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La crise de la première période intermédiaire en Egypte pharaonique


par Mamadou Lamine Sané
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Maîtrise 2007
  

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Chapitre II : Renouveau culturel

A- L'Art

L'art et la littérature sous toutes leurs formes avaient été pour les Egyptiens, un moyen d'expression du rapport au monde, au divin mais aussi à la pensée.487 De ce fait, ils constituent deux formes d'expression importante dans l'analyse de l'évolution de la civilisation égyptienne.

Ainsi, en ce qui concerne l'art, il a traversé pendant la longue période de l'histoire égyptienne, des alternances de vitalité et de décrépitude. Ceci est lié au fait qu'au-delà des circonstances ou des sentiments artistiques, cet art avait été étroitement dépendant de la personne de pharaon et de l'institution qu'il incarnait.488 Il constitue à cet effet, une mesure et une expression immédiate de la situation politique et sociale à des moments déterminés de son histoire.

En effet, si l'A.E. est resté dans l'histoire comme une brillante époque de la civilisation égyptienne, c'est en partie grâce à cette gigantesque architecture de ses pyramides qui constitue en même temps une manifestation de la grandeur de la royauté memphite.

Ensuite, en faisant la description de la crise de la P.P.I., nous avons tenté de montrer cette liaison étroite entre la production et la qualité des oeuvres d'art et la situation politique. Ceci nous avait permis de voir que la faible production des oeuvres d'art et leur qualité médiocre, étaient liées à l'effondrement du pouvoir memphite. En d'autres termes, la P.P.I., s'était caractérisée au plan culturel, par une régression de la production des oeuvres d'art et de leur qualité.

Lorsque la monarchie se reconstitua au M.E., on devait assister à une magnifique renaissance artistique.489 Mais cette renaissance artistique devait en même temps refléter les changements politiques et sociaux intervenus à la faveur de la crise de la P.P.I.

Comme sous l'A.E., ce sont les monuments religieux et les édifices funéraires royaux qui se sont les mieux perpétués et qui attestent du retour des activités artistiques.490 Ainsi,

487 Somet Y., op.cit., 2005 p. 117

488 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.19

489 Pirenne J., op.cit., 1962, p.93

490 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.161

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au cours de la XI e dynastie, les pharaons avaient entrepris des activités de construction de temples à Eléphantine, à Gebelein, à Tod, à Ermant, à Deir el-Bahari, à Deir el- Ballas, à Dendérah, à Abydos etc.491 Mais de ces temples, il ne reste malheureusement que peu de chose.492 C'est au niveau de l'architecture funéraire royale, qu'il existe des signes les plus visibles de la renaissance artistique à partir de la XIe dynastie. En effet, l'une des oeuvres architecturales les plus remarquables du M.E. a été le temple funéraire construit par les souverains Montouhotep II et III, à Deir el- Bahari. Le pharaon Montouhotep II, après avoir réunifié l'Egypte, choisit pour sa tombe, un des plus beaux sites de la nécropole thébaine, il s'agit du cirque de Deir el- Bahari, dominé par la montagne thébaine.493 Ce monument occupe à Thèbes, une place analogue à celle de la pyramide de Djeser à Sakkarah.494 Le site, qui est admirablement choisi, offre un cadre à la fois naturel et imposant à l'édifice qui se différencie de ceux des rois Antef qui ne se contentaient que de tombes rupestres artificielles.495 L'architecte avait su respecter les indications qui lui étaient fournies par la configuration du terrain et, c'est dans cette harmonie de l'oeuvre avec la nature que réside en grande partie le charme de ce temple496 (Cf., Figure I). De par son plan, ce monument funéraire des Montouhotep est une sorte de synthèse du complexe funéraire entre la pyramide de l'A.E. et la tombe rupestre de la P.P.I., à laquelle le cadre et les détails architecturaux confèrent un aspect grandiose, digne du renouveau artistique du M.E.497 Cet édifice, unique en son genre, est certes une preuve que la lignée royale prétendait recueillir l'héritage des roi-dieux du temps des pyramides. Mais le caractère monumental abstrait de l'A.E. se transforme ici pour devenir l'ordre équilibré et l'articulation d'une architecture aux proportions modérées, dignes d'un souverain qui demeure conscient de sa nature humaine.498

En ce qui concerne l'architecture funéraire civile, elle est moins développée, du fait de la rareté des tombes civiles, preuve de la concentration de l'autorité entre les mains des souverains de la XIe dynastie.

L'activité architecturale devait connaître une nette évolution sous les souverains de la XIIe dynastie, qui furent de grands bâtisseurs. Toutefois, à l'image de la XIe dynastie, il subsiste très peu d'édifices appartenant à la XIIe dynastie. Ainsi, en ce qui concerne

491 Grimal N., op.cit., 1988, p.195

492 Pirenne J., op.cit, 1962, p.93

493 Vandier J., op.cit., 1954, p.158

494 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p .161

495 Ibidem

496 Drioton E Vandier J., op.cit., p.248

497 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.161-162

498 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.162

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Figure I

Le temple funéraire des Montouhotep (XIe dynastie) juxtaposé à celui d'Hatchepsout (XVIIIe dynastie) à Deir el-Bahari

Source : Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1956, p.163

Cet édifice funéraire, des Montouhotep est l'un des signes les plus visibles du renouveau artistique qui a accompagné l'avènement du M.E.

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les temples, ils ont du se répartir autour de Thèbes et du Fayoum.499 Par exemple, à Médamoud et à Tod, on a pu reconstituer le plan d'un temple que bâtirent respectivement Sésostris Ier et Sésostris III.500 A Karnak, divers indices ont permis de déterminer l'emplacement occupé par le temple de la XIIe dynastie. Le plan de celui-ci comprend trois salles en succession d'ouest en est, avec un naos sur socle d'albâtre dans la dernière.501 Toujours à Karnak, on a trouvé (incorporés à un pylône datant d'Aménophis III), les éléments d'une chapelle jubilaire de Sésostris Ier, qui a pu être reconstituée.502 C'est un petit temple périptère, élevé sur une plate-forme et on y accède, sur les deux côtés les moins larges, par un escalier dont chacun ménage en son milieu un plan incliné.503 C'est un monument construit en calcaire, d'une grâce simple, sans ornements superflus, sans colonnes. Les murs du rectangle qu'il forme, percés de grandes baies rectilignes, sont couverts d'hiéroglyphe du plus beau style.504 Le pharaon y est figuré avec un art d'une finesse, d'une précision dans le détail et d'un modelé qui en font une des meilleurs oeuvres connues de la XIIe dynastie505.

Quant à l'architecture funéraire royale, elle se retrouve à travers les tombes des souverains de la XIIe dynastie, disséminées en des emplacements variés entre Memphis et le Fayoum.506 Il semble à ce niveau, que c'est la proximité avec les anciennes nécropoles memphites ainsi que la surface plane du désert occidental du Nord ou de l'oasis du Fayoum qui expliquent le retour aux formes et aux éléments traditionnels de la pyramide complétée comme à l'A.E. d'un temple funéraire.507 Et, en ce qui concerne les temples funéraires, l'édifice le plus connu pour la XIIe dynastie a été celui d'Amenemhat III à Hawara dont le souvenir a été conservé par les Grecs. Ce vaste complexe de bâtiment comportait outre la résidence royale, les bureaux du gouvernement central et peut-être aussi la sépulture de pharaon.508 En faisant référence à ce complexe funéraire d'Amenemhat III, Hérodote disait : « Je l'ai vu, il est vraiment au-dessus de ce que l'on peut dire. Qu'on face la somme des

499 Id., Ibid, p.169

500 Ibidem

501 Ibidem

502 Woldering I., op.cit., 1963, p.86

503 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.169

504 Pirenne J., op.cit., 1962, p.95

505 Ibidem

506 Ainsi, Amenemhat Ier et Sésostris Ier se sont fait enterrés à Licht, Amenemhat II et Sésostris III ont leur tombeaux à Dahchour, Sésostris II enterré à Illahoun tandis que Amenemhat III se trouve à Hawra ( Cf., Grimal N., op.cit., 1988, p.127-128). Selon certains historiens, cette pratique qui consiste à changer d'emplacement des résidences royales, sous la XIIe dynastie, était une façon de se prémunir contre les risques de conspiration qui minaient le pouvoir monarchique.

507 Diakhaby M., La XIIe dynastie : essai de synthèse, mémoire de maîtrise, F.L.S.H., U.C.A.D., 19891990, p. 59

508 Pirenne J., op.cit., 1962, p.96

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constructions des ouvrages d'art que les Grecs ont produits ; ils apparaîtront inférieurs à ce labyrinthe et du coté du travail et du coté de la dépense...Déjà les pyramides étaient au-dessus de ce que l'on peut dire...mais le labyrinthe dépasse encore les pyramides. » 509 Ce témoignage d'Hérodote sur le temple funéraire d'Amenemhat III, est une illustration du renouveau artistique au M.E. Toutefois, dans leur ensemble, les pyramides des souverains de la XIIe dynastie ne peuvent pas rivaliser avec celles de leurs prédécesseurs memphites. Ces pyramides se distinguent de leurs modèles de l'A.E. sur la question des matériaux et de la structure (rôle de la brique et du compartimentage), des pentes plus fortes, des dimensions moindres et des remaniements de plans (faux niveau pour tromper les voleurs, multiplication des couloirs et des puits).510 Selon Cl. Lalouette, l'édification des pyramides en briques avec de modestes dimensions s'explique du fait que la crise économique et sociale qu'avait subie le royaume ne permettait pas alors de grands travaux d'art, en matériaux durs.511 Il semble toutefois, que l'aspect économique n'est pas la seule explication à cette situation. On peut trouver d'autres explications dans la crise de la P.P.I. En effet, le caractère surhumain des pharaons de l'A.E., qui se reflète dans leurs gigantesques sépultures, est un trait auquel l'évolution politique avait mis un terme. Et, durant toute la période de crise, nous avons vu que les tombeaux des souverains de l'époque étaient de piètres édifices dont la plupart d'ailleurs n'ont pas pu se conserver. Lorsque la monarchie fut de retour, le souci de l'au-delà allait certes bénéficier d'une attention particulière comme auparavant, mais sa place privilégiée devait reculer derrière les nécessités politiques.512 Avec le M.E., l'Etat des pharaons ne se concrétisait plus et ne s'affirmait plus par des tombes monumentales, dont la construction durait des années, mais se manifestait dans un rapport équilibré entre la religion et la politique, le monde actuel et l'au-delà.513 Certes, les sépultures royales de la XIIe dynastie vont être construites sur le modèle de la pyramide traditionnelle mais ceci s'explique, comme nous l'avons vu, par un souci d'adaptation à la surface plane du milieu où elles ont été édifiées. Mais à travers le procédé de construction qui a été adopté, peu onéreux en comparaison des pyramides en pierre de l'A.E., les pharaons de la XIIe dynastie avaient probablement voulu exprimer que leurs sépultures étaient moins celles des rois-dieux que de souverains conscients de leur caractère humain.

509 Hérodote, II, 48

510 Bohême M.A., op.cit., 1992, p.55-56

511 Lalouette Cl., op.cit., 1981, p.44

512 Wildung D., op.cit., 1984, p.73

513 Ibidem

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Un autre fait qui trouve ses explications dans la crise, était les bouleversements subis par les croyances religieuses. En effet, les contemporains de cette période de crise avaient été témoins des actes de violations de la pyramide royale. 514 Il était apparu aux yeux de ces Egyptiens que les pratiques funéraires fondées sur le tombeau et le rituel funéraire, n'étaient pas les seuls moyens indispensables pour assurer la survie de l'homme à l'au-delà. Chez les penseurs de la P.P.I, on trouve des méditations sur la vanité des grandioses monuments funéraires du passé. C'est ainsi que dans le Dialogue entre l'homme et son ba, l'auteur disait que « ceux qui bâtissaient en granit et élevaient des pyramides (c'est-à-dire les pharaons) ont leurs tables d'offrandes aussi vides que les morts les plus misérables ».515 Ceci pour dire que malgré les moyens matériels mis en oeuvre, les pharaons n'avaient pas réussi à perpétuer leur culte et à s'assurer l'immortalité. Pour les souverains du M.E., héritiers de ces idées sceptiques vis-à-vis du rôle de la pyramide, l'édification de celle-ci ne devait plus constituer une préoccupation majeure comme ce fut le cas à l'A.E.

La renaissance de l'architecture qui s'était ainsi manifestée dés le début du M.E., allait s'accompagner d'un renouveau véritable au niveau de la sculpture. En effet, la stabilité et l'éclat du pouvoir royal retrouvés, ne pouvaient que favoriser le développement de la statuaire. Pour la nouvelle royauté, il fallait faire figure de monarchie puissante et conférer à son image, le prestige de l'ancien royaume divin.516 Mais comme nous l'avons vu pour l'architecture, la statuaire est le reflet d'une certaine situation politique et sociale. Et pour E. Drioton et P. Du Bourguet, c'est plus dans la statuaire que dans n'importe quel art, que se manifeste le changement psychologique opéré depuis la fin de l'A.E. dans la conception du pharaon.517 Sous l'A.E., les statues royales traduisaient la conception que les Egyptiens de l'époque se faisaient de la nature de leur souverain dont la sérénité du visage et la majesté de l'attitude, sont plus celles d'un dieu que d'un homme.518 Par exemple la statue polychrome de Djeser ou bien celle du sphinx de Gizeh représentant le visage de Khephren avec un corps de lion, sont un reflet de la nature surhumaine de ces souverains. Mais au M.E., le pharaon, s'il restait théoriquement le fils des dieux, ce n'est plus l'empreinte divine qui le marque.519 Ainsi, au niveau de la statuaire, ses traits allaient apparaître comme ceux d'un homme divinisé plutôt que d'un dieu humanisé, d'un chef que d'un dieu.520 En effet, l'artiste du M.E.

514 Sur cette question, Cf., supra, Première partie, chap.I, B. Les lamentations d'Ipou-Our.

515 Posener G., op.cit., 1956, p.10

516 Woldering D., op.cit., 1963, p.100

517 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.62-63

518 Drioton E Vandier J, op.cit., 1984, p.194

519 E Drioton Du Bourguet P., op.cit., 1965, p. 177-178 520Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.178

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FigureII

Montouhotep II (M.E)

Source : Drioton E. Du Bourguet P. op.cit., 1965, p.112

Dans cette image du pharaon Montouhotep II, on voit que les traits du corps connaissent une certaine amplification qui traduit le désir de l'artiste à mettre en exergue la force humaine du souverain

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va chercher à caractériser l'homme qui règne et non un pharaon impersonnel.521 Pour la XIe dynastie, deux statues royales, pratiquement les seules à être conservées en bon état, figurent le pharaon Montouhotep II. Ces portraits royaux du souverain Montouhotep II sont, grâce à leur force d'expression, des sources historiques de premier ordre. Ils disent plus sur le caractère et les ambitions de ces souverains que leurs titulatures et les inscriptions des temples.522 Les Montouhotep, comme nous l'avons vu auparavant, avaient réussi à réunifier l'Egypte, après une longue période de division. Et cette réunification, avait été le résultat d'une longue lutte, amorcée sous leurs prédécesseurs à savoir les Antef. Ceci pour montrer que la force et la puissance de ces Montouhotep ont été déterminantes dans la restauration de la monarchie. C'est cette image de force que le sculpteur va tenter de montrer dans la représentation de ses souverains. Dans les grandes statues royales de Montouhotep II, le sculpteur, semble-t-il, a voulu exprimer en volume presque géométrique, la puissance du souverain avec un visage épais, corps massif, torse droit, jambes épaisses, pieds larges et solides ; une vigueur presque brutale se dégage de cette image 523(Cf., Figure II). Un autre élément qui frappe dans cette représentation de Montouhotep, c'est la disproportion entre les jambes et le corps du souverain. Pour E. Drioton et P. Du Bourguet, il ne peut s'agir là d'un défaut de métier mais probablement, Montouhotep était atteint d'un oedème des jambes et, dans un souci de réalisme, le sculpteur a reproduit tel quel son modèle.524 Le fait de représenter un pharaon jusqu'à faire ressortir ses défauts physiques dus à une maladie, montre que c'est le caractère humain de ce dernier qui est plutôt mis en avant dans la statuaire.

En ce qui concerne les statues royales de la XIIe dynastie, elles se caractérisent d'abord par le fait qu'elles proviennent de diverses écoles de sculpture réparties entre Memphis, Thèbes au Sud et Tanis dans le Delta. C'est cette diversification des écoles de sculptures qui va expliquer les différences qui seront notées à travers les statues des souverains de la XIIe dynastie.525 Ainsi, les oeuvres produites dans les ateliers du Nord vont avoir tendance à conserver les traditions des sculpteurs de l'A.E., avec un style plus idéalisé

521 Moret A., op.cit., 1941, p.455

522 Wildung D., op.cit., 1984, p.194

523 Lalouette Cl., op.cit., 1986, p.66

524 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.166

525 La diversification des écoles de sculpture constitue en elle, une conséquence de la crise de la P.P.I. En effet, comme nous l'avons vu auparavant, durant l'A.E., c'est à Memphis où se trouvaient concentrés les ateliers de sculpture. Cela du fait que toute la production artistique dépendait exclusivement de l'Etat.

Figure III

A) Statue du pharaon Dieser (A.E.) B) Statue du pharaon Chéphren protégé

par Horus ( A.E.)

Sources : A) Drioton E ;Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.112; B) Malek J., « The Old Kingdom », in, Shaw I., op.cit., 2000, p.106

La sérénité et le calme qui apparaissent à travers ces portraits des souverains de l'A.E. sont un reflet du caractère supra humain de ces derniers qui apparaissaient comme des dieux aux yeux de leurs sujets.

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Mais lorsque la monarchie disparaît sous la P.P.I., les particuliers, notamment les chefs de provinces avaient commencé à disposer de leurs propres ateliers d'art, dans leurs provinces. Ce qui explique d'ailleurs que lorsque la monarchie se reconstitua à Thèbes, les écoles d'arts locales étaient déjà prêtes à l'accompagner. Et, l'unité qui caractérisait les oeuvres d'art de l'A.E. va céder la place à une certaine diversité dans le style.

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A) Sésostris III jeune (détail)

 

B) Sésostris III dans la force de l'âge (détail)

Figure IV

C) Sésostris III âgé (fragment)

Source : Drioton E. Du Bourguet P., op. cit., 1956, p. 186-187

Le pharaon Sésostris III (M.E.) est représenté ici suivant les différents stades de l'évolution humaine (jeune, adulte et âgé). C'est là, un signe qui montre qu'aux yeux des Égyptiens du M.E., le pharaon est avant tout un homme. Comparés aux images de la figure précédente (celles des souverains memphites), on voit que ces visages de Sésostris III montrent qu'il y a eu une évolution dans la conception que les Égyptiens se faisaient du pharaon entre l'A.E. et le M.E.

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et conventionnel.526 C'est de là que proviendraient les dix statues analogues de Sésostris Ier qui ont été retrouvées dans sa pyramide à Lischt, présentant un visage jeune, serein et une expression presque souriante du souverain.527

Dans les ateliers du Sud par contre, on va retrouver des oeuvres qui se distinguent par un rude réalisme et par un souci de ressemblance qui semble n'avoir jamais été poussé à ce point.528 On note une volonté manifeste de placer le pharaon sur le même plan que l'humanité.529 Cette tendance se manifeste surtout dans les statuaires en ronde bosse de Sésostris III, en provenance de Médamoud, où il est représenté à plusieurs ages de la vie, allant de la jeunesse aux joues rondes et douces, en passant par la maturité aux arrêts presque agressives, jusqu'à la vieillesse aux rides amères.530 A travers ces représentations de Sésostris III, chaque trait isolé du visage dénote la tension intérieure et extérieure, qui se conjuguent pour composer le portrait visible et sensible d'un souverain conscient du caractère problématique et éphémère de ce monde.531 Ce qui fait la beauté de ses statues, c'est leur caractère de vérité et de passion qui montre en même temps qu'elles étaient conçues à une période où la société était en pleine mutation. Et, c'est parce qu'elles ont su rendre compte de cette impression, qu'elles peuvent être comparées aux oeuvres les plus belles de l'A.E.532 En effet, l'image de la maturité épanouie des têtes de souverains aux temps des pyramides, que créa la foi en l'existence éternelle du roi-dieu, avait abouti au M.E., à ce visage buriné par le doute et chargé de responsabilité spirituelle.533 Ainsi, si l'on compare ces statues à celles des souverains memphites, on voit qu'autant ces derniers apparaissent calmes, sereins et possèdent la certitude et la noblesse d'un dieu, autant la physionomie de Sésostris III est humaine et dominé par le souci des luttes 534 (Cf., Figures III et IV).

On peut donc dire que la statuaire du M.E. a été un reflet des modifications politiques intervenues depuis la fin de l'A.E.

526 Lalouette Cl., op.cit., 1986, p.62

527 Id., op.cit., 1981, p.71

528 Drioton E Vandier J., op.cit., 1984, p.261-262

529 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.183

530 Ibidem

531 Woldering I., op.cit., 1963, p.104

532 Pirenne J., op.cit., 1962, p.98

533 Woldering I., op.cit., 1963, p.104

534 Diakhaby M., op.cit., 89-90, p.60

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B- La Littérature

Le M.E. est l'époque où la langue et la littérature ont atteint leur forme la plus parfaite.535 En effet, à l'image de l'art, la période thébaine a constitué pour la littérature, une époque de renaissance. Cette renaissance de la littérature s'est traduite à travers un développement considérable des genres littéraires. On retrouve, en plus des genres déjà connus à l'A.E. tels que la poésie religieuse avec les Textes des pyramides, les Enseignements et les récits biographiques, d'autres genres assez nouveaux comme les contes merveilleux, les romans d'aventures ou bien les contes mythiques.536 Au-delà de cette diversité des genres, ce qui fait l'intérêt de la littérature du M.E., c'est la transformation politique, sociale et morale qui s'y reflète. En effet, si le M.E. apparaît dans la civilisation égyptienne, comme une période classique, c'est en partie grâce à la qualité et à la richesse de ses oeuvres littéraires. Il est à noter toutefois, que cette richesse qui se reflète dans la littérature thébaine et qui traduit une nette évolution par rapport à celle de l'A.E., trouve ses explications dans les transformations intervenues au cours de la P.P.I.

En effet, autant que l'on peut en juger, la production littéraire de l'A.E. reflète une sorte de sécurité tranquille, une foi inébranlée dans la puissance et la durée d'un royaume qui a créé la première grande civilisation humaine connue.537 L'homme, confiant dans ses dieux et ses institutions, vivait selon des règles morales bien établies, qui garantissaient l'ordre du monde et de la société.538 Et dans cette société ancienne, la nature surhumaine des pharaons et la dévotion que leur vouaient leurs sujets excluait tout dialogue véritable.539 Ainsi, point de discussion sur la personne de pharaon ou bien sur l'institution royale qu'il incarne. Le faire d'ailleurs pouvait être perçu comme un acte d'impiété vis-à-vis de pharaon à qui la doctrine royale avait conféré une nature divine et qui apparaît comme étant le continuateur du pouvoir des dieux sur terre.

Cependant, la crise qui a mis fin à l'A.E. allait poser de graves problèmes. En effet, des brèches irréparables devaient s'ouvrir dans les conceptions sociales et religieuses.540 La paix sociale et la sécurité, que garantissait une puissante autorité royale, avaient cédé la place à l'anarchie, à la guerre civile et à l'invasion étrangère.541 L'ordre établi de même que

535 Grimal N. op.cit., 1988, p.211

536 Lalouette Cl., op.cit., 1986, p.53

537 Daumas. F., op.cit., 1982, p.393

538 Lalouette Cl., op.cit., 1981, p.32

539 Posener G., op.cit., 1956, p.15

540 Daumas F., op.cit., 1982, p.393

541 Sur cette situation chaotique de l'Egypte à la fin de l'A.E. (Cf., supra, Première Partie, chap. I, B)

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l'équilibre des consciences en sortirent profondément bouleversés. Cette situation allait favoriser la naissance d'une littérature particulière et originale, qui dépeint l'homme, privé de ses cadres sociaux et religieux rassurants, livré au doute et à l'angoisse.542 C'est à cette littérature qu'appartiennent des oeuvres telle que les Lamentations d'Ipou-our où l'auteur fait une peinture saisissante du chaos social et politique dans lequel était plongée l'Egypte. Il y a aussi le Dialogue entre l'homme et son ba ou bien les Chants du harpiste qui montrent le pessimisme dans lequel était plongé l'Egyptien de l'époque, face à l'effondrement de cette civilisation qui apparaissait à ses yeux comme éternelle. C'est dans cette littérature des temps troublés qu'il faut aussi placer les Neuf palabres du paysan volé qui a trait à la psychologie de l'Egyptien du commun vis-à-vis de l'injustice, de l'arbitraire et de la force qui viole le droit, à une époque où l'autorité royale faisait défaut.543

C'est aussi durant cette période de crise que la royauté fut obligée de sortir de son mutisme pour apprendre à communiquer et prendre des leçons chez de simples mortels.544 Pour ce faire, elle utilisa la littérature avec le genre Enseignement, connu depuis l'A.E. C'est dans ce cadre qu'il faut ranger le texte de l'Enseignement de Khéti III à son fils Mérikarê.545 L'intérêt de ce texte se trouve dans le fait qu'il témoigne de préoccupations autant politiques que morales. En effet, à coté du thème classique de l'Enseignement où c'est un père qui fait profiter à son fils, son expérience de la vie, on a ici un souverain qui donne à son héritier des conseils relatifs à l'exercice du pouvoir politique. Il lui conseille par exemple d'être un « artisan en parole » car les mots sont plus forts que n'importe quel combat ou bien de lever de « jeunes troupes » et de multiplier en leur sein ses partisans.546

Il apparaît à travers tous ces écris, que la P.P.I. avait fortement marqué les esprits. Et intellectuellement, elle avait donné lieu à une riche activité interprétative, conduisant à des évolutions notables sur la conception du pouvoir, les croyances funéraires et à la naissance d'une littérature politique.547

Ce sont ces transformations intervenues dans la pensée, que devait hériter le M.E. et qui allaient donner lieu à une riche activité littéraire durant la période thébaine. En fait, sur le plan de la littérature, le M.E., semble-t-il, n'avait pas innové mais ce sont les genres

542 Lalouette Cl., op.cit., 1981, p. 9

543 Somet Y., op.cit., 2005, p.128

544 Posener G. op.cit., 1956, p.15

545Lalouette Cl., op.cit., 1984, p.50 à 57

546 Id., Ibid, p. 50 et 52

547 Margueron J.-C, Pfirsch L., Le Proche- Orient et l'Egypte antique, Paris, Hachette, 2005, p.206

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précédents, tels que les avaient modifiés et approfondis par les penseurs de la P.P.I., qui allaient être cultivés.548

Il s'agit ici, de voir à travers une synthèse des principaux genres, les manifestations d'un renouveau littéraire au M.E.

Comme à l'A.E., parmi les genres littéraires qui se sont développés au M.E., il y a la poésie religieuse avec les Textes des sarcophages.549 Ces textes, comme on l'a vu auparavant, sont issus des modifications subies par les Textes des Pyramides pendant la P.P.I. En effet, si les Textes des pyramides étaient des recueilles destinés exclusivement à assurer le passage de pharaon dans le monde des dieux, ceux des sarcophages ont été composés pour de simples particuliers et leurs composition date à partir de la P.P.I. Ils constituent dans ce sens, une source importante pour analyser l'évolution subie par les croyances religieuses à partir de la fin de l'A.E.

Un autre genre qui vit le jour pendant les époques antérieures et qui a été développé au M.E., est le récit biographique. Comme sous l'A.E., c'est dans la plupart des cas, un grand personnage qui fait le récit de sa carrière dans un style narratif, simple et net.550 Nous retrouvons la traduction de ces écrits biographiques du M.E. dans (Ancient Records of Egypt) de J.H. Breasted. Et à l'image des textes biographiques de l'époque memphite, ceux du M.E. constituent une précieuse source pour toute étude relative à la situation institutionnelle de l'époque. Mais au M.E., le genre biographique allait évoluer de plus en plus vers une recherche de la perfection formelle, qui devait aboutir à la création de la biographie romancée. Celle-ci se retrouve à travers les Aventures de Sinouhé551, une des oeuvres les plus connues de la littérature égyptienne. Le texte est aujourd'hui connu par cinq papyrus et par plus de vingt ostraca. Les principaux manuscrits sont le papyrus de Berlin (B) et le papyrus du Ramesséum (R).552 Le personnage principal de ce roman n'est sans doute pas un être imaginaire. Contemporain d'Amenemhat Ier et de Sésostris Ier, il dut être le héros d'aventures qui frappèrent l'imagination de ses contemporains et furent aussitôt après sa mort, arrangées sous une forme romancée.553 Le sujet du roman est simple, il débute par la titulature et le nom de Sinouhé qui va ensuite prendre la parole dans tout le livre pour faire le récit de ses aventures. Il indique d'abord sa position à la cour, au moment où commence l'histoire (R 25), à la mort d'Amenemhat Ier, en l'an 30 de son règne, quand son fils Sésostris Ier revient

548 Posener G., op.cit., 1956, p.16 ; Daumas F., op.cit., 1982, p.397

549 Lalouette Cl., op.cit., 1984, p. 266 à 269

550 Daumas F., op.cit., 1982, p.39

551 Posener G., op.cit., 1956, p. 86-115 ; Lefebvre G., op.cit., 1982, p. 1à 25

552 Posener G., op.cit., 1956, p.88

553 Lefebvre G., op.cit., 1982, p.1

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d'une campagne contre les Libyens (R 5-16). On a déjà évoqué les circonstances qui avaient présidé à la fuite de Sinouhé qui, faisait parti de la campagne et avait surpris par hasard la conversation du rival de Sésostris Ier avec le messager venu de la capitale. Cette partie du récit, contient un fond historique qui nous plonge dans le contexte politique de la XIIe dynastie, avec des risques de conspirations qui existaient au sommet de la monarchie.554

Après avoir pris la fuite, en direction de l'Asie, Sinouhé atterrit dans le pays de Qédem où, il est recueilli par Amounenshi, le prince du Retenou (R 28-30). Ce dernier l'interroge sur les motifs de son exil et sur les conséquences possibles de la mort d'Amenemhat Ier(R 30-45), ce qui permet à Sinouhé de prononcer un long éloge du nouveau pharaon, Sésostris Ier(R 45-75).

Amounenshi va finir par lui donner sa fille aînée en mariage et lui attribuer un territoire fertile (R75-86). Promu chef de tribu, Sinouhé passe de longues années dans l'abondance, ses fils grandissent et dominent chacun sa tribu, tandis que lui-même reçoit le commandement de l'armée d'Amounenshi et fait apprécier ses qualités militaires (R 86-109). Un preux de Retenou vient provoquer Sinouhé en combat singulier dans l'intention de le dépouiller de ses biens ; l'Egyptien relève le défit, et le duel se termine par la victoire de Sinouhé qui s'empare des possessions du vaincu.( B 109-146). Sinouhé devient ainsi riche, mais il a la nostalgie de sa patrie et, il souhaite renter en Egypte pour rependre son poste à la résidence royale (B 146-173). Informé de ce désir, Sésostris envoie à l'exilé, un long message dans lequel il lui dit de revenir en Egypte, l'assure qu'il retrouvera sa place à la cour et lui promet une belle sépulture. (B 173-199). Après avoir accueilli cette nouvelle avec joie, Sinouhé décide de renter en Egypte (B199-204). Sésostris lui accorde une audience, le présente à la reine et aux enfants royaux et le nomme Ami à la cour (B204-248). On installe Sinouhé et on lui construit une belle tombe, les dispositions sont prises pour assurer son culte funéraire et le vieil exilé finit ses jours dans la faveur royale (B24-310).555 Ce roman, de par la beauté du style et de la langue, représente un véritable chef-d'oeuvre de la littérature égyptienne. Et si on juge de par le nombre de manuscrits, sur papyri et ostraca, datant de la XIIe à la XXe dynastie, il était sans doute le plus populaire au près des Egyptiens.556 Mais au-delà de sa qualité littéraire, l'intérêt de ce texte se trouve dans le fait qu'il contient bon nombre de thèmes que l'on retrouve dans d'autres écrits du M.E. C'est le cas de l'évocation

554 Sur cette question (Cf., Supra, Troisième Partie, Chap. I, A)

555 Traduction de Posener G., op.cit., 1956, p.87-89.

556 Lalouette Cl., op.cit., 1981, p.95

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des sujets tels que les difficultés de succession où bien de l'éloge au souverain Sésostris Ier, qui sont des thèmes qui renvoient à la littérature politique du M.E.

En effet, s'il y a un fait qui caractérise le plus la littérature au M.E., c'est bien le développement important qu'a connu le genre politique. L'utilisation de la parole à des fins politiques ne date pas du M.E. Mais comme il arrive constamment lorsqu'on cherche les sources d'inspirations de la littérature thébaine, c'est vers la P.P.I., qu'il faut se tourner pour trouver les origines de cet emploi.557 Comme on l'a vu tantôt, c'est pendant cette époque de crise, où les intérêts opposés et les opinions contraires s'affrontaient, que l'actualité avait fait son intrusion dans la littérature, et on avait appris à se servir des écrits pour influer sur l'opinion.558 Ainsi, des thèmes de l'anarchie et de la prophétie politique vont voir le jour à travers des écrits tels que les Lamentations d'Ipou-our. Ces thèmes vont être repris et exploités au M.E. ce qui donne la Prophétie de Neferty.559 Aussi, le premier testament politique d'un souverain qui parle de son oeuvre et qui donne des conseils à son héritier, a été l'Enseignement de Khéti III à son fils Mérikarê, cette formule est utilisée au M.E. avec l'Enseignement d'Amenemhat à son fils Sésostris.560 Ceci montre l'influence de la P.P.I., sur l'épanouissement du genre politique au M.E. A remarquer que cette littérature politique constitue une source précieuse pour analyser les changements politico-idéologiques intervenus depuis la fin de l'A.E.

Parmi les écrits à tendance politique laissés par le M.E. et particulièrement par la XIIe dynastie (on ne connaît pas d'écrit politique ayant été produit sous la XIe dynastie)561, l'oeuvre la plus ancienne est la Prophétie de Neferty.562 Le texte est connu par un papyrus du Musée de l'Ermitage de Leningrad (N°1116B).La composition de ce livre, écrit sous

557 Posener G., op.cit., 1956, p.15

558 Ibidem

559 Diakhaby M., op.cit., 89-90, p.49

560 Posener G., op.cit., 1956, p.16

561 Selon G. Posener, il existe une différence de style politique entre la XIe et la XIIe dynastie. En effet, lorsque la monarchie fut restaurée au M.E., après une longue période de carence, il était évident que la condition de la royauté, la nouvelle façon de la concevoir, les sentiments qu'elle suscitait dans la population et les habitudes que celle-ci avait prises, tous ces faits devaient peser sur la politique des nouveaux souverains. Mais il semble que les Montouhotep, dont la famille gouvernait Thèbes depuis des générations et luttait avec ténacité pour imposer son hégémonie au reste du pays, n'avaient pas saisi les données du problème. Ils avaient continué à recourir aux mesures de force qui ne convenaient qu'à l'état de guerre ( à ce propos, nous avons vu comment ils avaient supprimé les princes locaux qui étaient les chefs de leurs provinces respectives pendant la P.P.I). La fin de la XIe dynastie s'explique en partie par l'échec de cette politique de force. Aussi, quoique l'unité du pays fût déjà rétablie quand Amenemhat Ier, le fondateur de la XIIe dynastie, était monté au trône, la tache qui l'attendait, ressemblait à celle d'un fondateur de royaume. Il fallait recréer l'idéal de la royauté et restituer son prestige. Ayant compris que la politique de la force n'avait pas réussi aux Montouhotep, Amenemhat Ier et ses successeurs allaient utiliser d'autres moyens d'actions parmi lesquels la littérature (Cf., Posener G., op.cit., 1956, p.13-14).

562 Id., Ibid., p. 21

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Amenemhat Ier, est simple. L'action se place à la cour du souverain Snéfrou de la IVe dynastie. Ce dernier, pour se divertir, fait chercher un voyant appelé Neferty à qui il demande de lui dévoiler l'avenir (E1-19). Cette première partie du document sert d'introduction à la prophétie à travers laquelle, Néferty, décrit d'abord les malheurs qui vont s'abattre sur l'Egypte (E20-57)563 avant d'annoncer la venue d'un sauveur du nom d'Ameny564 qui devait ramener l'ordre et la prospérité (E57-70).565 Comme on le voit, ce texte est un écrit à tendance politique qui nous plonge dans le contexte difficile du passage de la XIe à la XIIe dynastie. On a vu comment Amenemhat Ier, qui n'était pas de la lignée royale des Montouhotep, est arrivé au trône au détriment d'autres prétendants. Il semble en effet, que l'auteur de la prophétie avait l'intention d'avantager Amenemhat Ier. Pour ce faire, il recule de plusieurs siècles et se place au temps de Snéfrou c'est-à-dire au début de la IVe dynastie ; ce qui lui permet d'imaginer les faits sous forme de prédication afin de dépeindre Amenemhat Ier sous les traits d'un messie et amener le lecteur à l'identifier aux sauveurs annoncés dans les prophéties anciennes.566

Le second texte à tendance politique est l'Enseignement d'Amenemhat à son fils Sésostris. Ce texte est inscrit dans plusieurs papyrus dont, le Papyrus Millingen, les Papyrus Sallier au British Museum et le Papyrus Berlin 3019 ; dans un rouleau de cuivre au musée du Louvre, sur des tablettes de bois à Brooklyn et à travers de nombreux ostraca. Mais c'est le papyrus Millingen (désigné M) qui sert de base dans la plupart des traductions.567 Cet opuscule de 36 lignes est divisé en 15 versets qui, dans l'ensemble, correspondent aux divisions logiques de l'exposé.568

Après le titre (M 11-2), on lit un bref exorde dans lequel Amenemhat invite son fils à suivre ses conseils, afin d'avoir un règne heureux (M 12-3). Il lui recommande ainsi la défiance à l'égard des subordonnés et des proches (M 13-5), et il explique qu'on ne peut compter que sur soi-même, « car le jour critique, l'homme n'a pas de partisan » (M 15-6). Pour justifier ce pessimisme, le pharaon évoque son expérience personnelle : il a aidé le pauvre et l'orphelin et il n'a recueilli que l'ingratitude et l'hostilité (M 16-9). Se tournant alors vers ses successeurs sur le trône d'Egypte, il leur demande de se lamenter sur son triste sort

(M 19-11), puis il passe au récit de l'attentat dont il a été victime et qui a eu lieu un soir, alors

563 Ces malheurs, comme on l'a vu, évoquent l'anarchie qui frappa l'Egypte à la fin de la VIe dynastie et correspondent par conséquent, à ceux qu'Ipou-our a décrit dans les Admonitions.

564 On a déjà vu que ce Ameny a été identifié à Amenemhat Ier, le fondateur de la XIIe dynastie.

565 Posener G., op.cit., 1956, p.22 ; traduction intégrale du texte avec G. Lefebvre., op.cit, 1982, p.96-109

566 Id., Ibid., p.29

567 Id., Ibid, p.61-63; Lalouette Cl., op.cit. 1984, p.292.

568 Posener G., op.cit., 1956, p.63

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que le souverain prenait son repos (M111-27-9). Ensuite le pharaon fait une description de sa carrière : il a visité Eléphantine et le Delta, restauré la prospérité de l'Egypte et rétabli l'ordre intérieur (M 29-31)569 ; il a subjugué les Nubiens et rendus les Asiatiques dociles comme des chiens (M 31-3). Le pharaon s'est construit une maison décorée de matières précieuses

(M 33-6). Les deux derniers versets sont obscurs, le pharaon parle à Sésostris et lui donne ses derniers conseils (M 36-12).570 A l'image de la Prophétie de Néferty, ce texte d'Amenemhat est un écrit politique qui s'inspire de l'époque précédente pour répondre à la conjoncture de son temps.571 En effet, les paroles désabusées du souverain et les conseils qu'il prodigue à son fils et successeur, impliquent l'existence de difficultés politiques auxquelles était confrontée la royauté. Et, s'inspirant de Khéti III sous la P.P.I., Amenemhat Ier allait détourner le genre « Enseignement » de son objet véritable pour apprendre à son fils à faire une politique réaliste afin de pouvoir maintenir la royauté. Une fois de plus celle-ci s'est servie de la littérature à des fins politiques. L'autre aspect important du texte d'Amenemhat est le fait que le souverain y apparaît comme un simple mortel et les sentiments qu'il exprime sont aussi humains.

En dehors de la Prophétie de Néferty et de l'Enseignement d'Amenemhat, le M.E. connaît d'autres écrits que l'on peut ranger dans le genre politique. C'est le cas des Enseignements loyaliste tel que celui de Séhétepibrê, un haut fonctionnaire de Sésostris III et d'Amenemhat III.572 Sous prétexte de composer un enseignement pour son fils (comme dans les enseignements classiques), l'auteur, un partisan de la monarchie, devait longuement s'appesantir sur le pouvoir et les bienfaits du pharaon, en disant par exemple que c'est lui « qui donne de quoi vivre à ceux qui le suivent, il est généreux pour celui qui adhère à son chemin, ses ennemis n'auront rien... ».573 C'est aussi l'influence de la politique sur la littérature, qui a entraîné l'apparition d'un genre nouveau, celui des hymnes royaux, qui ont pour but de proclamer sur le modèle poétique, les biens faits du souverain.574Sur un ensemble de papyrus retrouvé à Kahoun, on peut lire plusieurs hymnes à Amenemhat III et à Sésostris III.575 Ces hymnes, à l'image des enseignements loyalistes, sont des écrits qui prônent le respect absolu de pharaon et cherchent en même temps à remettre en valeur la théorie de son

569 Ce passage comme on l'a vu, se réfère à la restauration de l'administration provinciale qui avait été supprimée par les prédécesseurs d'Amenemhat Ier.

570 Id ., Ibid, p.63-64 ; Lalouette Cl., op.cit., 1984, p.57-59

571 Diakhaby M., op.cit, 89-90, p.52

572 Posener G., op.cit., 1956, p.117 ; Breasted J.H., op.cit, 1988, paragraphes 747-748

573 Traduction de J. Pirenne., op.cit., 1962, p.102

574 Lalouette Cl., op.cit., 1984, p.42

575 Ibidem

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pouvoir divin.576 Comme on le constate, le genre politique a connu un développement considérable au M.E. Toutefois, si bon nombre d'écrits du temps ont été inspirés par la propagande royale, il semble que certains étaient destinés à divertir le peuple et appartiennent ainsi à la littérature dite populaire.577 Ces écrits ont été, contrairement aux textes de propagandes royales, l'oeuvre des scribes écrivant librement.578 C'est le cas des contes merveilleux et des récits mythiques qui regroupent un nombre important d'écrits datant du M.E.

Parmi les contes les plus connus dans la littérature thébaine, on peut citer ceux du Papyrus Westcar. Ce document contient en son état actuel, quatre contes qui mettent en scènes les pharaons de la IVe dynastie.579 L'histoire se déroule dans la cour royale. C'est le pharaon Chéops qui, en proie à l'ennui, fait venir ses fils et les prie de le distraire, chacun par une histoire de son invention.580

Du premier des contes, il ne reste que la formule finale. Le nom de son auteur ainsi que son contenu sont ignorés. Le deuxième conte a été l'oeuvre du futur pharaon Khephren et il a trait à l'affaire du mari trompé. C'est la femme du prêtre-lecteur Oubaoné qui rejoint, chaque jour son amant dans un pavillon du jardin, averti de cette situation, Oubaoné fabrique un petit crocodile de cire sur lequel il lit une formule magique, il attend que l'amant vienne se baigner dans le lac, pour jeter vers lui le crocodile de cire; l'animal s'anime, grandit et le dévore.581

Le troisième conte, dû au prince Baoufrê ne manque ni de charme, ni de fraîcheur.582 C'est le récit d'un tour accompli par le prêtre-lecteur Djadjaemankh pour distraire le pharaon Snéfrou (père de Chéops). Sa prouesse était celle d'aller quérir, à pied sec, dans un lac, un bijou perdu par une des filles qui étaient entrain de ramer pour le plaisir de pharaon. Djadjaemankh va partager l'eau du lac en deux, placer l'une des moitiés sur l'autre, pour retrouver l'objet perdu.583

Le dernier conte devait être celui du prince Dedefhor. Mais ce dernier, au lieu d'inventer une histoire, préfère aller chercher le magicien Djédi (un voyant et un prestidigitateur habile), qu'il amène devant Chéops. Ce Djédi, après avoir accompli quelques

576 Daumas F ., op.cit., 1982, p.405

577 Pirenne J., op.cit., 1962, p.104

578 Id., Ibid, p.109

579 Lefebvre G., op.cit., 1982, p.71 ; Lalouette Cl. op.cit., 1981, p.87 ; On retrouve la traduction intégrale du texte avec G. Lefebvre., op.cit., 1982, p.73-90

580 Lefebvre G., op.cit., 1982, p071

581 Lalouette Cl., op.cit., 1981, p.86-87

582 Lefebvre G ., op.cit., 1982, p.71

583 Lalouette Cl., op.cit., 1981, p.87

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tours amusants, annonce à Chéops, l'avènement prochain des trois premiers souverains de la Ve dynastie.584 Nous avons déjà évoqué ce conte qui nous plonge dans les compétions dynastique de l'A.E.585

Ces contes, en dehors de leur aspect littéraire, reflètent une certaine image de pharaon, propre à l'opinion du M.E. qui, avait tendance à traiter le souverain d'Egypte comme un simple mortel. Pour ce faire, la littérature populaire va remonter à l'A.E., au plus fort moment de l'absolutisme royal, pour montrer que ces souverains de l'époque qui apparaissaient comme des dieux sur terre, n'étaient en réalité que de simples hommes. Ainsi, les Snéfrou, Chéops ou Khephren dont les gigantesques pyramides étaient encore là pour montrer leur caractère surnaturel, vont être traités avec une familiarité très peu adéquate à la divinité à laquelle ils prétendaient. La plupart des histoires racontées dans les contes, ont été dites pour divertir des pharaons qui étaient en manque de divertissement comme cela peut arriver à n'importe quel être humain. Et quelques fois, on prête à ces pharaons, des attitudes qui sont proches du ridicule. C'est ainsi que dans le quatrième conte du papyrus Westcar, le pharaon Chéops, ayant appris que le Magicien Djédi savait remettre en place une tête coupée, lui demande de faire l'expérience sur un humain. Mais le magicien va refuser d'obtempérer à cet ordre royal en signifiant au pharaon qu'il n'est pas recommandé de faire pareille chose à l'homme586. Et l'expérience allait avoir lieu sur des animaux. On voit ici que le souverain est présenté comme quelqu'un d'insouciant de la dignité humaine et il reçoit une leçon de morale de la part de ses sujets.

Le dernier écrit que l'on va examiner et qui appartient à la littérature populaire est le Conte du Naufragé appelé aussi l'Ile du serpent587. Ce conte qui peut être rangé dans le genre épique, est connu par un manuscrit du M.E., trouvé au Musée de l'Ermitage à Leningrad588. Dans ce texte aussi, c'est la situation d'un prince qui est mise en scène et qui sert de prétexte à l'auteur pour entrer dans le récit de son aventure. Le prince en question, comme nous l'avons vu auparavant, pourrait être un corégent donc un pharaon. Ce dernier, avait échoué dans une mission navale qu'il a conduite en Nubie et il a pris peur à l'idée qu'il doit rendre compte au pharaon. Pour le tranquilliser, un compagnon qui faisait partie de son équipage s'adresse à lui en lui disant : « Sois tranquille prince. Nous voici arrivés au

584 Id., Ibid, p.87-88

585 Pour les détails de la venue des souverains de la Ve dynastie (Cf., supra, Deuxième partie, chap. II, A)

586 Lefebvre G., op.cit., 1982, p.83

587 Il a été traduit par G. Lefebvre., op.cit., 1982, p.32 à 40

588 Id., Ibid, p. 31 L'unique Manuscrit en question est le papyrus 1115 du Musée de l'Ermitage. Le texte, en parfaite conservation, mesure 3m. 80 de long ; il renferme 189 lignes, dont 136 verticales et 53 horizontales.

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pays ...On rend grâce, on glorifie Dieu...Ecoute-moi prince, met de l'eau sur tes doigts, de sorte que tu puisses répondre quand on s'adresse à toi. Parle au roi en pleine possession de toi-même et réponds sans balbutier... ». Ensuite, il lui fait le récit d'une situation similaire qu'il aurait vécue personnellement. C'est au cours d'une mission qui les conduisait vers les mines du Sinaï ; alors qu'ils traversaient la Mer Rouge, leur navire fait naufrage et tout l'équipage périt à l'exception du naufragé. Il va atterrir dans une île merveilleuse dont le maître, un serpent, le reçoit amicalement et le renvoie ensuite chez lui, comblé de dons. De retour en Egypte, le pharaon lui fait bon accueil et l'élève à la dignité de Compagnon.589 Ce conte, écrit en un langage classique, constitue un texte remarquable de la littérature égyptienne.590 Mais au delà de cette qualité littéraire, on peut le ranger dans la catégories de certains écrits du M.E., qui se montrèrent assez critiques par rapport à la divinité de pharaon. En effet, le fait de prêter à pharaon des attitudes aussi humaines que la peur, revient à le rabaisser au niveau de ses sujets et à ridiculiser parfois son caractère divin. Comment un pharaon qui apparaissait comme un être doté d'une essence supra humaine, peut avoir peur ou bien paniquer devant certaines situations ? Nous avons vu que ce fut le cas avec Chéops à l'annonce de la venue de la Ve dynastie ; c'est aussi le cas d'Amenemhat Ier lorsqu'il a été victime d'une tentative de coups d'Etat. Ces exemples montrent bien que la conception que les Egyptiens du M.E. se faisaient de pharaon est loin de celle de leurs prédécesseurs de l'époque memphite. Le pharaon du M.E. continuait certes d'incarner le pouvoir divin sur terre, mais son caractère divin avait sensiblement évolué vers une nature beaucoup plus humaine.

L'autre aspect important du Conte du Naufragé, se trouve dans le fait qu'il a permis à l'auteur de faire un tableau réaliste de la vie des marins de cette époque et de la navigation en Mer Rouge.

Au terme de cette synthèse des principaux genres littéraires du M.E., il apparaît que dans son ensemble, l'époque thébaine a été une période riche en production littéraire. De par la variété et l'abondance de ses thèmes, la littérature du M.E. montre qu'il y a eu une nette évolution dans la pensée, depuis la fin de l'A.E. Une évolution qui a été favorisée par l'émergence d'un esprit nouveau, pendant la crise de la P.P.I.

589 Id., Ibid, p. 29

590 Lalouette Cl., op.cit., 1981, p.107

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