CONCLUSION GENERALE
Au terme de ce travail de recherches, consacré à
la crise de la P.P.I., il convient d'apporter un certain nombre de
réponses aux questions que nous nous sommes posées au
départ.
Il est en effet établi, qu'au cours de la
période dite A.E., la civilisation égyptienne a connu une phase
de gloire qui est éternisée par les pyramides. Cependant,
après près de plusieurs siècles de stabilité, l'A.E
devait sombrer dans une crise politique et sociale vers la fin de la
VIe dynastie, particulièrement après le règne
de Pépi II. Cette crise connue sous le terme de P.P.I., devait perdurer
jusqu'à l'avènement du M.E. aux environs de -2050. Elle
débuta par une phase violente au cours de laquelle l'Egypte allait
traverser une situation particulièrement difficile. En effet,
après avoir été victime d'une invasion Bédouine
dans sa partie orientale, l'Etat pharaonique allait faire face à un
soulèvement intérieur de la part des masses populaires. Ses
dernières ayant comme cibles, l'Etat et ses agents, devaient s'en
prendre aux symboles des institutions monarchiques et aux classes
privilégiées considérées comme étant
responsables de leur misère. Ces actions du peuple contre l'Etat et ses
symboles eurent comme résultat, un effondrement du système
monarchique et un bouleversement total de l'ordre établi. Une analyse de
ces événements et des différents protagonistes, nous a
permis d'arriver à la conclusion que contrairement à ce que
pensent certains historiens, le soulèvement qui a causé la ruine
de l'Etat memphite n'a pas été une révolution mais
plutôt une révolte contre l'institution royale.
A la suite de ces événements violents, la
monarchie pharaonique devait réussir à renaître avec la
VIIIe dynastie, dans le lieu même où on avait
procédé à sa mise à mort, à savoir Memphis.
Cependant, le royaume des Deux-Terres devait mettre du temps pour recouvrir le
contenu de cette appellation qui renvoie à l'union de la Haute et de la
Basse Egypte sous l'autorité d'un seul maître. En effet, tout en
se réclamant de l'héritage de la monarchie défunte, la
VIIIe dynastie disposait d'une autorité qui dépassait
à peine le pourtour de la région memphite. Face à cette
carence d'autorité, les princes locaux, d'abord ceux
d'Héracléopolis (IXe et Xe dynasties)
ensuite ceux de Thèbes (XIe dynastie), vont usurper la
dignité royale. La VIIIe dynastie, basée à
Memphis, devait finir par disparaître et l'Egypte allait se retrouver
dans une situation identique à celle qui la caractérisait avant
la naissance de la monarchie : c'est-à-dire un royaume au Nord avec les
héracléopolitains et un autre au
131
Sud avec les thébains. Une guerre interne allait
opposer ces deux royaumes qui ambitionnaient tous de réunifier l'Egypte
à l'image de ce qu'elle fut à l'A.E. Cette guerre interne ne prit
fin qu'au moment où les thébains réussirent à venir
à bout de leurs rivaux et réunifier le pays à nouveau :
c'est le début du M.E. situé vers -.2050.
La carence du pouvoir royale au cours de la P.P.I.
s'était traduite au plan culturel, par une certaine régression au
niveau de la production des oeuvres d'art ainsi que de leur qualité.
Cette situation s'explique en grande partie par le fait que le centralisme
monarchique à l'A.E, était tel que les activités d'art
avaient été complètement contrôlées par
l'Etat. L'effritement de ce dernier avait eu par conséquent des
répercussions sur la production artistique.
L'autre caractéristique et non des moindres de cette
période intermédiaire a été la crise de conscience
qui se reflète à travers la littérature de cette
époque de crise. En effet, l'écroulement d'un ordre politique et
social qui apparaissait jusqu'ici comme étant immuable, allait
entraîner l'émergence d'une nouvelle vision du monde. De ce fait,
la P.P.I., tout en étant une période d'effondrement des valeurs
anciennes, fut en même temps une époque riche en ce qui concerne
le développement de nouvelles idées. Et, lorsque la monarchie se
reconstitua par la suite, elle devait bénéficier de cet esprit
nouvel qui est né au cours de la crise.
Après avoir décrit ce que fut la P.P.I. dans ses
différentes facettes, nous nous sommes intéressés à
la situation dont l'évolution devait conduire à cette crise de
fin d'époque que fut la P.P.I. C'est l'objet de notre deuxième
partie. Certes, comme l'a affirmé J. Vercoutter : « le
problème de la disparition des civilisations est par bien des aspects,
aussi mystérieux que celui de la mort des individus »
(Vercoutter J., op.cit., 2003, p.115), mais c'est justement le
rôle de l'historien que de chercher à reconstituer à partir
des traces laissées par ces civilisations disparues, les
éléments explicatifs de leur déclin. Ainsi, la question
des causes de la crise nous a conduit à étudier
l'évolution du système monarchique sous l'A.E. En effet, si
durant cette période dite des pyramides, l'Egypte parvint à
atteindre un haut niveau de civilisation, c'est parce qu'elle s'était
dotée d'un système politique capable de mobiliser les
énergies pour une cause commune. Autrement dit il y avait en place une
monarchie fortement centralisée autour de pharaon. Mais ce
système centralisé contenait en son sein, les germes mêmes
de sa destruction, en ce sens qu'elle avait été instituée
sur les bases de la négation de tout pouvoir à tendance
personnelle. Cela dans un contexte où les anciennes aristocraties
terriennes, politiques ou cléricales, représentées par les
nomarques, prônaient un système décentralisé. La
lutte politique qui opposa les deux tendances allait, dans un premier temps,
132
être à l'avantage du pouvoir central qui
réussit à instituer un système absolutiste au sein de la
monarchie (c'est notamment sous les IIIe et IVe
dynasties). Mais à partir de la Ve dynastie, les choses
allaient prendre une nouvelle tournure par la faveur des changements
politico-idéologiques qui ont accompagné l'avènement de
cette dynastie. En fait, l'orientation cléricale prise par les pharaons
de cette dynastie allait transformer la monarchie en une théocratie. Et
à partir de ce moment, les nomarques allaient se voir confier, en plus
de leurs charges civiles, des charges sacerdotales pourvues d'importants
bénéfices. Cette situation allait permettre à ces
derniers, de renforcer leurs pouvoirs au niveau local et d'évoluer vers
une autonomie vis-à-vis de Memphis. Dés lors, allait s'ouvrir un
processus d'affaiblissement du pouvoir royal, le quel processus devait aboutir
vers la fin de la VIe dynastie, à affaiblir la royauté
et cela en dépit des mesures prises par cette dernière pour
contrer la tendance autonomiste des nomarques.
La monarchie qui s'était ainsi affaiblie par
l'opposition des nomarques allait, à la fin du règne de
Pépi II, être confronté à deux autres
problèmes ; il s'agit de la crise du trésor et des
difficultés d'adaptations à la modification des conditions
climatiques intervenues durant cette période. La misère qui va
s'abattre sur les masses populaires, du fait de ces difficultés, allait
être un élément déterminant dans la révolte
du peuple contre l'institution monarchique. C'est dire que les causes de la
crise qui a provoqué l'effondrement de l'A.E., sont à chercher
dans l'affaiblissement de la monarchie du fait de l'opposition des nomarques.
Cette situation avait non seulement aggravé les difficultés
financières mais elle a aussi rendu l'Egypte vulnérable face
à la dégradation des conditions climatiques.
La crise de la P.P.I., après avoir perdurée
pendant près de deux siècles, allait prendre fin pour laisser la
place à une autre époque politiquement stable et culturellement
riche : c'est le M.E.
L'Egypte devint à nouveau un pays uni et la monarchie
allait se reconstituer sous sa forme de l'A.E. Toutefois le pays venait de
traverser une longue période de crise au cours de laquelle, il a connu
de gaves problèmes que furent entres autres, la disparition de la
royauté, la guerre civile, l'invasion étrangère etc. Toute
cette situation devait profondément marquer la conception que les
Egyptiens se faisaient de leur civilisation. De ce fait, malgré le
retour de la monarchie les choses ne devraient plus évoluer comme dans
l'ancienne société. C'est ainsi que sur le plan politique,
l'institution royale allait être de retour telle qu'elle se
présentait à l'A.E. Mais derrière ce retour, se trouvaient
de profonds changements. En effet, la crise avait fini par
révéler que malgré le caractère divin dont elle se
prévalait, l'institution
133
royale n'avait pas pu éviter à l'Egypte de
tomber dans la décadence. Et, au cours de cette crise, cette institution
a subi de pires épreuves. Après avoir été
destituée par le peuple, la royauté allait passer entre les mains
des princes locaux qui s'affrontèrent autour de ses restes. Toute cette
situation allait peser sur la nouvelle institution royale qui s'est
reconstituée au M.E. Celle-ci, tout en continuant à
apparaître comme un pouvoir de nature divine, devait évoluer vers
une tendance beaucoup plus humaine. Les nouveaux pharaons ayant compris que la
doctrine de royauté divine avait beaucoup perdu de sa valeur, allaient
user des moyens d'action telle que la politique, pour asseoir leur pouvoir. En
outre, tirant les leçons du processus politique qui a causé la
fin de l'A.E., ces souverains allaient tout faire pour éviter que le
pouvoir des chefs locaux ne puisse nuire au caractère centralisé
de l'Etat égyptien.
A l'image de l'institution monarchique, la religion
funéraire allait elle aussi connaître des évolutions
notables. A ce niveau aussi, la crise avait révélé que
cette religion funéraire, telle que la concevait l'ancienne
société, ne présentait pas des garanties certaines pour
assurer la survie éternelle à l'homme. Ce n'était pas le
fait de se doter d'une sépulture ou de bénéficier d'un
rituel funéraire qui pouvait assurer la survie de l'homme à
l'au-delà mais c'était plutôt ses actions sur terre.
Dès lors l'inégalité des Egyptiens devant la mort, qui
faisait que seuls les privilégiés avaient les moyens de s'assurer
une survie dans l'au-delà, allait disparaître permettant en
même temps le développement de la religion osirienne.
Au plan culturel, on va assister au M.E, à une
renaissance au niveau de l'art et de la littérature. Cette situation
aussi trouve ses explications dans la crise de la P.P.I. Au plan artistique, il
y a le fait que l'art égyptien avait toujours vécu sous la
coupole de la monarchie qui était, à la base de toutes les
productions. Cependant la disparition de celle-ci au cours de la P.P.I avait
permis une certaine diversification des écoles d'art. De ce fait,
pendant la période de crise, même si l'art avait connu une
régression, il avait commencé à connaître une
certaine diversification. Au niveau de la littérature aussi, la P.P.I.,
avait été une période très riche dans
l'éclosion de nouvelles idées. Cela du fait que le bouleversement
de la civilisation avait provoqué une crise des consciences qui a
poussé les Egyptiens de l'époque à méditer sur leur
sort. Il y a eu alors un développement de la pensée
littéraire qui se caractérisa par une certaine liberté
d'esprit. Ainsi, lorsque le M.E arrive, il va hériter de cette
évolution notée dans l'art et la littérature.
La P.P.I. a été ainsi, une période de
crise certes, mais elle a occupé une place importante dans le renouveau
que va connaître la civilisation Egyptienne au cours du M.E.
134
|