CONCLUSION
264. Depuis une dizaine d'année les pouvoirs publics
semblent avoir intégré le fait que la corruption est un
phénomène qui touche à la fois le secteur public
(fonctionnaires, élus, magistrats ...) et le secteur privée.
L'arsenal législatif mis en place pour lutter contre la corruption en
général et contre la corruption privée en particulier est
aujourd'hui opérationnel quoique emprunt d'une certaine
complexité. Ainsi, corruption publique et privée peuvent
être combattues et doivent l'être.
265. Dans ce mémoire plusieurs questions ont
été posées. Une des principales étant de savoir
pourquoi dix ans après un certain regain d'intérêt des
pouvoirs publics à l'égard d'un phénomène trop
longtemps ignoré, les condamnations sont toujours quasiment
inexistantes. Nous avons vu que la réponse à cette question ne
pouvait être simplement l'absence ou le très faible nombre de
comportements incriminables. En ce focalisant sur un des domaines les plus
exposés à la corruption privée, à savoir les
services achats des entreprises, il a été démontré
que la corruption privée est par nature une infraction non seulement
facile et lucrative à mettre en oeuvre pour les auteurs mais surtout
relativement difficile à détecter pour les victimes et encore
plus complexe à réprimer pour les autorités publiques.
266. Toutefois et malgré ce constat, le
phénomène de corruption privée ne doit pas être
perçu comme une fatalité. Bien qu'il existe un nombre
résiduel de fraudes potentielles impossibles à empêcher,
l'étude du cabinet AgileBuyer a permis de démontrer que des
progrès peuvent être faits si les moyens sont mis en place.
Rappelons à cet égard les changements intervenus en quelques
années dans les secteurs de l'automobile et de la construction suite aux
scandales qui les ont éclaboussés. La mise en place de
procédures internes anti--corruption et de chartes éthiques dans
ces secteurs a contribué à assainir ces secteurs qui comme
l'immobilier jouissaient d'une mauvaise réputation et de mauvais
résultats en terme d'éthique des affaires.
267.
106
Les diverses études auxquelles nous avons eu recours
démontrent qu'il existe un nombre significatif de fraudes non
détectées au sein des entreprises qui ne se sont pas encore
investies dans le jeu de la conformité. En effet, pour les entreprises
ayant eu recours à l'analyse informatique, qui ont encouragé les
lanceurs d'alertes potentiels et/ou qui ont fait la promotion de
l'éthique auprès de leurs salariés ont
nécessairement détecté bien plus de cas de corruptions que
celles qui se sont contentées de la détection par le hasard.
268. Aussi, l'expérience d'autres États que la
France a permis de constater que les moyens de détection de la fraude
avaient rendu possibles de nets progrès. En effet, au Royaume-Uni,
après avoir légèrement augmenté à la fin des
années 2010, grâce au nouveaux moyens de détections
développés, le pourcentage de fraudes reportées a fini par
diminuer de 6% entre 2011 et 2014. Cet Etat est peut-être en cours de
récolte des fruits de ses investissements dans les technologies de
détection automatisée. Ces dernières ayant un effet
dissuasif à moyen et long terme. Cet effet pouvant être
accentué si l'entreprise fait savoir que des contrôles
poussés ont lieu, et de façon inopinée149.
269. En matière de délinquance des affaires
comme dans toute autre forme de délinquance et de criminalité il
existe deux grandes familles de moyens de lutter. Les moyens axés sur la
prévention et les moyens axés sur la détection et la
répression. (Il est bien évident qu'un haut niveau de
répression aura parfois un effet préventif dans le sens où
les auteurs potentiels d'infraction seront parfois dissuadés de passer
à l'acte). Toujours est-il qu'il est possible de distinguer les moyens
de lutte dont les effets vont se situer en aval de la commission de
l'infraction combattue et les moyens préventifs qui comme le suffixe
l'indique, vont intervenir en amont de toute commission d'infraction.
270. On a pu voir que l'infraction de corruption
privée est par nature très difficile à réprimer. La
quasi absence de condamnation en étant le symptôme ultime. La
solution principale et optimale actuellement pour lutter contre la corruption
reste donc la prévention. L'idée étant d'empêcher
matériellement la fraude d'être commise ou de rendre possible sa
détection précoce. Ainsi, du coté des entreprises comme du
coté de l'Etat, il existe un certain nombre de moyens de lutte contre la
corruption pouvant être utilisés. Un certain nombre d'entre eux
ont été évoqués voire détaillés mais
il en existe peut-être autant que de modes opératoires de
corruption.
149 PwcFrance, département « Forensic ».
(2014). Etude mondiale sur la fraude en entreprise: « Global economic
crime survey ». p8
271.
107
Toutefois, malgré l'éventualité de ces
moyens de luttes, un problème majeur n'ayant pas été
évoqué se pose non seulement aux entreprises mais aussi aux
pouvoirs publics. La lutte contre la corruption quelle qu'elle soit,
représente un coût important, que ce soit pour l'Etat ou pour les
entreprises. Pour ces dernières, plus que la volonté, ce sont
bien les ressources disponibles qui seront déterminantes de la mise en
place ou non de procédures de lutte interne.
272. La mise en place de ces procédures est pourtant
relativement bénéfique pour une entreprise. Bien que cela
représente un surcoût important il est souvent plus
économique de tout mettre en oeuvre pour éviter de subir les
méfaits de la corruption plutôt que de les laisser se produire.
Par ailleurs, être reconnu comme étant une entreprise
éthique améliore nécessairement les chances d'être
sélectionnée par les plus grandes groupes et de pouvoir s'ouvrir
à l'international. Il en est de même pour les contrats publics. En
outre, un programme anti-corruption digne de ce nom est souvent une garantie
pour l'entreprise et ses membres d'être prémunis contre les
sanctions pénales. C'est aussi un argument à faire valoir devant
les organismes financiers et éventuellement devant des acheteurs
potentiels de l'entreprise150.
273. Ainsi, les entreprises doivent être de plus en
plus concernées. Pour cela les efforts des pouvoirs publics doivent
s'accentuer, peut-être pas sur la répression qui reste un point
complexe mais plutôt afin de les encourager. Dans la lutte contre la
corruption privée, c'est à la prévention que la
priorité doit être donnée et pour cela, c'est à
l'Etat de donner l'impulsion. Pour cela l'Etat dispose de différents
leviers, y compris la contrainte.
274. A cet égard un article du journal Le Monde du 22
juillet 2015151 laisse entendre qu'une nouvelle loi anti-corruption
devrait être débattue en 2016. Ce projet de loi prévoirait
notamment la création d'une agence nationale de lutte contre la
corruption pour remplacer le SCPC, avec plus de pouvoir et notamment la
possibilité de contrôler et de sanctionner - sur le modèle
anglo-saxon - les entreprises qui ne sont pas suffisamment investies dans la
prévention contre la corruption. Le cas des lanceurs d'alerte devrait
à nouveau être réformé dans le
150 Association Transparency International. (2011)
Principe de conduite des affaires pour contrer la corruption. p9
151 CAZI,E. MICHEL,A. (2015) Une nouvelle loi anti-corruption
prévue en 2016, Le Monde. 22 juillet. Disponible sur le site
http://www.lemonde.fr/politique/article/2015/07/22/une-nouvelle-loi-anti-corruption-prevue-en-2016_4693636_823448.html
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sens d'une plus grande protection et via une harmonisation des
textes. L'agence devrait, dans le cas où elle recevrait une alerte,
avoir la possibilité de saisir la justice à la place du
salarié.
275. Aujourd'hui il est difficile de dire si
les réformes adoptées en 2013 et celles à venir
permettront d'endiguer le phénomène de corruption privée
dans les services achats des entreprises. Un seul constat peut--être
fait, celui d'un éveil trop tardif des pouvoirs publics. Ces derniers
ont attendu près d'une dizaine d'années avant d'adopter les
mesures nécessaires à la mise en oeuvre d'une répression
efficace que les seuls articles du code pénal ne suffisaient pas
à rendre possible.
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