2) Analyse et questionnements
Mon appréhension lors de cette situation de soins a
concerné d'abord le lieu en lui-même : la prison. Le milieu
carcéral répond à ses propres lois et fonctionnement
internes. La vie en prison est gérée par l'administration
pénitentiaire. A ce moment -là, c'est en tant que personne libre
mais soumis à une réglementation que je ne connaissais pas encore
que je devais évoluer. Le surveillant de l'unité m'avait
expliqué rapidement et oralement, ce que je devais absolument respecter
juste avant le soin. Il m'a fallu donc rapidement intégrer ces quelques
règles de sécurité avant d'aborder mon premier
« patient-détenu ».
Ma représentation de cet univers sans repère
pour moi ne m'a pas rassuré. Je laissais la place à mon
imaginaire, qui n'était pas forcément de nature à me
permettre d'aborder le soin sereinement. Le lieu de soin était
également différent par rapport à ce que j'ai pu voir dans
mes stages précédents. L'unité de soin se situe en plein
coeur de la prison dans des locaux assez exigüe où cohabitent trois
univers différents qui parfois s'opposent. D'abord celui des
détenus, qui trouvent en ce lieu un moment de liberté que
certains ont pu m'exprimer, celui des surveillants dont la première des
priorités est d'assurer la sécurité et
l'intégrité des personnes travaillant au sein de l'UCSA et celui
du monde soignant avec au centre de ses préoccupations le soin et le
bien-être physique et moral des patients. Le soin peut-il s'effectuer
dans les conditions les plus favorables lorsqu'autant d'univers se
côtoient. Quel comportement adopté ?
Le surveillant m'avait également précisé
le motif d'incarcération du patient, probablement pour m'inciter
à plus de vigilance. On peut également s'interroger ici sur la
notion d'éthique soignante. Peut-on prendre en charge dans sa
globalité et avec professionnalisme une personne accusée de
meurtre ? Lors de mon stage en psychiatrie, j'avais déjà pu
côtoyer des détenus et cela ne m'a pas posé de
difficulté car la prise en charge s'effectuée en milieu
hospitalier sans présence de surveillant. Le soin est au coeur des
priorités même si la vigilance était également de
rigueur.
Ma discussion avec le surveillant a rapidement
généré du stress et un sentiment d'angoisse face à
la dangerosité potentielle d'un patient que je n'avais pas encore pris
en charge. C'est déjà avec un sentiment de peur que j'aborde mon
soin. Nous avons pu voir aux cours de l'UE 4.2 intitulés
« soins relationnels » que le stress correspond à
des réactions de l'organisme apparaissant dès que l'organisme est
face à un changement de situation brutale. Le corps réagit contre
ce qu'il ressent comme une agression ou une pression. Chaque personne
réagit de façon personnelle et adaptée à un
évènement qu'il considère comme traumatisant. En
résumé ; le stress désigne à la fois la
pression de l'environnement et la réaction de l'organisme à cette
dernière. Cela se manifeste par de nombreux indicateurs, voir des
signaux d'alarme qui viennent ainsi altérer notre bien-être.
Après avoir invité le patient à
s'installer dans la salle de soins, il me fallait maintenant faire face en tant
que soignant et réaliser mon soin sous le regard de mon tuteur. Une
nouvelle fois, mon manque de connaissances sur ce qu'est un détenu m'a
probablement conduit à des à priori et une perception
négative de la personne que j'avais en face de moi. Cette vision a
été confortée par la connaissance du motif
d'incarcération. Avec le recul, je me dis que peu importe le motif
d'emprisonnement, nous devons être présents en tant que soignant
et permettre au détenu d'effectuer sa peine dans les meilleures
conditions sanitaires et non pas de le juger une seconde fois. La relation avec
M AB a d'abord été tendue, car celui-ci était
déjà énervé au moment de prendre place sur le
fauteuil pour la prise de sang. Il m'a d'abord fallu gagner sa confiance et
nouer une relation. Je me suis donc présenté au patient en lui
disant que j'étais étudiant infirmier. Dire mon statut
était pour moi important, car cela participait à une
vérité et une honnêteté que je devais à
l'autre. J'ai dû mobilisé beaucoup d'outils relationnels vu lors
des UE 4.2 et mis en pratique lors de mes différents stages notamment
l'accueil et l'écoute active, le ton de ma voix calme, le respect. J'ai
progressivement gagné la confiance du patient en lui parlant.
Malgré les tutoiements du patient, j'ai opté pour le vouvoiement.
Il s'agissait pour moi de me positionner en tant que professionnel
répondant à un cadre précis celui du soin. Je pense que ce
savoir-faire et être m'a permis de désamorcer une situation
potentiellement violente. Cependant pour des raisons de sécurité,
le patient ne devait pas savoir mon nom, aucun ne figure sur les blouses
professionnelles. Le climat de confiance, fondamental pour la relation
soignant-soigné, peut-il être instauré quand le
détenu doit confier son intimité à quelqu'un dont il ne
connait même pas le nom ou en présence d'une tierce personne ?
Au cours du soin, le patient se rend compte que ma main
tremble un peu et me le fait remarquer. Le patient me renvoie à mon
statut d'apprenant. Cette situation était loin d'être confortable
pour moi. Cela m'a agacé, car je ne comprenais pas pourquoi ce stress
face à une situation de soins ordinaire. Je me suis projeté dans
l'échec en pensant que je n'allais jamais y arriver. Ma réaction
immédiate a été de sourire et d'utiliser la fonction clown
de l'infirmier comme mécanisme de défense afin de faire baisser
cette surcharge d'émotivité qui m'a gagné. L'anticipation
du soin et mon organisation initiale m'ont beaucoup rassurée. Je me suis
dit qu'il n'y avait aucune raison que j'échoue. Je voulais
réussir le soin pour ne pas décevoir mon tuteur qui m'observer et
ne pas être en échec. Cela s'est d'ailleurs traduit par un
sentiment de plaisir et de satisfaction une fois le prélèvement
effectué. Le soin m'a cependant semblé plus long que d'habitude
et j'avais l'impression d'avoir fournir un effort important au point de
ressentir une légère fatigue. La présence de mon tuteur a
permis une stratégie de coopération. Par son regard et ses
paroles bienveillantes et le fait qu'il m'ait laissé poursuivre mon
soin, cela m'a mis en confiance. J'étais cependant déçu
d'avoir été hésitant et tremblant et de ne pas avoir fait
preuve d'une meilleure maitrise.
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