Chapitre II : Renouveau culturel
A- L'Art
L'art et la littérature sous toutes leurs formes
avaient été pour les Egyptiens, un moyen d'expression du rapport
au monde, au divin mais aussi à la pensée.487 De ce
fait, ils constituent deux formes d'expression importante dans l'analyse de
l'évolution de la civilisation égyptienne.
Ainsi, en ce qui concerne l'art, il a traversé pendant
la longue période de l'histoire égyptienne, des alternances de
vitalité et de décrépitude. Ceci est lié au fait
qu'au-delà des circonstances ou des sentiments artistiques, cet art
avait été étroitement dépendant de la personne de
pharaon et de l'institution qu'il incarnait.488 Il constitue
à cet effet, une mesure et une expression immédiate de la
situation politique et sociale à des moments déterminés de
son histoire.
En effet, si l'A.E. est resté dans l'histoire comme une
brillante époque de la civilisation égyptienne, c'est en partie
grâce à cette gigantesque architecture de ses pyramides qui
constitue en même temps une manifestation de la grandeur de la
royauté memphite.
Ensuite, en faisant la description de la crise de la P.P.I.,
nous avons tenté de montrer cette liaison étroite entre la
production et la qualité des oeuvres d'art et la situation politique.
Ceci nous avait permis de voir que la faible production des oeuvres d'art et
leur qualité médiocre, étaient liées à
l'effondrement du pouvoir memphite. En d'autres termes, la P.P.I.,
s'était caractérisée au plan culturel, par une
régression de la production des oeuvres d'art et de leur
qualité.
Lorsque la monarchie se reconstitua au M.E., on devait
assister à une magnifique renaissance artistique.489 Mais
cette renaissance artistique devait en même temps refléter les
changements politiques et sociaux intervenus à la faveur de la crise de
la P.P.I.
Comme sous l'A.E., ce sont les monuments religieux et les
édifices funéraires royaux qui se sont les mieux
perpétués et qui attestent du retour des activités
artistiques.490 Ainsi,
487 Somet Y., op.cit., 2005 p. 117
488 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.19
489 Pirenne J., op.cit., 1962, p.93
490 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.161
110
au cours de la XI e dynastie, les pharaons avaient
entrepris des activités de construction de temples à
Eléphantine, à Gebelein, à Tod, à Ermant, à
Deir el-Bahari, à Deir el- Ballas, à Dendérah, à
Abydos etc.491 Mais de ces temples, il ne reste malheureusement que
peu de chose.492 C'est au niveau de l'architecture funéraire
royale, qu'il existe des signes les plus visibles de la renaissance artistique
à partir de la XIe dynastie. En effet, l'une des oeuvres
architecturales les plus remarquables du M.E. a été le temple
funéraire construit par les souverains Montouhotep II et III, à
Deir el- Bahari. Le pharaon Montouhotep II, après avoir
réunifié l'Egypte, choisit pour sa tombe, un des plus beaux sites
de la nécropole thébaine, il s'agit du cirque de Deir el- Bahari,
dominé par la montagne thébaine.493 Ce monument occupe
à Thèbes, une place analogue à celle de la pyramide de
Djeser à Sakkarah.494 Le site, qui est admirablement choisi,
offre un cadre à la fois naturel et imposant à l'édifice
qui se différencie de ceux des rois Antef qui ne se contentaient que de
tombes rupestres artificielles.495 L'architecte avait su respecter
les indications qui lui étaient fournies par la configuration du terrain
et, c'est dans cette harmonie de l'oeuvre avec la nature que réside en
grande partie le charme de ce temple496 (Cf., Figure I). De par son
plan, ce monument funéraire des Montouhotep est une sorte de
synthèse du complexe funéraire entre la pyramide de l'A.E. et la
tombe rupestre de la P.P.I., à laquelle le cadre et les détails
architecturaux confèrent un aspect grandiose, digne du renouveau
artistique du M.E.497 Cet édifice, unique en son genre, est
certes une preuve que la lignée royale prétendait recueillir
l'héritage des roi-dieux du temps des pyramides. Mais le
caractère monumental abstrait de l'A.E. se transforme ici pour devenir
l'ordre équilibré et l'articulation d'une architecture aux
proportions modérées, dignes d'un souverain qui demeure conscient
de sa nature humaine.498
En ce qui concerne l'architecture funéraire civile,
elle est moins développée, du fait de la rareté des tombes
civiles, preuve de la concentration de l'autorité entre les mains des
souverains de la XIe dynastie.
L'activité architecturale devait connaître une
nette évolution sous les souverains de la XIIe dynastie, qui
furent de grands bâtisseurs. Toutefois, à l'image de la
XIe dynastie, il subsiste très peu d'édifices
appartenant à la XIIe dynastie. Ainsi, en ce qui concerne
491 Grimal N., op.cit., 1988, p.195
492 Pirenne J., op.cit, 1962, p.93
493 Vandier J., op.cit., 1954, p.158
494 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p .161
495 Ibidem
496 Drioton E Vandier J., op.cit., p.248
497 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965,
p.161-162
498 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.162
111
Figure I
Le temple funéraire des Montouhotep
(XIe dynastie) juxtaposé à celui d'Hatchepsout
(XVIIIe dynastie) à Deir el-Bahari
Source : Drioton E Du Bourguet P., op.cit.,
1956, p.163
Cet édifice funéraire, des Montouhotep
est l'un des signes les plus visibles du renouveau artistique qui a
accompagné l'avènement du M.E.
112
les temples, ils ont du se répartir autour de
Thèbes et du Fayoum.499 Par exemple, à Médamoud
et à Tod, on a pu reconstituer le plan d'un temple que bâtirent
respectivement Sésostris Ier et Sésostris
III.500 A Karnak, divers indices ont permis de déterminer
l'emplacement occupé par le temple de la XIIe dynastie. Le
plan de celui-ci comprend trois salles en succession d'ouest en est, avec un
naos sur socle d'albâtre dans la dernière.501
Toujours à Karnak, on a trouvé (incorporés à un
pylône datant d'Aménophis III), les éléments d'une
chapelle jubilaire de Sésostris Ier, qui a pu être
reconstituée.502 C'est un petit temple
périptère, élevé sur une plate-forme et on y
accède, sur les deux côtés les moins larges, par un
escalier dont chacun ménage en son milieu un plan
incliné.503 C'est un monument construit en calcaire, d'une
grâce simple, sans ornements superflus, sans colonnes. Les murs du
rectangle qu'il forme, percés de grandes baies rectilignes, sont
couverts d'hiéroglyphe du plus beau style.504 Le pharaon y
est figuré avec un art d'une finesse, d'une précision dans le
détail et d'un modelé qui en font une des meilleurs oeuvres
connues de la XIIe dynastie505.
Quant à l'architecture funéraire royale, elle se
retrouve à travers les tombes des souverains de la XIIe
dynastie, disséminées en des emplacements variés entre
Memphis et le Fayoum.506 Il semble à ce niveau, que c'est la
proximité avec les anciennes nécropoles memphites ainsi que la
surface plane du désert occidental du Nord ou de l'oasis du Fayoum qui
expliquent le retour aux formes et aux éléments traditionnels de
la pyramide complétée comme à l'A.E. d'un temple
funéraire.507 Et, en ce qui concerne les temples
funéraires, l'édifice le plus connu pour la XIIe
dynastie a été celui d'Amenemhat III à Hawara dont le
souvenir a été conservé par les Grecs. Ce vaste complexe
de bâtiment comportait outre la résidence royale, les bureaux du
gouvernement central et peut-être aussi la sépulture de
pharaon.508 En faisant référence à ce complexe
funéraire d'Amenemhat III, Hérodote disait : « Je l'ai
vu, il est vraiment au-dessus de ce que l'on peut dire. Qu'on face la somme
des
499 Id., Ibid, p.169
500 Ibidem
501 Ibidem
502 Woldering I., op.cit., 1963, p.86
503 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.169
504 Pirenne J., op.cit., 1962, p.95
505 Ibidem
506 Ainsi, Amenemhat Ier et Sésostris
Ier se sont fait enterrés à Licht, Amenemhat II et
Sésostris III ont leur tombeaux à Dahchour, Sésostris II
enterré à Illahoun tandis que Amenemhat III se trouve à
Hawra ( Cf., Grimal N., op.cit., 1988, p.127-128). Selon certains
historiens, cette pratique qui consiste à changer d'emplacement des
résidences royales, sous la XIIe dynastie, était une
façon de se prémunir contre les risques de conspiration qui
minaient le pouvoir monarchique.
507 Diakhaby M., La XIIe dynastie : essai de
synthèse, mémoire de maîtrise, F.L.S.H., U.C.A.D.,
19891990, p. 59
508 Pirenne J., op.cit., 1962, p.96
113
constructions des ouvrages d'art que les Grecs ont
produits ; ils apparaîtront inférieurs à ce labyrinthe et
du coté du travail et du coté de la
dépense...Déjà les pyramides étaient au-dessus de
ce que l'on peut dire...mais le labyrinthe dépasse encore les pyramides.
» 509 Ce témoignage d'Hérodote sur le temple
funéraire d'Amenemhat III, est une illustration du renouveau artistique
au M.E. Toutefois, dans leur ensemble, les pyramides des souverains de la
XIIe dynastie ne peuvent pas rivaliser avec celles de leurs
prédécesseurs memphites. Ces pyramides se distinguent de leurs
modèles de l'A.E. sur la question des matériaux et de la
structure (rôle de la brique et du compartimentage), des pentes plus
fortes, des dimensions moindres et des remaniements de plans (faux niveau pour
tromper les voleurs, multiplication des couloirs et des puits).510
Selon Cl. Lalouette, l'édification des pyramides en briques avec de
modestes dimensions s'explique du fait que la crise économique et
sociale qu'avait subie le royaume ne permettait pas alors de grands travaux
d'art, en matériaux durs.511 Il semble toutefois, que
l'aspect économique n'est pas la seule explication à cette
situation. On peut trouver d'autres explications dans la crise de la P.P.I. En
effet, le caractère surhumain des pharaons de l'A.E., qui se
reflète dans leurs gigantesques sépultures, est un trait auquel
l'évolution politique avait mis un terme. Et, durant toute la
période de crise, nous avons vu que les tombeaux des souverains de
l'époque étaient de piètres édifices dont la
plupart d'ailleurs n'ont pas pu se conserver. Lorsque la monarchie fut de
retour, le souci de l'au-delà allait certes bénéficier
d'une attention particulière comme auparavant, mais sa place
privilégiée devait reculer derrière les
nécessités politiques.512 Avec le M.E., l'Etat des
pharaons ne se concrétisait plus et ne s'affirmait plus par des tombes
monumentales, dont la construction durait des années, mais se
manifestait dans un rapport équilibré entre la religion et la
politique, le monde actuel et l'au-delà.513 Certes, les
sépultures royales de la XIIe dynastie vont être
construites sur le modèle de la pyramide traditionnelle mais ceci
s'explique, comme nous l'avons vu, par un souci d'adaptation à la
surface plane du milieu où elles ont été
édifiées. Mais à travers le procédé de
construction qui a été adopté, peu onéreux en
comparaison des pyramides en pierre de l'A.E., les pharaons de la
XIIe dynastie avaient probablement voulu exprimer que leurs
sépultures étaient moins celles des rois-dieux que de souverains
conscients de leur caractère humain.
509 Hérodote, II, 48
510 Bohême M.A., op.cit., 1992, p.55-56
511 Lalouette Cl., op.cit., 1981, p.44
512 Wildung D., op.cit., 1984, p.73
513 Ibidem
114
Un autre fait qui trouve ses explications dans la crise,
était les bouleversements subis par les croyances religieuses. En effet,
les contemporains de cette période de crise avaient été
témoins des actes de violations de la pyramide royale. 514 Il
était apparu aux yeux de ces Egyptiens que les pratiques
funéraires fondées sur le tombeau et le rituel funéraire,
n'étaient pas les seuls moyens indispensables pour assurer la survie de
l'homme à l'au-delà. Chez les penseurs de la P.P.I, on trouve des
méditations sur la vanité des grandioses monuments
funéraires du passé. C'est ainsi que dans le Dialogue entre
l'homme et son ba, l'auteur disait que « ceux qui
bâtissaient en granit et élevaient des pyramides
(c'est-à-dire les pharaons) ont leurs tables d'offrandes aussi vides que
les morts les plus misérables ».515 Ceci pour dire
que malgré les moyens matériels mis en oeuvre, les pharaons
n'avaient pas réussi à perpétuer leur culte et à
s'assurer l'immortalité. Pour les souverains du M.E., héritiers
de ces idées sceptiques vis-à-vis du rôle de la pyramide,
l'édification de celle-ci ne devait plus constituer une
préoccupation majeure comme ce fut le cas à l'A.E.
La renaissance de l'architecture qui s'était ainsi
manifestée dés le début du M.E., allait s'accompagner d'un
renouveau véritable au niveau de la sculpture. En effet, la
stabilité et l'éclat du pouvoir royal retrouvés, ne
pouvaient que favoriser le développement de la statuaire. Pour la
nouvelle royauté, il fallait faire figure de monarchie puissante et
conférer à son image, le prestige de l'ancien royaume
divin.516 Mais comme nous l'avons vu pour l'architecture, la
statuaire est le reflet d'une certaine situation politique et sociale. Et pour
E. Drioton et P. Du Bourguet, c'est plus dans la statuaire que dans n'importe
quel art, que se manifeste le changement psychologique opéré
depuis la fin de l'A.E. dans la conception du pharaon.517 Sous
l'A.E., les statues royales traduisaient la conception que les Egyptiens de
l'époque se faisaient de la nature de leur souverain dont la
sérénité du visage et la majesté de l'attitude,
sont plus celles d'un dieu que d'un homme.518 Par exemple la statue
polychrome de Djeser ou bien celle du sphinx de Gizeh représentant le
visage de Khephren avec un corps de lion, sont un reflet de la nature
surhumaine de ces souverains. Mais au M.E., le pharaon, s'il restait
théoriquement le fils des dieux, ce n'est plus l'empreinte divine qui le
marque.519 Ainsi, au niveau de la statuaire, ses traits allaient
apparaître comme ceux d'un homme divinisé plutôt que d'un
dieu humanisé, d'un chef que d'un dieu.520 En effet,
l'artiste du M.E.
514 Sur cette question, Cf., supra, Première partie,
chap.I, B. Les lamentations d'Ipou-Our.
515 Posener G., op.cit., 1956, p.10
516 Woldering D., op.cit., 1963, p.100
517 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.62-63
518 Drioton E Vandier J, op.cit., 1984, p.194
519 E Drioton Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.
177-178 520Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965,
p.178
115
FigureII
Montouhotep II (M.E)
Source : Drioton E. Du Bourguet P. op.cit., 1965,
p.112
Dans cette image du pharaon Montouhotep II, on voit que
les traits du corps connaissent une certaine amplification qui traduit le
désir de l'artiste à mettre en exergue la force humaine du
souverain
116
va chercher à caractériser l'homme qui
règne et non un pharaon impersonnel.521 Pour la
XIe dynastie, deux statues royales, pratiquement les seules à
être conservées en bon état, figurent le pharaon
Montouhotep II. Ces portraits royaux du souverain Montouhotep II sont,
grâce à leur force d'expression, des sources historiques de
premier ordre. Ils disent plus sur le caractère et les ambitions de ces
souverains que leurs titulatures et les inscriptions des temples.522
Les Montouhotep, comme nous l'avons vu auparavant, avaient réussi
à réunifier l'Egypte, après une longue période de
division. Et cette réunification, avait été le
résultat d'une longue lutte, amorcée sous leurs
prédécesseurs à savoir les Antef. Ceci pour montrer que la
force et la puissance de ces Montouhotep ont été
déterminantes dans la restauration de la monarchie. C'est cette image de
force que le sculpteur va tenter de montrer dans la représentation de
ses souverains. Dans les grandes statues royales de Montouhotep II, le
sculpteur, semble-t-il, a voulu exprimer en volume presque
géométrique, la puissance du souverain avec un visage
épais, corps massif, torse droit, jambes épaisses, pieds larges
et solides ; une vigueur presque brutale se dégage de cette image
523(Cf., Figure II). Un autre élément qui frappe dans
cette représentation de Montouhotep, c'est la disproportion entre les
jambes et le corps du souverain. Pour E. Drioton et P. Du Bourguet, il ne peut
s'agir là d'un défaut de métier mais probablement,
Montouhotep était atteint d'un oedème des jambes et, dans un
souci de réalisme, le sculpteur a reproduit tel quel son
modèle.524 Le fait de représenter un pharaon
jusqu'à faire ressortir ses défauts physiques dus à une
maladie, montre que c'est le caractère humain de ce dernier qui est
plutôt mis en avant dans la statuaire.
En ce qui concerne les statues royales de la XIIe
dynastie, elles se caractérisent d'abord par le fait qu'elles
proviennent de diverses écoles de sculpture réparties entre
Memphis, Thèbes au Sud et Tanis dans le Delta. C'est cette
diversification des écoles de sculptures qui va expliquer les
différences qui seront notées à travers les statues des
souverains de la XIIe dynastie.525 Ainsi, les oeuvres
produites dans les ateliers du Nord vont avoir tendance à conserver les
traditions des sculpteurs de l'A.E., avec un style plus
idéalisé
521 Moret A., op.cit., 1941, p.455
522 Wildung D., op.cit., 1984, p.194
523 Lalouette Cl., op.cit., 1986, p.66
524 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.166
525 La diversification des écoles de sculpture
constitue en elle, une conséquence de la crise de la P.P.I. En effet,
comme nous l'avons vu auparavant, durant l'A.E., c'est à Memphis
où se trouvaient concentrés les ateliers de sculpture. Cela du
fait que toute la production artistique dépendait exclusivement de
l'Etat.
Figure III
A) Statue du pharaon Dieser (A.E.) B) Statue du pharaon
Chéphren protégé
par Horus ( A.E.)
Sources : A) Drioton E ;Du Bourguet P., op.cit., 1965,
p.112; B) Malek J., « The Old Kingdom », in, Shaw I.,
op.cit., 2000, p.106
La sérénité et le calme qui
apparaissent à travers ces portraits des souverains de l'A.E. sont un
reflet du caractère supra humain de ces derniers qui apparaissaient
comme des dieux aux yeux de leurs sujets.
117
Mais lorsque la monarchie disparaît sous la P.P.I., les
particuliers, notamment les chefs de provinces avaient commencé à
disposer de leurs propres ateliers d'art, dans leurs provinces. Ce qui explique
d'ailleurs que lorsque la monarchie se reconstitua à Thèbes, les
écoles d'arts locales étaient déjà prêtes
à l'accompagner. Et, l'unité qui caractérisait les oeuvres
d'art de l'A.E. va céder la place à une certaine diversité
dans le style.
118
A) Sésostris III jeune (détail)
|
B) Sésostris III dans la force de l'âge
(détail)
|
Figure IV
C) Sésostris III âgé
(fragment)
Source : Drioton E. Du Bourguet P., op. cit., 1956, p.
186-187
Le pharaon Sésostris III (M.E.) est
représenté ici suivant les différents stades de
l'évolution humaine (jeune, adulte et âgé). C'est
là, un signe qui montre qu'aux yeux des Égyptiens du M.E., le
pharaon est avant tout un homme. Comparés aux images de la figure
précédente (celles des souverains memphites), on voit que ces
visages de Sésostris III montrent qu'il y a eu une évolution dans
la conception que les Égyptiens se faisaient du pharaon entre l'A.E. et
le M.E.
119
et conventionnel.526 C'est de là que
proviendraient les dix statues analogues de Sésostris Ier qui ont
été retrouvées dans sa pyramide à Lischt,
présentant un visage jeune, serein et une expression presque souriante
du souverain.527
Dans les ateliers du Sud par contre, on va retrouver des
oeuvres qui se distinguent par un rude réalisme et par un souci de
ressemblance qui semble n'avoir jamais été poussé à
ce point.528 On note une volonté manifeste de placer le
pharaon sur le même plan que l'humanité.529 Cette
tendance se manifeste surtout dans les statuaires en ronde bosse de
Sésostris III, en provenance de Médamoud, où il est
représenté à plusieurs ages de la vie, allant de la
jeunesse aux joues rondes et douces, en passant par la maturité aux
arrêts presque agressives, jusqu'à la vieillesse aux rides
amères.530 A travers ces représentations de
Sésostris III, chaque trait isolé du visage dénote la
tension intérieure et extérieure, qui se conjuguent pour composer
le portrait visible et sensible d'un souverain conscient du caractère
problématique et éphémère de ce
monde.531 Ce qui fait la beauté de ses statues, c'est leur
caractère de vérité et de passion qui montre en même
temps qu'elles étaient conçues à une période
où la société était en pleine mutation. Et, c'est
parce qu'elles ont su rendre compte de cette impression, qu'elles peuvent
être comparées aux oeuvres les plus belles de l'A.E.532
En effet, l'image de la maturité épanouie des têtes de
souverains aux temps des pyramides, que créa la foi en l'existence
éternelle du roi-dieu, avait abouti au M.E., à ce visage
buriné par le doute et chargé de responsabilité
spirituelle.533 Ainsi, si l'on compare ces statues à celles
des souverains memphites, on voit qu'autant ces derniers apparaissent calmes,
sereins et possèdent la certitude et la noblesse d'un dieu, autant la
physionomie de Sésostris III est humaine et dominé par le souci
des luttes 534 (Cf., Figures III et IV).
On peut donc dire que la statuaire du M.E. a été
un reflet des modifications politiques intervenues depuis la fin de l'A.E.
526 Lalouette Cl., op.cit., 1986, p.62
527 Id., op.cit., 1981, p.71
528 Drioton E Vandier J., op.cit., 1984, p.261-262
529 Drioton E Du Bourguet P., op.cit., 1965, p.183
530 Ibidem
531 Woldering I., op.cit., 1963, p.104
532 Pirenne J., op.cit., 1962, p.98
533 Woldering I., op.cit., 1963, p.104
534 Diakhaby M., op.cit., 89-90, p.60
120
B- La Littérature
Le M.E. est l'époque où la langue et la
littérature ont atteint leur forme la plus parfaite.535 En
effet, à l'image de l'art, la période thébaine a
constitué pour la littérature, une époque de renaissance.
Cette renaissance de la littérature s'est traduite à travers un
développement considérable des genres littéraires. On
retrouve, en plus des genres déjà connus à l'A.E. tels que
la poésie religieuse avec les Textes des pyramides, les
Enseignements et les récits biographiques, d'autres genres assez
nouveaux comme les contes merveilleux, les romans d'aventures ou bien les
contes mythiques.536 Au-delà de cette diversité des
genres, ce qui fait l'intérêt de la littérature du M.E.,
c'est la transformation politique, sociale et morale qui s'y reflète. En
effet, si le M.E. apparaît dans la civilisation égyptienne, comme
une période classique, c'est en partie grâce à la
qualité et à la richesse de ses oeuvres littéraires. Il
est à noter toutefois, que cette richesse qui se reflète dans la
littérature thébaine et qui traduit une nette évolution
par rapport à celle de l'A.E., trouve ses explications dans les
transformations intervenues au cours de la P.P.I.
En effet, autant que l'on peut en juger, la production
littéraire de l'A.E. reflète une sorte de sécurité
tranquille, une foi inébranlée dans la puissance et la
durée d'un royaume qui a créé la première grande
civilisation humaine connue.537 L'homme, confiant dans ses dieux et
ses institutions, vivait selon des règles morales bien établies,
qui garantissaient l'ordre du monde et de la
société.538 Et dans cette société
ancienne, la nature surhumaine des pharaons et la dévotion que leur
vouaient leurs sujets excluait tout dialogue véritable.539
Ainsi, point de discussion sur la personne de pharaon ou bien sur l'institution
royale qu'il incarne. Le faire d'ailleurs pouvait être perçu comme
un acte d'impiété vis-à-vis de pharaon à qui la
doctrine royale avait conféré une nature divine et qui
apparaît comme étant le continuateur du pouvoir des dieux sur
terre.
Cependant, la crise qui a mis fin à l'A.E. allait poser
de graves problèmes. En effet, des brèches irréparables
devaient s'ouvrir dans les conceptions sociales et religieuses.540
La paix sociale et la sécurité, que garantissait une puissante
autorité royale, avaient cédé la place à
l'anarchie, à la guerre civile et à l'invasion
étrangère.541 L'ordre établi de même
que
535 Grimal N. op.cit., 1988, p.211
536 Lalouette Cl., op.cit., 1986, p.53
537 Daumas. F., op.cit., 1982, p.393
538 Lalouette Cl., op.cit., 1981, p.32
539 Posener G., op.cit., 1956, p.15
540 Daumas F., op.cit., 1982, p.393
541 Sur cette situation chaotique de l'Egypte à la fin de
l'A.E. (Cf., supra, Première Partie, chap. I, B)
121
l'équilibre des consciences en sortirent
profondément bouleversés. Cette situation allait favoriser la
naissance d'une littérature particulière et originale, qui
dépeint l'homme, privé de ses cadres sociaux et religieux
rassurants, livré au doute et à l'angoisse.542 C'est
à cette littérature qu'appartiennent des oeuvres telle que les
Lamentations d'Ipou-our où l'auteur fait une peinture
saisissante du chaos social et politique dans lequel était
plongée l'Egypte. Il y a aussi le Dialogue entre l'homme et son
ba ou bien les Chants du harpiste qui montrent
le pessimisme dans lequel était plongé l'Egyptien de
l'époque, face à l'effondrement de cette civilisation qui
apparaissait à ses yeux comme éternelle. C'est dans cette
littérature des temps troublés qu'il faut aussi placer les
Neuf palabres du paysan volé qui a trait à la
psychologie de l'Egyptien du commun vis-à-vis de l'injustice, de
l'arbitraire et de la force qui viole le droit, à une époque
où l'autorité royale faisait défaut.543
C'est aussi durant cette période de crise que la
royauté fut obligée de sortir de son mutisme pour apprendre
à communiquer et prendre des leçons chez de simples
mortels.544 Pour ce faire, elle utilisa la littérature avec
le genre Enseignement, connu depuis l'A.E. C'est dans ce cadre qu'il faut
ranger le texte de l'Enseignement de Khéti III à son fils
Mérikarê.545 L'intérêt de ce texte se
trouve dans le fait qu'il témoigne de préoccupations autant
politiques que morales. En effet, à coté du thème
classique de l'Enseignement où c'est un père qui fait profiter
à son fils, son expérience de la vie, on a ici un souverain qui
donne à son héritier des conseils relatifs à l'exercice du
pouvoir politique. Il lui conseille par exemple d'être un « artisan
en parole » car les mots sont plus forts que n'importe quel combat ou bien
de lever de « jeunes troupes » et de multiplier en leur sein ses
partisans.546
Il apparaît à travers tous ces écris, que
la P.P.I. avait fortement marqué les esprits. Et intellectuellement,
elle avait donné lieu à une riche activité
interprétative, conduisant à des évolutions notables sur
la conception du pouvoir, les croyances funéraires et à la
naissance d'une littérature politique.547
Ce sont ces transformations intervenues dans la pensée,
que devait hériter le M.E. et qui allaient donner lieu à une
riche activité littéraire durant la période
thébaine. En fait, sur le plan de la littérature, le M.E.,
semble-t-il, n'avait pas innové mais ce sont les genres
542 Lalouette Cl., op.cit., 1981, p. 9
543 Somet Y., op.cit., 2005, p.128
544 Posener G. op.cit., 1956, p.15
545Lalouette Cl., op.cit., 1984, p.50
à 57
546 Id., Ibid, p. 50 et 52
547 Margueron J.-C, Pfirsch L., Le Proche- Orient et l'Egypte
antique, Paris, Hachette, 2005, p.206
122
précédents, tels que les avaient modifiés
et approfondis par les penseurs de la P.P.I., qui allaient être
cultivés.548
Il s'agit ici, de voir à travers une synthèse
des principaux genres, les manifestations d'un renouveau littéraire au
M.E.
Comme à l'A.E., parmi les genres littéraires qui
se sont développés au M.E., il y a la poésie religieuse
avec les Textes des sarcophages.549 Ces textes, comme on
l'a vu auparavant, sont issus des modifications subies par les Textes des
Pyramides pendant la P.P.I. En effet, si les Textes des pyramides
étaient des recueilles destinés exclusivement à
assurer le passage de pharaon dans le monde des dieux, ceux des sarcophages ont
été composés pour de simples particuliers et leurs
composition date à partir de la P.P.I. Ils constituent dans ce sens, une
source importante pour analyser l'évolution subie par les croyances
religieuses à partir de la fin de l'A.E.
Un autre genre qui vit le jour pendant les époques
antérieures et qui a été développé au M.E.,
est le récit biographique. Comme sous l'A.E., c'est dans la plupart des
cas, un grand personnage qui fait le récit de sa carrière dans un
style narratif, simple et net.550 Nous retrouvons la traduction de
ces écrits biographiques du M.E. dans (Ancient Records of
Egypt) de J.H. Breasted. Et à l'image des textes biographiques de
l'époque memphite, ceux du M.E. constituent une précieuse source
pour toute étude relative à la situation institutionnelle de
l'époque. Mais au M.E., le genre biographique allait évoluer de
plus en plus vers une recherche de la perfection formelle, qui devait aboutir
à la création de la biographie romancée. Celle-ci se
retrouve à travers les Aventures de
Sinouhé551, une des oeuvres les plus connues de la
littérature égyptienne. Le texte est aujourd'hui connu par cinq
papyrus et par plus de vingt ostraca. Les principaux manuscrits sont
le papyrus de Berlin (B) et le papyrus du Ramesséum (R).552
Le personnage principal de ce roman n'est sans doute pas un être
imaginaire. Contemporain d'Amenemhat Ier et de Sésostris
Ier, il dut être le héros d'aventures qui
frappèrent l'imagination de ses contemporains et furent aussitôt
après sa mort, arrangées sous une forme
romancée.553 Le sujet du roman est simple, il débute
par la titulature et le nom de Sinouhé qui va ensuite prendre la parole
dans tout le livre pour faire le récit de ses aventures. Il indique
d'abord sa position à la cour, au moment où commence l'histoire
(R 25), à la mort d'Amenemhat Ier, en l'an 30 de son
règne, quand son fils Sésostris Ier revient
548 Posener G., op.cit., 1956, p.16 ; Daumas F.,
op.cit., 1982, p.397
549 Lalouette Cl., op.cit., 1984, p. 266 à 269
550 Daumas F., op.cit., 1982, p.39
551 Posener G., op.cit., 1956, p. 86-115 ; Lefebvre G., op.cit.,
1982, p. 1à 25
552 Posener G., op.cit., 1956, p.88
553 Lefebvre G., op.cit., 1982, p.1
123
d'une campagne contre les Libyens (R 5-16). On a
déjà évoqué les circonstances qui avaient
présidé à la fuite de Sinouhé qui, faisait parti de
la campagne et avait surpris par hasard la conversation du rival de
Sésostris Ier avec le messager venu de la capitale. Cette
partie du récit, contient un fond historique qui nous plonge dans le
contexte politique de la XIIe dynastie, avec des risques de
conspirations qui existaient au sommet de la monarchie.554
Après avoir pris la fuite, en direction de l'Asie,
Sinouhé atterrit dans le pays de Qédem où, il est
recueilli par Amounenshi, le prince du Retenou (R 28-30). Ce dernier
l'interroge sur les motifs de son exil et sur les conséquences possibles
de la mort d'Amenemhat Ier(R 30-45), ce qui permet à
Sinouhé de prononcer un long éloge du nouveau pharaon,
Sésostris Ier(R 45-75).
Amounenshi va finir par lui donner sa fille aînée
en mariage et lui attribuer un territoire fertile (R75-86). Promu chef de
tribu, Sinouhé passe de longues années dans l'abondance, ses fils
grandissent et dominent chacun sa tribu, tandis que lui-même
reçoit le commandement de l'armée d'Amounenshi et fait
apprécier ses qualités militaires (R 86-109). Un preux de Retenou
vient provoquer Sinouhé en combat singulier dans l'intention de le
dépouiller de ses biens ; l'Egyptien relève le défit, et
le duel se termine par la victoire de Sinouhé qui s'empare des
possessions du vaincu.( B 109-146). Sinouhé devient ainsi riche, mais il
a la nostalgie de sa patrie et, il souhaite renter en Egypte pour rependre son
poste à la résidence royale (B 146-173). Informé de ce
désir, Sésostris envoie à l'exilé, un long message
dans lequel il lui dit de revenir en Egypte, l'assure qu'il retrouvera sa place
à la cour et lui promet une belle sépulture. (B 173-199).
Après avoir accueilli cette nouvelle avec joie, Sinouhé
décide de renter en Egypte (B199-204). Sésostris lui accorde une
audience, le présente à la reine et aux enfants royaux et le
nomme Ami à la cour (B204-248). On installe Sinouhé et on lui
construit une belle tombe, les dispositions sont prises pour assurer son culte
funéraire et le vieil exilé finit ses jours dans la faveur royale
(B24-310).555 Ce roman, de par la beauté du style et de la
langue, représente un véritable chef-d'oeuvre de la
littérature égyptienne. Et si on juge de par le nombre de
manuscrits, sur papyri et ostraca, datant de la
XIIe à la XXe dynastie, il était sans doute
le plus populaire au près des Egyptiens.556 Mais
au-delà de sa qualité littéraire, l'intérêt
de ce texte se trouve dans le fait qu'il contient bon nombre de thèmes
que l'on retrouve dans d'autres écrits du M.E. C'est le cas de
l'évocation
554 Sur cette question (Cf., Supra, Troisième
Partie, Chap. I, A)
555 Traduction de Posener G., op.cit., 1956, p.87-89.
556 Lalouette Cl., op.cit., 1981, p.95
124
des sujets tels que les difficultés de succession
où bien de l'éloge au souverain Sésostris Ier,
qui sont des thèmes qui renvoient à la littérature
politique du M.E.
En effet, s'il y a un fait qui caractérise le plus la
littérature au M.E., c'est bien le développement important qu'a
connu le genre politique. L'utilisation de la parole à des fins
politiques ne date pas du M.E. Mais comme il arrive constamment lorsqu'on
cherche les sources d'inspirations de la littérature thébaine,
c'est vers la P.P.I., qu'il faut se tourner pour trouver les origines de cet
emploi.557 Comme on l'a vu tantôt, c'est pendant cette
époque de crise, où les intérêts opposés et
les opinions contraires s'affrontaient, que l'actualité avait fait son
intrusion dans la littérature, et on avait appris à se servir des
écrits pour influer sur l'opinion.558 Ainsi, des
thèmes de l'anarchie et de la prophétie politique vont voir le
jour à travers des écrits tels que les Lamentations
d'Ipou-our. Ces thèmes vont être repris et exploités
au M.E. ce qui donne la Prophétie de Neferty.559
Aussi, le premier testament politique d'un souverain qui parle de son oeuvre et
qui donne des conseils à son héritier, a été
l'Enseignement de Khéti III à son fils
Mérikarê, cette formule est utilisée au M.E. avec
l'Enseignement d'Amenemhat à son fils
Sésostris.560 Ceci montre l'influence de la P.P.I., sur
l'épanouissement du genre politique au M.E. A remarquer que cette
littérature politique constitue une source précieuse pour
analyser les changements politico-idéologiques intervenus depuis la fin
de l'A.E.
Parmi les écrits à tendance politique
laissés par le M.E. et particulièrement par la XIIe
dynastie (on ne connaît pas d'écrit politique ayant
été produit sous la XIe dynastie)561,
l'oeuvre la plus ancienne est la Prophétie de
Neferty.562 Le texte est connu par un papyrus du Musée
de l'Ermitage de Leningrad (N°1116B).La composition de ce livre,
écrit sous
557 Posener G., op.cit., 1956, p.15
558 Ibidem
559 Diakhaby M., op.cit., 89-90, p.49
560 Posener G., op.cit., 1956, p.16
561 Selon G. Posener, il existe une différence de style
politique entre la XIe et la XIIe dynastie. En effet,
lorsque la monarchie fut restaurée au M.E., après une longue
période de carence, il était évident que la condition de
la royauté, la nouvelle façon de la concevoir, les sentiments
qu'elle suscitait dans la population et les habitudes que celle-ci avait
prises, tous ces faits devaient peser sur la politique des nouveaux souverains.
Mais il semble que les Montouhotep, dont la famille gouvernait Thèbes
depuis des générations et luttait avec ténacité
pour imposer son hégémonie au reste du pays, n'avaient pas saisi
les données du problème. Ils avaient continué à
recourir aux mesures de force qui ne convenaient qu'à l'état de
guerre ( à ce propos, nous avons vu comment ils avaient supprimé
les princes locaux qui étaient les chefs de leurs provinces respectives
pendant la P.P.I). La fin de la XIe dynastie s'explique en partie
par l'échec de cette politique de force. Aussi, quoique l'unité
du pays fût déjà rétablie quand Amenemhat
Ier, le fondateur de la XIIe dynastie, était
monté au trône, la tache qui l'attendait, ressemblait à
celle d'un fondateur de royaume. Il fallait recréer l'idéal de la
royauté et restituer son prestige. Ayant compris que la politique de la
force n'avait pas réussi aux Montouhotep, Amenemhat Ier et
ses successeurs allaient utiliser d'autres moyens d'actions parmi lesquels la
littérature (Cf., Posener G., op.cit., 1956, p.13-14).
562 Id., Ibid., p. 21
125
Amenemhat Ier, est simple. L'action se place
à la cour du souverain Snéfrou de la IVe dynastie. Ce
dernier, pour se divertir, fait chercher un voyant appelé Neferty
à qui il demande de lui dévoiler l'avenir (E1-19). Cette
première partie du document sert d'introduction à la
prophétie à travers laquelle, Néferty, décrit
d'abord les malheurs qui vont s'abattre sur l'Egypte (E20-57)563
avant d'annoncer la venue d'un sauveur du nom d'Ameny564 qui devait
ramener l'ordre et la prospérité (E57-70).565 Comme on
le voit, ce texte est un écrit à tendance politique qui nous
plonge dans le contexte difficile du passage de la XIe à la
XIIe dynastie. On a vu comment Amenemhat Ier, qui
n'était pas de la lignée royale des Montouhotep, est
arrivé au trône au détriment d'autres prétendants.
Il semble en effet, que l'auteur de la prophétie avait l'intention
d'avantager Amenemhat Ier. Pour ce faire, il recule de plusieurs
siècles et se place au temps de Snéfrou c'est-à-dire au
début de la IVe dynastie ; ce qui lui permet d'imaginer les
faits sous forme de prédication afin de dépeindre Amenemhat
Ier sous les traits d'un messie et amener le lecteur à
l'identifier aux sauveurs annoncés dans les prophéties
anciennes.566
Le second texte à tendance politique est
l'Enseignement d'Amenemhat à son fils Sésostris. Ce
texte est inscrit dans plusieurs papyrus dont, le Papyrus Millingen, les
Papyrus Sallier au British Museum et le Papyrus Berlin 3019 ; dans un rouleau
de cuivre au musée du Louvre, sur des tablettes de bois à
Brooklyn et à travers de nombreux ostraca. Mais c'est le
papyrus Millingen (désigné M) qui sert de base dans la plupart
des traductions.567 Cet opuscule de 36 lignes est divisé en
15 versets qui, dans l'ensemble, correspondent aux divisions logiques de
l'exposé.568
Après le titre (M 11-2), on lit un bref
exorde dans lequel Amenemhat invite son fils à suivre ses conseils, afin
d'avoir un règne heureux (M 12-3). Il lui recommande ainsi la
défiance à l'égard des subordonnés et des proches
(M 13-5), et il explique qu'on ne peut compter que sur
soi-même, « car le jour critique, l'homme n'a pas de partisan »
(M 15-6). Pour justifier ce pessimisme, le pharaon évoque son
expérience personnelle : il a aidé le pauvre et l'orphelin et il
n'a recueilli que l'ingratitude et l'hostilité (M 16-9). Se
tournant alors vers ses successeurs sur le trône d'Egypte, il leur
demande de se lamenter sur son triste sort
(M 19-11), puis il passe au récit de l'attentat
dont il a été victime et qui a eu lieu un soir, alors
563 Ces malheurs, comme on l'a vu, évoquent l'anarchie
qui frappa l'Egypte à la fin de la VIe dynastie et
correspondent par conséquent, à ceux qu'Ipou-our a décrit
dans les Admonitions.
564 On a déjà vu que ce Ameny a été
identifié à Amenemhat Ier, le fondateur de la
XIIe dynastie.
565 Posener G., op.cit., 1956, p.22 ; traduction
intégrale du texte avec G. Lefebvre., op.cit, 1982, p.96-109
566 Id., Ibid., p.29
567 Id., Ibid, p.61-63; Lalouette Cl., op.cit. 1984,
p.292.
568 Posener G., op.cit., 1956, p.63
126
que le souverain prenait son repos
(M111-27-9). Ensuite le pharaon fait une description de
sa carrière : il a visité Eléphantine et le Delta,
restauré la prospérité de l'Egypte et rétabli
l'ordre intérieur (M 29-31)569 ; il a subjugué les Nubiens et
rendus les Asiatiques dociles comme des chiens (M 31-3). Le pharaon
s'est construit une maison décorée de matières
précieuses
(M 33-6). Les deux derniers versets sont obscurs,
le pharaon parle à Sésostris et lui donne ses derniers conseils
(M 36-12).570 A l'image de la Prophétie de
Néferty, ce texte d'Amenemhat est un écrit politique qui
s'inspire de l'époque précédente pour répondre
à la conjoncture de son temps.571 En effet, les paroles
désabusées du souverain et les conseils qu'il prodigue à
son fils et successeur, impliquent l'existence de difficultés politiques
auxquelles était confrontée la royauté. Et, s'inspirant de
Khéti III sous la P.P.I., Amenemhat Ier allait
détourner le genre « Enseignement » de son objet
véritable pour apprendre à son fils à faire une politique
réaliste afin de pouvoir maintenir la royauté. Une fois de plus
celle-ci s'est servie de la littérature à des fins politiques.
L'autre aspect important du texte d'Amenemhat est le fait que le souverain y
apparaît comme un simple mortel et les sentiments qu'il exprime sont
aussi humains.
En dehors de la Prophétie de Néferty et
de l'Enseignement d'Amenemhat, le M.E. connaît d'autres
écrits que l'on peut ranger dans le genre politique. C'est le cas des
Enseignements loyaliste tel que celui de Séhétepibrê, un
haut fonctionnaire de Sésostris III et d'Amenemhat III.572
Sous prétexte de composer un enseignement pour son fils (comme dans les
enseignements classiques), l'auteur, un partisan de la monarchie, devait
longuement s'appesantir sur le pouvoir et les bienfaits du pharaon, en disant
par exemple que c'est lui « qui donne de quoi vivre à ceux qui
le suivent, il est généreux pour celui qui adhère à
son chemin, ses ennemis n'auront rien... ».573 C'est aussi
l'influence de la politique sur la littérature, qui a
entraîné l'apparition d'un genre nouveau, celui des hymnes royaux,
qui ont pour but de proclamer sur le modèle poétique, les biens
faits du souverain.574Sur un ensemble de papyrus retrouvé
à Kahoun, on peut lire plusieurs hymnes à Amenemhat III et
à Sésostris III.575 Ces hymnes, à l'image des
enseignements loyalistes, sont des écrits qui prônent le respect
absolu de pharaon et cherchent en même temps à remettre en valeur
la théorie de son
569 Ce passage comme on l'a vu, se réfère à
la restauration de l'administration provinciale qui avait été
supprimée par les prédécesseurs d'Amenemhat
Ier.
570 Id ., Ibid, p.63-64 ; Lalouette Cl.,
op.cit., 1984, p.57-59
571 Diakhaby M., op.cit, 89-90, p.52
572 Posener G., op.cit., 1956, p.117 ; Breasted J.H.,
op.cit, 1988, paragraphes 747-748
573 Traduction de J. Pirenne., op.cit., 1962, p.102
574 Lalouette Cl., op.cit., 1984, p.42
575 Ibidem
127
pouvoir divin.576 Comme on le constate, le genre
politique a connu un développement considérable au M.E.
Toutefois, si bon nombre d'écrits du temps ont été
inspirés par la propagande royale, il semble que certains étaient
destinés à divertir le peuple et appartiennent ainsi à la
littérature dite populaire.577 Ces écrits ont
été, contrairement aux textes de propagandes royales, l'oeuvre
des scribes écrivant librement.578 C'est le cas des contes
merveilleux et des récits mythiques qui regroupent un nombre important
d'écrits datant du M.E.
Parmi les contes les plus connus dans la littérature
thébaine, on peut citer ceux du Papyrus Westcar. Ce document
contient en son état actuel, quatre contes qui mettent en scènes
les pharaons de la IVe dynastie.579 L'histoire se
déroule dans la cour royale. C'est le pharaon Chéops qui, en
proie à l'ennui, fait venir ses fils et les prie de le distraire, chacun
par une histoire de son invention.580
Du premier des contes, il ne reste que la formule finale. Le
nom de son auteur ainsi que son contenu sont ignorés. Le deuxième
conte a été l'oeuvre du futur pharaon Khephren et il a trait
à l'affaire du mari trompé. C'est la femme du
prêtre-lecteur Oubaoné qui rejoint, chaque jour son amant dans un
pavillon du jardin, averti de cette situation, Oubaoné fabrique un petit
crocodile de cire sur lequel il lit une formule magique, il attend que l'amant
vienne se baigner dans le lac, pour jeter vers lui le crocodile de cire;
l'animal s'anime, grandit et le dévore.581
Le troisième conte, dû au prince Baoufrê ne
manque ni de charme, ni de fraîcheur.582 C'est le récit
d'un tour accompli par le prêtre-lecteur Djadjaemankh pour distraire le
pharaon Snéfrou (père de Chéops). Sa prouesse était
celle d'aller quérir, à pied sec, dans un lac, un bijou perdu par
une des filles qui étaient entrain de ramer pour le plaisir de pharaon.
Djadjaemankh va partager l'eau du lac en deux, placer l'une des moitiés
sur l'autre, pour retrouver l'objet perdu.583
Le dernier conte devait être celui du prince Dedefhor.
Mais ce dernier, au lieu d'inventer une histoire, préfère aller
chercher le magicien Djédi (un voyant et un prestidigitateur habile),
qu'il amène devant Chéops. Ce Djédi, après avoir
accompli quelques
576 Daumas F ., op.cit., 1982, p.405
577 Pirenne J., op.cit., 1962, p.104
578 Id., Ibid, p.109
579 Lefebvre G., op.cit., 1982, p.71 ; Lalouette Cl.
op.cit., 1981, p.87 ; On retrouve la traduction intégrale du
texte avec G. Lefebvre., op.cit., 1982, p.73-90
580 Lefebvre G., op.cit., 1982, p071
581 Lalouette Cl., op.cit., 1981, p.86-87
582 Lefebvre G ., op.cit., 1982, p.71
583 Lalouette Cl., op.cit., 1981, p.87
128
tours amusants, annonce à Chéops,
l'avènement prochain des trois premiers souverains de la Ve
dynastie.584 Nous avons déjà évoqué ce
conte qui nous plonge dans les compétions dynastique de
l'A.E.585
Ces contes, en dehors de leur aspect littéraire,
reflètent une certaine image de pharaon, propre à l'opinion du
M.E. qui, avait tendance à traiter le souverain d'Egypte comme un simple
mortel. Pour ce faire, la littérature populaire va remonter à
l'A.E., au plus fort moment de l'absolutisme royal, pour montrer que ces
souverains de l'époque qui apparaissaient comme des dieux sur terre,
n'étaient en réalité que de simples hommes. Ainsi, les
Snéfrou, Chéops ou Khephren dont les gigantesques pyramides
étaient encore là pour montrer leur caractère surnaturel,
vont être traités avec une familiarité très peu
adéquate à la divinité à laquelle ils
prétendaient. La plupart des histoires racontées dans les contes,
ont été dites pour divertir des pharaons qui étaient en
manque de divertissement comme cela peut arriver à n'importe quel
être humain. Et quelques fois, on prête à ces pharaons, des
attitudes qui sont proches du ridicule. C'est ainsi que dans le
quatrième conte du papyrus Westcar, le pharaon Chéops,
ayant appris que le Magicien Djédi savait remettre en place une
tête coupée, lui demande de faire l'expérience sur un
humain. Mais le magicien va refuser d'obtempérer à cet ordre
royal en signifiant au pharaon qu'il n'est pas recommandé de faire
pareille chose à l'homme586. Et l'expérience allait
avoir lieu sur des animaux. On voit ici que le souverain est
présenté comme quelqu'un d'insouciant de la dignité
humaine et il reçoit une leçon de morale de la part de ses
sujets.
Le dernier écrit que l'on va examiner et qui appartient
à la littérature populaire est le Conte du Naufragé
appelé aussi l'Ile du serpent587. Ce conte qui
peut être rangé dans le genre épique, est connu par un
manuscrit du M.E., trouvé au Musée de l'Ermitage à
Leningrad588. Dans ce texte aussi, c'est la situation d'un prince
qui est mise en scène et qui sert de prétexte à l'auteur
pour entrer dans le récit de son aventure. Le prince en question, comme
nous l'avons vu auparavant, pourrait être un corégent donc un
pharaon. Ce dernier, avait échoué dans une mission navale qu'il a
conduite en Nubie et il a pris peur à l'idée qu'il doit rendre
compte au pharaon. Pour le tranquilliser, un compagnon qui faisait partie de
son équipage s'adresse à lui en lui disant : « Sois
tranquille prince. Nous voici arrivés au
584 Id., Ibid, p.87-88
585 Pour les détails de la venue des souverains de la
Ve dynastie (Cf., supra, Deuxième partie,
chap. II, A)
586 Lefebvre G., op.cit., 1982, p.83
587 Il a été traduit par G. Lefebvre., op.cit.,
1982, p.32 à 40
588 Id., Ibid, p. 31 L'unique Manuscrit en question
est le papyrus 1115 du Musée de l'Ermitage. Le texte, en parfaite
conservation, mesure 3m. 80 de long ; il renferme 189 lignes, dont 136
verticales et 53 horizontales.
129
pays ...On rend grâce, on glorifie Dieu...Ecoute-moi
prince, met de l'eau sur tes doigts, de sorte que tu puisses répondre
quand on s'adresse à toi. Parle au roi en pleine possession de
toi-même et réponds sans balbutier... ». Ensuite, il lui
fait le récit d'une situation similaire qu'il aurait vécue
personnellement. C'est au cours d'une mission qui les conduisait vers les mines
du Sinaï ; alors qu'ils traversaient la Mer Rouge, leur navire fait
naufrage et tout l'équipage périt à l'exception du
naufragé. Il va atterrir dans une île merveilleuse dont le
maître, un serpent, le reçoit amicalement et le renvoie ensuite
chez lui, comblé de dons. De retour en Egypte, le pharaon lui fait bon
accueil et l'élève à la dignité de
Compagnon.589 Ce conte, écrit en un langage classique,
constitue un texte remarquable de la littérature
égyptienne.590 Mais au delà de cette qualité
littéraire, on peut le ranger dans la catégories de certains
écrits du M.E., qui se montrèrent assez critiques par rapport
à la divinité de pharaon. En effet, le fait de prêter
à pharaon des attitudes aussi humaines que la peur, revient à le
rabaisser au niveau de ses sujets et à ridiculiser parfois son
caractère divin. Comment un pharaon qui apparaissait comme un être
doté d'une essence supra humaine, peut avoir peur ou bien paniquer
devant certaines situations ? Nous avons vu que ce fut le cas avec
Chéops à l'annonce de la venue de la Ve dynastie ;
c'est aussi le cas d'Amenemhat Ier lorsqu'il a été
victime d'une tentative de coups d'Etat. Ces exemples montrent bien que la
conception que les Egyptiens du M.E. se faisaient de pharaon est loin de celle
de leurs prédécesseurs de l'époque memphite. Le pharaon du
M.E. continuait certes d'incarner le pouvoir divin sur terre, mais son
caractère divin avait sensiblement évolué vers une nature
beaucoup plus humaine.
L'autre aspect important du Conte du Naufragé,
se trouve dans le fait qu'il a permis à l'auteur de faire un tableau
réaliste de la vie des marins de cette époque et de la navigation
en Mer Rouge.
Au terme de cette synthèse des principaux genres
littéraires du M.E., il apparaît que dans son ensemble,
l'époque thébaine a été une période riche en
production littéraire. De par la variété et l'abondance de
ses thèmes, la littérature du M.E. montre qu'il y a eu une nette
évolution dans la pensée, depuis la fin de l'A.E. Une
évolution qui a été favorisée par
l'émergence d'un esprit nouveau, pendant la crise de la P.P.I.
589 Id., Ibid, p. 29
590 Lalouette Cl., op.cit., 1981, p.107
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