CHAPITRE 1 - Schémas complexes de corruption
privée et difficultés
soulevées
Différents cas concrets ont été
sélectionnés pour leur complexité (Section 1) afin de
mettre en valeur les caractéristiques qui font de la corruption
privée une infraction encore difficile à condamner (Section
2).
SECTION 1 - Etude de schémas complexes de
corruption privée de service achats
Pour comprendre la manifestation concrète de la
corruption privée d'un service achats nous présenterons deux cas
concrets dont les faits récents permettront de détailler deux
modes opératoires relativement complexes, le premier étant la
dissimulation d'un schéma de corruption par l'utilisation frauduleuse de
contrats d'apporteur d'affaires (I) et le second étant l'utilisation de
la corruption privée et de fausses études pour rendre possibles
des détournements de fonds (II).
I - Première illustration: La dissimulation
d'un schéma de corruption privée par l'utilisation frauduleuse de
contrats d'apporteur d'affaires
A - Exposition de l'enquête et des
faits
163. Une enquête en cours. En janvier
2015, à l'occasion d'un stage au Pôle Financier du tribunal de
grande instance de Paris90 où j'ai eu la chance d'assister un
des magistrats instructeurs, l'opportunité m'a été
donnée d'enquêter sur des affaires de « grande
délinquance économique » et notamment une d'entre elles qui
a particulièrement retenu mon attention. Ce dossier étant
actuellement en cours d'instruction je ne suis pas autorisé à
révéler l'identité des parties. Toutefois, l'accord du
juge d'instruction a été donné afin que les faits ayant
été portés à sa connaissance puissent être
exposés, à condition que l'anonymat des parties soit
respecté.
90 La BRDA est, au même titre que la Brigade
Financière, une des brigades de la Sous--Direction des affaires
économiques et financières de la Police Judicaire - Site internet
de la préfecture de police:
http://www.prefecturedepolice.interieur.gouv.fr/
164.
64
Une procédure récente. Un juge
d'instruction de la section « économique et financière
» du Pôle Financier a été saisi en 2014 suite à
un réquisitoire introductif effectué par le procureur de la
République pour des faits qualifiables d'abus de confiance, de
corruption privée, de complicité et de recel de ces
délits. Qualifications qui nous donneront l'occasion d'étudier
les infractions souvent connexes à des faits de corruption
privée. Une enquête avait auparavant été
diligentée à partir de 2013 par la Brigade de Répression
de la Délinquance Astucieuse (ci-après « BRDA ») suite
à un dépôt de plainte contre X par la société
victime.
165. Les faits reprochés. Selon la
société plaignante, certains de ses fournisseurs d'objets
publicitaires auraient versé, par l'intermédiaire d'un designer,
des commissions à des salariés de la direction des achats en
contrepartie de l'obtention du marchés des produits publicitaires. Les
commissions auraient transité via une société basée
en suisse, contrôlée par ledit designer, chargée de
répartir les sommes entre les instigateurs de ce système.
166. Auditions des membres du service achats de
l'entreprise victime. A partir des faits dénoncés par la
société plaignante les enquêteurs de la BRDA ont rapidement
procédé à l'audition d'un certain nombre de personnes
employées du service achats. De ces auditions ressortait qu'aucun membre
de la direction des achats n'était en mesure d'apporter des
éléments concrets afin de prouver le schéma corruptif,
hormis le fait qu'ils avaient manifestement connaissance de l'existence
d'anomalies dans les procédures de dévolution des marchés
aux sous-traitants. Par ailleurs, certains d'entre eux ont affirmé avoir
subi des pressions afin que l'affaire ne soit pas révélée
aux dirigeants.
167. Auditions des dirigeants responsables des
différents sous--traitant impliqués. D'après les
différents fournisseurs et concurrents interrogés il
apparaît que les pratiques en cause seraient, pour reprendre leurs mots,
« courantes » et connues des différents intervenants
du secteur. Ces derniers n'étant pour la plupart pas choqués et
presque aucun n'avaient été interpelés sur
l'anormalité de la réitération du paiement, années
après années, de commissions d'apporteur d'affaires. Aussi,
plusieurs éléments permettent d'affirmer qu'en interne, des
collaborateurs du principal mis en cause avaient tenté de faire cesser
la fraude suite à des alertes reçues de la part de fournisseurs
se sentant lésés.
65
168. Le schéma de fraude ressortant de
l'enquête. Le directeur des achats et « l'apporteur
d'affaires », amis de longue date étaient à l'initiative de
la fraude. Le directeur des achats de la société plaignante
aurait eu la possibilité, avec la complicité d'autres acteurs de
sa direction des achats, d'imposer la société de «
l'apporteur d'affaires » en tant que designer de produits publicitaires et
les sociétés de son choix comme fabricants de ces produits. Le
rôle de « l'apporteur d'affaires » était d'approcher des
fabricants potentiels pour leur proposer l'obtention d'un contrat de
fabrication avec la société plaignante, en l'échange d'une
commission sous couvert d'un contrat d'apporteur d'affaires. Ces contrats
étaient prévus pour une durée de un an et tacitement
reconductibles. Le contrat d'apporteur d'affaires était signé
entre le fabricant et la société dirigée par «
l'apporteur d'affaires » domiciliée en Suisse et prévoyait
le versement d'une commission de l'ordre de 10% du chiffre d'affaires
généré par le contrat obtenu entre le fabricant et la
société plaignante. Cette commission faisait alors l'objet d'un
partage entre le directeur des achats de la société plaignante,
ses complices et « l'apporteur d'affaires ».
169.
66
La surévaluation du contrat entre l'entreprise
victime et le fournisseur corrupteur. Il y a fort à parier que
les instigateurs de la fraude, à savoir les membres du service achats,
aient pu pérenniser le système de fraude non pas en se reposant
sur la générosité des fournisseurs mais sur celle de leur
propre entreprise. On a pu voir en première partie que les services
achats ont généralement une certaine marge de manoeuvre, non
seulement dans le choix des fournisseurs mais aussi quant au montant des
marchés qu'ils doivent gérer. Les services d'achats jouissent
ainsi d'une certaine confiance de la part des prescripteurs internes, confiance
qui, en l'absence de contrôle, peut permettre des dérives comme
dans le cas ici présenté. En effet, il est fort probable que les
commissions reversées in fine aux membres du service achats, et ce
pendant une dizaine d'années, n'aient pas été
financées ou plutôt « supportées » par les
fournisseurs eux même mais grâce à une surfacturation du
montant du marché qui leur était dévolu. Surfacturation
prenant en compte le montant de la commission et permettant à tous les
acteurs du schéma de fraude d'y trouver leur intérêt.
(L'enquête étant encore en cours dans cet exemple, certaines zones
d'ombre subsistent encore, raison pour laquelle il convient de ne pas affirmer
que ces surfacturations aient bien eu lieu. Ces dernières étant
par essence difficiles à démontrer).
170. Les flux financiers. Tout schéma
de fraude impliquant des détournements conduit à
s'intéresser au chemin qu'empruntent les flux financiers qui en
résultent. Dans le cas précis, les flux financiers nous
intéressant sont ceux ayant servi à rémunérer les
instigateurs de la fraude, à savoir les membres du service achats de
l'entreprise victime et l'intermédiaire. Comme nous l'avons vu, le
versement de « l'avantage indu » était justifié dans la
comptabilité des fournisseurs par le contrat d'apporteur d'affaires. La
somme convenue, à savoir 10% du contrat signé entre l'entreprise
victime et le sous--traitant, était alors versée à une
société gérée par l'apporteur d'affaires
domiciliée en Suisse. Ceci constitue un premier point permettant
d'attester de la mauvaise foi des parties. Puisque l'apporteur d'affaires se
présentait aux fournisseurs comme le dirigeant d'une
société de design française, on peut légitimement
se demander pourquoi, si ce n'est pour dissimuler le versement, la somme
était systématiquement versée à cette
société Suisse.
Une fois la commission versée, les différentes
perquisitions et commissions rogatoires effectuées ont permis de
démontrer que les membres du service achats et l'intermédiaire
partageaient des investissements communs dans des plantations au Costa Rica, un
Etat malheureusement plus connu pour son manque de volonté en
matière de coopération pénale et fiscale que pour la
qualité de ses plantations.
67
En effet, ce pays figurait encore au 12 février 2010
sur la liste des Etats et territoires non coopératifs établie par
la France91.
B -- Qualifications juridique de la fraude.
1 - Qualification de l'infraction de
corruption
171. L'infraction de corruption passive
reprochée aux membres du service achats. Le fait pour les
membres de la direction des achats d'avoir, pendant une période
d'approximativement dix ans, conditionné l'octroi des marchés de
certains produits publicitaires au paiement d'une commission, en violation des
règles internes de sélection des fournisseurs92 est
constitutif de corruption passive de personne n'exerçant pas une
fonction publique. Infraction réprimée par l'article 445--2 du
Code pénal.
172. L'infraction de corruption active
reprochée aux sous--traitants. Le fait pour les fournisseurs de
produits publicitaires d'avoir accepté de verser une commission, de
l'ordre de 10% du montant du chiffre d'affaires réalisé avec
l'entreprise victime, en l'échange de l'obtention du marché est
constitutif de corruption active de personne n'exerçant pas une fonction
publique. Infraction réprimée par l'article 445--1 du Code
pénal.
173. Le recours à un apporteur d'affaire pour
justifier la commission. Le fait d'avoir versé la commission,
ou avantage indu, indirectement et par l'intermédiaire d'un tiers
apporteur d'affaires en contradiction avec le code des achats de l'entreprise
est indifférent et ne peut s'analyser comme un moyen imaginé par
les mis en causes pour tenter de dissimuler le schéma de corruption. En
effet, peut importe le moyen de versement de l'avantage, de façon
directe ou indirecte, sous couvert d'une commission ou non, l'infraction de
corruption active et l'infraction de corruption passive sont
constituées. Comme le souligne le Professeur Marc Segonds, « le
mode de formulation de la proposition ou de la sollicitation de nature
corruptrice ainsi que le mode de conclusion et d'exécution du pacte de
corruption importent peu, les articles 445-1 et 445-2 du Code pénal
assimilant le fait de corrompre et le fait d'être corrompu "directement
ou indirectement". Que l'agent corrupteur ou l'agent corrompu aient agi
directement ou par l'intermédiaire d'une
91 Site internet du Sénat:
http://www.senat.fr/rap/r11--673--1/r11--673--123.html
92 La plupart des entreprises d'une certaine taille ont
édicté un code des achats, à l'image de l'entreprise
Michelin par exemple. Site internet de l'entreprise Michelin:
http://purchasing.michelin.com/Les--achats--Michelin/Nos--valeurs
68
personne interposée - ou par l'intermédiaire
d'un tiers si l'on reste fidèle aux termes employés par l'article
2 de la décision-cadre n° 2003-258 du 22 juillet 2003 - ne modifie
en rien les termes de la qualification, sauf à observer que les modes
opératoires employés (prête-nom, société
écran notamment) seront de nature à constituer des
présomptions de fait toujours utiles pour rapporter la preuve du
caractère intentionnel - déduit de l'article 121-3, alinéa
1er, du Code pénal - du délit (Rappr. Cass. crim., 14 janv. 1991,
n° 89-82.715 : JurisData n° 1991-001573 ; Dr. pén. 1991, comm.
136, note M. Véron) »93.
174. Aussi, comme cela a pu être souligné par
les auteurs de l'étude PwcFrance étudiée en
première partie, la fraude aux achats est une hypothèse de fraude
à la frontière entre la corruption et les détournements
d'actifs. Ainsi, il n'est pas étonnant qu'un certains nombre d'autres
infractions puissent être retenues à l'encontre des auteurs. Les
infractions connexes envisageables étant nombreuses nous nous
contenterons d'évoquer seulement les principales.
2 -- Les infractions connexes au schéma de
corruption.
175. L'infraction d'abus de biens sociaux.
L'infraction d'ABS est un délit de fonction
réservé aux dirigeants de certaines formes de
sociétés punissant « Le fait, pour les gérants,
de faire, de mauvaise foi, des biens ou du crédit de la
société, un usage qu'ils savent contraire à
l'intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour
favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont
intéressés directement ou indirectement »94.
En l'espèce les personnes physiques ayant pris part à la fraude
en tant que corrupteurs actifs étaient pour la plupart les dirigeants
des sociétés sous-traitantes. Sociétés
visées par les articles correspondants à la répression de
l'infraction d'ABS (L. 241-3 du Code de commerce pour les
sociétés à responsabilité limité et L. 242-6
pour les sociétés anonymes). En l'espèce les fournisseurs
corrupteurs pourraient éventuellement penser à se défendre
en invoquant le fait qu'ils ont pris part à cette fraude dans
l'intérêt de leur société, pour obtenir des
marchés intéressant... Ces arguments seraient
inévitablement balayés par le juge. En effet, la jurisprudence
retient de manière constante que l'usage des biens sociaux est
nécessairement contraire à l'intérêt de la
société lorsqu'il a lieu dans un but illicite. Cette position
retenue par l'arrêt Carpaye95 avait été
confirmée à l'occasion de l'affaire Carignon96 en
1997, affaire dans laquelle les
93 Marc SEGONDS (2014). Corruption active et passive de
personnes n'exerçant pas une fonction publique »,
JurisClasseur de droit pénal des affaires. Fascicule 30. 17
février. p5
94 Article L. 241-3 du Code de commerce
95 Cass. Crim 24 avril 1992, Bull.crim, n°169, Rev.soc 1993,
p.124, note B.Bouloc
96 Cass. Crim. 6 février 1997, D.1997, p.334
69
juges avaient reconnu que quelque soit l'avantage à
court terme qu'elle peut procurer, l'utilisation des fonds sociaux ayant pour
seul objet de commettre un délit, à savoir la corruption, est
nécessairement contraire à l'intérêt social de la
société puisque cela l'expose à un risque anormal de
sanction pénale et à un risque de réputation. Bien que
cette solution ait été adoptée en matière de
corruption publique elle se trouve tout à fait transposable à des
faits de corruption privée. Dans le cas présent les fournisseurs
pourraient donc être poursuivis pour abus de biens sociaux une fois leur
mauvaise foi démontrée. A cet égard, le recours à
des moyens de dissimulation pourra servir de présomptions afin de
démontrer cette mauvaise foi.
176. L'infraction d'abus de confiance.
L'infraction d'abus de confiance est prévue par l'article 314-1
du Code pénal. D'après ce texte, « l'abus de confiance
est le fait par une personne de détourner, au préjudice d'autrui,
des fonds, des valeurs ou biens quelconques qui lui ont été remis
et qu'elle a acceptés à charge de les rendre, de les
représenter ou d'en faire un usage déterminé »
Cette infraction est punie de trois ans d'emprisonnements et de 375 000
euros d'amende. En l'espèce, cette infraction pourrait être
reprochée au directeur des achats et à ses complices. En effet,
ces derniers ne possèdent pas la qualité requise pour tomber dans
le champ de la répression de l'abus de biens sociaux qui n'est pas
applicables aux cadres - même supérieurs - bien que les faits
réprimés soient relativement proches. Ici, le directeur des
achats mis en cause, en vertu de son contrat de travail et de la mission qui
lui était confiée, avait pour mission de faire un usage
déterminé des biens et sommes qui lui avait été
remis. Le fait de procéder à des surfacturations des
marchés, au préjudice de l'entreprise victime, est naturellement
constitutif d'un abus de confiance.
177. L'infraction de complicité. Dans
ce schéma de corruption, un des rôles clefs a été
joué par un ami du directeur des achats de la société
victime. Cette personne a revêtu plusieurs casquettes, la première
étant celle de directeur d'une société de design et la
seconde étant celle d'apporteur d'affaires. Aux yeux du droit
pénal, son rôle peut être résumé à
celui d'intermédiaire et de facilitateur. Les actes commis par cette
personne ne peuvent revêtir la qualification de corruption privée
active ou passive. En analysant la fraude dans son ensemble il est possible de
conclure que cette personne n'a pas été
rémunérée pour un quelconque acte de sa fonction et n'a
pas non plus rémunéré un tiers pour qu'il effectue un acte
de sa fonction. Son rôle, bien qu'actif et essentiel dans cette fraude a
été de faire l'intermédiaire entre le service achats de
l'entreprise victime et les potentiels fournisseurs susceptibles de se
prêter au jeu de la corruption. En les approchant et en leur exposant la
nécessité de le rémunérer à hauteur de 10%
du montant des contrats qu'il était
70
susceptible d'apporter, « l'apporteur d'affaires » a
finalement joué un rôle d'entremetteur susceptible de
revêtir la qualification de complice par facilitation aide ou assistance,
comportement réprimée par l'article 121-7 du Code pénal
alinéa premier97.
178. Pour reprendre une expression propre au
droit pénal, une deuxième illustration sera donnée afin de
donner « force et crédit » au premier exemple de schéma
complexe de corruption privée qui souffre d'un défaut majeur,
malgré sa richesse en terme d'illustration, à savoir le fait
qu'aucune condamnation ne soit encore intervenue.
97 L'article 121-7 du Code pénal dispose qu'«
Est complice d'un crime ou d'un délit la personne qui sciemment, par
aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la
consommation ».
71
II - Deuxième illustration: L'utilisation
combinée de la corruption privée et de fausses études aux
fins de détournement de fonds.
179. Un arrêt récent. La
deuxième illustration choisie est tirée d'un arrêt de la
chambre criminelle de la Cour de cassation du 25 mars 201598. Cet
arrêt fait suite au pourvoi d'une personne condamnée par la cour
d'appel de Besançon le 25 février 2014 à trois ans
d'emprisonnement dont deux avec sursis, 30 000 euros d'amende, trois ans
d'interdiction de gérer et cinq ans de privation des droits civiques,
civils et de famille. La cour d'appel avait condamné un cadre dirigeant
de la société PSA des chefs de corruption active et de recel
d'abus de biens sociaux. A l'occasion de ce pourvoi et bien qu'ils ait
été rejeté, les faits n'étaient pas
contestés par le mis en cause, seul le quantum de la peine avait
été discuté.
A - Exposition de l'enquête et des
faits
180. Suite à la découverte des faits qui se sont
déroulés à partir de 2004, soit plus
de 10 ans avant cet arrêt de la chambre criminelle, une
procédure d'instruction
avait été ouverte entre 2007 et 2008 à
l'encontre notamment de M.X employé
donneur d'ordre secteur ferrage au sein de la
société PSA et de M.Y associé gérant
de la société Y mécanique. Il ressort de
l'arrêt que les principaux éléments de
preuve ayant permis de mettre la fraude à jour
étaient:
- L'examen de la comptabilité de la
société intermédiaire
- L'examen de la comptabilité de deux
sociétés italiennes fausses facturantes
- L'examen de la comptabilité des
sociétés sous-traitante de PSA
- L'examen des comptes bancaires de M.X et de
M.Y
- L'audition du directeur commercial de la
société intermédiaire
- L'audition de la secrétaire comptable
de la société intermédiaire
- L'audition des membres du personnel des
sociétés sous-traitante de PSA
- Les déclarations à l'audience
des dirigeants des sociétés sous-traitante de PSA
- Les aveux de M.X et de M.Y
Le texte de l'arrêt ne permettant pas, comme pour
l'illustration précédente, de
mettre à jour la chronologie de l'enquête, le
schéma de corruption sera cette fois-ci
directement présenté. (Voir page suivante)
98 Cass. Crim, 25 mars 2015, 14-82.179, Inédit
72
Flux des sommes
de PSAdétournées au préj
udice
les sommes détournées
181.
73
Le schéma de fraude ressortant de
l'enquête. M.X et M.Y ont eu un rôle de chefs d'orchestre
et ont été les principaux instigateurs et
bénéficiaires de cette fraude aux achats.
182. En tant que donneur d'ordre du secteur ferrage au sein
de PSA à Sochaux, M.X, instigateur de la fraude, était en
relation avec le service achats de son entreprise et connaissait certains
sous-traitants potentiels. M.Y quant à lui était un fournisseur
indirect de l'entreprise PSA.
N'étant pas directement à l'origine du choix
des sous-traitants, M.X devait, avec la complicité de M.Y, corrompre les
membres de son service achats en leur offrant régulièrement des
cadeaux. A ce titre, M.Y reconnaissait que « la politique de cadeaux
s'était développée de manière exponentielle et
qu'un compte 58099 avait été dédié
à ces cadeaux et ce même après que l'expert--comptable l'a
mis en garde contre de telles pratiques ».
183. Le but de ces pratiques était d'imposer des
sous-traitants qui étaient eux aussi corrompus par M.X et M.Y. Ces
sous-traitants acceptaient, contre la promesse de marchés juteux avec
l'entreprise PSA et contre des cadeaux, de passer des commandes à la
société de M.Y (Société Y mécanique). Ces
commandes consistaient en de fausses études, jamais
réalisées mais permettant de justifier en comptabilité la
sortie des fonds. Ainsi, les bénéficiaires des cadeaux
étaient soient des employés des sous-traitants, soit des
salariés du service achats de PSA. Les commandes reçues de la
part de PSA, sous l'influence de M.X, donneur d'ordre, auprès des
sous-traitants étaient réelles mais surévaluées,
toujours sous l'influence de M.X
184. Une fois retenus, les fournisseurs sous-traitaient
à leur tour la part mécanique du marché à la
société Y Mécanique. Les commandes auprès de la
société Y Mécanique n'ont donné lieu à aucun
travail. Elle étaient surévaluées à l'aide de faux
bons de commandes et de faux devis. La société Y mécanique
facturait au sous-traitant et l'argent de ces commandes fictives était
versé sur le compte de la société Y Mécanique. Les
sous-traitants faisaient donc office d'intermédiaires pour faire sortir
les sommes d'argent détournées. Les bénéficiaires
de ces détournements étaient M.Y et M.X.
99 Il semble important de préciser qu'en
comptabilité, le compte 580 « virements internes » est un
compte financier principalement destiné, à la manière d'un
tampon, à enregistrer les retraits et dépôts
d'espèces de comptes bancaires. Il n'est donc absolument pas
destiné à comptabiliser des cadeaux.
185.
74
Pour en bénéficier les instigateurs de la fraude
avaient recours à deux sociétés italiennes dirigées
par M.Z. M.Y s'adressait à M.Z avec qu'il était en relation
d'affaires dans le passé. Au départ M.Z avait initié la
fausse facturation avec une première société italienne
dans laquelle il avait une participation. Le gérant de cette
société, inquiété par les montants facturés
avait mis fin à cette pratique dès juin 2004. M.Z avait alors
pris le relai avec sa propre société. Au total, c'est 354 000
euros de fausses factures qui ont été réalisées
entre 2004 et 2007.
186. Le mode opératoire était le
suivant:
M.Y contactait M.Z pour indiquer la somme d'argent voulue et
le sujet de l'étude. M.Z réalisait une fausse facture au nom de
sa société italienne et l'adressait à la
société Y mécanique qui payait par virement bancaire. M.Y
et M.X se rendaient en voiture en Italie et M.Z retirait l'argent du compte de
sa société et prélevait 20% de commission. M.Y et M.X
pouvaient alors se partager le surplus.
En outre, la société Y mécanique a
financé la location d'une voiture au profit de M.X et la
réfection du toit de son habitation.
187. Interprétation de ces faits par la
chambre criminelle. Les juges de la cour suprême concluent que
M.X et M.Y « ont mis sur pied un système
généralisé de corruption soit de salariés
d'intégrateurs de PSA soit directement d'acheteurs PSA, afin de
permettre à la société Y.Mécanique de
bénéficier de marchés et de bénéficier de
pratiques de sur-facturations à l'occasion de ces marchés,
pratiques de sur-facturation qui n'avaient d'autres but que de permettre
à MM. Y...et X... de détourner des fonds importants à leur
profit et au détriment de la société Y.Mécanique et
de ses créanciers; que pour reprendre des termes culinaires
particulièrement appropriés dans ce dossier, il apparaît
que MM. Y...et X... se sont littéralement " goinfrés " en
délestant systématiquement la société
Y.Mécanique de montants importants, les seules fausses factures
italiennes leur ayant rapporté la coquette somme de 353 326 euros
»
B - Qualifications juridiques de la fraude
188. L'infraction de corruption active de M.X.
Au sein de la société PSA le service achats était
en relation avec des sociétés sous-traitantes d'études et
de réalisation de projets, ainsi que différents postes comme
l'électricité, la serrurerie ou la mécanique). C'est au
service achats qu'appartenait en principe le choix des sous-traitants. Ainsi,
M.X, donneur d'ordre du secteur ferrage au sein de PSA à Sochaux n'avait
pas le pouvoir formel de décider des marchés de sous-traitance.
Raison pour laquelle, au regard de la définition de la corruption en
droit pénal
75
français M.X ne s'est pas rendu coupable de corruption
passive bien qu'il soit membre de la société victime. Le
caractère répréhensible de ses actes découle des
avantages qu'il a remis ou fait remettre aux membres du service achats de la
société PSA, ainsi qu'aux représentants des fournisseurs.
Raison pour laquelle il a été condamné du chef de
corruption active. En outre et pour reprendre les mots de l'arrêt, «
le fait qu'il n'ait pas eu le pouvoir formel de décider des
marchés de sous-- traitance n'enlève pas leur caractère
répréhensible aux avantages qu'il a remis ou fait remettre (par
M.Y) aux auteurs de corruption passive ».
189. L'infraction de corruption passive des membres
du service achats et des représentants des sous--traitants.
Bien que les sous-traitants affirment que c'est M.X qui leur avait
imposé ce système afin qu'ils puissent continuer à
recevoir des commandes, ces derniers se sont rendus coupables de corruption
privée passive en acceptant de faire transiter les fonds
détournés à l'aide de fausses factures et en
l'échange de cadeaux et de la garantie de conserver les marchés
auprès de PSA. De la même manière, pour avoir
accepté de suivre les ordres de M.X, en l'échange de divers
cadeaux, les salariés du service achats se sont bien évidemment
rendus coupable de corruption passive. Ils ne pourraient se dégager de
leur responsabilité en invoquant la pression de la hiérarchie et
ce d'autant plus que M.X n'était pas leur supérieur.
190. Un cas d'entente illicite? En outre,
devant la cour d'appel de Besançon, les membres du personnel des
sous-traitants, eux aussi prévenus dans cette affaire ont reconnu que
dès l'établissement du devis, ils savaient si leur entreprise
allait être choisie par PSA. Tous les fournisseurs s'étaient alors
entendus afin de mettre en place un tour de rôle, même tacite, pour
l'obtention des marchés avec PSA. L'interdiction des ententes illicites
est prévue à l'article L. 420-1 du Code de commerce. La sanction
est déterminée par l'autorité de la concurrence en
fonction de la valeur des ventes affectées par la pratique
incriminée. (Cette sanction ne pouvant excéder plus de 10% du
chiffre d'affaire de l'entreprise).
191. Infraction de corruption passive de M.X (non
relevée par les juges). Dans ce schéma de fraude aux
achats il aurait été possible de qualifier le comportement de M.X
de corruption passive. En effet, en tant que donneur d'ordre du secteur ferrage
au sein de PSA, le fait de d'influencer le choix des sous-traitants est un acte
non pas de la fonction, mais facilité par la fonction. Les juges du
fonds on d'ailleurs souligné « qu'il était directement
à l'origine du choix des sous-traitants ». On peut donc
considérer que l'obtention des marchés par les sous-traitants est
l'avantage indu attendu. La surfacturation et les fausses études
constituant la rémunération de M.X. Faisant des
sous-traitants des corrupteurs actifs.
192. Infractions de banqueroute et abus de biens
sociaux par M.Y et recel de ces infractions par M.X. D'après
l'arrêt, de concert, MM. Y et X ont sciemment pillé à des
fins personnelles la société Y.Mécanique d'une part en la
délestant frauduleusement de la somme de 353 326 euros par le biais des
fausses factures italiennes, somme qu'ils se sont partagée selon des
modalités qu'il n'a pas été possible d'établir, les
espèces étant par nature faciles à dissimuler et à
dissiper, et d'autre part en faisant financer par la société
Y.Mécanique des dépenses importantes d'ordre personnel. Ces faits
sont constitutifs de banqueroute et d'abus des biens ou du crédit d'une
société pour M. Y et de recel de ce délit pour M.
X100.
193. Peines complémentaires. M.X
étant maire de sa commune, une peine d'interdiction des droits civiques,
civils et de famille portant sur l'éligibilité et sur le droit de
vote pour une durée de cinq ans a été prononcée
à son encontre. Ceci étant justifié par la
particulière malhonnêteté dont il a fait preuve,
comportement incompatible avec un mandat électif public.
194. Les deux cas qui ont été
présentés permettent de se faire une idée assez
précise de la façon dont se manifeste la corruption privée
dans les achats. En outre, cela permet de mettre en exergue un certain nombre
de difficultés inhérentes à cette infraction. Dans la
seconde section de ce chapitre nous étudierons ces
difficultés.
76
100 Cass. Crim, 25 mars 2015, 14-82.179, Inédit
77
SECTION 2 - Des difficultés à condamner
pénalement les faits de corruption privée.
195. L'objectif de lutte contre le
phénomène de corruption privée. Dans la mesure
où nous nous plaçons dans une optique de lutte contre la
délinquance financière et la criminalité organisée,
l'objectif - bien qu'utopique - en matière de corruption privée,
ce vers quoi il faut tendre est nécessairement la disparition pure et
simple de ces comportements. Jusqu'ici, le phénomène a pu
être défini, mesuré puis illustré. Dorénavant
il convient de l'analyser au regard de cet objectif d'éradication.
196. Comme on a pu le voir en première partie,
à l'occasion de la mesure du phénomène, la quasi--absence
de condamnations ne saurait--être expliquée par l'absence de
comportement répréhensible. La cause de ce faible nombre de
condamnations se trouve nécessairement liée aux
difficultés à endiguer le phénomène. L'analyse va
ainsi porter sur un certain nombre de difficultés de natures
différentes qui, mises bout à bout, rendent cette infraction
très difficile à mettre à jour. Des difficultés de
nature plutôt sociologiques (I) et des difficultés de nature
tenant aux modes opératoires employés (II)
I - Des difficultés de nature
sociologique
Dans un premier temps nous verrons que les difficultés
en matière de lutte contre la corruption tiennent d'abord à un
problème d'éthique persistant dans les affaires (A) puis nous
verrons qu'elles découlent aussi en partie de la moindre importance
donnée à la corruption privée par rapport à
d'autres formes de criminalité ou délinquance (B).
A - Un problème majeur d'éthique dans les
affaires.
197. Un manque d'éducation et de conscience.
Une des principales difficultés tient au fait qu'une proportion
non négligeable des professionnels exposés n'a pas conscience de
la gravité de ces pratiques. Comme cela a pu être exposé en
première partie, beaucoup de professionnels considèrent que
certains comportements - pouvant revêtir la qualification de corruption -
sont des pratiques courantes dans les affaires. Certains n'ayant parfois pas
même conscience du caractère illicite de leurs agissements.
Toutefois, le plus souvent, et
78
c'est le cas lorsque les fraudes sont plus
élaborées (à l'image des illustrations qui ont
été données), les professionnels impliqués ont
conscience de l'illicéité de leur comportement mais le justifient
aisément par la nécessité de sauver ou simplement
pérenniser leur entreprise101.
198. Des arguments de défenses
inquiétants. A ce titre rappelons l'inquiétude de Michel
Véron suscitée par les arguments souvent avancés par les
corrupteurs mis en causes, à savoir la banalité de telles
pratiques et la justification de tels comportements au regard de la
nécessité d'obtenir des marchés à tout
prix102. Les deux illustrations que nous avons
présentées permettent d'ailleurs de confirmer un tel état
d'esprit habitant certains professionnels qui pourtant n'étaient pas
à nécessairement à l'origine de la mise en place des
schémas de corruption.
199. Irrecevabilité des causes
d'irresponsabilité ou d'atténuation de la responsabilité
pénale. Il est bien évident que l'invocation des
articles 122-1 à 122-8 du Code pénal serait balayée d'un
revers de main dès l'instant où la contrainte ou l'état de
nécessité par exemple sont des notions de droit pénal
très proches de la notion de force majeure en droit civil. En
matière de corruption, la principale explication au fait de corrompre ou
d'accepter de corrompre est bien souvent la vénalité de
l'auteur.
200. Première illustration. En effet,
l'arrêt du 25 mars 2015 retranscrit les aveux du dirigeant d'une des
sociétés en cause. Tout en reconnaissant l'existence des fausses
facturations, il affirmait avoir agi à la demande de l'employé de
PSA (condamné pour corruption active) afin d'obtenir de la
trésorerie pour son entreprise qui, sans ce système, n'aurait pas
pu poursuivre son activité. Ajoutant que la mise en place du
système lui avait été imposée par l'instigateur de
la fraude qui menaçait d'interrompre la relation d'affaires. Pour lui,
« tout le monde était gagnant dans ce schéma corruptif
». Ces propos traduisent un manque d'éthique cruel de la part
de cet individu qui, même devant les juges du fond, semble presque encore
ignorer l'existence du préjudice qu'il a contribué à
causer, à savoir des détournements de fonds importants au
préjudice de l'entreprise PSA, sans compter
101 En effet, à la question « lequel de ces
comportement trouvez-vous justifié de recourir afin d'aider votre
entreprise à surmonter un retournement de l'économie? » 29%
des individus interrogés ont répondu qu'ils seraient prêt
à offrir un divertissement, afin de nouer ou de pérenniser une
relation d'affaire, faits constitutifs de corruption. 14% d'entre eux seraient
prêt à offrir un cadeau personnel pour les mêmes raisons,
13% à offrir une somme d'argent liquide, c'est-à-dire un «
pot-de-vin » classique. Au total, près de la moitié des
sondés a reconnu être prête à recourir à des
moyens assimilable à de la corruption « en cas de besoin ».
Source: enquête
102 Michel VÉRON. Op.cit. p73
79
le nivellement par le bas des prestations du fait de l'absence
de réelle mise en concurrence des entreprises du secteur.
201. Deuxième illustration. Dans le
premier cas rencontré, un problème d'éthique
général était aussi présent. Il semble en effet
important de souligner le fait que, d'après les auditions des dirigeants
des fournisseurs sollicités pour régler les commissions afin
d'obtenir les marchés, la pratique était connue de tous. Certains
l'ont qualifié de « courante » dans le secteur et aucun ne
semblait choqué par de tels agissements. Il existait une forme de
résignation face à la nécessité de régler
ces commissions indues pour obtenir les marchés. Pourtant, il semble
évident que l'alerte d'un seul d'entre eux auprès des dirigeants
de l'entreprise victime aurait suffit à mettre fin à ces
pratiques. Cependant il n'est pas nécessaire d'aller aussi loin dans le
vice pour remarquer qu'il existe un réel problème
d'éducation. Les professionnels des achats n'ont souvent aucune
idée des risques liés à l'acceptation d'un simple cadeau,
pratique qui nous l'avons vu, se situant à la frontière avec la
corruption, peut rapidement faire basculer un comportement anodin en un
délit.
202. Les causes possibles de ce manque
d'éthique. Il semblerait que la cause de ce manque
d'éthique dans les affaires puisse être recherchée dans une
attitude laxiste voire de tolérance dont ont longtemps fait preuve les
pouvoirs publics et les entreprises elles--mêmes.
L'ultralibéralisme défendu par beaucoup a cependant montré
ses limites dans de nombreux secteurs comme celui des institutions bancaires
par exemple. L'éthique semble depuis quelques années avoir
été placée au centre des débats concernant la vie
des affaires. Toutefois, les effets de cette prise de conscience tardive sont
encore difficiles à mesurer.
B - Une volonté encore insuffisante de lutte de
la part des pouvoirs publiques et des entreprises.
1 - Un problème de priorité de la part des
pouvoirs publics
203. « En France, le col blanc est une
espèce protégée ». « Il n'y a pas
une seule forme de criminalité mais au moins deux. Celle des «
cols--bleus » et celle des « cols-- blancs », celle des
banlieues et celle des quartiers d'affaires, celle qui menace surtout les biens
matériels et celle qui sape les règles du jeu économique
»103. Aujourd'hui encore, la perception sociale, politique
et judiciaire entre l'une et l'autre demeure
103 Pierre LASCOUMES. (1997). Elites
irrégulières - Essai sur la délinquance d'affaires.
Editions Gallimard p9
80
différente. La criminalité en col blanc reste
moins infamante que des formes de criminalité plus primitives comme
celle des crimes de sang par exemple. Les délinquants économiques
jouissent encore d'une certaine protection de la part de l'opinion publique et
des autorités publiques, bien que la tendance a été
inversée depuis quelques années.
204. La primauté de la lutte contre la
probité des agents publics. Ce constat est d'autant plus vrai
en matière de corruption privée. En effet, encore aujourd'hui
cette forme de corruption est reléguée au second plan en
matière de lutte. Un symptôme fort étant le fait que la
corruption privée demeure deux fois moins réprimée que la
corruption publique. La priorité en matière de lutte contre la
délinquance économique est donc donnée à la
probité des agents publics. A ce titre, Pierre Lascoumes estime que
« cette focalisation sur les élus fait oublier que la notion de
délinquance d'affaires concerne aussi les actions pénalement
qualifiables commises par les entreprises et leurs dirigeants. C'est là
d'ailleurs le sens véritable du terme white collar crime...
»104
205. Un autre symptôme fort de ce constat ressort aussi
de la pauvreté de la littérature concernant la corruption
privée. A l'occasion des recherches effectuées dans le cadre de
la rédaction de ce mémoire une comparaison a pu être faite
avec la profusion d'écrits sur le sujet de la corruption publique
nationale, étrangère et internationale. Encore peu de personnes
s'intéressent au sujet de la corruption privée, les sources se
font rares, malgré un regain d'intérêt constaté
depuis l'entrée en vigueur de la loi du 4 juillet 2005 que nous avons
déjà présentée.
206. Une gradation des peines relatives à la
gravité des comportements. Cette différence de
traitement demeure toutefois assez largement compréhensible. La
probité des agents publics se doit d'être exemplaire et cela
justifie une plus grande sévérité à leur
égard. Il est presque normal de considérer que la corruption de
personnes n'exerçant pas une fonction publique est « moins
dramatique » que la corruption de magistrats ou de médecins par
exemple. Cette différence de traitement trouve donc sa justification
dans la nature de l'intérêt protégé. Les exceptions
à l'autorisation de la pratique des primes et cadeaux trouvant elle--
même son fondement dans cette explication.
104 Pierre Lascoumes : « Elites irrégulières -
Essai sur la délinquance d'affaires », Editions Gallimard, 1997,
p11
207.
81
Une telle différence dans les peines n'exclut toutefois
pas la réelle nécessité de réprimer la corruption
privée et d'éduquer les acteurs concernés à faire
preuve de plus de vigilance et d'intégrité. Le libéralisme
économique, au coeur du fonctionnement de nos sociétés ne
doit pas justifier le recours à des pratiques qui par essence sont de
nature à briser l'égalité dans les affaires.
2 - Un manque persistant d'implication de la part des
entreprises.
208. Un problème de prévention.
Les entreprises elles-mêmes, pourtant principales et
premières victimes de la corruption privée, semblent ne pas
toutes prendre la mesure du phénomène et des graves
conséquences qu'il induit. Pour preuve, rappelons que statistiquement en
2014, encore un quart des professionnels du secteur achats des entreprises
françaises n'avaient pas signé de charte
anti-corruption105. A l'image du retard cruel de lutte contre la
cybercriminalité106 qui est un risque majeur et croissant
pour les entreprises, ces dernières ont souvent tendance à
vouloir lutter contre des menaces déjà existantes et à
préférer reléguer au second plan les nouveaux risques. La
corruption privée souffre elle aussi de ce syndrome puisque l'accent
est, nous l'avons déjà souligné, largement mis sur la
corruption dans le secteur public, au détriment de la lutte contre la
corruption privée. La solution doit être globale et les risques de
fraudes externe et interne devraient être envisagés de
façon plus générale. Se focaliser sur un risque trop
spécifique contribue à laisser proliférer tous les
autres.
209. Corruption et réputation, un obstacle
à la répression. Une autre difficulté est
liée au comportement des entreprises victimes de corruption
privée. Ces dernières restent relativement frileuses face
à la possibilité de porter plainte en cas de corruption
avérée. Selon Jean-Paul Philippe, habitué des audits au
sein des entreprises victimes de fraudes, « la corruption, comme toute
fraude, est anxiogène. Les entreprises en ont peur. Au delà de la
perte financière liée aux détournements, une fraude est un
réel vecteur de crises relationnelles au sein de l'entreprise et de
risque de détérioration de la réputation de l'entreprise
»107. Ce caractère anxiogène explique en
partie pourquoi dans beaucoup de cas, la seule sanction envisagée en cas
de fraude avérée sera le licenciement du ou des auteurs, de
façon à taire l'affaire pour ne pas prendre le risque d'effriter
la réputation de l'entreprise.
105 Etude AgileBuyer - Groupement Achats HEC : «Les
Priorités des Services Achats en 2015 ou la manière dont
seront gérés les sous--traitants en 2015 », 2015
106 13ème étude mondiale sur la
Fraude menée par EY (Ernst Young) « Overcoming compliance fatigue:
reinforcing the commitment to ethical growth », juin 2014
107 Entretien avec Jean-Paul Philippe, Ancien directeur de la
Brigade Centrale de lutte contre la corruption au sein de la Direction Centrale
de la Police judicaire et actuel Consultant et formateur en investigations de
fraudes, août 2015
210.
82
Exemple de licenciement pour des faits de corruptions
n'ayant donné lieu à aucune poursuite pénale. Le
16 mars 2010, la cour d'appel de Versailles a rendu un arrêt suite
à l'appel du jugement du 08 décembre 2008 par le Conseil de
Prud'homme de Versailles. Le litige opposait alors un ingénieur cadre
affecté à une direction des achats du groupe Renault. En 2006,
l'entreprise avait licencié l'ingénieur. Suite au rachat d'un de
ses fournisseurs, l'entreprise absorbante avait détecté des
anomalies en comptabilité. En effet, en 2004, le fournisseur avait pris
en charge un voyage aux Seychelles (une croisière sur un catamaran de
luxe) pour un montant avoisinant les 20 000 euros et ayant
bénéficié à la famille du directeur achats. Le
cadeau avait été consenti à l'insu de l'entreprise Renault
et en contradiction avec son code de déontologie (chapitre relatif aux
relations extérieures concernant les « corruptions et ristournes
occultes »), sachant que les acheteurs s'étaient vu interdire
formellement de recevoir des cadeaux et ce par un courrier de la direction. En
outre, les juges du fonds affirment qu'aucune pièce ne permettait de
constater que le fournisseur avait offert ce voyage à titre personnel
mais qu'au contraire ce cadeau s'inscrivait dans le cadre de la vie
professionnelle du mis en cause.
Malgré tous ces faits relatés
précisément et qui rappellent très clairement un cas,
même simple, de corruption privée, le motif de l'infraction n'a
pourtant pas été évoqué dans la lettre de
licenciement.
Les conseillers prud'homaux se sont eux aussi refusés
à évoquer l'éventualité de l'infraction, se
contentant de reconnaître la validité du licenciement pour faute
grave, non sans rappeler le fait que les fonctions du directeur achats
étaient de nature à le placer dans une position d'influence quant
au choix des fournisseurs et qu'il se trouvait nécessairement dans une
situation de conflit d'intérêt, et ce en totale contradiction avec
le code de déontologie et avec son devoir de loyauté à
l'égard de son employeur.
211. Ainsi, que ce soit du côté des entreprises
victimes potentielles, de ses acteurs auteurs potentiels ou des organes de
lutte, un problème d'éducation et d'information persiste
concernant la corruption privée. A cet égard, Jean-Paul
Philippe108, affirme que beaucoup de professionnels ignorent la
corruption privée, parlant tantôt de simple concurrence
déloyale ou même de pratique banale dans les affaires. Ce genre de
propos pouvant être entendu aussi bien de la part des acteurs
économiques que de la part, et c'est peut-être le plus
déplorable, d'enquêteurs ou de magistrats. Toujours est-il que
même si ces problématiques sociologiques et d'éducation
étaient résolues, la corruption resterait une infraction
difficile à mettre à jour.
108 Jean-Paul PHILIPPE. (Août 2015). Entretien.
83
II - Difficultés liées à la
mécanique de la corruption privée A - La dissimulation de
l'infraction par la fraude
212. La corruption, une infraction occulte par
essence. Le pacte, notion centrale de l'infraction, est
nécessairement tenu secret par les parties ou leurs complices qui n'ont
aucun intérêt à révéler la fraude. En outre,
le plus souvent, une infraction de corruption est accomplie en parallèle
d'autres infractions permettant de mieux dissimuler les détournements
auxquels elle donne lieu. La détection de la corruption est ainsi rendue
d'autant plus difficile du fait de sa dissimulation.
213. Quelques exemples de modes de dissimulations.
Tous les mécanismes frauduleux accompagnant un schéma de
corruption ont pour objet de justifier les détournements. Ces techniques
utilisées assurent souvent l'impunité des auteurs. Le directeur
des achats pourra par exemple créer secrètement un fournisseur
fictif afin de passer des commandes de biens ou de prestations de services tout
aussi fictives pour justifier une quelconque sortie de fonds. Un comptable
pourra détourner des chèques en créant des
sociétés avec des noms quasiment identiques à ceux du
réel client à qui son entreprise à vendu un bien ou une
prestation, afin d'encaisser les chèques pour son propre compte.
Ces exemples de fraude relativement simples démontrent
la nécessité pour les entreprises de se prémunir contre
leur survenance par la mise en place de procédures internes de
contrôle. Ajoutés aux exemples que nous avons
détaillé précédemment (utilisation de contrats
d'apporteurs d'affaires et fausses études), on imagine aisément
la variété des possibilités existantes pour dissimuler un
schéma de corruption et justifier les détournements de fonds qui
en sont l'aboutissement.
214. Le point de vue du SCPC. À cet
égard, le Service Central de Prévention de la Corruption a
étudié ce lien indissoluble entre la fraude et la
corruption109. Selon cette institution dont le rôle sera
précisé ultérieurement, « La corruption se
nourrit du produit des fraudes. Corrupteurs et corrompus utilisent à
leur profit les fausses factures; les manipulations comptables
organisées à partir des logiciels permissifs ainsi que les
montages à partir de sociétés écrans
génèrent des flux d'espèces qui permettent le financement
de la corruption »110. Pour le SCPC, l'opération
de
109 Expression utilisée par Pierre Rocamora : « La
corruption privée, un risque majeur pour les entreprises », Master
II Lutte contre la délinquance financière et la
criminalité organisée, octobre 2007, p65
110 Rapport d'activité du Service Central de
Prévention de la Corruption pour l'année 2006 ; éd. La
documentation Française, p. 113
84
corruption s'apparente le plus souvent à « un
montage actif, méthodique et calculé ».
215. Les outils informatiques au service de la
fraude. Selon Noël Pons, ancien conseiller au SCPC, il existe un
certain nombre d'outils informatiques pouvant faciliter l'oeuvre des fraudeurs.
Pour lui, « La recherche systématique des réductions de
coût et de facilités d'utilisation a suscité la
création de logiciels « souples ». Les concepteurs, qui
privilégient la souplesse d'utilisation de leurs logiciels, ne
prévoient pas toujours les verrous informatiques qui sont
nécessaires pour justifier des obligations d'intégrité
relatives aux règles comptables. Ainsi, ces logiciels comptables ou de
gestion qui permettent, du fait de leur souplesse d'utilisation, d'obtenir en
sortie documentaire ce que l'on désire et non la réalité
des opérations, peuvent être qualifiés de pourriciels
»111. Ainsi, de tels outils peuvent permettre des fraudes
quasi professionnelles rendant d'autant plus indétectables la
corruption.
216. L'omerta imposée ou
négociée auprès des salariés. Le
dictionnaire Larousse défini cette expression originaire des milieux
mafieux siciliens comme « un silence qui s'impose dans toute une
communauté d'intérêts ». Dans le cadre de cette
étude, ce terme peut être utilisé pour désigner le
comportement des personnes se trouvant « mêlées à
» ou « au courant de » l'existence d'un schéma de
corruption. Ces personnes pouvant être, non seulement les personnes
à qui la corruption est imposée, mais aussi ceux qui n'en
jouissent pas nécessairement. C'est le cas par exemple des
salariés d'un service achats dans l'hypothèse où ils sont
impliqués et tire un intérêt pécuniaire de la fraude
ou tout simplement du fait que l'omerta leur est imposée par leur
supérieur sous la menace de leur licenciement (par exemple).
L'instigateur ayant un haut poste de responsabilité et une certaine
assise dans l'entreprise peut donc faire pression sur ses collaborateurs
subalternes. Il peut aussi, et c'est la première hypothèse,
acheter le silence de ses collaborateurs en les faisant participer au
schéma de corruption. Au cours de l'audition de certains collaborateurs
des principaux instigateurs du schéma de corruption que nous avons
détaillé précédemment, le terme de «
harcèlement » avait d'ailleurs été utilisé
pour décrire ce silence imposé. A cet égard nous avons
d'ailleurs pu faire remarquer que les salariés d'un service d'achats
sont souvent les personnes les plus à même de donner l'impulsion
afin de faire connaître d'une fraude en cours. Raison pour laquelle
encourager les salariés à se comporter en lanceur d'alerte
pourrait constituer une des meilleures solutions pour faciliter la
répression.
111 Noël PONS et Valérie BERCHE. (2006). Pour
une méthodologie d'audit adaptée au conflit
d'intérêts. Audit Interne n° 182. Décembre.
p.7
217.
85
L'omerta due aux ententes illicites. «
Une entente illicite peut être définie comme tout
accord entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises
et toutes pratiques concertées qui ont pour objet ou pour effet
d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence. Ainsi,
toute pratique qui tend à limiter l'accès au marché ou le
libre exercice de la concurrence ou visant à faire obstacle à la
libre fixation des prix doit être qualifiée d'entente illicite
»112. Dans le second cas présenté dans la
partie dédiée aux illustrations, les membres du personnel des
sous--traitants corrompus et prévenus dans l'affaire avaient reconnu
devant la cour d'appel que dès l'établissement du devis, ils
savaient si oui ou non leur entreprise serait choisie par PSA. Tous les
fournisseurs s'étaient alors entendus afin de mettre en place un tour de
rôle pour l'obtention des marchés avec PSA. Ainsi, en se mettant
tous d'accord, les fournisseurs contribuent encore un peu plus à
minimiser les chances de détection de la fraude. En se mettant d'accord,
les fournisseurs peuvent donner l'illusion que le code des achats est
respecté quant à la procédure de dévolution des
marchés, par exemple en procédant à des offres de
couverture et ainsi en simulant une situation de concurrence qui n'a en
réalité d'autre but que de dissimuler la fraude.
Ce type de comportement constitue en outre une cause de
nivellement par le bas de la qualité des biens et des services, ce qui
pourrait causer un préjudice important pour tous, y compris pour les
consommateurs finaux. Puisque les fournisseurs sont certains d'être
sélectionnés, les dépenses en recherches et
développement sont rendues beaucoup moins importantes voire
complètement superflues, ce qui constitue un obstacle à tout
progrès.
218. Preuve et cadeaux. En outre, le flou
règlementaire en matière de cadeau, pratique qui, nous l'avons
vu, peut aisément se trouver à la limite de la corruption,
constitue lui aussi un obstacle à la répression. La preuve du
lien de causalité entre le cadeau et l'acte de la fonction attendu,
exigée pour qualifier une infraction de corruption, est
extrêmement difficile à matérialiser. Le doute
bénéficiant à l'accusé, principe cardinal et
incontournable du droit pénal, est sans doute un élément
supplémentaire pouvant expliquer le faible nombre de condamnations et le
fait que la pratique perdure.
112 Emilie CARUANA. (2009). La corruption privée,
étude historique, juridique et comptable. Mémoire. Master II
Lutte contre la délinquance financière et la criminalité
organisée. p60
219.
86
Une conséquence de la difficulté
à mettre à jour la corruption. D'après le Service
Central de Prévention de la Corruption, la durée moyenne des
procédures en matière de manquement à la probité se
situe entre 5 et 6 ans. Ainsi, en moyenne, les 270 condamnations de 2013 (tout
manquement à la probité confondu) portent essentiellement sur de
faits datant de 2007/2008113.
B - La disparition d'une difficulté: la
prescription de l'action publique114
220. La corruption privée est un délit
instantané qui à ce titre se prescrit après trois ans
à compter du jour de la consommation de l'infraction. Auparavant, une
difficulté tenait au fait que les juges de la Cour de Cassation se
refusaient à appliquer aux délits de corruption la théorie
des délits clandestins. Cette théorie permettant de repousser le
point de départ du délai de prescription non plus au jour de
commission mais « au jour où le délit est apparu et a pu
être constaté dans les conditions permettant l'exercice de
l'action publique ».
221. Ainsi, pendant trop longtemps, le délit de
corruption étant une infraction instantanée, le point de
départ du délai de prescription était
nécessairement le jour de consommation de l'infraction, consommation
« se renouvelant à chaque acte d'exécution dudit pacte
»115.
222. Or, depuis 2008, la chambre criminelle de la Cour de
Cassation est revenue sur cette conception, admettant l'application de la
théorie des délits clandestins à la corruption. Cette
solution qui avait été admise en premier au sujet du trafic
d'influence peut être étendue à la corruption
privée116 du fait des similitudes importantes entre ces
délits. Ainsi, en cas de dissimulation, le délai de prescription
ne commence à courir qu'à compter du jour ou l'infraction est
apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant
l'exercice des poursuites117.
113 Rapport d'activité du Service Central de
Prévention de la Corruption pour l'année 2014, juin 2015, p21
114 Marc SEGONDS. (2014). Corruption active et passive de
personnes n'exerçant pas une fonction publique. JurisClasseur de
droit Pénal des Affaires. Fascicule 30. 17 février.
115 Cass. crim., 16 mai 2001, n° 00-85.478
116 Cass. crim., 6 mai 2009, n° 08-84.107 : JurisData
n° 2009-048450
117 Cass. crim., 19 mars 2008, n° 07-82.124 et n°
04-81.758 : JurisData n° 2008-043363 ; Dr. pén. 2008, comm. 102,
note M. Véron ; Bull. crim. 2008, n° 71 ; AJP 2008, p. 319, note J.
Lelieur ; Rev. pénit. 2009, p. 176, note M. Segonds
223.
87
Toujours est--il que la fraude et la dissimulation
étant souvent couplées à la corruption, la
détection du délit reste une difficulté majeure en
matière de répression. Malgré les progrès
récent eu égard au point de départ du délai de
prescription, seule la pugnacité des enquêteurs et des juges
d'instructions permet de mettre à jours les infractions de corruption.
La nécessité pour les entreprises de prévenir leur
survenance est donc évidente.
224. Une prise en compte tardive du
phénomène? Il convient de faire remarquer que la
récente création de cette catégorie de fraude118
ne signifie pas que le risque de fraude aux achats soit un risque nouveau
mais ceci traduit plutôt une prise de conscience relativement tardive de
l'existence de ce phénomène ancré qui conduit souvent
à des surfacturations importantes au préjudice des entreprises.
Les acteurs du secteur privé ne sont pas les seuls à blâmer
pour cette prise de conscience tardive. Il est aussi possible de regretter que
l'entrée de l'infraction de corruption privée dans le Code
pénal ne soit intervenue qu'en 2005. Il est en outre regrettable qu'il
ait fallu attendre la survenance d'une crise d'envergure mondiale pour que
l'éthique dans les affaires devienne une priorité. Aujourd'hui,
et il est possible d'affirmer que le problème n'est pas seulement
français, l'économie mondiale semble gangrénée par
des pratiques peu avouables. La corruption privée comme publique fait
partie de ces pratiques variées destinée à satisfaire la
vénalité de quelques uns, au détriment de la bonne
santé économique des entreprises victimes, au détriment de
la qualité des biens et prestations de service, au détriment de
l'emploi et plus généralement au détriment de la
croissance. Lutter contre l'éventualité de ces pratiques est bien
évidemment une des responsabilités des entreprises qui en sont
les premières victimes mais pas seulement. Les pouvoirs publics ont eux
aussi leur rôle à jouer dans la lutte contre la corruption puisque
les dommages indirects sont susceptibles d'avoir un impact négatif sur
l'ensemble de l'économie.
118 PwcFrance, département « Forensic ».
(2014). Etude mondiale sur la fraude en entreprise: « Global economic
crime survey ». p11
88
CHAPITRE 2 -MOYENS DE LUTTE CONTRE LA CORRUPTION
PRIVÉE
Les moyens de lutte permettant d'endiguer le
phénomène de corruption privée au sein des services achats
des entreprises seront présentés dans l'ordre suivant. Dans un
premier temps nous verrons quelles sont les dispositifs à la disposition
des entreprises (Section 1) puis dans un second temps nous verrons quelles sont
et ont été les initiatives des pouvoirs publics en la
matière (Section 2).
Section 1re - Les moyens de luttes contre la
corruption privée à la disposition des entreprises
|