1.2. Construction de la base méthodologique
Partant de l'idée que la gouvernance vise à
répondre à un problème d'action collective précis
(Figuière et Rocca, 2012) et présente des fonctions
spécifiques (Jimenez et al., 2020), on identifie la distribution
historiquement très inégale de l'eau (ALEC, 2008; Cortez et al.,
2017; Ramos Vianna et al., 2006) comme un des problèmes centraux
auxquels la gouvernance de cette ressource doit faire face dans l'État
du Ceará. C'est à
19
partir de cette problématique spécifique qu'on
identifie les critères pertinents pour la présente analyse de la
gouvernance. On considère par ailleurs la pertinence d'une analyse
historique, dans la mesure où le territoire est en lui-même
«un construit social, produit d'une histoire» (Laganier et al., 2002
dans Figuière et Rocca, 2012, p. 15). Ainsi, la conception de
gouvernance adoptée dans le cadre de ce travail se présente, tel
que proposé par Figuière et Rocca (2012), comme un vecteur
d'endogénéisation des dynamiques historiques et de pouvoir dans
les modalités de mise en place d'une gestion durable des ressources.
On partira donc d'une analyse historique du contexte
sociétal du Nordeste Semi-aride et du Ceará, principales
échelles territoriales pour ce travail, tout en expliquant les
paradigmes de l'action publique qui ont marqué l'histoire de cette
région: ceux-ci sont utils dans la compréhension des composantes
de la gouvernance actuelle de l'eau. Selon Marinho Alves da Silva (2003),
chacun des paradigmes sont liés à des visions de monde qui
orientent les connaissances et les pratiques des acteurs sociaux,
façonnant l'action publique dans ces territoires. Ces différentes
perspectives et images historiquement construites sélectionnent les
problèmes, les accents spécifiques, et indiquent les formes
valides d'intervention, influençant ainsi les propositions de
développement du Semi-aride brésilien (Marinho Alves da Silva,
2003).
Compte tenu du cadre social du Brésil, et plus
spécifiquement du Nordeste Semi-aride et de l'État du
Ceará, marqués par des inégalités importantes qui
réverbèrent dans l'accès aux services et aux ressources en
eau, le présent travail cherchera à focaliser les attributs
pertinents dans la construction d'une gouvernance plus ouverte à la
participation, et qui se propose plus démocratique. Un tel modèle
de gouvernance est ici interprétée selon le regard de Makkaoui et
Dubois (2010), explicité dans le sous-chapitre précédent,
pour lesquels la participation dans les décisions promeut des nouvelles
modalités de compréhension du problème, la
coopération et le compromis, de manière à favoriser une
réponse effective aux objectifs fixés pour la gestion durable des
ressources.
Sachant que les effets d'une décentralisation sont en
soi un objet de discussion dans la littérature sur la gouvernance, comme
le montre le chapitre précédent, ce travail cherche à
appréhender les aspects de la décentralisation et de la
participation dans les mécanismes de gouvernance de l'eau mis en place
dans le Ceará. On considère également que les
différents attributs de la gouvernance sont liés les uns aux
autres (Jimenez et al., 2020), de manière qu'on focalise ici ceux qui
renforcent l'idée de participation et de
20
démocratisation des décisions, évitant
les risques de détournement et d'inadaptation décrits par
Makkaoui et Dubois (2010), afin de répondre à la
problématique identifiée dans l'objet de cette étude.
Pour ce faire, on partira de la grille analytique suivante:
Cette grille d'analyse rassemblant les attributs
«participative», «intégrée»,
«multi-niveaux» et «transparente» a été
construite à partir des contributions des idées analysées
lors de la revue de littérature, émanant de travaux tels que
Barone et Mayaux (2019), Cox et al. (2016), Figuière et Rocca (2012),
Jimenez et al. (2020), Makkaoui et Dubois (2010), Mendonça Morais (2018)
et OCDE (2015). Il est important de souligner que ces travaux conçoivent
l'importance des aspects historiques et sociaux derrière les questions
de l'accès et de l'usage de l'eau dans l'évaluation de la
gouvernance, en phase avec la base épistémologique décrite
ci-dessus.
Ainsi, l'attribut «participative» est construit
à partir des contributions notamment des travaux de Figuière et
Rocca (2012), de Barone et Mayaux (2019), de Cox et al. (2016), de Jimenez et
al. (2020) et de Mendonça Morais (2018). Ceux-ci soulignent l'importance
des types d'acteurs engagés, de leurs rapports de pouvoir, de la
réunion des conditions pour une véritable participation - comme
un niveau adéquat d'informations - et ainsi de leur capacité
à participer (Figuière et Rocca, 2012; Barone et Mayaux, 2019;
21
Jimenez et al., 2020; Mendonça Morais, 2018). On
considère la pertinence d'une participation dans la construction des
décisions ayant attrait à l'eau par les différentes
parties prenantes, au lieu d'avoir des secteurs de la société se
comportant comme des simples bénéficiaires des décisions
prises (Cox et al., 2016).
L'attribut «transparente» émane du travail de
Jimenez et al. (2020), mais est aussi reconnu en tant que principe majeur pour
la gouvernance de l'eau par les Nations Unies et par l'OCDE, ainsi que par la
littérature sur la résilience dans les systèmes
socio-écologiques (Jimenez et al., 2020). Selon ces auteurs, la
transparence est fondamentale pour créer de la confiance dans des
relations entre différentes parties prenantes, évitant que
l'information soit manipulée pour renforcer les positions de groupes
spécifiques. Comme a été vu, la construction de confiance
est préconisée par l'OCDE (2015) comme une des trois dimensions
de la gouvernance.
L'attribut multi-niveaux est à son tour
préconisé par l'OCDE (2015), dans le but de promouvoir une
gestion à des échelles appropriées aux conditions
territoriales: il s'agit d'une gestion multi-niveaux en termes de types de
parties prenantes (horizontale), mais aussi des différents niveaux de
gouvernement (verticale). Jimenez et al (2020) préconisent
également une gouvernance multi-niveaux reliant cet attribut à
une tendance de décentralisation de la gouvernance.
Enfin, l'attribut «intégrée» vise
à répondre aux défis en termes de coordination (Jimenez et
al., 2020), qu'un mécanisme de décision participatif et
décentralisé peut apporter, comme indiqué par l'OCDE
(2015). Il s'agirait d'assurer que les différents espaces de
délibération se communiquent et soient coordonnés, afin
que la démarche participative puisse effectivement produire les gains
liés à l'échange d'information et à la
création de réseaux, valeurs et convictions communes aux
différentes parties prenantes, tel que décrit par Makkaoui et
Dubois (2010), tout en évitant les pièges institutionnels
(Programme Mondial pour l'Évaluation des Ressources en Eau des Nations
Unies, 2020)
Pour cette analyse, on s'appuiera:
(I) majoritairement, sur une recherche documentaire
rassemblant des sites et des rapports gouvernementaux dans lesquels figurent
les structures organisationnelles pertinentes pour la gestion des ressources
hydriques dans l'État, ainsi que des articles académiques qui
focalisent la logique d'action, les objectifs - explicites et implicites - les
effets et résultats des structures mises en place;
22
(II) à titre d'appui et d'approfondissement par rapport
aux informations apportées par la bibliographie, sur des entretiens avec
des agents liés aux organisations de l'État ou à des
mouvements et organisations sociales, de manière à
appréhender leur perception sur les conditions de participation et de
dialogue entre les diverses parties prenantes.
Concernant ce deuxième élément
méthodologique, ont été réalisés neuf
entretiens avec des agents liés aux structures suivantes: le Mouvement
des Sans-Terres (MST); le Comité de Bassin de l'Acaraú; le
Secrétariat Exécutif de l'Agrobusiness du Secrétariat du
Développement et du Travail - SEDET; l'Institut SISAR (Système
Intégré d'Assainissement Rural); la Fédération des
travailleurs ruraux et des agriculteurs familiaux du Ceará - FETRAECE;
la Direction des Travaux Hydrauliques - SOHIDRA; le Secrétariat du
Développement Agraire - SDA; de la Compagnie de Gestion des Ressources
Hydriques - COGERH; et du Secrétariat des Ressources Hydriques - SRH.
Les agents interviewés font partie d'une liste
non-exhaustive de parties pertinentes pour la compréhension des
mécanismes de gouvernance de l'eau et rassemblent: (I) des agents
liés à des organismes de l'État qui font partie du SIGERH,
ainsi que (II) des représentants de mouvements sociaux ou
d'organisations impliquées dans les grands thèmes du
développement rural, qui n'ont pas forcément un accès
direct aux espaces de délibération du SIGERH. Ces entretiens
permettent ainsi d'avoir des perceptions diverses sur le fonctionnement et les
systèmes de coordination du SIGERH, et de comprendre dans quelle mesure
des acteurs non-étatiques actifs dans les espaces ruraux de
l'État se sentent intégrés (ou pas) dans la gouvernance de
l'eau.
Ces entretiens ont été réalisés
selon la méthode semi-directive, ainsi appelée vu que les
thèmes de l'entretien sont sélectionnés et annoncés
au préalable (Combessie, 2007). Ces entretiens se sont ainsi
basés sur un guide d'entretien adapté, divisé dans les
sections suivantes: (I) évolution institutionnelle (ou création
et évolution du mouvement, le cas échéant), fonctions,
mission, structure organisationnelle, budget, profil des fonctionnaires (en
termes de formation et lien contractuel); (II) leur perception sur
l'évolution de la gestion (et de l'accès à l'eau, pour les
mouvements sociaux) à partir des jalons identifiés lors de la
recherche documentaire; (III) la nature de sa participation au sein du CONERH
(ou des organismes collégiens qui le composent, tels que le COMIRH ou
les Comités de Bassin, pour ceux qui ne sont pas directement
représentés auprès du premier); (IV) et d'éventuels
liens ou mécanismes de dialogues avec d'autres/les organisations de
l'État, intéressés à la gestion de l'eau.
23
Bien que les entretiens ont reposé sur un guide de
questions plus générales, de manière à apporter une
compréhension plus large du fonctionnement des diverses organisations
engagées dans le thème de l'eau et de sa gestion, le traitement
de ces entretiens pour le présent travail focalise les
éléments reliés à la grille d'analyse
présentée ci-dessus. Selon Combessie (2007b), face à des
informations diverses, on a besoin d'établir que chercher, de mobiliser
un sens qui les relie à partir d'une hypothèse ou
problématique. Ainsi, les principales informations exploitées ici
sont celles qui rapportent comment les différents acteurs
conçoivent la participation, la transparence des mécanismes et la
coordination des différents espaces et niveaux de
délibération.
Un tableau de synthèse sur les observations
réalisées à partir des entretiens est visible sur l'Annexe
2 de ce travail. Certaines de ces observations balisent les analyses du
Chapitre 3, dans lequel on croise les résultats de la recherche
empirique avec les fondements théoriques discutés dans le
sous-chapitre précédent (1.1).
Enfin, la structure institutionnelle et le modèle de
gouvernance en vigueur dans le Ceará dialogue certainement avec les les
contours institutionnels fédéraux et leurs mécanismes
d'action, d'où l'intérêt d'entamer la présente
étude à partir d'une compréhension du cadre institutionnel
brésilien et de l'historique de l'action publique fédérale
sur la région, pouvant impacter le contexte majeur dans l'État.
C'est sur cela que se penchera le Chapitre suivant, afin de fonder l'analyse de
la gouvernance qui viendra ensuite.
24
CHAPITRE II - Contextualisant les différents
niveaux territoriaux et les paradigmes de l'action publique de réponse
aux crises hydriques
Afin de mieux comprendre les éléments qui
potentiellement interagissent dans la formation d'un modèle donné
de gouvernance dans le Ceará, on présentera ici le contexte plus
large du modèle de développement brésilien, passant par le
contexte général du Nordeste Semi-aride et débouchant sur
les indicateurs de développement de l'État du Ceará.
|