UNIVERSITÉ GRENOBLE ALPES FACULTÉ
D'ÉCONOMIE
Master 2 Économie du développement
Parcours «GODI - EPD»
(Gouvernance des Organisations pour le Développement
International)
MÉMOIRE
VERS UNE GOUVERNANCE PARTICIPATIVE DE L'EAU? LA
RÉPONSE AUX CRISES HYDRIQUES DANS L'ÉTAT BRÉSILIEN DU
CEARÁ
Enseignant responsable: FIGUIÈRE Catherine
DAMASCENO PIMENTA Izabela
2
La Faculté d'Économie de l'Université
Grenoble Alpes n'entend donner aucune approbation ni improbation aux
opinions émises dans les mémoires des candidats au Master;
ces opinions doivent être considérées comme propres
à leur auteur.
Le mémoire est un essai d'application des méthodes
et outils acquis au cours de la formation. Il ne saurait donc être
considéré comme un travail achevé auquel la
Faculté conférerait un label de qualité qui
l'engagerait.
Ce travail est considéré a priori comme un
document confidentiel qui ne saurait être diffusé qu'avec le
double accord de son auteur et, le cas échéant, de l'organisme de
stage.
3
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier toutes les personnes qui ont,
directement ou indirectement, contribué pour la réalisation de ce
travail.
D'abord, je remercie Mme. Catherine Figuière, ma
directrice de mémoire, Maître de conférences à la
Faculté d'Économie de l'Université Grenoble-Alpes, de
m'avoir encadré, orienté et conseillé au cours de ces
derniers mois. Je tiens aussi à remercier M. Pierre-Louis Mayaux,
chercheur du CIRAD à l'UMR G-EAU, mon tuteur de stage, pour les conseils
et les discussions fructueuses. Un grand merci à tous les deux, qui
m'ont guidé pendant tous les processus de construction de ce travail.
Je voudrais encore remercier M. Eric Sabourin, chercheur du
CIRAD, pour sa disponibilité et sa bienveillance envers mes
questionnements. Merci également à toute l'équipe
impliquée dans le Projet Sertões, en France et au
Brésil, pour les échanges qui ont énormément
contribué à alimenter mes réflexions. Je remercie
particulièrement les collègues Mariana Rios et Hela Gasmi, qui
ont partagé leurs expériences de terrain dans le Ceará, et
Lucas Amorim, très souvent avec moi pendant les entretiens
réalisés et dont les réflexions m'ont apporté des
inspirations pour ce travail. Merci également à Marina Hohl, de
s'être mise à disposition pour d'éventuelles corrections et
relectures.
J'adresse également mes remerciements à toute
l'équipe pédagogique de la Faculté d'Économie de
Grenoble responsable de ma formation.
Enfin, je voudrais remercier mes parents, Patrícia et
Túlio pour leur soutien constant et leurs encouragements.
SOMMAIRE
4
INTRODUCTION 9
CHAPITRE I - Quels attributs de la gouvernance vers un
accès à l'eau plus
démocratique? Base théorique et
méthodologique du présent travail 13
CHAPITRE II - Contextualisant les différents niveaux
territoriaux et les paradigmes
de l'action publique de réponse aux crises hydriques
38
CHAPITRE III - Quelle gouvernance de l'eau dans le
Ceará? 39
CONCLUSION 60
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 62
ANNEXES 69
TABLE DES MATIÈRES 81
RÉSUMÉ 82
LISTE DES FIGURES
Figure 1 - Carte politique du Brésil: les 27 unités
fédérales et les 5 grandes Régions Figure 2 - le
Semi-aride Brésilien
Figure 3 - Carte du Brésil identifiant l'État du
Ceará
Figure 4 - Schéma de l'évolution
juridique-institutionnelle de la gestion de l'eau dans le Ceará
Figure 5 - La structure du SIGERH-Ceará
LISTE DES TABLEAUX
5
Tableau 1: Indicateurs du développement durable au
Brésil
LISTE DES ACRONYMES
- CAGECE - Companhia de Água e Esgoto do
Ceará / Compagnie d'Eau et d'Égouts du Ceará
- CBH - Comitês de Bacia Hidrográfica /
Comités de Bassin Hydrographique
- CNRH - Conselho Nacional de Recursos Hídricos
/ Conseil National des Ressources Hydriques
- COGERH - Companhia de Gestão dos Recursos
Hídricos / Compagnie de Gestion des Ressources Hydriques
- COMIRH - Comitê Estadual de Recursos
Hídricos / Comité d'État des ressources hydriques
- CONERH - Conselho Estadual de Recursos Hídricos
/ Conseil d'État des ressources hydriques
- DNOCS - Departamento Nacional de Obras Contra as Secas
/ Département National des Travaux contre la Sécheresse
- FETRAECE - Federação dos Trabalhadores
Rurais Agricultores e Agricultoras Familiares do Estado do Ceará /
Fédération des travailleurs ruraux et des agriculteurs familiaux
du Ceará
- FUNCAP - Fundação Cearense de Apoio ao
Desenvolvimento Científico e Tecnológico / Fondation d'Appui
au Développement Scientifique et Technologique du Ceará
- FUNCEME - Fundação Cearense de
Meteorologia e Recursos Hídricos / Fondation Cearense de
Météorologie et Ressources Hydriques
- IFOCS - Inspetoria Federal de Obras Contra a Seca /
Direction Fédéral de Travaux contre les
Sécheresses
- IOCS - Inspetoria de Obras Contra a Seca /
Direction de Travaux contre les Sécheresses
6
- MST - Movimento Sem-Terra / Mouvement Sans-Terre
7
- PERH - Política Estadual de Recursos
Hídricos / Politique de l'État pour les ressources
hydriques
- PNRH - Política Nacional dos Recursos
Hídricos / Politique Nationale des Ressources Hydriques
- SDA - Secretaria do Desenvolvimento Agrário
/ Secrétariat du Développement Agraire - SEAGRI -
Secretaria de Agricultura Irrigada / Secrétariat de
l'agriculture irriguée - SEMA - Secretaria do Meio-Ambiente /
Secrétariat de l'Environnement
- SEMACE - Superintendência Estadual do Meio
Ambiente / Direction de l'État pour l'environnement
- SIGERH - Sistema Integrado de Gestão dos Recursos
Hídricos / Système Intégré de Gestion des
Ressources Hydriques
- SINGREH - Sistema Nacional de Gestão dos Recursos
Hídricos / Système National de Gestion des Ressources
Hydriques
- SNSH/MDR - Secretaria Nacional da Segurança
Hídrica do Ministério do Desenvolvimento Regional /
Secrétariat National de la Sécurité Hydrique du
Ministère du Développement Régional
- SOEC - Superintendência de Obras do Estado do
Ceará / Direction des travaux de l'État du Ceará
- SOHIDRA - Superintendência de Obras
Hidráulicas / Direction des travaux hydrauliques
- SRH - Secretaria de Recursos Hídricos /
Sécretariat des Ressources Hydriques
- SRHU/MMA - Secretaria de Recursos Hídricos e
Ambiente Urbano do Ministério do Meio Ambiente / Secrétariat
des Ressources Hydriques et de l'Espace Urbain du Ministère de
l'Environnement
- SUDEC - Superintendência do Desenvolvimento do
Estado do Ceará / Direction pour le développement du
Ceará
- SUDENE - Superintendência do Desenvolvimento do
Nordeste / Direction pour le Développement du Nordeste
8
- UFC - Universidade Federal do Ceará /
Université Fédérale du Ceará
9
INTRODUCTION
Les enjeux humains, sanitaires et sociaux qui dérivent
des problèmes liés à l'eau sont considérables,
particulièrement pour les pays en développement (Makkaoui et
Dubois, 2010). Cela d'autant plus si l'on considère que la situation de
pénurie au centre de la crise hydrique découle de questions de
pouvoir, pauvreté et inégalités, et non pas d'une question
de disponibilité physique tout simplement (Jimenez et al., 2020). Ainsi,
l'accès à l'eau devient un droit individuel, collectif, civil et
politique, ainsi que social, économique et culturel, nécessaire
pour la réalisation des autres droits de l'homme (Belaidi, 2010).
À propos de la gestion de cette ressource,
l'intégration des piliers sociaux, économiques et
environnementaux sous l'égide du concept de développement durable
à partir des années 1970's requiert progressivement des nouveaux
cadres de décision, faisant appel au concept de «gouvernance»
(Brodhag, 1999 dans Figuière et Rocca, 2012). Ce concept concerne les
processus de prise et de mise en place de décisions, ainsi que
l'interaction entre structures, procédures et traditions qui y sont
sous-jacentes (Graham et al., 2003 dans Jimenez et al., 2020). La nature de la
gouvernance détermine ainsi la façon dont le pouvoir et les
responsabilités sont exercés, dont les décisions sont
prises et dont les citoyens et d'autres parties prenantes sont engagés
(Graham et al., 2003 dans Jimenez et al., 2020). Il ne s'agit donc pas d'un
concept étranger aux considérations en termes de dynamiques
historiques, de pouvoir et de participation dans les modalités de mise
en place d'un développement durable. C'est dans ce cadre intellectuel et
théorique général que ce travail s'intéressera
à la gouvernance de l'eau dans le Ceará, un État
brésilien localisé dans la zone semi-aride de la région
Nordeste du Brésil.
Le Brésil est aujourd'hui marqué par des
tendances de démantèlement des politiques publiques et
d'institutions responsables pour le développement rural durable sur
plusieurs volets (Sabourin et al., 2020), ce qui pourra avoir un impact sur la
gestion et sur l'état des ressources naturelles au pays. Par ailleurs,
il reste très marqué par des contradictions sociales et des
fortes inégalités, dont les inégalités
régionales sont encore critiques. Parmi les régions
brésiliennes, c'est justement dans la région Nordeste, celle
ayant l'IDH le plus bas et l'Indice de Gini le plus élevé (IPEA,
2016; Barros, 2020), qui se trouve la zone semi-aride la plus peuplée de
la planète, comme discuté dans le deuxième Chapitre. Cette
zone semi-aride abrite la plus grande concentration de
10
population rurale au Brésil (Baptista et Campos, 2017).
Son bilan hydrique négatif soumet cette population à des crises
hydriques importantes (Lemos et al., 2020), et qui sont susceptibles de
s'aggraver suite aux phénomènes liés aux changements
climatiques (Lima e Rocha Magalhães, 2008).
Enfin, le Ceará est justement l'État
brésilien qui présente le plus grand pourcentage de
municipalités officiellement reconnues comme partie du Semi-aride: 175
des 184 municipalités de l'État (soit 95% d'elles) (Lemos et al.,
2020). Historiquement marqué par une distribution très
inégale de l'eau, le Ceará a vécu des nombreuses crises de
pénurie hydrique, lesquelles ont entraîné des collapses
dans la production économique dans l'État, de manière que
le risque hydrologique devient un risque systémique de par son
importance et son potentiel multisectoriel (Ceará 2050, 2018). Ce cadre
général justifie ainsi l'intérêt d'étudier
les mécanismes de gestion et de gouvernance de l'eau dans le
Ceará, où la distribution hydrique, les enjeux de la production
agricole et les dynamiques sociales de domination s'entremêlent de
manière étroite (Burte et al, 2013).
Ce travail s'insère dans le cadre d'un stage au CIRAD -
Centre de coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le
Développement, auprès du projet de recherche-action de nom
Sertões1. Soutenu financièrement par l'AFD
pour une durée de trois ans, et porté par le Cirad en partenariat
avec la Fondation de météorologie et ressources hydriques de
l'État du Ceará (FUNCEME), ce projet promeut des échanges
entre de nombreux acteurs, des agriculteurs aux gouverneurs, autour de l'usage
du territoire et de ses ressources. L'objectif est ainsi de co-construire de
nouveaux modes de gouvernance locale de l'eau et des zones rurales, tout en
identifiant les leviers d'une transition agroécologique (CIRAD,
2021).
Plus spécifiquement, le présent travail est
étroitement lié au Produit 3 du Projet Sertões,
lequel correspond à un rapport d'analyse des politiques publiques et des
systèmes de gouvernance dans les secteurs de l'eau et de l'agriculture
dans l'État du Ceará. En termes généraux, il vise
à construire une vision partagée sur la trajectoire des
politiques publiques et de la gouvernance, en particulier dans les secteurs de
l'eau et de l'agriculture. Cela afin d'aider les parties prenantes à
renforcer les processus sous-jacents à une gouvernance efficace des
ressources en question, qui soit inclusive et jouisse d'une large
1 Sustentabilidade e Resiliência hídrica e
Territorial nos sertões nordestinos («Durabilité et
résilience hydrique et territoriale dans les Sertões du
Nordeste»).
11
légitimité. À cette fin, l'objectif
spécifique du produit est de comprendre les instruments et les
paradigmes mobilisés dans la gestion de ces ressources, tenant compte
des particularités socio-économiques de l'État. La
méthodologie pour la production de ce rapport, dont les détails
schématiques se trouvent dans l'Annexe 1, repose fortement sur une revue
bibliographique, mais aussi sur des entretiens semi-directives avec des
acteurs-clés des deux secteurs de l'État du Ceará et sur
des espaces de discussion et de partage avec les différents acteurs.
Dans le processus d'adaptation de ce qui sera
développé dans le cadre du Produit 3 du Projet Sertões
vers le présent Mémoire de Master 2 en Économie du
Développement, le focus sera mis sur le secteur de l'eau, afin de
permettre un approfondissement théorique autour de la gestion et de la
gouvernance de cette ressource. Cela est d'autant plus pertinent que si on
considère que les ressources en eau se trouvent en amont des
systèmes agricoles. En tout cas, l'analyse des mécanismes de
gouvernance de l'eau permettront un regard, de manière subsidiaire,
à ses relations avec le secteur agricole.
Plus spécifiquement, on se concentrera ici à
tester si les mécanismes de la gouvernance de l'eau dans le Ceará
favorisent la participation et la démocratisation des processus de
décision autour de cette ressource. Cela car on le considère un
potentiel élément de promotion d'un accès plus
démocratique à l'eau, et ainsi d'une possible recomposition des
relations sociales et économiques, notamment dans les zones rurales de
l'État. L'hypothèse c'est que la gouvernance actuelle combine des
éléments de démocratisation de la participation, avec des
éléments historiques qui y sont opposés - une forte
sectorisation des discussions, un contrôle encore très
centralisé de la part de l'État et une
prépondérance des intérêts des acteurs plus
puissants économiquement. Ainsi, on se propose de construire un
diagnostic de la gouvernance de l'eau dans l'État du Ceará,
soulignant ses acquis et ses faiblesses en termes de participation. L'objectif
plus large est celui d'apporter des réflexions sur la gouvernance de
l'eau sur un territoire marqué par des conditions climatiques adverses
et par une structure sociétale marquée par des fortes
inégalités.
Pour ce faire, on partira, dans un premier chapitre (I), d'une
revue de littérature sur la gouvernance de l'eau, et les attributs
pertinents pour promouvoir un accès plus démocratique à
cette ressource. Ensuite, le deuxième chapitre (II) fera un état
des lieux du contexte économique et social plus large qui englobent - et
dans une certaine mesure
12
influencent - l'objet de cette étude. On analysera
ainsi les indicateurs de développement du Brésil, du Nordeste et
du Ceará, ainsi que l'évolution des paradigmes de l'action
publique dans le Nordeste Semi-aride en général. Finalement, au
troisième chapitre (III), on procédera à un diagnostic de
la gouvernance de l'eau dans le Ceará, à partir de l'analyse de
la structure organisationnelle de gestion de cette ressource mise en place dans
l'État, ainsi que d'une grille d'analyse issue de la littérature
de base présentée au premier chapitre.
13
CHAPITRE I - Quels attributs de la gouvernance vers un
accès à l'eau plus démocratique? Base théorique et
méthodologique du présent travail
On entame le présent travail à partir d'une
revue de littérature portant sur la gouvernance des ressources
naturelles, et plus spécifiquement de l'eau. Cela afin de repérer
des contributions utiles pour la construction d'une grille d'analyse
cohérente pour étudier la gouvernance de l'eau dans l'État
du Ceará, thème central de ce travail. Suite à la revue de
littérature, on procédera, dans ce chapitre, à une
présentation plus détaillée de la construction
méthodologique de cette étude. Ce Premier Chapitre consistera
ainsi en un exercice intellectuel de construction des bases théorique et
méthodologique qui encadreront la présente analyse.
1.1. Revue de littérature sur la gouvernance de
l'eau
La problématique de l'usage excessif, de la
dégradation et de la durabilité des ressources naturelles a
gagné de l'espace dans la littérature avec la publication, en
1968, de l'article de Hardin sur la «Tragédie des Communs»
(The tragedy of the Commons) (Pereira Cysne, 2012, p. 35). Il soutient
que l'intérêt individuel des usagers les amènerait à
une surexploitation des ressources communes, ayant comme conséquence la
dégradation environnementale. Face à cela, les propositions de
Hardin envisageaient la privatisation ou la centralisation de la gestion par
l'État. Son travail a introduit la question environnementale dans les
discussions sur la gestion des ressources naturelles (Pereira Cysne, 2012),
d'où son importance. Ensuite, dans les années 1970's on assiste
à l'intégration des piliers sociaux, économiques et
environnementaux sous l'égide du nouveau concept de développement
durable, faisant appel à des nouveaux cadres de décision dans la
gestion des ressources, lesquels on rassemble sous le concept de
«gouvernance», thème central du présent travail
(Brodhag, 1999 dans Figuière et Rocca, 2012).
14
La gouvernance est d'abord un terme qui qualifie les processus
de prise et de mise en place de décisions (Graham et al., 2003 dans
Jimenez et al., 2020). Il est donc un concept polysémique dont l'usage
récent renvoie à l'idée de dépassement du
rôle de l'État comme résultat de l'intensification de la
mondialisation: les théories standards de la fin du XXème
siècle préconisaient le retrait de l'État, au profit de
l'exercice accru du pouvoir par des nouveaux acteurs (Figuière et Rocca,
2012). En tout cas, au-delà des théories standards, la
gouvernance présuppose, de manière générale, une
pluralité hétérogène d'acteurs. Pour Graham et al.,
2003 (dans Jimenez et al., 2020), la gouvernance concerne la nature de
l'interaction entre structures, procédures et traditions qui
déterminent la façon dont le pouvoir et les
responsabilités sont exercées, dont les décisions sont
prises et dont les citoyens et d'autres parties prenantes sont engagés
dans la gestion d'une ressource. Ainsi, ce concept englobe les situations
rassemblant une multiplicité de parties prenantes, et qualifie les
configurations de leurs relations (Scheng, 2008), tout en tenant compte de
l'existence de fonctions, d'attributs et de valeurs, individuels ou collectifs,
en jeu (Jimenez et al., 2020). Cette conceptualisation initiale conduit
à des discussions théoriques qui sélectionnent les
critères les plus pertinents pour une gouvernance adaptée au
milieu dans lequel elle est mise en place.
Selon Scheng (n.d.), une analyse de la gouvernance doit tout
d'abord focaliser les acteurs formel ou informellement engagés dans la
prise et mise en place des décisions, ainsi que les structures formelles
et informelles existantes. Figuière et Rocca (2012), à leur tour,
mettent l'accent sur les types d'acteurs qui y sont engagés; les
problèmes auxquels elle vise à répondre; le niveau
pertinent pour sa mise en place; et sa capacité de garantir
l'intérêt général2 - celui-ci compris en
un sens d'émancipation des intérêts particuliers. Aussi,
selon Baron (2003 dans Figuière et Rocca, 2012 p. 9), le concept de
gouvernance doit intégrer la notion de pouvoir afin d'apporter une
véritable valeur ajoutée à l'analyse.
Dans un contexte d'intensification du processus de
mondialisation à la fin du XXème siècle, l'analyse des
caractéristiques et attributs de la gouvernance ont
évolué
2 L'assimilation de l'État en tant qu'un
acteur parmi d'autres, apporte une potentielle complexification dans le
processus de définition de l'intérêt général,
auparavant monopolisé par cet acteur (Denis, 2008 dans Figuière
et Rocca, 2012 p. 17). Cela s'articule avec le constat de Chevalier (1985 dans
Figuière et Rocca, 2012, pp. 17-18) selon lequel une telle gouvernance
s'articule avec une légitimité issue de la base (ce qu'on
pourrait appeller «bottom-up»), imposant donc la participation
effective au travers de l'adhésion et du rôle actif des toutes
parties engagées.
15
d'approches stato-centriques et hiérarchiques vers un
paradigme de «bonne gouvernance», lequel a été, pour la
première fois, défini par le rapport «Governance and
Development» de la Banque Mondiale (1992 apud Jimenez et al., 2020).
Il soutenait la retraite de l'État à partir de la privatisation
et des réformes du service civil comme moyen de promouvoir l'efficience
dans les services publics et la compétition (Williams et Young, 1994
dans Ekundayo, 2017). Pour la Banque Mondiale, les indicateurs de bonne
gouvernance rassemblent: «voice» et
«accountability»; stabilité politique; absence de
violence; effectivité du gouvernement; qualité
régulatoire; état de droit; contrôle et niveau de
corruption (Scheng, 2008).
Il faut considérer que les pays en
développement, intégrés de manière
périphérique au capitalisme mondial, ont souvent
été sous une forte influence des agents internationaux tels que
la Banque Mondiale (Makkaoui et Dubois, 2010). Ainsi, ces derniers ont
directement influencé l'adoption des modèles de gouvernance des
ressources hydriques, préconisant, souvent, de partenariats
publics-privés (Flores, 2006; Martins 2013 dans Mendonça Morais,
2018). Cependant, Estache et al. (2003) montrent que ceux-ci, appliqués
dans le secteur de l'eau, ont bien produit des gains d'efficacité pour
les gouvernements et les opérateurs, mais n'ont jamais
bénéficié aux usagers. Ils ont ainsi été
à l'origine de fortes critiques sur le degré de
compatibilité de la logique de l'action publique (orientée vers
le développement des sociétés) avec celle des
interventions privées (orientée vers la maximisation des profits)
(Makkaoui et Dubois, 2010).
Aussi, cette approche de bonne gouvernance semble ignorer le
fait que les différents acteurs n'ont souvent pas la même
capacité à participer (Figuière et Rocca, 2012, p. 18), de
manière que parler de participation tout simplement ne suffit pas. Les
inégalités en termes de pouvoir et de ressources sont souvent
massives à l'intérieur même des communautés des
usagers de l'eau, pouvant créer des entraves à un résultat
véritablement consensuel et pacifique, pouvant demander un arbitrage de
la part du pouvoir public (Barone et Mayaux, 2019). Bref, les échecs du
paradigme de gouvernance préconisé par la Banque Mondial à
la fin du XXème siècle ont montré le besoin d'une
démarche participative qui focalise une véritable association de
la part de la société civile dans le cadre de la
redéfinition des relations entre l'État et le secteur
privé (Makkaoui et Dubois, 2010).
À ce propos, on peut considérer les idées
d' Elinor Ostrom (1990) comme une troisième voie entre les idées
de Hardin et le paradigme mis en avant par la Banque
16
Mondiale, c'est-à-dire, un chemin entre une
régulation par l'État et une régulation par le
marché (Barone et Mayaux, 2019). Cette auteure soutenait la
capacité des individus de coopérer en faveur d'un objectif
commun, afin de surmonter le dilemme des communs, tout en dépassant une
intervention coercitive de la part de l'État (Ostrom, 1990). Plus
récemment, dans un effort scientifique de rassembler les principales
théories sur la gouvernance des ressources naturelles répondant
à un paradigme qui reconnaît, entre autres, l'importance de
l'action collective, Cox et al (2016) ont identifié les critères
analytiques les plus reconnus par cette littérature. Même si ces
critères sont très divers au sein des différentes
théories, certains ont été identifiés comme
très présentes dans les différents domaines d'étude
qui s'intéressent à la gouvernance des ressources naturelles,
telles que: la Tendance de Condition des Communs (Common Condition
Trend); l'action collective; l'observance3; le niveau de
correspondance et ajustement socio-écologique (Social-Ecological
Fit) entre institutions et systèmes; la résilience des
écosystèmes; les instruments des politiques adoptées; et
le degré de centralisation, cette dernière ayant la plus grande
variabilité dans ses résultats d'impact sur la gouvernance (Cox
et al, 2016).
En ce qui concerne particulièrement cette
dernière, Scheng (2008) explique qu'une décentralisation, en soi,
n'améliore pas forcément la gouvernance, mais elle peut
améliorer le partenariat entre gouvernement et société
civile, ce qui pourrait, à son tour, impacter positivement la
gouvernance. Par ailleurs, la décentralisation a tendance à
favoriser l'adaptation des politiques aux réalités locales (OCDE,
2015). Selon l'OCDE (2015), il existe actuellement une plus grande
reconnaissance que, lors d'une tendance de décentralisation, un
processus de décision ascendante («bottom-up») et
inclusif est fondamental pour le développement de politiques efficaces
dans le secteur de l'eau, même si un tel processus génère
très souvent des défis en termes de formation et de coordination
dans la prestation des services publics. Déjà Ostrom (1990) avait
démontré, dans le cas des nappes d'eaux souterraines et des
réservoirs pour l'eau d'irrigation, que l'élaboration
d'arrangements de délibération et de négociation
directement par les acteurs concernés pourrait conduire à des
meilleurs résultats de gestion (Barone et Mayaux, 2019).
Encore à ce sujet, Makkaoui et Dubois (2010)
argumentent que le principe central de la participation est dual: d'une part,
la participation dans les décisions favorise leur
3 Il faut noter que l'observance, au contraire de
la variable «action collective», présuppose que les acteurs
sont de simples récepteurs des politiques environnementales, alors que
l'action collective les conçoit en tant que coproducteurs de ces
politiques.
17
appropriation et leur acceptation par les différents
acteurs, ce qui favorise la réalisation effective des objectifs
fixés; d'autre part, elle entraîne une amélioration de la
qualité de la base informationnelle, et ainsi des modalités de
compréhension du problème. L'idée centrale c'est que les
démarches participatives valorisent l'échange d'informations, la
négociation, le compromis et les engagements volontaires (Makkaoui et
Dubois, 2010). Tout cela produirait du capital social, lequel limiterait les
risques de comportements opportunistes dans la gestion durable des ressources
(Wade, 1988 ; Ostrom, 1990 ; Baland et Platteau, 1996 dans Makkaoui et Dubois,
2010). Par ailleurs, de telles démarches produisent des réseaux,
valeurs et convictions communes facilitant la coopération et limitant
les coûts de transaction (Makkaoui et Dubois, 2010).
Cependant, ces mêmes auteurs rappellent également
les risques de détournement des approches participatives, en cas
d'inadaptation au contexte appliqué (Van den Hove, 2001 dans Makkaoui et
Dubois, 2010). Ainsi, la mise en place de procédures participatives, en
soi, ne garantit pas forcément la réalisation des objectifs
attendus et ne mène pas forcément aux meilleures solutions
(Makkaoui et Dubois, 2010). Aussi, elles peuvent complexifier le processus
décisionnel. À ce propos, Gutiérrez (2006 dans
Mendonça Morais, 2018) soutient que, pour obtenir une décision
véritablement participative et démocratique, il est
nécessaire de garantir une base technique solide - comprenant la
connaissance des facteurs techniques, mais aussi la prise en compte de la
capacité technique des participants et de leurs niveaux d'engagement.
En ce qui concerne la gouvernance de l'eau,
spécifiquement, il est important de noter que les situations de
pénurie hydrique découlent de questions de pouvoir,
pauvreté et inégalités, et non pas seulement d'une
question de disponibilité physique (Jimenez et al., 2020). Selon
Ménard et al. (2018 apud Jimenez et al., 2020), les interactions entre
les parties prenantes pour l'accès à l'eau peuvent
résulter en accaparement de ces ressources par les élites
(«elite capture»), en opportunisme de tiers et en
corruption. C'est à partir de cette conception fondamentale qu'on
regarde les processus de participation dans la gouvernance des ressources
hydriques.
Jimenez et al (2020) considèrent que les principales
fonctions d'une gouvernance de ressources en eau sont (I) de construction
politique et stratégique; (II) de coordination (multi niveau, multi
secteurs et multi parties); (III) de planification et préparation; (IV)
de financement; (V) de structuration des arrangements de gestion
(management arrangements); (VI) de suivi, évaluation et
apprentissage; (VII) de régulation; et (VIII)
18
de développement de capacités. Elle viserait,
ainsi, à la production de 4 ordres de résultats: (I)
création de conditions pour une initiative de gouvernance (accorder des
objectifs, le niveau d'engagement, etc); (II) production d'un changement de
comportement des usagers et des institutions-clé (y inclus de la forme
dans laquelle ceux-ci interagissent); (III) production de changements
désirés dans les conditions sociétales et
environnementales; et, enfin (IV), production d'un système
socio-écologique dans lequel les conditions désirées sont
promues (de manière durable et soutenable) (Jimenez et al., 2020).
Ainsi, pour atteindre ces fonctions spécifiques, la gouvernance de l'eau
doit comprendre les attributs suivants: une approche multiniveaux,
participation, délibération, inclusion, accountability,
transparence, un processus de décision basé sur
l'évidence, efficience, impartialité et état de droit,
capacité adaptative (Jimenez et al., 2020).
Pour l'OCDE (2015), la gouvernance est bonne si elle permets
de résoudre les principaux défis de l'eau combinant des processus
de coordination ascendants («bottom-up») et descendants
(«top-down») et promouvant des relations constructives entre
l'État et la société, dans le but de répondre aux
réelles nécessités de chaque territoire. Pour cela, elle
doit éviter des coûts de transaction injustifiés (OCDE,
2015). Dans ce cas, la gouvernance doit obéir à trois dimensions:
(I) efficacité, (II) efficience et (III) confiance et compromis. Le
Programme Mondial pour l'Évaluation des Ressources en Eau des Nations
Unies (2020), à son tour, préconise une participation
adéquate du public, afin de renforcer les capacités d'adaptation
à plusieurs niveaux, d'éviter les pièges institutionnels
et de focaliser la réduction des risques pour les groupes socialement
vulnérables, passant par une gestion intégrée des
ressources en eau (GIRE).
Suite à la présentation des discussions
théoriques autour du concept de gouvernance et ses attributs, notamment
ceux liés à une idée de participation, on réalisera
ensuite une sélection des critères décrits ci-dessus pour
la construction d'une grille d'analyse spécifique pour le présent
travail, laquelle composera sa base méthodologique.
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