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Vers une gouvernance participative de l'eau? la réponse aux crises hydriques dans l'état brésilien du Cearà¡


par Izabela Damasceno Pimenta
Université Grenoble-Alpes - Master 2 Économie du Développement - Gouvernance des Organisations pour le Développement International 2020
  

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UNIVERSITÉ GRENOBLE ALPES FACULTÉ D'ÉCONOMIE

Master 2 Économie du développement

Parcours «GODI - EPD»

(Gouvernance des Organisations pour le Développement International)

MÉMOIRE

VERS UNE GOUVERNANCE PARTICIPATIVE DE L'EAU?
LA RÉPONSE AUX CRISES HYDRIQUES DANS L'ÉTAT
BRÉSILIEN DU CEARÁ

Enseignant responsable: FIGUIÈRE Catherine

DAMASCENO PIMENTA Izabela

2

La Faculté d'Économie de l'Université Grenoble Alpes n'entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans les mémoires des candidats au Master; ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.

Le mémoire est un essai d'application des méthodes et outils acquis au cours de la formation. Il ne saurait donc être considéré comme un travail achevé auquel la Faculté conférerait un label de qualité qui l'engagerait.

Ce travail est considéré a priori comme un document confidentiel qui ne saurait être diffusé qu'avec le double accord de son auteur et, le cas échéant, de l'organisme de stage.

3

REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier toutes les personnes qui ont, directement ou indirectement, contribué pour la réalisation de ce travail.

D'abord, je remercie Mme. Catherine Figuière, ma directrice de mémoire, Maître de conférences à la Faculté d'Économie de l'Université Grenoble-Alpes, de m'avoir encadré, orienté et conseillé au cours de ces derniers mois. Je tiens aussi à remercier M. Pierre-Louis Mayaux, chercheur du CIRAD à l'UMR G-EAU, mon tuteur de stage, pour les conseils et les discussions fructueuses. Un grand merci à tous les deux, qui m'ont guidé pendant tous les processus de construction de ce travail.

Je voudrais encore remercier M. Eric Sabourin, chercheur du CIRAD, pour sa disponibilité et sa bienveillance envers mes questionnements. Merci également à toute l'équipe impliquée dans le Projet Sertões, en France et au Brésil, pour les échanges qui ont énormément contribué à alimenter mes réflexions. Je remercie particulièrement les collègues Mariana Rios et Hela Gasmi, qui ont partagé leurs expériences de terrain dans le Ceará, et Lucas Amorim, très souvent avec moi pendant les entretiens réalisés et dont les réflexions m'ont apporté des inspirations pour ce travail. Merci également à Marina Hohl, de s'être mise à disposition pour d'éventuelles corrections et relectures.

J'adresse également mes remerciements à toute l'équipe pédagogique de la Faculté d'Économie de Grenoble responsable de ma formation.

Enfin, je voudrais remercier mes parents, Patrícia et Túlio pour leur soutien constant et leurs encouragements.

SOMMAIRE

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INTRODUCTION 9

CHAPITRE I - Quels attributs de la gouvernance vers un accès à l'eau plus

démocratique? Base théorique et méthodologique du présent travail 13

CHAPITRE II - Contextualisant les différents niveaux territoriaux et les paradigmes

de l'action publique de réponse aux crises hydriques 38

CHAPITRE III - Quelle gouvernance de l'eau dans le Ceará? 39

CONCLUSION 60

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 62

ANNEXES 69

TABLE DES MATIÈRES 81

RÉSUMÉ 82

LISTE DES FIGURES

Figure 1 - Carte politique du Brésil: les 27 unités fédérales et les 5 grandes Régions Figure 2 - le Semi-aride Brésilien

Figure 3 - Carte du Brésil identifiant l'État du Ceará

Figure 4 - Schéma de l'évolution juridique-institutionnelle de la gestion de l'eau dans le Ceará

Figure 5 - La structure du SIGERH-Ceará

LISTE DES TABLEAUX

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Tableau 1: Indicateurs du développement durable au Brésil

LISTE DES ACRONYMES

- CAGECE - Companhia de Água e Esgoto do Ceará / Compagnie d'Eau et d'Égouts du Ceará

- CBH - Comitês de Bacia Hidrográfica / Comités de Bassin Hydrographique

- CNRH - Conselho Nacional de Recursos Hídricos / Conseil National des Ressources Hydriques

- COGERH - Companhia de Gestão dos Recursos Hídricos / Compagnie de Gestion des Ressources Hydriques

- COMIRH - Comitê Estadual de Recursos Hídricos / Comité d'État des ressources hydriques

- CONERH - Conselho Estadual de Recursos Hídricos / Conseil d'État des ressources hydriques

- DNOCS - Departamento Nacional de Obras Contra as Secas / Département National des Travaux contre la Sécheresse

- FETRAECE - Federação dos Trabalhadores Rurais Agricultores e Agricultoras Familiares do Estado do Ceará / Fédération des travailleurs ruraux et des agriculteurs familiaux du Ceará

- FUNCAP - Fundação Cearense de Apoio ao Desenvolvimento Científico e Tecnológico / Fondation d'Appui au Développement Scientifique et Technologique du Ceará

- FUNCEME - Fundação Cearense de Meteorologia e Recursos Hídricos / Fondation Cearense de Météorologie et Ressources Hydriques

- IFOCS - Inspetoria Federal de Obras Contra a Seca / Direction Fédéral de Travaux contre les Sécheresses

- IOCS - Inspetoria de Obras Contra a Seca / Direction de Travaux contre les Sécheresses

6

- MST - Movimento Sem-Terra / Mouvement Sans-Terre

7

- PERH - Política Estadual de Recursos Hídricos / Politique de l'État pour les ressources hydriques

- PNRH - Política Nacional dos Recursos Hídricos / Politique Nationale des Ressources Hydriques

- SDA - Secretaria do Desenvolvimento Agrário / Secrétariat du Développement Agraire - SEAGRI - Secretaria de Agricultura Irrigada / Secrétariat de l'agriculture irriguée - SEMA - Secretaria do Meio-Ambiente / Secrétariat de l'Environnement

- SEMACE - Superintendência Estadual do Meio Ambiente / Direction de l'État pour l'environnement

- SIGERH - Sistema Integrado de Gestão dos Recursos Hídricos / Système Intégré de Gestion des Ressources Hydriques

- SINGREH - Sistema Nacional de Gestão dos Recursos Hídricos / Système National de Gestion des Ressources Hydriques

- SNSH/MDR - Secretaria Nacional da Segurança Hídrica do Ministério do Desenvolvimento Regional / Secrétariat National de la Sécurité Hydrique du Ministère du Développement Régional

- SOEC - Superintendência de Obras do Estado do Ceará / Direction des travaux de l'État du Ceará

- SOHIDRA - Superintendência de Obras Hidráulicas / Direction des travaux hydrauliques

- SRH - Secretaria de Recursos Hídricos / Sécretariat des Ressources Hydriques

- SRHU/MMA - Secretaria de Recursos Hídricos e Ambiente Urbano do Ministério do Meio Ambiente / Secrétariat des Ressources Hydriques et de l'Espace Urbain du Ministère de l'Environnement

- SUDEC - Superintendência do Desenvolvimento do Estado do Ceará / Direction pour le développement du Ceará

- SUDENE - Superintendência do Desenvolvimento do Nordeste / Direction pour le Développement du Nordeste

8

- UFC - Universidade Federal do Ceará / Université Fédérale du Ceará

9

INTRODUCTION

Les enjeux humains, sanitaires et sociaux qui dérivent des problèmes liés à l'eau sont considérables, particulièrement pour les pays en développement (Makkaoui et Dubois, 2010). Cela d'autant plus si l'on considère que la situation de pénurie au centre de la crise hydrique découle de questions de pouvoir, pauvreté et inégalités, et non pas d'une question de disponibilité physique tout simplement (Jimenez et al., 2020). Ainsi, l'accès à l'eau devient un droit individuel, collectif, civil et politique, ainsi que social, économique et culturel, nécessaire pour la réalisation des autres droits de l'homme (Belaidi, 2010).

À propos de la gestion de cette ressource, l'intégration des piliers sociaux, économiques et environnementaux sous l'égide du concept de développement durable à partir des années 1970's requiert progressivement des nouveaux cadres de décision, faisant appel au concept de «gouvernance» (Brodhag, 1999 dans Figuière et Rocca, 2012). Ce concept concerne les processus de prise et de mise en place de décisions, ainsi que l'interaction entre structures, procédures et traditions qui y sont sous-jacentes (Graham et al., 2003 dans Jimenez et al., 2020). La nature de la gouvernance détermine ainsi la façon dont le pouvoir et les responsabilités sont exercés, dont les décisions sont prises et dont les citoyens et d'autres parties prenantes sont engagés (Graham et al., 2003 dans Jimenez et al., 2020). Il ne s'agit donc pas d'un concept étranger aux considérations en termes de dynamiques historiques, de pouvoir et de participation dans les modalités de mise en place d'un développement durable. C'est dans ce cadre intellectuel et théorique général que ce travail s'intéressera à la gouvernance de l'eau dans le Ceará, un État brésilien localisé dans la zone semi-aride de la région Nordeste du Brésil.

Le Brésil est aujourd'hui marqué par des tendances de démantèlement des politiques publiques et d'institutions responsables pour le développement rural durable sur plusieurs volets (Sabourin et al., 2020), ce qui pourra avoir un impact sur la gestion et sur l'état des ressources naturelles au pays. Par ailleurs, il reste très marqué par des contradictions sociales et des fortes inégalités, dont les inégalités régionales sont encore critiques. Parmi les régions brésiliennes, c'est justement dans la région Nordeste, celle ayant l'IDH le plus bas et l'Indice de Gini le plus élevé (IPEA, 2016; Barros, 2020), qui se trouve la zone semi-aride la plus peuplée de la planète, comme discuté dans le deuxième Chapitre. Cette zone semi-aride abrite la plus grande concentration de

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population rurale au Brésil (Baptista et Campos, 2017). Son bilan hydrique négatif soumet cette population à des crises hydriques importantes (Lemos et al., 2020), et qui sont susceptibles de s'aggraver suite aux phénomènes liés aux changements climatiques (Lima e Rocha Magalhães, 2008).

Enfin, le Ceará est justement l'État brésilien qui présente le plus grand pourcentage de municipalités officiellement reconnues comme partie du Semi-aride: 175 des 184 municipalités de l'État (soit 95% d'elles) (Lemos et al., 2020). Historiquement marqué par une distribution très inégale de l'eau, le Ceará a vécu des nombreuses crises de pénurie hydrique, lesquelles ont entraîné des collapses dans la production économique dans l'État, de manière que le risque hydrologique devient un risque systémique de par son importance et son potentiel multisectoriel (Ceará 2050, 2018). Ce cadre général justifie ainsi l'intérêt d'étudier les mécanismes de gestion et de gouvernance de l'eau dans le Ceará, où la distribution hydrique, les enjeux de la production agricole et les dynamiques sociales de domination s'entremêlent de manière étroite (Burte et al, 2013).

Ce travail s'insère dans le cadre d'un stage au CIRAD - Centre de coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement, auprès du projet de recherche-action de nom Sertões1. Soutenu financièrement par l'AFD pour une durée de trois ans, et porté par le Cirad en partenariat avec la Fondation de météorologie et ressources hydriques de l'État du Ceará (FUNCEME), ce projet promeut des échanges entre de nombreux acteurs, des agriculteurs aux gouverneurs, autour de l'usage du territoire et de ses ressources. L'objectif est ainsi de co-construire de nouveaux modes de gouvernance locale de l'eau et des zones rurales, tout en identifiant les leviers d'une transition agroécologique (CIRAD, 2021).

Plus spécifiquement, le présent travail est étroitement lié au Produit 3 du Projet Sertões, lequel correspond à un rapport d'analyse des politiques publiques et des systèmes de gouvernance dans les secteurs de l'eau et de l'agriculture dans l'État du Ceará. En termes généraux, il vise à construire une vision partagée sur la trajectoire des politiques publiques et de la gouvernance, en particulier dans les secteurs de l'eau et de l'agriculture. Cela afin d'aider les parties prenantes à renforcer les processus sous-jacents à une gouvernance efficace des ressources en question, qui soit inclusive et jouisse d'une large

1 Sustentabilidade e Resiliência hídrica e Territorial nos sertões nordestinos («Durabilité et résilience hydrique et territoriale dans les Sertões du Nordeste»).

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légitimité. À cette fin, l'objectif spécifique du produit est de comprendre les instruments et les paradigmes mobilisés dans la gestion de ces ressources, tenant compte des particularités socio-économiques de l'État. La méthodologie pour la production de ce rapport, dont les détails schématiques se trouvent dans l'Annexe 1, repose fortement sur une revue bibliographique, mais aussi sur des entretiens semi-directives avec des acteurs-clés des deux secteurs de l'État du Ceará et sur des espaces de discussion et de partage avec les différents acteurs.

Dans le processus d'adaptation de ce qui sera développé dans le cadre du Produit 3 du Projet Sertões vers le présent Mémoire de Master 2 en Économie du Développement, le focus sera mis sur le secteur de l'eau, afin de permettre un approfondissement théorique autour de la gestion et de la gouvernance de cette ressource. Cela est d'autant plus pertinent que si on considère que les ressources en eau se trouvent en amont des systèmes agricoles. En tout cas, l'analyse des mécanismes de gouvernance de l'eau permettront un regard, de manière subsidiaire, à ses relations avec le secteur agricole.

Plus spécifiquement, on se concentrera ici à tester si les mécanismes de la gouvernance de l'eau dans le Ceará favorisent la participation et la démocratisation des processus de décision autour de cette ressource. Cela car on le considère un potentiel élément de promotion d'un accès plus démocratique à l'eau, et ainsi d'une possible recomposition des relations sociales et économiques, notamment dans les zones rurales de l'État. L'hypothèse c'est que la gouvernance actuelle combine des éléments de démocratisation de la participation, avec des éléments historiques qui y sont opposés - une forte sectorisation des discussions, un contrôle encore très centralisé de la part de l'État et une prépondérance des intérêts des acteurs plus puissants économiquement. Ainsi, on se propose de construire un diagnostic de la gouvernance de l'eau dans l'État du Ceará, soulignant ses acquis et ses faiblesses en termes de participation. L'objectif plus large est celui d'apporter des réflexions sur la gouvernance de l'eau sur un territoire marqué par des conditions climatiques adverses et par une structure sociétale marquée par des fortes inégalités.

Pour ce faire, on partira, dans un premier chapitre (I), d'une revue de littérature sur la gouvernance de l'eau, et les attributs pertinents pour promouvoir un accès plus démocratique à cette ressource. Ensuite, le deuxième chapitre (II) fera un état des lieux du contexte économique et social plus large qui englobent - et dans une certaine mesure

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influencent - l'objet de cette étude. On analysera ainsi les indicateurs de développement du Brésil, du Nordeste et du Ceará, ainsi que l'évolution des paradigmes de l'action publique dans le Nordeste Semi-aride en général. Finalement, au troisième chapitre (III), on procédera à un diagnostic de la gouvernance de l'eau dans le Ceará, à partir de l'analyse de la structure organisationnelle de gestion de cette ressource mise en place dans l'État, ainsi que d'une grille d'analyse issue de la littérature de base présentée au premier chapitre.

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CHAPITRE I - Quels attributs de la gouvernance vers un accès à l'eau plus démocratique? Base théorique et méthodologique du présent travail

On entame le présent travail à partir d'une revue de littérature portant sur la gouvernance des ressources naturelles, et plus spécifiquement de l'eau. Cela afin de repérer des contributions utiles pour la construction d'une grille d'analyse cohérente pour étudier la gouvernance de l'eau dans l'État du Ceará, thème central de ce travail. Suite à la revue de littérature, on procédera, dans ce chapitre, à une présentation plus détaillée de la construction méthodologique de cette étude. Ce Premier Chapitre consistera ainsi en un exercice intellectuel de construction des bases théorique et méthodologique qui encadreront la présente analyse.

1.1. Revue de littérature sur la gouvernance de l'eau

La problématique de l'usage excessif, de la dégradation et de la durabilité des ressources naturelles a gagné de l'espace dans la littérature avec la publication, en 1968, de l'article de Hardin sur la «Tragédie des Communs» (The tragedy of the Commons) (Pereira Cysne, 2012, p. 35). Il soutient que l'intérêt individuel des usagers les amènerait à une surexploitation des ressources communes, ayant comme conséquence la dégradation environnementale. Face à cela, les propositions de Hardin envisageaient la privatisation ou la centralisation de la gestion par l'État. Son travail a introduit la question environnementale dans les discussions sur la gestion des ressources naturelles (Pereira Cysne, 2012), d'où son importance. Ensuite, dans les années 1970's on assiste à l'intégration des piliers sociaux, économiques et environnementaux sous l'égide du nouveau concept de développement durable, faisant appel à des nouveaux cadres de décision dans la gestion des ressources, lesquels on rassemble sous le concept de «gouvernance», thème central du présent travail (Brodhag, 1999 dans Figuière et Rocca, 2012).

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La gouvernance est d'abord un terme qui qualifie les processus de prise et de mise en place de décisions (Graham et al., 2003 dans Jimenez et al., 2020). Il est donc un concept polysémique dont l'usage récent renvoie à l'idée de dépassement du rôle de l'État comme résultat de l'intensification de la mondialisation: les théories standards de la fin du XXème siècle préconisaient le retrait de l'État, au profit de l'exercice accru du pouvoir par des nouveaux acteurs (Figuière et Rocca, 2012). En tout cas, au-delà des théories standards, la gouvernance présuppose, de manière générale, une pluralité hétérogène d'acteurs. Pour Graham et al., 2003 (dans Jimenez et al., 2020), la gouvernance concerne la nature de l'interaction entre structures, procédures et traditions qui déterminent la façon dont le pouvoir et les responsabilités sont exercées, dont les décisions sont prises et dont les citoyens et d'autres parties prenantes sont engagés dans la gestion d'une ressource. Ainsi, ce concept englobe les situations rassemblant une multiplicité de parties prenantes, et qualifie les configurations de leurs relations (Scheng, 2008), tout en tenant compte de l'existence de fonctions, d'attributs et de valeurs, individuels ou collectifs, en jeu (Jimenez et al., 2020). Cette conceptualisation initiale conduit à des discussions théoriques qui sélectionnent les critères les plus pertinents pour une gouvernance adaptée au milieu dans lequel elle est mise en place.

Selon Scheng (n.d.), une analyse de la gouvernance doit tout d'abord focaliser les acteurs formel ou informellement engagés dans la prise et mise en place des décisions, ainsi que les structures formelles et informelles existantes. Figuière et Rocca (2012), à leur tour, mettent l'accent sur les types d'acteurs qui y sont engagés; les problèmes auxquels elle vise à répondre; le niveau pertinent pour sa mise en place; et sa capacité de garantir l'intérêt général2 - celui-ci compris en un sens d'émancipation des intérêts particuliers. Aussi, selon Baron (2003 dans Figuière et Rocca, 2012 p. 9), le concept de gouvernance doit intégrer la notion de pouvoir afin d'apporter une véritable valeur ajoutée à l'analyse.

Dans un contexte d'intensification du processus de mondialisation à la fin du XXème siècle, l'analyse des caractéristiques et attributs de la gouvernance ont évolué

2 L'assimilation de l'État en tant qu'un acteur parmi d'autres, apporte une potentielle complexification dans le processus de définition de l'intérêt général, auparavant monopolisé par cet acteur (Denis, 2008 dans Figuière et Rocca, 2012 p. 17). Cela s'articule avec le constat de Chevalier (1985 dans Figuière et Rocca, 2012, pp. 17-18) selon lequel une telle gouvernance s'articule avec une légitimité issue de la base (ce qu'on pourrait appeller «bottom-up»), imposant donc la participation effective au travers de l'adhésion et du rôle actif des toutes parties engagées.

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d'approches stato-centriques et hiérarchiques vers un paradigme de «bonne gouvernance», lequel a été, pour la première fois, défini par le rapport «Governance and Development» de la Banque Mondiale (1992 apud Jimenez et al., 2020). Il soutenait la retraite de l'État à partir de la privatisation et des réformes du service civil comme moyen de promouvoir l'efficience dans les services publics et la compétition (Williams et Young, 1994 dans Ekundayo, 2017). Pour la Banque Mondiale, les indicateurs de bonne gouvernance rassemblent: «voice» et «accountability»; stabilité politique; absence de violence; effectivité du gouvernement; qualité régulatoire; état de droit; contrôle et niveau de corruption (Scheng, 2008).

Il faut considérer que les pays en développement, intégrés de manière périphérique au capitalisme mondial, ont souvent été sous une forte influence des agents internationaux tels que la Banque Mondiale (Makkaoui et Dubois, 2010). Ainsi, ces derniers ont directement influencé l'adoption des modèles de gouvernance des ressources hydriques, préconisant, souvent, de partenariats publics-privés (Flores, 2006; Martins 2013 dans Mendonça Morais, 2018). Cependant, Estache et al. (2003) montrent que ceux-ci, appliqués dans le secteur de l'eau, ont bien produit des gains d'efficacité pour les gouvernements et les opérateurs, mais n'ont jamais bénéficié aux usagers. Ils ont ainsi été à l'origine de fortes critiques sur le degré de compatibilité de la logique de l'action publique (orientée vers le développement des sociétés) avec celle des interventions privées (orientée vers la maximisation des profits) (Makkaoui et Dubois, 2010).

Aussi, cette approche de bonne gouvernance semble ignorer le fait que les différents acteurs n'ont souvent pas la même capacité à participer (Figuière et Rocca, 2012, p. 18), de manière que parler de participation tout simplement ne suffit pas. Les inégalités en termes de pouvoir et de ressources sont souvent massives à l'intérieur même des communautés des usagers de l'eau, pouvant créer des entraves à un résultat véritablement consensuel et pacifique, pouvant demander un arbitrage de la part du pouvoir public (Barone et Mayaux, 2019). Bref, les échecs du paradigme de gouvernance préconisé par la Banque Mondial à la fin du XXème siècle ont montré le besoin d'une démarche participative qui focalise une véritable association de la part de la société civile dans le cadre de la redéfinition des relations entre l'État et le secteur privé (Makkaoui et Dubois, 2010).

À ce propos, on peut considérer les idées d' Elinor Ostrom (1990) comme une troisième voie entre les idées de Hardin et le paradigme mis en avant par la Banque

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Mondiale, c'est-à-dire, un chemin entre une régulation par l'État et une régulation par le marché (Barone et Mayaux, 2019). Cette auteure soutenait la capacité des individus de coopérer en faveur d'un objectif commun, afin de surmonter le dilemme des communs, tout en dépassant une intervention coercitive de la part de l'État (Ostrom, 1990). Plus récemment, dans un effort scientifique de rassembler les principales théories sur la gouvernance des ressources naturelles répondant à un paradigme qui reconnaît, entre autres, l'importance de l'action collective, Cox et al (2016) ont identifié les critères analytiques les plus reconnus par cette littérature. Même si ces critères sont très divers au sein des différentes théories, certains ont été identifiés comme très présentes dans les différents domaines d'étude qui s'intéressent à la gouvernance des ressources naturelles, telles que: la Tendance de Condition des Communs (Common Condition Trend); l'action collective; l'observance3; le niveau de correspondance et ajustement socio-écologique (Social-Ecological Fit) entre institutions et systèmes; la résilience des écosystèmes; les instruments des politiques adoptées; et le degré de centralisation, cette dernière ayant la plus grande variabilité dans ses résultats d'impact sur la gouvernance (Cox et al, 2016).

En ce qui concerne particulièrement cette dernière, Scheng (2008) explique qu'une décentralisation, en soi, n'améliore pas forcément la gouvernance, mais elle peut améliorer le partenariat entre gouvernement et société civile, ce qui pourrait, à son tour, impacter positivement la gouvernance. Par ailleurs, la décentralisation a tendance à favoriser l'adaptation des politiques aux réalités locales (OCDE, 2015). Selon l'OCDE (2015), il existe actuellement une plus grande reconnaissance que, lors d'une tendance de décentralisation, un processus de décision ascendante («bottom-up») et inclusif est fondamental pour le développement de politiques efficaces dans le secteur de l'eau, même si un tel processus génère très souvent des défis en termes de formation et de coordination dans la prestation des services publics. Déjà Ostrom (1990) avait démontré, dans le cas des nappes d'eaux souterraines et des réservoirs pour l'eau d'irrigation, que l'élaboration d'arrangements de délibération et de négociation directement par les acteurs concernés pourrait conduire à des meilleurs résultats de gestion (Barone et Mayaux, 2019).

Encore à ce sujet, Makkaoui et Dubois (2010) argumentent que le principe central de la participation est dual: d'une part, la participation dans les décisions favorise leur

3 Il faut noter que l'observance, au contraire de la variable «action collective», présuppose que les acteurs sont de simples récepteurs des politiques environnementales, alors que l'action collective les conçoit en tant que coproducteurs de ces politiques.

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appropriation et leur acceptation par les différents acteurs, ce qui favorise la réalisation effective des objectifs fixés; d'autre part, elle entraîne une amélioration de la qualité de la base informationnelle, et ainsi des modalités de compréhension du problème. L'idée centrale c'est que les démarches participatives valorisent l'échange d'informations, la négociation, le compromis et les engagements volontaires (Makkaoui et Dubois, 2010). Tout cela produirait du capital social, lequel limiterait les risques de comportements opportunistes dans la gestion durable des ressources (Wade, 1988 ; Ostrom, 1990 ; Baland et Platteau, 1996 dans Makkaoui et Dubois, 2010). Par ailleurs, de telles démarches produisent des réseaux, valeurs et convictions communes facilitant la coopération et limitant les coûts de transaction (Makkaoui et Dubois, 2010).

Cependant, ces mêmes auteurs rappellent également les risques de détournement des approches participatives, en cas d'inadaptation au contexte appliqué (Van den Hove, 2001 dans Makkaoui et Dubois, 2010). Ainsi, la mise en place de procédures participatives, en soi, ne garantit pas forcément la réalisation des objectifs attendus et ne mène pas forcément aux meilleures solutions (Makkaoui et Dubois, 2010). Aussi, elles peuvent complexifier le processus décisionnel. À ce propos, Gutiérrez (2006 dans Mendonça Morais, 2018) soutient que, pour obtenir une décision véritablement participative et démocratique, il est nécessaire de garantir une base technique solide - comprenant la connaissance des facteurs techniques, mais aussi la prise en compte de la capacité technique des participants et de leurs niveaux d'engagement.

En ce qui concerne la gouvernance de l'eau, spécifiquement, il est important de noter que les situations de pénurie hydrique découlent de questions de pouvoir, pauvreté et inégalités, et non pas seulement d'une question de disponibilité physique (Jimenez et al., 2020). Selon Ménard et al. (2018 apud Jimenez et al., 2020), les interactions entre les parties prenantes pour l'accès à l'eau peuvent résulter en accaparement de ces ressources par les élites («elite capture»), en opportunisme de tiers et en corruption. C'est à partir de cette conception fondamentale qu'on regarde les processus de participation dans la gouvernance des ressources hydriques.

Jimenez et al (2020) considèrent que les principales fonctions d'une gouvernance de ressources en eau sont (I) de construction politique et stratégique; (II) de coordination (multi niveau, multi secteurs et multi parties); (III) de planification et préparation; (IV) de financement; (V) de structuration des arrangements de gestion (management arrangements); (VI) de suivi, évaluation et apprentissage; (VII) de régulation; et (VIII)

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de développement de capacités. Elle viserait, ainsi, à la production de 4 ordres de résultats: (I) création de conditions pour une initiative de gouvernance (accorder des objectifs, le niveau d'engagement, etc); (II) production d'un changement de comportement des usagers et des institutions-clé (y inclus de la forme dans laquelle ceux-ci interagissent); (III) production de changements désirés dans les conditions sociétales et environnementales; et, enfin (IV), production d'un système socio-écologique dans lequel les conditions désirées sont promues (de manière durable et soutenable) (Jimenez et al., 2020). Ainsi, pour atteindre ces fonctions spécifiques, la gouvernance de l'eau doit comprendre les attributs suivants: une approche multiniveaux, participation, délibération, inclusion, accountability, transparence, un processus de décision basé sur l'évidence, efficience, impartialité et état de droit, capacité adaptative (Jimenez et al., 2020).

Pour l'OCDE (2015), la gouvernance est bonne si elle permets de résoudre les principaux défis de l'eau combinant des processus de coordination ascendants («bottom-up») et descendants («top-down») et promouvant des relations constructives entre l'État et la société, dans le but de répondre aux réelles nécessités de chaque territoire. Pour cela, elle doit éviter des coûts de transaction injustifiés (OCDE, 2015). Dans ce cas, la gouvernance doit obéir à trois dimensions: (I) efficacité, (II) efficience et (III) confiance et compromis. Le Programme Mondial pour l'Évaluation des Ressources en Eau des Nations Unies (2020), à son tour, préconise une participation adéquate du public, afin de renforcer les capacités d'adaptation à plusieurs niveaux, d'éviter les pièges institutionnels et de focaliser la réduction des risques pour les groupes socialement vulnérables, passant par une gestion intégrée des ressources en eau (GIRE).

Suite à la présentation des discussions théoriques autour du concept de gouvernance et ses attributs, notamment ceux liés à une idée de participation, on réalisera ensuite une sélection des critères décrits ci-dessus pour la construction d'une grille d'analyse spécifique pour le présent travail, laquelle composera sa base méthodologique.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus