CHAPITRE V : ENTRETIENS EXPLORATOIRES
Afin de pouvoir mieux appréhender les contours de la
demande qui nous est faite, nous nous sommes entretenus avec certains
stagiaires de l'établissement ainsi qu'avec certains membres de
l'équipe pluridisciplinaire. L'objectif premier de ces entretiens est de
pouvoir accéder au sens que ces personnes mettent derrière la
question des motivations des stagiaires dans leur formation et dans leur
parcours de réinsertion professionnelle.
Dans notre intervention, les entretiens semi-directifs sont
menés dans l'esprit de Blanchet (1992) et non celui de Rogers (1951),
plus adapté aux situations de thérapie. Ce sont des entretiens
qui se rapprochent des entretiens semi-directifs mais qui sont presque
non-directifs puisqu'étant menés dans une démarche
exploratoire. Ainsi, la consigne de départ est volontairement
relativement large afin de permettre au sujet de se projeter, d'associer,
d'élaborer son propre discours ; il doit pouvoir construire le sens de
ses dires avec l'aide de l'interviewer.
L'introduction à l'entretien commence par
l'exposé du contexte d'intervention et des aspects déontologiques
; Dans le but d'écarter le biais de désirabilité sociale
nous précisons que nous cherchons simplement à recueillir leur
propre vision de la motivation des stagiaires de l'ERP Vincent Auriol.
Dans une démarche de compréhension
psycho-sociale du phénomène considéré, nous avons
choisi d'interroger autant des stagiaires que des membres du personnel de l'ERP
Vincent Auriol. Cette démarche psycho-sociale s'appuie sur les
travaux développés par Doise (1982) et notamment
au travers de son modèle d'analyse à quatre niveaux :
intra-personnel, inter-personnel, positionnel et idéologique.
Au-delà de la prise en compte des quatre niveaux, la
spécificité de l'approche psycho-sociale réside dans
l'articulation des niveaux entre-eux. En ce sens, cette approche
peut-être qualifiée de systémique. Nos entretiens sont
menés dans cette perspective là.
1. ENTRETIENS EXPLORATOIRES AVEC LES
STAGIAIRES
CHAPITRE V : ENTRETIENS EXPLORATOIRES 34
femmes dont l'âge allait entre 27 et 58 ans,
avec une moyenne de 45 ans. Nous ne souhaitons pas présenter
plus en détail les participants afin de garantir leur anonymat :
plusieurs d'entre eux nous ont interrogés sur le devenir et
l'utilisation de leurs propos, bien que le cadre soit posé en
début d'entretien. Les entretiens ont eu lieu dans un bureau
fermé, en face à face. Ils n'ont pas été
enregistrés afin de faciliter la libre parole des participants ; Des
notes ont été prises pendant les entretiens.
1. 1. Grille d'entretiens exploratoires avec les
stagiaires. Consigne de départ :
« Pour commencer je me présente au cas
où vous ne sauriez pas qui je suis : je suis Marlène Bedos,
stagiaire à l'ERP Vincent Auriol depuis le 20 février et jusqu'au
30 juin dans le cadre de mon Master 2 Professionnel de Psychologie Sociale du
Travail et des Organisations à l'Université Jean Jaurès.
Dans ce cadre là, je réalise une étude de terrain qui fera
l'objet de mon mémoire professionnel.
Je tiens à vous remercier d'avoir accepté de
participer à cet entretien qui va me permettre de recueillir des
informations concernant les motivations des stagiaires dans leur formation.
Vous avez donc été tiré au sort pour participer à
cette phase d'entretiens.
Sachez que nos échanges resteront confidentiels et
anonymes et que vous pourrez si vous le souhaitez interrompre notre entretien
à tout moment, conformément au Code de déontologie des
psychologues. Je vais prendre des notes à l'aide de mon ordinateur, mais
je vous assure qu'elles seront protégées.
Avez-vous des questions ?
Pouvez-vous me parlez de votre motivation pour la
formation que vous suivez, puis de manière plus générale
de votre ressenti concernant la motivation des stagiaires de l'ERP Vincent
Auriol ? »
Questions de relance :
« Quels freins et quelles ressources voyez-vous
à votre investissement dans un projet de réinsertion
professionnelle ? »
« Que pensez-vous de l'accompagnement proposé
par l'ERP Vincent Auriol ? Est-il aidant, facilitant ou non, selon vous ?
»
« De manière plus large, que pensez-vous de
l'ERP Vincent Auriol ? Qu'est-ce qui pourrait être amélioré
? »
CHAPITRE V : ENTRETIENS EXPLORATOIRES 35
1. 2. Analyse des entretiens exploratoires avec les
stagiaires.
- Le niveau intra-personnel qui cherche
à expliquer l'attitude d'un individu et son comportement ; il s'agit de
décrire « la manière dont les individus organisent leur
perception, leur évaluation de l'environnement social et leur
comportement au égard de cet environnement. ». Les stagiaires
que nous avons interrogés sont, pour certains, très
motivés et d'autres semblent l'être beaucoup moins. Ceux qui
semblent motivés mettent en avant une volonté à se
réinsérer professionnellement, l'un formule «
Ce que j' attends de l'ERP c'est de sortir avec le diplôme et trouver du
travail. Le diplôme ce n'est qu'un moyen pour y arriver, je ne veux plus
rester à rien faire », un autre « le métier
c'est même plus que ce que j'attendais, c'est passionnant, c'est ce qu'il
me fallait comme métier ». Toutefois, certains évoquent
des camarades qui ne sont pas impliqués dans la
formation, car ils n'ont pas vraiment de projet de
réinsertion ne sont donc pas assidus, l'un des stagiaires nous
dit « il y a d'autres stagiaires qui sont dans toutes les formations,
une grande partie des stagiaires sont là pour combler un vide, pour
faire quelque chose » « il y a des individus qui n'assurent pas,
c'est pas bien pour l'école, je sais pas on les a peut être
forcés à venir à l'école, ils tiennent pas la
route. Mais il y en a d'autres qui ont des difficultés mais qui ont
envie de s'en sortir ». Un autre stagiaire interrogé estime
que beaucoup de personnes en formation à l'ERP Vincent Auriol
n'ont pas accepté leur handicap, il formule « Aussi
ici beaucoup n'ont pas accepté leur handicap. Donc on est là
contre notre gré un peu, on aurait préféré
continuer notre vie d'avant ». Globalement il ressort donc des
entretiens que nous avons menés avec les stagiaires la grande
diversité des profils des personnes accueillies en formation au sein de
l'ERP Vincent Auriol.
- Le niveau inter-personnel ou groupal qui
consiste à analyser les relations entre les individus et la dynamique de
groupe. Certains stagiaires regrettent le manque de dynamique de groupe
au sein de l'établissement, l'un nous dit « La
créativité ici n'existe pas ici et tout part de la
créativité à mon avis ; c'est une dynamique que je
m'attendais à voir ici, mais non. Une dynamique de groupe qu'il manque,
on est dans le même bateau ici il faut échanger mais j'ai trop
l'habitude des pays du nord. Ici tout est divisé ». L'un des
stagiaires interrogés évoque des problèmes
relationnels majeurs entre les enseignants professionnels de cordonnerie
qui impactent négativement la qualité de la formation,
il
CHAPITRE V : ENTRETIENS EXPLORATOIRES 36
nous confie « J'ai été voir 2 ou 3 fois
le directeur, il dit que c'est une querelle entre les deux mais non c'est un
qui est en train de détruire l'autre. Ici on vient nous dire qu'il faut
fermer sa bouche. Quand tu rentres dans un atelier divisé ça fait
bizarre, je trouve que c'est à la direction de mettre ça en
place, que c'est de l'éducation dans l'atelier. Je trouve que ça
nous nuit énormément ». Plusieurs stagiaires
interrogés nous parlent de la vie quotidienne au sein de l'ERP
Vincent Auriol, c'est-à-dire de la vie en communauté ;
Ils estiment que l'internat et la qualité des repas proposés sont
inadaptés : « Je suis interne ici et ça me pèse
très lourd », « J'ai une pathologie qui fait que je dois
suivre un régime particulier, ici ils veulent pas entendre. Ils trouvent
que la nourriture est bonne, donc j'ai arrêté de manger à
la cantine » « la bouffe c'est pas la joie ». Enfin,
certains stagiaires évoquent un bon esprit d'entraide entre eux
qui représente un soutien important : « Il y a de
l'entraide et du respect entre nous. On est bien parti, c'est une bonne classe,
ça se passe bien », « dans la classe il y a une bonne
motivation, il y a de l'entraide, c'est important aussi le contexte social
».
- Le niveau positionnel ou organisationnel
qui tente d'expliquer les comportements, les jugements et les
attitudes en se référant à la position sociale ou au
rôle de l'individu. Comme les membres de l'équipe
pluridisciplinaire l'avaient abordé, des stagiaires nous parlent du
manque de communication en interne, l'un énonce
« c'est particulier, il n' y a pas de communication, même au
niveau du personnel. Ils n'ont même pas présenté les
professeurs entre eux », un autre dit « il y a un
très gros manque de communication, c'est possible que cela puisse
impacter la motivation des stagiaires. Par exemple, une fois on est
allés voir le directeur parce qu'un stagiaire était violent, il
nous a dit de faire un courrier, on l'a fait. La personne a été
« virée » enfin on le suppose car personne nous l'a dit. On
n'a eu aucune réponse à notre courrier ». D'autres
stagiaires interrogés évoquent un problème de
confiance envers le personnel pouvant entraîner l'isolement de certains
stagiaires : « Je connais des élèves qui ont
pris tellement sur eux qui ont développé des pathologies
physiques. Ils n'avaient pas confiance envers certaines personnes du personnel
» « je vois pleins de gens qui sont isolés ici, il faut une
adaptation spéciale ici pour ces gens ». La question de la
confiance peut se rapprocher d'une interrogation soulevée par certains
stagiaires concernant l'adaptation des formations au marché du
travail, ils nous disent « avec un bac c'est limite pour
trouver du travail, on nous l'avait pas dit ça », « Il y a un
nouveau logiciel qui va monter le projet architectural en 3D, il s'appelle BIM
et il mesure
CHAPITRE V : ENTRETIENS EXPLORATOIRES 37
et calcule. Donc le métier d'économiste du
bâtiment est un métier qui est voué à
disparaître. Ca aussi on nous l'avait pas dit en entrant », «
la formation n'est pas assez complète, je suis déçue, les
offres d'emploi c'est souvent des BTS qui sont demandés, pas des
Bac», et aux pathologies des stagiaires : «
j'ai 45 min de trajet pour venir tous les jours et avec ma pathologie et le
fait que la formation soit à temps plein ça me fatigue, c'est de
la fatigue musculaire que je ressens ». Il est donc également
question de l'orientation de certains stagiaires par la MDPH,
des stagiaires racontent : « il y a un problème d'orientation
pour certains stagiaires qui n'ont pas les compétences pour y arriver,
certains savent qu'ils ne bosseront jamais dans ce métier. Donc
ça freine ceux qui veulent avancer » « j'ai pas l'impression
que tout le monde vient ici pour un futur ». Les stagiaires
s'interrogent sur l'adaptation de l'établissement au public
accueilli c'est-à-dire des personnes en situation de handicap, aux sens
structurel et fonctionnel ; ils disent : « Aussi il n'y a que
2 places handicapés, alors qu'on est plus de 100 handicapés ici.
Je peux pas rentrer ma voiture dans le parking alors que je suis
handicapé, donc je dois transporter mes valises à pied alors que
mon handicap c'est les pieds. On n'a pas d'explication, si ça plait pas
va voir ailleurs » « il y a d'autres priorités apparemment
mais un des bâtiments est amianté par exemple et ils nous disent
qu'ils ne peuvent rien faire » « les moyens ne sont pas assez
conséquents par rapport aux difficultés des stagiaires, par
rapport à l'époque actuelle aussi » « Moi j'ai un
handicap aux pieds et j'ai jamais autant marché qu'ici. J'ai jamais eu
autant de problèmes de papiers qu'ici, je suis assez
démotivé, je suis assez aplati aujourd'hui » « rien
n'est adapté pour des gens handicapés. Je crois que c'est un
centre de mutilé de guerre à la base et ça n'a pas
évolué ». Dans le même ordre d'idée, un
stagiaire nous dit qu'au vu du coût de la formation il aurait
espéré qu'elle soit de meilleure qualité :
« je coute plus de 150 000 € pour ce prix là j'aurais
aimé avoir un enseignement de qualité. Je trouve pas qu'on est
aidé. Je trouve que c'est très dommage que l'Etat m'a
financé très cher une formation dont j'aurais pu mieux
bénéficier s'il y avait eu de bonnes conditions ».
- Le niveau idéologique qui s'attache
à prendre en compte les idéologies, les systèmes de
croyances et de représentations, les systèmes d'évaluation
et de normes au sein des groupes sociaux dans l'analyse des comportements.
Plusieurs stagiaires estiment que certains professeurs les
considèrent comme des enfants, ils nous disent : « le
côté très scolaire, ça craint. On est pris comme si
on sortait de l'oeuf », « On est traités comme des gamins
ici
CHAPITRE V : ENTRETIENS EXPLORATOIRES 38
c'est déjà un truc », « Certains
profs nous parlent comme à des enfants ». Des stagiaires
considèrent que certains membres du personnel n'ont pas les
compétences nécessaires pour la double mission d'insertion
sociale et professionnelle d'adultes en situation de handicap qui leur ai
confiée, ils expriment : « la dignité de
l'humain est très rare ici. Je crois que c'est dû à
l'éducation générale des gens qui travaillent ici. Ici
c'est très fin entre le médical et l'enseignement, donc il faut
des personnes compétentes dans ces deux domaines » « Ici ils
s'en foutent. J'ai pas l'impression que eux travaillent pour nous aider nous,
c'est des fonctionnaires, c'est tout, ils sont pas là pour nous aider
» « on est regardés comme des gens à côté
de la plaque aussi ça aide pas ».
2. SYNTHÈSE DES ENTRETIENS EXPLORATOIRES AVEC LES
STAGIAIRES
Le panel de stagiaires que nous avons vus est constitué
globalement d'autant de personnes motivées par leur formation que par
des personnes dont la motivation ne nous semble pas évidente. Par
ailleurs, Il a été plus difficile de rencontrer des stagiaires a
priori peu impliqués dans leur formation. Certains des stagiaires
interrogés abordent sans problème le fait que
l'orientation par la MDPH n'est pas toujours pertinente.
Cependant, certains font état de freins à la motivation
au sein de l'ERP Vincent Auriol notamment le défaut d'adaptation
de l'établissement à un public d'adultes en situation de handicap
(tant au niveau de l'organisation du temps de formation qu'au niveau
de l'internat ou qu'au niveau de la qualité des repas), à cela
certains s'interrogent sur la pertinence des formations par rapport aux
exigences du marché du travail. Ils évoquent
également un manque de communication, certains disant
notamment qu'on leur a menti à leur arrivée sur les
débouchés à l'issue de la formation, sur les types de
pathologies accueillies, sur l'avenir du métier pour lequel ils sont
formés. Ils parlent d'un malaise au sein de
l'école, de tabous importants et se sentent
infantilisés. Certains rapportent également un
manque de confiance envers le personnel accompagnant.
CHAPITRE V : ENTRETIENS EXPLORATOIRES 39
3. ENTRETIENS EXPLORATOIRES AVEC LES ÉQUIPES
PLURIDISCIPLINAIRE ET PÉDAGOGIQUE
Nous avons reçu onze membres du personnel de
l'ERP Vincent Auriol : cinq personnes de l'équipe pluridisciplinaire et
six enseignants. Les entretiens ont lieu soit dans un bureau
fermé soit en salle des professeurs en face à face, selon la
disponibilité des bureaux. Les membres de l'équipe
pluridisciplinaire avec lesquels nous nous sommes entretenus sont :
l'assistante sociale, la chargée d'insertion professionnelle,
l'infirmière, la coordinatrice pédagogique et le directeur. Les
membres du corps professoral que nous avons interrogés sont soit des
enseignants de matières générales (mathématiques,
langues vivantes) soit des enseignants de matières professionnelles
(économie, gestion, architecture du bâtiment etc). Nous avons
choisi de nous entretenir principalement avec des enseignants n'ayant pas fait
le choix a priori de quitter l'établissement à la fin de
l'année scolaire (pour rejoindre l'Education Nationale et enseigner en
lycée professionnel). Les entretiens n'ont pas été
enregistrés mais des notes ont été prises au fur et
à mesure. Là aussi, certains enseignants se sont
inquiétés de l'utilisation de leurs propos, même plusieurs
semaines après les entretiens et ce malgré le cadre posé
dès le début.
3. 1. Grille d'entretiens exploratoires avec le
personnel. Consigne de départ :
« Je vous ai invité à cet entretien
afin de recueillir votre impression, votre ressenti en ce qui concerne la
motivation des stagiaires de l'ERP Vincent Auriol dans leur formation. Dans le
cadre de mon Master 2 Professionnel en Psychologie Sociale du Travail et des
Organisations, j'ai été sollicité afin d'apporter un
éclairage sur ce sujet. Nos échanges resteront anonymes et
confidentiels conformément au Code de déontologie des
psychologues. Que pouvez-vous de m'en dire de votre point de vue ?
»
Questions de relance :
« Quels freins et quelles ressources voyez-vous
à l'investissement dans un projet de réinsertion chez les
stagiaires ? »
« Avez-vous des besoins en matière
d'accompagnement des stagiaires ? Lesquels ? »
CHAPITRE V : ENTRETIENS EXPLORATOIRES 40
3. 2. Analyse des entretiens exploratoires avec le
personnel.
- Le niveau intra-personnel : Les entretiens
menés avec le personnel font état d'une diversité
des profils des stagiaires accueillis, les membres du personnel nous
disent que « la motivation des stagiaires de l'ERP est très
diverse et est liée à beaucoup de choses », «
c'est la nature des stagiaires qui fait que les parcours d'insertion sont plus
ou moins compliqués », un autre dit que « certains
sont très motivés, ils savent ce qu'ils veulent faire, ici c'est
un outil pour leur projet et d'autres ne savent pas ». Un autre
professionnel nous apprend que « la motivation est variable en
fonction des sections, les « Gestion-Administration » semblent
être les plus motivés ». Cette diversité des
profils des stagiaires se retrouve également au niveau de leur(s)
pathologie(s), certains présentant une lourdeur et/ou une
non-stabilisation de leur(s) pathologie(s), « la santé
peut être un frein » nous dit l'un des professionnels, un autre
dit « certains ont des problématiques de santé [ou
administratives] à gérer en premier ». Toujours dans
cette idée de disparité des profils de personnes accueillies, des
professionnels constatent que certains d'entre eux n'ont pas fait le
deuil de leur ancien métier et/ou n'ont pas accepté leur
handicap, l'un nous dit « que beaucoup de stagiaires en
formation n'ont pas fait le deuil de leur ancien métier, ce qui ne leur
permet pas de se projeter dans une nouvelle profession », un autre
formule « il y a un passé professionnel dont ils doivent faire
le deuil, la projection dans le futur se fait en fonction des
possibilités ». Enfin, les membres de l'équipe
pluridisciplinaire racontent que les stagiaires vivent des situations
difficiles, que ce soit financièrement (avant
ou après la formation, voire même pendant la formation),
socialement o u psychologiquement :
« certains cumulent des problèmes familiaux, financiers,
administratifs en plus de leur problème de santé, ce qui ne les
aident pas à s'investir » leur sentiment
d'efficacité personnelle étant affaibli, l'un des
membres du personnel dit « quand ils arrivent ils sont très
stressés par rapport à leur capacité à pouvoir
suivre la formation » et « à partir de mai on va
sentir le stress avec l'arrivée des examens » ; un autre
ajoute « un autre problème je pense qui affecte la motivation,
c'est l'idée de se planter, des personnes ne se croient pas en
capacité de réussir la formation, elles se résignent et
ont des croyances limitantes ». D'une manière
générale, les professionnels interrogés estiment que
les stagiaires sont motivés dans leur parcours de formation et
de reconversion, l'un nous dit « très peu disent
qu'ils sont là parce que « là ou ailleurs ... » »,
un autre « ils bossent les gens ici » e t
« ont du mérite » d'être dans cette
démarche, « en s'inscrivant dans une formation, ils
ont pris des risques, notamment celui de se confronter à leurs
capacités ».
CHAPITRE V : ENTRETIENS EXPLORATOIRES 41
- Le niveau inter-personnel ou groupal : Les
propos recueillis auprès du personnel mettent en évidence
l'importance de la vie en groupe, notamment au travers des
facilitations d'apprentissage, un des professionnels nous dit
« le groupe est un très bon moyen d'apprentissage mais aussi le
moyen de favoriser les relations sociales entre les stagiaires, certains
étant très isolés socialement », un autre nous
fait savoir qu'elle « essaie de créer des liens entre les
personnes, de travailler sur le groupe » et des
difficultés liées à la vie à l'internat
de l'ERP Vincent Auriol, l'un des professionnels formule « la
personne interne est éloignée de sa famille, de chez elle, et se
retrouve en communauté et c'est pas forcément évident
». D'autres personnes de l'équipe soulèvent que
l'établissement devrait peut-être se pencher sur
l'évaluation des capacités sociales des
personnes accueillies « certains ont du mal à s'intégrer
dans un groupe » mais l'un d'entre eux pense que « quand les
personnes sortent d'ici elles sont plus aptes à trouver du boulot
qu'avant ». Il est également question du rapport entre
formateur et formé notamment par l'effet Pygmalion
dont nous parle l'un des professionnel : « On les aide aussi
à réussir au niveau de l'équipe pédagogique, c'est
l'effet Pygmalion. La dynamique de l'équipe pédagogique est
porteuse ou non, on peut les aider à acquérir plus d'estime de
soi au fur et à mesure du temps. Les professeurs sont des guides, des
coachs. On a vraiment du pouvoir sur les stagiaires, le pouvoir de les faire
lâcher ou de les faire persévérer » . Puis,
l'équipe pluridisciplinaire aborde l'accompagnement des
stagiaires par l'équipe médico-psycho-sociale et l'équipe
d'insertion professionnelle : de manière générale
les personnes interrogées considèrent l'accompagnement par
l'équipe médico-psycho-sociale comme capital et de qualité
; un professionnel nous dit que « les stagiaires sont bien
accompagnés par la complémentarité des équipes
pédagogique et médico-psycho-sociale »,
- Le niveau positionnel ou organisationnel :
Certains membres du personnel évoquent la
problématique de la socialisation organisationnelle en
indiquant notamment que l'établissement adopte une
démarche de recrutement pertinente et de
qualité, l'un nous rapporte « pour mon recrutement,
j'ai d'abord été reçu par la coordinatrice
pédagogique et la psychologue puis dans un second temps par le directeur
et l'ancien professeur de ma section. J'ai trouvé ça très
pertinent comme processus de recrutement, un recrutement de qualité
c'est central » ; Pour autant une fois le recrutement effectué
les nouveaux entrants ne sont pas suffisamment bien
accueillis, la même personne ajoute qu'une fois le
CHAPITRE V : ENTRETIENS EXPLORATOIRES 42
recrutement finalisé « les conditions
d'accueil des nouveaux profs sont atroces : on n'est pas présenté
aux équipes, on ne reçoit pas de plaquette d'accueil, ni
même un trombinoscope du personnel ...». Puis certains
s'interrogent sur la pertinence des formations proposées
à l'ERP Vincent Auriol au regard du marché du travail,
l'un d'entre eux s'interroge « professionnellement est-ce que
les diplômes Education Nationales sont pertinents ? Je me demande
», un autre estime quant à lui que « ce que je trouve
intéressant ici avec les diplômes Education Nationale c'est la
culture générale » . Est également mis en
évidence, un problème de politique interne,
c'est-à-dire le manque d'une « ligne directrice »
impulsée par la Direction, des règles de
vie claires et communes associées à un manque de
communication tant interne qu'externe, entraînant des clivages importants
entre le personnel notamment entre l'équipe médico-psycho-sociale
, l'équipe d'insertion professionnelle et l'équipe
pédagogique. Les professionnels interrogés expriment
« il y a du travail à faire sur les relations avec les
entreprises qui accueillent nos stagiaires, par exemple fêter les voeux
au début de l'année, ici on ne contacte les entreprises que quand
on a besoin d'elles », « j'aimerais être en ligne avec
les directives mais pour cela il faut que je les connaisse »,
« il faudrait revoir le règlement intérieur et
l'appliquer à tous, que ce soit au personnel et aux stagiaires
», « si tu fais un règlement tu l'appliques, si tu
fais des dérogations tu expliques pourquoi à tous, il y a trop de
bruits de couloirs et trop d'inégalités de traitement »,
« Il faut préparer les gens au changement et ne pas leur mentir. Le
manque de communication entretient des fantasmes énormes », «
les gens ont besoin de projets communs fédérateurs et
mobilisateurs », « il serait intéressant d'avoir un point
rencontre de temps en temps avec tout le personnel, j'aime pas le mot
réunion, une invitation formelle, pour ouvrir le dialogue entre les gens
et mettre fin aux clans. La CMPP ça serait un bon outil mais comme c'est
pendant les heures de cours, les professeurs ne peuvent pas y assister »
et « en résumé, c'est ça : il manque de
communication, de concertation, de ligne directrice. La ligne directrice n'est
pas claire la communication et la prise de décision. Quel est le projet
d'établissement ? On est là pour quoi, comment on fait notre
travail, j'ai l'impression que ce n'est pas fixe, il manque un cadre, c'est
aussi la période de mutation qui fait ça ... c'est le moment de
fixer les choses. Il faut penser en amont la transition avant septembre ».
Ensuite les professionnels interrogés soulèvent la question
de l'adaptation du temps de formation aux diverses pathologies des
stagiaires, certains déclarent « il y a un autre frein
: une formation à temps plein, alors que pour certains ça va
être difficile de tenir un temps plein, il y a des gens qui sont ici et
on sait qu'ils ne pourront jamais travailler à temps plein » ,
un autre « l'organisation des
CHAPITRE V : ENTRETIENS EXPLORATOIRES 43
formations à temps plein n'est pas toujours
adaptée aux stagiaires qui présentent des handicaps pouvant les
fatiguer » .La majorité des professionnels interrogés
parle d'un problème d'orientation pour une partie des stagiaires
de l'ERP Vincent Auriol, ils évoquent un «
problème de définition du projet, il faudrait une structure
qui les aide à se cadrer, il manque une étape avant
l'arrivée ici », « il y a un décalage entre ce
qu'on nous demande de faire et le public qu'on nous envoie » et
relatent que « ceux qui ne sont pas motivés sont là par
défaut, le projet qui leur a été proposé par la
MDPH ne leur convient pas. Il y a une objection d'insertion qui leur est
imposé, les personnes ne sont pas actrices de leur projet, je pense que
le souci de motivation vient de là », un autre explique que
pour lui « la motivation c'est à 50 % le projet professionnel
».
- Le niveau idéologique : Les
entretiens avec des membres du personnel mettent au jour le regard porté
sur les stagiaires par les professionnels, les attitudes qu'ils ont envers eux,
certains membres du personnel parlent de l'importance de
considérer les stagiaires en formation comme des personnes
adultes, l'un des membres de l'équipe interrogé nous
confie « c'est pas du tout le même enseignement en lycée
et en collège, il ne faut pas les prendre pour des enfants. Je leur dis
que l'avantage d'être des adultes quand on est en formation c'est la
maturité, la capacité de réflexion et l'expérience
qui sont très importants pour apprendre » alors que d'autres
évoquent un manque d'empathie et de bienveillance envers les
stagiaires, l'un des membres du personnel avoue « mon plus
gros problème : c'est le tiers des autres personnes. Ca me prend
beaucoup de temps et d'énergie, beaucoup d'investissement sur eux au
détriment des autres. Quelle est la motivation de ces gens je sais pas ?
Je n'ai pas assez d'empathie pour comprendre quelle est la motivation de ces
personnes là. Je me sens très désarmée »
; un autre déplore « quelque chose qui me dérange
fondamentalement, certaines personnes de l'équipe pluridisciplinaire ont
des a priori sur les stagiaires, il y a un problème de bienveillance
malheureusement de la part de personnes qui devraient montrer le bon exemple.
Ca me dérange profondément, on porte des jugements sur les
stagiaires ». Certains professionnels mentionnent une double
mission de l'ERP Vincent Auriol, en effet au-delà de la mission de
reconversion professionnelle existerait une mission sociale incombant à
tout établissement médico-social : « il ne faut
pas oublier que nous sommes un établissement médico-social. La
mission sociale est aussi importante que la mission de reconversion
professionnelle », « l'aspect social est aussi très important
ici, ce qui est un point positif c'est que le Directeur est conscient qu'on est
là
CHAPITRE V : ENTRETIENS EXPLORATOIRES 44
pour accompagner les gens » . Dans le même
ordre d'idée des membres du personnel proposent une
individualisation du parcours « qui est trop rigide pour
certains », l'un des personnels interrogés nous explique que
dans dans le précédent ERP où il exerçait les
projets étaient envisagés de manière très
individuelle, « l'accompagnement individualisé et le parcours
personnalisé étaient pensés de manière individuelle
en fonction des niveaux à la base » . Enfin, certains
professionnels estime qu'ils ne remettent pas suffisamment en question leurs
pratiques professionnelles, il est donc question du manque d'analyse
des pratiques au sein de l'équipe pluridisciplinaire,
c'est-à-dire « d'espaces dédiés aux
échanges sur les pratiques professionnelles dans un objectif de
réflexivité et de co-construction des pratiques professionnelles
», un autre constate qu'il « n'y a pas assez de place pour
la concertation entre l'équipe médico-psycho-sociale et
l'équipe pédagogique. Le retour d'expériences, l'analyse
des pratiques, ça manque, c'est vital dans un établissement comme
celui-ci, c'est vraiment vital ».
4. SYNTHÈSE DES ENTRETIENS EXPLORATOIRES AVEC LES
ÉQUIPES PLURIDISCIPLINAIRE ET PÉDAGOGIQUE
Les entretiens avec les membres de l'équipe
pluridisciplinaire nous apprennent que l'ERP accueille une
diversité importante des profils de personnes : certaines
arrivant avec un projet professionnel construit et donc une motivation
importante, alors que d'autres arrivent un peu par défaut et/ou par
hasard. Cette diversité concerne également les types de parcours,
de pathologies et d'état de santé pendant la formation.
Ce problème d'orientation de la part de la MDPH revient
régulièrement dans les entretiens. Il est aussi question de
la pertinence des formations Education Nationale à temps plein
d'une part par rapport aux exigences du marché du travail et d'autre
part par rapport aux différentes pathologies des stagiaires.
L'internat est aussi envisagé comme difficile à
vivre pour certains stagiaires qui se retrouvent éloignés de leur
lieu d'habitation et donc de leurs repères. D'autre part, s'agissant
d'adultes, le retour en formation peut réactiver des souvenirs
douloureux liés à la scolarité, certains n'ayant
pas de bons souvenirs des bancs de l'école. Le temps de formation
étant rémunéré se pose aussi la question
des ressources financières à la sortie de l'ERP. La mission
de l'ERP Vincent Auriol est de permettre à des adultes en
situation de handicap de se réinsérer professionnellement
mais un faible nombre de professionnels met en avant une second
mission liée à l'insertion sociale des personnes accueillies en
formation.
CHAPITRE V : ENTRETIENS EXPLORATOIRES 45
Des problèmes organisationnels et
idéologiques semblent prégnants que ce soit au niveau
des attitudes envers les stagiaires ou au niveau de l'analyse des pratiques
professionnelles ou encore au niveau de la cohérence des formations
proposées.
Les professeurs mentionnent eux aussi le fait que certains
stagiaires n'ont pas d'autres motivations que la rémunération,
pour différentes raisons certains faisant face à une
cumulation de difficultés qui les empêche de se projeter dans un
avenir professionnel, d'autres n'ayant pas les
capacités pour atteindre le niveau requis à l'entrée en
formation, d'autres encore n'ayant pas fait le deuil de leur
ancien métier et n'étant donc pas prêt à envisager
un autre avenir professionnel ; il est là encore question
des problèmes d'orientation de certains stagiaires par la
MDPH. Ils se questionnent également sur la pertinence
des formations Education Nationale à temps complet d'une part
par rapport à la réalité du marché du
travail et d'autre part par rapport aux pathologies de
certains stagiaires. Eux aussi mettent en avant une double
mission de l'ERP Vincent Auriol : mission de reconversion professionnelle et
mission sociale. Certains enseignants indiquent que les diplômes
Education Nationale ont une image prestigieuse qui peut motiver certains
stagiaires. De manière générale, les enseignants
évoquent différents dysfonctionnements au sein de l'ERP
Vincent Auriol : le manque de communication tant en interne qu'en
externe, le manque de règles de fonctionnement claires et communes qui
engendre des disparités de traitement aussi bien chez les stagiaires que
chez le personnel, le manque de procédure d'accueil des nouveaux
personnels entrants. Ces éléments ne permettent pas,
à leur sens, d'offrir un cadre stable et sécurisant aux
stagiaires.
CHAPITRE VI : ENJEUX DE L'INTERVENTION 46
La demande est portée par la psychologue de
l'établissement mais d'une manière plus
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