2.1. Indicateurs du développement aux
différents niveaux d'analyse et un état des lieux du secteur
hydrique au Brésil
Cinquième pays au monde en extension
territoriale4, le Brésil présente une
population estimée de plus de 213 millions d'habitants
(IBGE, 2021b). Son PIB monte à
7,4 mille milliards de Reais (environ 1,36 mille milliards de
dollars US) (IBGE, 2020),
de manière que le Brésil était la
9ème économie au monde en 2019 (Banque Mondiale,
n.d.). D'autre part, son indice de développement humain
(IDH) cette même année était de
0,765, plaçant le Brésil en 84ème position
mondiale à cet égard5, combiné à un
coefficient
de Gini de 53,3, (Human Developments Report, n.d.), ce qui
indique un niveau
d'inégalités sociales parmi les plus
élevés au monde (Rios et Sena, 2020). Ce contexte
d'inégalités peut être aggravé par la
conjoncture économique du pays, avec une trajectoire
de recul du PIB (-4,1% en 2020) (IBGE, 2021), laquelle a servi
à justifier des tendances
récentes de démantèlement de politiques
publiques environnementales et de
développement social (Sabourin et al., 2020).
Dans les aspects physique et environnemental, le Brésil
est classé comme l'un des
17 pays mega-diverses, et comprend des écosystèmes
uniques au monde (CEPAL, 2018).
Cependant, le processus de dégradation de la
végétation originale, en partie lié aux
développements de son activité agricole, a
entraîné la désertification de 15,7% de son
territoire, problème qui affectait 31,6 millions de
personnes, soit 18,6% de sa population
en 2018 (CEPAL, 2018). En plus, le Brésil compte 27% de
zones dégradées sur son
territoire (Human Development Report, n.d.). Tout cela impacte
négativement la
4 Avec une aire de 8.514.876,599 km2 (PNUD, n.d.).
5 Trajectoire de l'IDH brésilien entre 1990 et
2019 visible sur l'Annexe 4.
25
résilience notamment des économies rurales les plus
vulnérables, retro alimentant les
processus liés à la pauvreté et à la
vulnérabilité (CEPAL, 2018).
On observe ci-dessous un tableau avec des indicateurs importants
pour
appréhender le cadre général du
Brésil en termes de développement durable en 2019:
Tableau 1: Indicateurs du développement durable
au Brésil
Indicateur Valeur pour Moyenne
le Brésil mondiale
|
Moyenne des pays
en développement
|
Valeur pour l'Amérique
latine et
Caraïbes
|
Espérance de vie à la naissance (années)
|
75,9
|
72,8
|
71,3
|
75,6
|
Années de scolarisation escomptées
|
15,4
|
12,7
|
12,2
|
14,6
|
PNB per capita (ppa constant 2017)
|
14263
|
16734
|
10583
|
14812
|
IDH
|
0,765
|
0,735
|
n.d.
|
n.d.
|
Indice de Développement de Genre
|
0,993
|
0,943
|
0,919
|
0,978
|
Pourcentage (%) de la population en
situation de pauvreté multidimensionnelle (moyenne
entre 2008 et 2019)
|
3,8
|
n.d
|
22
|
7,2
|
Pourcentage (%) de la population employée (âge
à partir de 15 ans)
|
56,2
|
57,4
|
57,4
|
59
|
Quantité (tonnes) moyenne d'émissions de dioxyde
de carbone par habitant (donnée relative à 2018)
|
2,2
|
4,6
|
3,4
|
2,8
|
Quantité (kg) moyenne d'émissions de
dioxyde de carbone par unité (1 US$) du PIB
|
0,15
|
0,26
|
0,31
|
0,18
|
Pourcentage (%) des zones forestières sur le total du
territoire (donnée de 2016)
|
58,9
|
31,2
|
27,1
|
46,2
|
Pourcentage (%) de diminution des zones forestières
Pourcentage (%) de prélèvements d'eau douce sur
le total des eaux renouvelables (moyenne sur la période 2007-2017)
Taux de mortalité attribué à l'eau
insalubre et aux conditions des services d'assainissement et hygiène
(per 100.000)
Dégradation des ressources naturelles en pourcentage
(%) du PNB (moyenne sur la période 2015-2018)
Taux de population urbaine (%)
Diminution moyenne par an de la valeur de l'IDH suite aux
inégalités, en pourcentage (%) (moyenne sur la période
2010-2019)
9,9
|
3
|
6,4
|
9,6
|
0,8
|
7,7
|
8,5
|
1,5
|
1
|
11,7
|
14
|
1,7
|
2,6
|
1,3
|
2,4
|
2,8
|
86,8
|
55,6
|
50,9
|
80,7
|
0,7
|
n.d.
|
n.d.
|
n.d.
|
26
Source: À partir de Human Development Report,
n.d.
On observe que le Brésil dispose d'une taille
économique robuste reposant sur un
territoire vaste et abondant en ressources naturelles, mais dont
le modèle de
développement n'a pas été capable de combler
les inégalités et apporte très souvent des
problèmes environnementaux.
|
Comme principales lacunes pour la réalisation du
|
développement durable au Brésil, ont
été identifiées par une commission de la
Société Civile («Grupo de Trabalho da Sociedade Civil
para a Agenda 2030 do Desenvolvimento Sustentável») justement
les inégalités régionales (CTPMI, 2019). À ce
propos, il faut tenir en compte que les régions Nord et notamment
Nordest restent les moins développées dans des thèmes
pertinents tels que revenu, santé, éducation et accès
à des services publics, ce qui suggère l'existence de
différents profils de développement durable dans le pays,
régionalement différenciés (CTPMI, 2019).
27
Figure 1 - Carte politique du Brésil: les 27
unités fédérales et les 5 grandes
Régions
Source: IBGE Educa, n.d. (Code couleur: Nord - vert;
Nordeste - jaune)
Par ailleurs, c'est justement dans la région Nordeste
du Brésil, celle ayant l'IDH le plus bas parmi les régions
brésiliennes6 et l'Indice de Gini le plus
élevé7 (IPEA, 2016; Barros, 2020), qui se trouve une
des trois grandes zones semi-arides de l'Amérique du Sud. Jusqu'en 2017,
cette zone comptait une aire de 982.566 km2, correspondant à
18,2% du territoire brésilien et 53% de la région Nordeste
(Baptista et Campos, 2017). Le semi-aride s'étend par 10 États
brésiliens8, comprenant au total 1.262 municipalités
au pays (Ministério da Integração Nacional, 2017). Elle
représente par ailleurs l'aire semi-aride la plus peuplée de la
planète, avec environ 22 millions d'habitants en 2017, et abrite la plus
grande concentration de population rurale au Brésil (Baptista et Campos,
2017). Son bilan hydrique négatif soumet donc une population
considérable à des crises hydriques importantes (Lemos et al.,
2020), lesquelles sont évidemment susceptibles de s'aggraver suite aux
phénomènes liés aux changements climatiques.
6 0,663 lors de la dernière mesure, en 2016 (IPEA,
2016).
7 0,559 en 2020, contre 0,467 dans la région Sud, 0,537
dans la région Nord, 0,527 pour le Sudest et environ 0,506 pour le
Centre-Ouest en 2020. Par ailleurs, le Nordest est la seule région
à avoir vu l'indice d'inégalité monter en 2020 (Barros,
2020).
8 Ces États sont le Maranhão, Ceará, Rio
Grande do Norte, Pernambuco, Paraíba, Sergipe, Bahia, Piaui, Alagoas et
Minas Gerais, dont 9 de la région Nordeste, et un (le Minas Gerais) de
la région Sud-est, de manière qu'environ 89,5% de l'extension du
Semiaride se trouve sur le Nordeste (IBGE, 2018).
28
Figure 2 - le Semi-aride Brésilien
Source: IBGE, 2018.
En ce qui concerne le secteur des ressources hydriques, l'OCDE
(2015 dans IPEA, 2019a) souligne que le Brésil présente encore
des difficultés pour garantir les usages durables de l'eau dans ses
diverses régions. En termes des spécificités de la
gestion, il faut retenir que la nature juridique des eaux dans ce pays est
celle d'un bien public, où l'État devient non pas son
propriétaire, mais son gestionnaire (Aith et Robarth, 2015). Même
si le gouvernement central a encore la prépondérance sur la
réglementation de l'eau au pays, aujourd'hui on observe une
décentralisation fédérative importante pour la
régulation et l'exploitation de cette ressource, notamment vers le
niveau des états (Aith et Robarth, 2015). Aussi, le fondement de son
Système National de Gestion9 sont les bassins
hydrographiques, tout en prévoyant des instances de participation
sociale (Conseil National de Ressources Hydriques - CNRH et Comités de
Bassins versants fédéraux) (Aith et Robarth, 2015). Cependant, le
statut juridique de l'eau au Brésil reste très complexe et
fragmenté, ce qui rend plus difficile la gestion de cette ressource d'un
côté,
9 Le Système National de Gestion des Ressources
Hydriques (SINGREH) correspond à l'ensemble des organismes et des
instances collégiales qui conçoivent et mettent en oeuvre la
Politique Nationale des Ressources Hydriques. Voir sa structure dans l'Annexe
3
29
et la compréhension et mise en conformité avec
les normes de l'autre (Aith et Robarth, 2015). En plus, la culture en termes
d'organisation politique et institutionnelle pour la gestion de l'eau au
Brésil reste encore très sectorielle, ce qui impose des
difficultés d'intégration et de consolidation d'un système
efficace (ALEC, 2008).
Aussi, tandis que les régions Sud, Sud-Est et
Centre-Ouest présentent des indices proches de l'universalisation de
l'approvisionnement d'eau (respectivement 89,7%, 91,3% et 90,1%), les
régions Nord et Nordeste en restent encore assez loin (57,5% et 73,3%,
respectivement) (IBGE, 2018 dans IPEA, 2019a). Un autre défis, c'est que
30% du volume de l'eau disponible au Brésil se trouve dans la
région Nord, où la demande est la moins importante, alors que des
aires des régions Nordeste et Sud ont vécu des stress hydriques
importants (ANA, 2018 dans IPEA, 2019a). Ce cadre a donc le potentiel de
générer des conflits pour l'eau, entre secteurs et usagers du
pays (IPEA, 2019a).
Il faut noter par ailleurs que l'occurrence de
désastres naturels et de phénomènes de sécheresse
au Brésil sont en train d'augmenter, si on observe la série entre
2003 et 2018 (S2ID/Sedec/MDR, 2019 dans IPEA, 2019b). Évidemment, cette
situation touche plus intensément les populations pauvres et
vulnérables, ce qui accentue les défis liés aux
inégalités au pays. Encore une fois, le Nordeste est la
région la plus affectée par les désastres naturels,
notamment ceux liés aux sécheresses (IPEA, 2019b). L'augmentation
de ces phénomènes climatiques extrêmes est associée
aux changements mondiaux du climat (Marengo, n.d. dans IPEA, 2019b).
Enfin, parmis les États brésiliens dans lesquels
se trouve le Semi-aride, le Ceará est celui qui présente le plus
grand pourcentage de municipalités reconnues officiellement par le
Gouvernement Fédéral brésilien comme faisant partie de ce
régime climatique: 175 des 184 municipalités de l'État
(soit 95% d'elles) intègrent le Semi-aride brésilien (Lemos et
al., 2020). Cet état a une population estimée de 9.187.103 en
2020 , étant donc le 8ème état le plus peuplé au
Brésil. Son territoire de 148.894,442 km2, lui donne la
position de 17ème unité fédérative en extension
territoriale (IBGE, n.d.b). Son PIB a été mesuré en
155.904 milliards de Reais en 2020, 12ème plus élevé parmi
les unités fédératives (IBGE, n.d.c.). En ce qui concerne
son IDH, le Ceará montre des fragilités importantes: 17ème
parmi les 27 unités fédératives brésiliennes, avec
un IDH de 0,682 en 2010 (IBGE, n.d.). Il a par contre vécu une
évolution considérable dès les années 1990 et
depuis les années
30
2000 (présentant des valeurs d'IDH de 0,405 et 0,541,
quand il occupait la 20ème et 16ème positions, respectivement,
parmi les 27 unités fédératives) (IBGE, n.d.).
Figure 3 - Carte du Brésil identifiant
l'État du Ceará
Source: IBGE (n.d.b).
Compte tenu de sa position géographique, avec la
plupart de son territoire sur le Semi-aride, le Ceará est historiquement
caractérisé par de graves crises de sécheresse (Lima e
Rocha Magalhães, 2008). Cette situation a marqué les cycles de
développement de l'État10 (Ceará 2050, 2018),
imposant des impacts socio-économiques importants et faisant appel
à des stratégies permanentes de coexistence avec ses
conditionnalités. Les premiers locaux affectés sont justement les
petites communautés rurales, compte tenu d'un manque ou d'une
insuffisance de sources hydriques de capacité pluriannuelle (Cortez et
al., 2017). Cela démontre, encore une fois, une plus grande
fragilité des espaces ruraux, notamment si on considère la
prédominance d'activités agricoles qui, détenant
très souvent un niveau technologique faible, restent exclusivement
dépendantes de la
10 À ce propos, il reste important de
noter que les phénomènes de sécheresses
représentent un élément qui ralentit la croissance
économique du Ceará, comme vérifié par la Sudene et
l'IPECE (Ramos Vianna et al., 2006).
31
pluviométrie (Lemos et al., 2020). En effet, entre 2010
et 2016, le Ceará a vécu ce qui peut être
considéré la période de sécheresse la plus
sévère des derniers 100 ans, laquelle a coïncidé avec
une crise économique, politique et sociale au Brésil, exacerbant
ses effets (Cortez et al., 2017). C'est dans cette perspective que les
investissements en infrastructure de captation et stockage d'eau, ainsi qu'une
préoccupation accrue avec la gestion des usages de l'eau demeurent
centrales et devront dicter le «modus vivendi» dans cet
État (Ramos Vianna et al., 2006).
Le modèle de développement du Ceará est
encore marqué par une distribution très inégale de
l'eau11 et se caractérise par une absence (ou une
introduction très tardive) de politiques intégrées et
permanentes de lutte contre cette situation (ALEC, 2008). En plus, ses
structures foncière et sociétale sont caractérisées
par des relations historiques de domination clientéliste (Lemos et al.,
2020; Buckley, 2010; Burte et al., 2013). C'est dans ce sens qu'on
contextualise le modèle de développement du Ceará dans
celui du Brésil, lequel n'a pas été capable
d'éradiquer l'exclusion sociale, ni d'analyser les complexités de
son Semi-aride de manière systématique et intégrée
(Mendes, 2018). Ces dynamiques et les réponses historiques à ses
complexités seront mieux abordées dans le sous-chapitre suivant,
et seront importantes pour comprendre les mécanismes de gouvernance de
l'eau, selon les référentiels théoriques
sélectionnés pour le présent travail.
|
|