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Un soin ordinaire en milieu extraordinairepar Farid Mellal Institut méditerranéen de formation en soins infirmiers - Infirmier 2014 |
I. De la situation d'appel à la question initiale1) Description de la situation d'appelTrès rapidement au cours de ma deuxième année d'étude, une situation clinique allait se présenter à moi et qui constitue à ce jour ma situation de départ. La situation se déroule au cours de mon troisième stage de deuxième année au sein du centre pénitentiaire à l'unité de consultation (UCSA1(*)). Il s'agissait de mon deuxième jour de stage au sein de la structure. Le soin a consisté à une prise de sang afin de pouvoir faire une sérologie d'entrée proposé à chaque nouveau détenu (VIH, Syphilis, Hépatite B et C). M AB est un patient âgé de 43 ans, actuellement incarcéré dans un centre pénitentiaire et en attente de jugement. Le patient vit en concubinage et a trois enfants d'un premier lit. Le patient présente une stature impressionnante, il mesure 1m83 pour 87kg. Sur le plan somatique, M AB est porteur d'une hépatite C depuis 1993 soit 20 ans pour laquelle il a suivi plusieurs traitements qui se sont conclus à chaque fois par des interruptions volontaires. Le Virus de l'hépatite C lui a été transmis par voie intraveineuse probablement suite à des échanges de seringues. M AB est poly toxicomane et souffre également d'une dépression traitée à ce jour. Le patient est pris en charge au sein de l'unité UCSA afin de débuter un nouveau traitement antiviral hépatite C ainsi que la mise en place d'un programme d'éducation thérapeutique afin de l'aider à mieux lutter contre sa maladie et être acteur de sa santé. Le patient a été convoqué et amené par les surveillants avec son consentement. Le soin est programmé depuis deux jours et le patient a accepté le soin. Une liste des détenus devant venir à l'infirmerie est remise au surveillant qui filtre les entrées au sein de l'unité de soins. Sur cette liste ne sont inscris que les noms des détenus mais pas les soins afin de préserver le secret professionnel. M AB est ainsi placé en salle d'attente juste avant que je n'aille le chercher en compagnie du deuxième surveillant de l'unité. Il s'agit du deuxième patient que je prends en charge depuis mon arrivée. La première patiente est une femme à qui j'ai administré un vaccin en présence du médecin de l'unité et d'une infirmière sans que cela m'ai posé une difficulté. Avec mon tuteur de stage, nous avions décidé de nous partager le nombre de bilans sanguins à effectuer. Il s'agit d'un geste que j'ai l'habitude de faire et qui ne me pose en général pas beaucoup de difficulté. Pour les premiers bilans, j'ai demandé à mon tuteur de rester auprès de moi car c'était mon premier contact avec un détenu homme. J'avais aussi auparavant pas mal d'appréhension dans ce contexte particulier. C'était ma première expérience de futur professionnel dans un milieu carcéral. Dans mes représentations, la prison est un endroit potentiellement dangereux et accueillant des personnes pouvant être agressives, voire violentes. Je savais que j'allais devoir me confronter à une population de patients « atypiques » dans un contexte de soin sortant de l'ordinaire des stages auxquels j'ai pu être confronté. Mon tuteur est un infirmier expérimenté qui travaille au sein de la prison depuis plusieurs années ainsi qu'en centre hospitalier au sein de plusieurs services. J'ai voulu profiter de son expérience qui me rassurait. J'avais aussi dans l'idée de l'observer interagir avec les détenus pour prendre exemple sur lui. Il est environ 8h30 lorsque mon tuteur me demande d'aller chercher M AB. Je suis accompagné par le surveillant qui m'a auparavant expliqué quelques règles de sécurité, notamment celle de ne jamais tourner le dos à un détenu ou de rester seul enfermer dans une salle de soin ou encore de ne laisser aucun objet tranchant à proximité. Le surveillant m'a également glissé alors que ce patient était « un gars potentiellement dangereux ». Il m'a expliqué que le détenu avait déjà commis deux meurtres avec préméditation. Au départ, je pensais qu'il s'agissait d'une mauvaise plaisanterie que les surveillants faisaient aux étudiants de passage dans le service mais très rapidement le surveillant m'a dit qu'il ne rigolait jamais avec les règles de sécurité. J'ai tout de suite eu un sentiment de stress, d'angoisse qui m'envahit. Ma première interrogation s'était de me dire « comment je vais faire si ce patient est aussi dangereux ? » Lorsque j'appelle M AB pour lui dire de m'accompagner en salle de soins, celui-ci est déjà énervé car il n'a pas supporté d'être réveillé aussi tôt pour patienter près d'une heure. Il manifeste son mécontentement auprès du surveillant par des cris et des insultes et je décide volontairement de ne rien dire pour ne pas envenimer une situation déjà tendue. Au sein de la salle de soins, je demande au patient de s'asseoir sur le fauteuil de soin destiné aux bilans sanguins. Il s'agit d'un patient grand et assez impressionnant par sa stature. Je me présente à lui en lui disant que je suis un élève infirmier de 2e année. Mon tuteur se présente également en tant qu'infirmier et tuteur. Je demande au patient s'il a compris le motif de sa convocation et la nature du soin. Le patient me répond : « Oui, tu vas me faire une prise de sang ». Le tutoiement m'a un peu interpellé, mais je n'y fais pas plus attention. J'explique au patient les différentes sérologies en utilisant le vouvoiement. Je bafouille dans mes explications et j'hésite à trop fixer le patient. Je me suis dit à ce moment là qu'en évitant de le fixer dans les yeux, le patient ne se sentirait pas agressé. Le matériel pour le prélèvement a déjà été préparé avant que le patient n'entre dans la salle. Le seul matériel à disposition est le strict nécessaire aux prélèvements et les fiches de traçabilité. Je demande au patient son identité et sa date de naissance et s'il a l'habitude des prises de sang. Celui-ci me dit qu'il a peur des piqures. La réponse du patient dans ce contexte de tension n'allait pas m'aider par la suite. J'essaie de le rassurer en lui disant que ça ne fait pas mal et lui demande de détourner le regard pendant le prélèvement. Je pensais que la diversion pouvait être une bonne stratégie. Au moment, où je fixe mon garrot, ma main tremble. Le patient n'hésite pas à me le faire remarquer : « Tu trembles, il stresse le jeune ». Ces paroles m'ont déstabilisé et j'essaie de faire bonne figure en souriant. M AB ne me semble pas rassuré pour autant. Lorsqu'il voit l'aiguille de prélèvement, son visage se fige et il détourne le regard. Mon tuteur est à mes côtés et continue à discuter avec le détenu pour le distraire tout en regardant l'ensemble de mes gestes. J'avertis le patient que je vais piquer et lui demande d'inspirer puis d'expirer. Celui-ci pousse un léger cri. Au moment du prélèvement, ma main tremble. Je réussis à avoir un retour veineux et commence à remplir mon premier tube. J'essaie de rassurer le patient et je me sens également rassuré d'avoir eu ce retour veineux. Progressivement, je me sens plus soulagé lorsque le dernier tube est prélevé. Je retire le garrot et l'aiguille. Le patient semble immédiatement plus détendu et me remercie. Après avoir validé mon soin et remplis les fiches de traçabilité. Je souhaite une bonne journée à M AB qui est raccompagné par le surveillant. Une discussion s'engage ensuite avec mon tuteur qui m'a dit que je n'avais fait aucune erreur technique mais ne comprenait pas comme moi l'origine de ce stress et de cette émotivité. Cela m'incite aujourd'hui à mener une réflexion sur les raisons qui pourraient expliquer l'origine de ce stress face à un soin qui pourtant me semblé facile et maitrisé. * 1 UCSA : Unité de consultations en soins ambulatoires. |
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