Chapitre 2 : Les dénonciations « propres
» à John Stuart Mill
Les critiques effectuées par l'auteur, sans l'aide
avérée de son épouse, sont en réalité du
même ordre. On y retrouve des considérations très
pragmatiques relatives aux violences dans le mariage (Section 1) mais aussi des
questions précises qui trouvent leur place à la fois dans la
presse écrite et dans l'oeuvre intellectuelle de Mill (Section 2).
Section 1 : La poursuite de la dénonciation des violences
conjugales
A la période où John Stuart Mill et Harriet
Taylor rédigent deux éditoriaux communs sur le thème de la
brutalité dans le mariage, celui-ci rédige également un
article seul sur le sujet. Ainsi, le 31 mai 1850 paraît « The
law of assault »232 dans le Morning Chronicle.
Dans cet écrit, Mill reprend les divers constats et critiques
développés dans le cadre d'études de cas individuels. Le
texte se veut ici bref et percutant mais on observe malgré tout un
retour à une étude plus théorique et
générale du
230 Stuart Mill (J.), Collected works, Newspaper writings
Part. IV n°400
231 Stuart Mill (J.), Collected works, Newspaper writings
Part. IV n°400. Notes précédent l'article.
232 Stuart Mill (J.), « The law of assault »,
Morning Chronicle, 31 mai 1850 in John Stuart Mill et Harriet Taylor :
Écrits sur l'égalité des sexes p.125
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phénomène. Mill le reconnaît
lui-même, ces éléments ont déjà
été abordés à travers le thème des «
agressions physiques individuelles ». Il s'agit ici de « faire part
[au lecteur] de certaines réflexions supplémentaires sur le
problème »233.
L'auteur revient par exemple sur la question de la
qualification des faits commis. Pour lui, le mari violent envers son
épouse devrait être jugé pour meurtre en cas de
décès de cette dernière, et non pour homicide
involontaire. Il cite, comme preuve, le célèbre juriste
Blackstone selon lequel « si un individu a l'intention de commettre un
forfait et tue sa victime involontairement, cet acte constitue un meurtre
»234. John Stuart Mill en appelle ainsi à l'idéal
de justice pour implorer, d'une certaine façon, les tribunaux à
se montrer plus sévères et à prendre des sanctions
exemplaires contre les époux tyranniques.
De plus, le philosophe décrit un mécanisme
important dans le fonctionnement efficace de la justice. A l'heure actuelle,
selon lui, les peines envers les époux seraient trop faibles. En effet,
même si celui-ci est par exemple condamné à un enfermement
temporaire ; rien n'est fait pour l'empêcher ensuite d'entrer en contact
avec son épouse. Au contraire, il est admis qu'il est rétabli
dans sa position de domination. Cela est, pour Mill, un frein à la
justice en raison des « conséquences dont les victimes feront
l'objet si elles se plaignent »235. Mill conclut par la
proposition d'une « petite loi » qui permettrait à
l'épouse, en cas de violences du fait du mari, d'être «
libérée de l'obligation de vivre avec son oppresseur
»236.
Quelques années plus tard, John Stuart Mill va, une
fois encore, d'exprimer son opinion sur la brutalité de l'époux
envers son épouse. Il le fait, cette fois, à propos d'une affaire
particulière dans laquelle un époux avait tenté
d'égorger sa femme. Dans une sorte de lettre ouverte, publiée le
8 novembre 1954 dans le Morning post, Mill s'insurge encore une fois
de la sanction minime appliquée au mari alors même que le fils
avait été témoin de la scène. L'on retrouve ici le
même argument que celui développé
précédemment. Les victimes ne sont pas protégées
par la justice, de sorte qu'elles finissent, par défiance, par
empêcher son bon fonctionnement.
Au-delà des thèmes développés
à maintes reprises dans la presse écrite, avec ou sans son
épouse ; John Stuart Mill va s'attacher à émettre des
critiques que l'on retrouvait déjà parfois dans
233 Ibid
234 Stuart Mill (J.), « The law of assault »,
op.cit. p.127
235 Stuart Mill (J.), « The law of assault »,
op.cit. p.129
236 Stuart Mill (J.), « The law of assault »,
op.cit. p.130
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des écrits précédents ou que l'on retrouvera
dans des essais plus tardifs et plus développés.
Section 2 : Des critiques présentes dans les essais comme
dans les articles de John Stuart Mill
Une des questions pertinentes posées par Mill à
la fois dans la presse écrite et dans d'autres de ses écrits est
celle de la dissolution du mariage, autrement dit du divorce. Cette question,
il l'aborde dans un article « Stability of society
»237 paru le 17 août 1850 dans le journal
Leader. Nous ne nous étendrons pas davantage sur ce sujet
déjà développé dans la première partie de
notre étude. Notons toutefois que cet éditorial a
été rédigé selon une approche particulière
consistant à démontrer que le droit au divorce des hommes comme
des femmes n'aurait aucune conséquence tragique sur la stabilité
des foyers et de la société en général.
Enfin, une autre problématique tout à fait
spéciale est traitée par John Stuart Mill dans De la
liberté mais également dans un article du Daily News
du 31 juillet 1858. Toujours sous forme de lettre ouverte, l'auteur
dénonce ici la procédure utilisée par les tribunaux pour
déclarer une personne atteinte de démence et la faire enfermer en
asile. Il fait ainsi la comparaison entre ce cas et celui d'un criminel. Ce
dernier a un droit de défense, et sa sentence devra être
prononcé par un jury. A l'inverse, la personne présumée
folle pourra être déclarée telle, sur demande de personnes
de son entourage et après avis de deux membres seulement du corps
médical ; et ce sans besoin de faire appel à un jury.
Pour Mill, cette différence de traitement est tout
à fait injuste et amène, en pratique, aux pires excès.
Cette procédure est d'ailleurs devenue, selon lui, [traduction]
« le moyen le plus facile de se débarrasser des épouses
réfractaires ou de les maîtriser »238. Le
même constat est présenté dans De la liberté
à propos des commissions « de lunatico
»239. Le philosophe y décrit le
phénomène consistant à faire déclarer une personne
démente afin de lui retirer ses droits, sa propriété, et
cætera ; sous prétexte que son comportement s'écarterait un
temps soit peu de la norme sociale. Or, ici encore selon Mill, ces accusations
visent « les hommes - et plus encore les femmes - »240.
Mill affiche le but de cet article dès le début
: attirer l'attention du public sur cette question. Il le conclut, une fois
n'est pas coutume, par la nécessité et l'urgence croissante de
voir ce problème
237 Stuart Mill (J.), « Stability of society
», Leader, 17 août 1850 in John Stuart Mill et Harriet
Taylor : Écrits sur l'égalité des sexes p.131
238 Stuart Mill (J.), Collected works, Newspaper writings
Part. IV op.cit. n°407
239 Stuart Mill (J.), « De la liberté », op.cit.
p.166
240 Ibid
saisi par les « réformateurs »241 au
Parlement mais aussi en dehors.
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