B -- Le processus achats, un risque de corruption à
chaque étape
149. Le processus achat, un processus en six
étapes. L'acte d'achat est le résultat de plusieurs
tâches opérationnelles successives. Ce processus peut être
décomposé en six phases étapes : la définition du
besoin, la recherche de fournisseurs, le lancement d'appel d'offres, l'analyse
des offres, la négociation et enfin la contractualisation. A chacune de
ces phases, le risque de corruption est présent. La gestion des
relations avec les fournisseurs est un moyen d'anticiper les risques.
150. L'étape de définition du besoin.
Logiquement, le produit ou la prestation de service dont a besoin
l'entreprise est défini à cette étape. Pour cela
l'entreprise doit établir un cahier des charges rédigé de
façon plus ou moins détaillée. Selon ce degré de
précision du cahier des charges, les fournisseurs potentiels disposeront
d'une plus ou moins grande marge de manoeuvre pour y répondre. En
précisant le contexte dans le cahier des charges l'entreprise peut
donner au fournisseur une idée de l'objectif recherché par
l'entreprise. Outre les caractéristiques du produit ou de la prestation,
les modalités commerciales relatives à la signature du contrat,
au budget, à la monnaie, au lieu de livraison des produits ou
d'exécution des prestations de service peuvent être
spécifiés. Plus le cahier des charges sera précis et plus
les risques de corruption seront réduits. Les « prescripteurs
internes »84 de l'entreprises pouvant imposer des contraintes
au services achat, leur ôtant ainsi la possibilité d'imposer un
fournisseur complaisant ou de surévaluer un marché.
Préciser les budgets est un moyen d'éviter les petits
arrangements entre acheteur et fournisseur. Outre l'aspect lutte contre la
fraude, l'acheteur peut, en étant associé à la
rédaction du cahier des charges, avoir une influence positive sur la
définition du besoin. Les membres du service achat sont ceux dans une
entreprise qui maîtrisent le mieux le marché et connaissent les
qualités et défauts des fournisseurs potentiels.
151. L'étape de recherche du fournisseur.
Une fois le besoin défini, l'acheteur a pour rôle de
choisir le fournisseur adéquat. Pour cela il a en principe à sa
disposition une liste des fournisseurs référencés de
l'entreprise. Ce « panel » permet de recenser les fournisseurs connus
et ainsi de limiter, d'un certain point de vue, les risques de fraude.
Toutefois, bien que le risque soit minimisé, il est possible d'envisager
l'hypothèse dans laquelle les membres du service achats nouent des liens
plus « amicaux » avec les fournisseurs habituels de l'entreprise
et
84 Expression employée par les auteurs de « La
fonction achats en entreprise, politique et stratégie d'achats».
(2011). La fonction achats en entreprise, politique et stratégie
d'achats. Décision Achats -- Le guide N°4. 1er janvier.
Disponible en ligne:
http://www.decision--achats.fr/
59
qu'à terme, des fraudes soient envisagées par
l'une ou l'autre des parties, du fait de la relation de long terme ainsi
nouée. Raison pour laquelle, nous le verrons, envisager un
système de rotation dans les services achats, à l'image de ce qui
est appliqué dans certains services publics, peut être une
solution efficace pour éviter des collusions.
152. Méthodes de recherche de nouveaux
fournisseurs. Dans certains cas, un besoin nouveau obligera l'acheteur
à aller au delà du panel fournisseur et d'envisager la recherche
de nouveaux fournisseurs afin de répondre au besoin. Des méthodes
sont à sa disposition, relatives au « sourcing » et à
l'homologation des nouveaux fournisseurs.
Le « sourcing » consiste à rechercher,
à partir des objectifs consacrés dans le cahier des charges,
à identifier une zone géographique et une qualité de
produit ou de prestation attendue afin de réduire la liste des
fournisseurs potentiels. Une fois identifiés, les potentiels futurs
fournisseurs doivent être évalués grâces aux
données publiques disponibles puis contactés et interrogés
afin de déterminer quel fournisseur est le plus à même de
répondre aux exigences du cahier des charges. Les fournisseurs doivent
ensuite être homologués à l'aide de recherches
complémentaires et des audits des fournisseurs afin de réduire
les risques financiers, les risques de fiabilité ou les risques de
fraude. Cela fait partie de la « due diligence ».
153. L'étape de l'appel d'offres.
Vient ensuite le moment du lancement de l'appel d'offres. Dans la
plupart des cas, le membre du service achat ayant le plus haut niveau de
responsabilité, souvent le directeur, mène la procédure
d'appel d'offres. C'est d'ailleurs une autre explication du fait que les
directeurs achats sont statistiquement plus concernés par les tentatives
de corruption que leurs collaborateurs subalternes85.
Le déroulement classique de l'appel d'offres consiste
à constituer un dossier d'appel d'offres comprenant86:
-- Un résumé de l'appel d'offres (contexte et
objectifs);
-- Les règles et principes gouvernant une procédure
d'appel d'offres;
-- Le cahier des charges;
-- Les termes et conditions commerciales;
-- un questionnaire vierge au sujet du sous--traitant
potentiel;
Plus l'appel d'offres est précis, moins les risques de
corruptions seront élevés.
85 AgileBuyer - Groupement Achats HEC (2015). Les
Priorités des Services Achats en 2014 ou la manière dont seront
gérés les sous--traitants en 2015.
86 (2011). La fonction achats en entreprise, politique et
stratégie d'achats. Décision Achats -- Le guide N°4.
1er janvier. Disponible en ligne :
http://www.decision--achats.fr/
154.
60
Etape de l'analyse des offres. Par la suite,
les offres reçues par l'acheteur sont analysées selon certains
critères déterminants ou non (localité, matériel de
production, savoir faire etc.) afin de réduire le nombre de fournisseurs
potentiels. Les offres des fournisseurs restants doivent être
analysées de façon transparente et objective et aboutir au choix
final selon des critères de qualité, de coûts, de
délais notamment.
155. Concernant le critère
qualité, le respect de la norme Iso, par exemple, est un bon
indicateur des performances d'un fournisseur.
156. Concernant le critère de coûts,
un chiffrage précis du marché doit être
réalisé en collaboration avec les fournisseurs figurant sur une
« short-list » afin de pouvoir ne retenir que le plus
compétitif.
157. Concernant le critère du délai,
il doit être pris en compte au regard de l'agenda de
l'entreprise qui peut, vis à vis de ses propres clients avoir des
obligations strictes de respect de délais de livraison par exemple.
158. Concernant les critères additionnels.
La capacité d'adaptation, la sécurité
financière et la situation économique de l'entreprise sont
également à prendre en compte.
159. Concernant la sélection. Une
fois les offres passées au crible sur la base de paramètres
précis le meilleur fournisseur devrait être naturellement
sélectionné. Une procédure d'appel d'offre
élaborée et contrôlée étant une des garanties
les plus évidentes de prévention contre la corruption. Le service
d'achats doit être à même de justifier le choix du
fournisseur. C'est aussi une garantie d'égalité d'accès
à la commande ou au marché.
160. L'étape de
négociation87. Dans le cadre de relations
commerciales entre professionnels, l'article L.441-6 du code de commerce
dispose que les conditions de vente du fournisseur constituent le point de
départ de la négociation commerciale88. Le fournisseur
va essayer de convaincre son client de l'intérêt de son offre. Au
cours des négociations le fournisseur va être tenté de
faire usage
87 Près de deux tiers des fraudes aux achats
reportées interviennent lors de la phase de sélection du
prestataire. PwcFrance, département « Forensic ». (2014).
Etude mondiale sur la fraude en entreprise : « Global economic crime
survey ». p16
88 Maîtres Matthieu DARY et Thierry TITONE. (2011).
Cadeaux d'affaires : méfiez--vous de la législation. Action
Co N°314. 1er Mai.
Disponible en ligne:
http://www.actionco.fr/Action-Commerciale/Article/Cadeaux-d-affaires-mefiez-vous-de-la-legislation-39727-1.htm
61
d'arguments de ventes tels que des promotions, des pratiques
tarifaires plus intéressantes, des avantages pour l'entreprise cliente,
ses dirigeants et salariés. Ceci peut se manifester sous forme de primes
ou de cadeaux, pratiques dont nous avons dors et déjà
évalué le risque de corruption. La négociation est une
étape cruciale de l'entrée en relation d'affaires de l'acheteur
et du fournisseur. A ce stade, une grande partie des discussions vont porter
sur des considérations d'ordre financier. Pour le fournisseur comme pour
l'acheteur, c'est probablement et logiquement le moment de la procédure
d'appel d'offre où la tentation va être la plus forte d'entrer
dans un schéma de corruption. Le fournisseur peu scrupuleux aura alors
tout loisir de proposer un « pot-de-vin » à un membre de la
direction des achats afin d'obtenir le marché à un prix plus
intéressant ou afin d'évincer d'autres concurrents pouvant
subsister dans l'appel d'offre. Inversement, un membre de la direction des
achats pourra lui même, par exemple, suggérer le versement par le
fournisseur d'une contrepartie pour son propre compte en l'échange de la
dévolution du marché en des termes plus favorables pour le
fournisseur. Il existe une pléthore d'hypothèses de corruption
privée liée au service d'achats. Des illustrations seront
présentées ultérieurement ainsi que les moyens pouvant
être mis en oeuvre par les prescripteurs internes afin de limiter les
tentations voire de les rendre inenvisageables.

Source: PwcFrance, département
« Forensic ». (2014).
Etude mondiale sur la fraude en entreprise: « Global
economic crime survey ». p16
161.
62
L'étape de la contractualisation. A
l'issue des négociations et une fois que le choix du fournisseur
adéquat est fait il convient de contractualiser la relation d'affaires
en établissant le bon de commande qui lie juridiquement l'entreprise
à son fournisseur. Le contrat est un outil juridique important qui sert
à la fois sur le plan civil et commercial mais qui en matière
criminelle revêt une importance toute particulière en
matière de preuve. L'examen du contrat peu permettre dans certaines
hypothèses et en le confrontant à d'autres éléments
de déceler et de démontrer une fraude. Classiquement le contrat
comporte les identités des parties, l'objet du contrat en
précisant la qualité, la quantité, les délais de
livraison, le prix, les pénalités de retard ou encore les
incoterms89. Autant d'éléments sur lesquels il est
possible d'influer dans le cadre d'un schéma de corruption, dans le but
d'avantager l'une des parties à ce pacte.
162. Bien que le risque de corruption inhérent aux
services achats des entreprises soit un problème assez bien
identifié, il reste que la lutte contre ce phénomène reste
emprunte de difficultés importantes. Dans la seconde partie nous verrons
quelles sont ces difficultés qui rendent la lutte compliquée et
nous présenterons les principaux remèdes permettant de limiter le
phénomène.
89 Incoterms : « abréviation anglo--saxonne de
l'expression «International Commercial Terms», signifiant
«termes du commerce international» et traduite en français par
«C.I.V.» ou «conditions internationales de vente».
Définition du site des douanes françaises. Disponible en ligne:
http://www.douane.gouv.fr/articles/a10836--incoterms--pour--une--meilleure--performance
63
2ÈME PARTIE : La corruption privée
des
services achats, un phénomène difficile
à
maîtriser
|