 7 parcs nationaux et 57 réserves naturelles et de chasse, est insuffisant pour préserver la biodiversité de la RDC (...) 68(*)».

En conséquence, le code forestier stipule qu'au moins 15% du territoire national (soit 35 millions d'hectares) doivent être protégés69(*). Cela représente une augmentation de 16,5 millions d'hectares par rapport au chiffre actuel.Du point de vue de la protection de la biodiversité, il s'agit d'un objectif ambitieux et nécessaire.

Cependant, quelle sera la situation des communautés locales et populations autochtones vivant dans et autour de ces forêts lors de cette « augmentation » alors que leur situation actuelle n'est pas bonne.La plupart des projets de conservation ne respectent pas les droits des communautés70(*). L'attachement des populations autochtones aux ressources forestières comme base de leur alimentation et de leur culture obligera le conservateur de tenir compte de ces populations dans le plan d'aménagement de l'aire protégée.

Dans le but d'augmenter les aires protégées, le massif forestier d'Itombwe a été proposé par ICCN après les études menées par WWF et WCS. Le RRN était négativement marqué de la façon dont l'opération s'est déroulée. La population n'ayant pas été valablement consultée, les études faites sur le terrain n'ont pas montré valablement la situation des populations dans le massif. Ces études se sont intéresséesaux ressources végétales et animales. C'est dans souci de protéger la population contre le danger lié au projet de classement du massif d'Itombwe que le RRN orienta la cartographie participative à Itombwe.

B. De la cartographie participative à Itombwe

Organisé par le point focal du RRN Sud Kivu et AFRICAPACITY PROJECT71(*), 8 facilitateurs ont été envoyés, du 29 août 2006 au 11 septembre 2006,aider les communautés habitant ce massif forestier à produire une carte de leur utilisation des ressources forestières.

Itombwe est une collectivité du territoire de Mwenga. Elle est traversée par la chaine de montagnes « Mitumba », qui occupe la grande partie de la forêt appelée aujourd'hui : massif d'Itombwe72(*). Ce massif est composé de deux parties, la partie forestière occupée généralement par les agriculteurs et les chasseurs et la partie savane, par les peuples pasteurs et agriculteurs.

La mission est intervenue juste après les recherches faites par WWF et WCS visant à classer ce massif forestier riche en faune et en flore. Processus plein des contradictions et sans implication des communautés. Le RRN avait le but de sécuriser les communautés afin de ne plus vivre le scénario de triste mémoire lors de l'extension du PNKB où des milliers des pygmées avaient été chassés de leurs terres, sans condition ni indemnisation.

Le travail sur le terrain a amené les 8 facilitateurs à se repartir en 4 axe (Kitopo, Ngomiano, Kitopo-Miki et Lubumba-Magunda) dans lesquels les réunions de mise en confiance ont précédé les formations des cartographes locaux, suivies des productions des esquisses des cartes et des prélèvements des données GPS. Enfin, les esquisses produites ont connu la participation de toutes les communautés qui vivent dans ce milieu ; à savoir, les babembe, les banyamulenge, les bafuliru, les banyindu et les batwa (pygmées).

20 cartographes locaux ont été formés. La formation a porté sur les matières suivantes :

· les réformes forestières telles que contenues dans le nouveau code forestier ;

· des notions introductives sur la cartographie participative ;

· la différence entre réserve et parc ;

· la production des esquisses des cartes par les communautés ;

· la manipulation, l'utilisation du GPS et les exercices pratiques suivis des prélèvements des waypoints.

Ce travail a été suivi par celui du laboratoire à l'issu de laquelle la carte était sortie en 2007. L'arrêté classant le massif en réserve naturelle intégrale a été pris la même année. Le RRN n'est pas contre le classement d'Itombwe mais déplore la procédure entreprise par l'ICCN et ses partenaires qui n'ont pas tenu compte des aspirations des communautés, en proposant une forme (réserve naturelle intégrale) qui ne garantit pas la présence des activités traditionnelles alors que les communautés ont proposé une forme qui permet l'exercice de leurs droits traditionnels.

Etant donné que l'arrêté n'a pas traduit le consentement des populations locales, le RRN par l'entremise de sa Coordination Nationale, carte à la main avec les informations qui l'accompagnent, continue le plaidoyer pour contraindre le Ministère de l'environnement, eaux et forêts à modifier cet arrêté qui, jusqu'aujourd'hui, n'est pas encore appliqué à cause de la résistance des communautés qui craignent d'être expulsées.Aujourd'hui, la procédure reste pendante et l'arrêté attaqué n'a pas encore commencé à produire ses effets.

§3. La cartographie face à l'exploitation des forêts : cas de la cartographie territoriale d'Inongo dans la province de Bandundu

A. La situation actuelle de l'exploitation forestière en RDC

Les forêts tropicales de la RDC sont convoitées par les grandes firmes d'exploitation du bois, à cause de la diversité biologique qu'elles regorgent. En mai 2002, la Banque Mondiale a convaincu le Gouvernement de la Transition de la RDC, de suspendre l'octroi de nouvelles allocations forestières, ainsi que le renouvellement ou l'extension des titres existants. Ce moratoire faisait suite à un contrôle fiscal des permis forestiers, réalisé à l'instigation de la Banque Mondiale et qui a donné lieu à l'annulation de 163 titres non- conformes couvrant 25,5 millions d'hectares de forêt tropicale humide73(*). La plupart de ces titres étaient situés dans les aires où l'exploitation industrielle de la forêt n'était pas en cours.

Alors que peu de nouvelles zones forestières ont été protégées depuis l'instauration du moratoire en 2002, en date d'avril 2006, les membres du Gouvernement de Transition de la RDC avaient déjà signé 107 nouveaux contrats avec les sociétés forestières, couvrant plus de 15 millions d'hectares de forêts. Certains de ces contrats ont été octroyés sous le couvert de redéfinition, d'échange, d'ajustement et de relocalisation d'anciens titres, tandis que d'autres ont concerné des titres complètement nouveaux.

Dans un contexte de corruption et de mauvaise gouvernance, les tentatives de la Banque mondiale pour reformer le secteur forestier n'ont donc pour l'instant pas réussi à juguler l'expansion de l'exploitation forestière en RDC. La dernière tentative, dans ce sens, est la soi-disante révision de la légalité des titres existants en RDC ; 156 permis forestiers, couvrant 21 millions d'hectares de forêt tropicale humide, ont été concernés.Cette opération s'inscrit dans le cadre de l'application du décret 05/116 du 24 octobre 2005 relatif à la conversion des titres forestiers telle que prévue par le code forestier en son article 155. Les détenteurs des anciens titres forestiers avaient soumis des requêtes pour solliciter la conversion de ces titres en contrat de concession forestière.156 titres ont été enregistrés au niveau du Ministère de l'Environnement, seulement 29 titres sur les 156 ont reçu un avis favorable après les travaux du Groupe Technique de travail.

Les populations locales des forêts ne vivent que des ressources forestières. Que deviennent leurs droits lorsque les forêts dont elles vivent sont concédées ? Les concessions forestières, au lieu d'amener le développement dans le milieu comme cela est prévu par la législation en vigueur, constituent « une bête noire » dans la vie des communautés. Il est vrai que celles-ci ont des droits d'usage sur la concession forestière dans la mesure où ceux-ci sont compatibles avec l'exploitation forestière, à l'exclusion de l'agriculture74(*). A part ces droits, les communautés locales ont aussi droit à la consultation, le cahier de charge, etc.

Les investigations sur le terrain ont montré qu'en échange de la possibilité d'extraire du bois valant des centaines des milliers des dollars, les sociétés forestières peuvent faire aux communautés des cadeaux75(*) de moindre valeur. Lorsque l'exploitation démarre, la fourniture des services négociés par la communauté, comme la construction d'écoles, dispensaires, réfection des routes devient difficile, voire inexistante. Ce qui a amené le RRN à considérer les concessions forestières comme « zones chaudes » afin que les droits des communautés soient « mis au clair » par la cartographie.

B. De la cartographie participative à Inongo

Qualifié d'expérience réussie76(*), cet exercice qui avait commencé sur des espaces réduits vient d'être expérimenté sur les grands espaces.Le territoire d'Inongo au Bandundu a été choisi parce qu'il présente des intérêts et enjeux très particuliers par rapport à l'approche de la cartographie participative que l'on peut résumer en ces termes :

- la présence de grandes étendues forestières ;

- la présence de plusieurs exploitants forestiers industriels ;

- le fait que ce territoire est concerné par le processus de conversion des anciens titres forestiers en cours soit à lui seul, 13 concessions sur les 156 déclarées officiellement sur toute l'étendue nationale ;

- l'existence deplusieurs ressources pétrolières, minières (fer) et hydrographiques ;

- l'existence de l'aire protégée hébergeant l'espèce de primate rare « les Bonobo » ;

- l'existence de communautés locales et peuples autochtones exerçant leurs activités vitales dans ou aux alentours des concessions forestières ;

- l'ignorance par les communautés forestières de ce territoire de leurs droitsgarantis par le code forestier ;

- l'absence au sein des communautés locales et peuples autochtones d'une stratégie commune et efficace de défense de leurs différents droits sur les ressources naturelles ;

Cette cartographie participative, sur une grande étendue territoriale, vient d'être réalisée par les communautés locales et autochtones et pygmées d'Inongo, accompagnées par les facilitateurs du RRN. La préoccupation du RRN estde voir le processus de zonage impliquer effectivement les communautés locales et peuples autochtones de la RDC. Ceux-ci ont déjà commencé à produire les cartes reprenant leurs espaces coutumiers sur la forêt, mais aussi les espaces d'utilisation des ressources des forêts dont ils vivent. Les décideurs politiques devront donc tenir compte de ces cartes communautaires dans le processus de planification forestière et du zonage national à faire.

La mission de cartographie participative réalisée à Inongo a permis à l'équipe du RRN composée des facilitateurs et experts en SIG, de récolter les données géographiques et socio-économiques qui ont enrichi l'exposé du Conseiller en matière forestière du RRN lors de la présentation de l'expérience de la société civile au cours de l'atelier national sur la planification forestière et le zonage forestier national de Kinshasa en mai 2008.

Le draft de carte produit par les communautés locales et peuples autochtones des secteurs de Bolia et Basengele montre comment existe une superposition des espaces vitales et de production des communautés avec les concessions forestières d'une part et avec l'aire protégée d'autre part. La carte est ainsi appelée « draft » parce qu'elle n'a pas encore été validée par les communautés concernées. Néanmoins, elle commence déjà à produire des effets. Grâce à elle, nous assistons déjà à la reconnaissance timide des droits des communautés des communautés par les sociétés d'exploitation du bois de la place.

* 55 Alinéa 9 du préambule des statuts du RNN

* 56 Article 5 des statuts du RRN

* 57 Article 13 des statuts du RRN

* 58 Les Baka et les Bagyeli sont des populations autochtones habitant les forêts du Cameroun.

* 59 En parcourant le code forestier camerounais, on constate que le code forestier congolais en est, mutatis mutandis, une copie.

* 60Il faut noter ici que les structures et l'organisation sont diverses, entre régions et aussi entre peuples. Le fait qu'un système de gestion coutumier est plus ou moins reconnu localement ne signifie pas qu'il est le seul système qui est valable. Souvent, il y a plusieurs types et niveaux de droits qui s'appliquent à la même superficie de la forêt)

* 61 C'est un plan qui décide sur la vocation prioritaire à donner à chaque espace forestier. Il s'agit de traduire sur carte, à titre indicatif, à l'échelle nationale ou provinciale, les trois catégories des forêts créées par le code( forêt classée, protégée et de production permanente).

* 62 Article 14 du code forestier

* 63 Global Positionning System. C'est un petit appareil portable permettant, en ce qui concerne le travail de cartographie du RRN, de localiser un point par rapport à l'Equateur, au méridien d'origine, à la mer. Bref, donner avec précision sa latitude, sa longitude et son altitude.

* 64 Le cartographe local et le facilitateur iront sur chaque élément représenté sur la carte faite à la main pour le localiser ce point avec le GPS afin que celui-ci puisse se projette avec précision sur la carte de base lors du travail en laboratoire.

* 65 L'approche participative de cartographie qualifie de « zone chaude » un site où les communautés sont confrontées à un problème sérieux d'accès aux ressources forestières grâce à l'exploitation industrielle ou à la conservation. La présence des pygmées sans terres peut aussi constituer une zone chaude.

* 66 Les waypoints sont des données géographiques récoltées avec le GPS

* 67 Greenpeace, Au-delà de parcs sur papier et des forêts vides dans Le pillage des forêts du Congo, Amsterdam, Greenpeace/Reynaers, 2007, p.64

* 68 Banque Mondiale (2006e) 126

* 69 Article 14 du code forestier

* 70 www.forestpeoples.org consulté le 23 janvier 2009

* 71 AFRICAPACITY PROJECT est un projet de Rainforest Foundation basé au Sud Kivu visant à renforcer les associations autochtones et ceux accompagnant les pygmées en RDC

* 72 RRN/S-K et AFRICAPACITY PROJECT, Rapport de mission de la cartographie participative effectuée à Itombwe, septembre 2006.

* 73 Greenpeace, Op cit, p. 3

* 74 Article 44 du code forestier

* 75 Lors de la mission de cartographie territoriale à Inongo, nous avons vu des représentants des communautés recevoir des sacs de sel, des savons, des bouteilles de bière, des paquets des cigarettes de la part de l'exploitant qui avait, lors de la conclusion du cahier de charge, promis de construire une école primaire et un dispensaire au profit de la communauté locale.

* 76 ERND Planète, Feuillet d'Informations et de sensibilisation sur la Gestion de l'Environnement, la Préservation de la Biodiversité, les Droits de peuples autochtones et la Bonne Gouvernance des Ressources Naturelles. N° 025 /2008, deuxième année, juin 2008, produit par ERND Institute, Point Focal du RRN dans la Province du Sud-Kuvu.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille