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Jeux d'argent et changement social a Yaounde

( Télécharger le fichier original )
par Badel ESSALA
Université de Yaoundé I - Master en sociologie 2018
  

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1.5. Vers une société de consommation des jeux d'argent à Yaoundé

Dans la pratique des jeux d'argent, il est important de souligner que les joueurs ont toujours la propension à investir, puis réinvestir, c'est-à-dire à « consommer » tout l'argent de façon consciente ou inconsciente. Ces jeux légitiment ainsi de l'argent gagné indûment, (sans réel travail) et dépensé aussi rapidement qu'il a été gagné par une consommation futile. Dès lors, nous pouvons noter que, la pratique du « ndjambo » légitime un nouvel aspect à savoir,

la consommation. Dans cette section, il est envisagé de le démontrer à partir du contraste
existant entre les mises investies par les joueurs et leurs gains après avoir joué. En effet, en analysant le ratio entre les montants moyens des mises mensuelles et les gains aux jeux des joueurs, il ressort que chez ces acteurs du jeu, les dépenses sont budgétisées de façon régulière même lorsqu'elles se soldent par des pertes. Cette tendance est vue dans le tableau ci-dessous :

Tableau 7 : Budgétisation des jeux et rapport aux gains des joueurs

Sommes inves-
ties par mois
(Frs)

[200 à 10.000[

[11.000 à 25.000[

[26.000 à

40.000 [

[41 à 60.000[

[60.000 et plus

Effectifs

35

48

24

15

8

Nombre de gains
> ou = aux mises

10

16

11

8

3

Proportion des
pertes (%)

71.42

66.66

54.16

46.66

37.5

Source : Badel ESSALA, (enquête de terrain).

102

Les données consignées dans ce tableau permettent de comprendre que l'investissement au jeu est un fait dans toutes les tranches de revenus mensuel chez les joueurs. Cependant, force est de constater que ces jeux ruinent particulièrement les « petits parieurs », c'est-à-dire des personnes dont le montant moyen des mises se situe entre deux cents francs et vingt-cinq mille francs par mois. Ceux-là misent de petites sommes sur les concurrents jugés perdants à l'avance, aux « cotes » plus élevées et dont les probabilités de sortir gagnant sont réduites, ce qui leur fait perdre dans la plupart des cas. Par contre les « gros parieurs », ceux qui misent plus de vingt-cinq mille francs par mois, sont plus enclins à gagner parce qu'ils hypothèquent d'importantes sommes d'argent sur les concurrents jugés favoris mais ayant de faibles « cotes ». En général, ils gagnent des sommes d'argent relativement supérieures ou égales à l'ensemble de leurs mises, bien que la proportion de pertes qui se dégage dans chaque tranche d'investissement aux jeux dans ce tableau montre que les joueurs gagnent difficilement.

S'il est donc établi que ces dépenses au jeu s'effectuent de façon régulière dans toutes les catégories de parieurs, tout porte à constater que malgré le « je pense donc je suis » cher à R. DESCARTES, la pratique du « ndjambo » a entrainé dans l'entendement des yaoundéens, le « je mise donc je suis ! ». En réalité, la société actuelle est envahie des messages et des valeurs qui font passer la réflexion du travail et de l'épargne financière, à des spéculations boursières autour des jeux. Ce qui aboutit inévitablement à des crises au sein des ménages, à l'insécurité financière et matérielle qui ne cessent de s'aggraver au sein des groupes vulnérables. Car, si à la fin du mois l'on possède de l'argent avant ou après avoir payé les biens de consommation incompressible (logement, vêtements, nourriture), il est mieux vu par la société actuelle de l'utiliser à des fins de consommation non vitale : le jeu en l'occurrence.

À cet effet, la figure 3 et le tableau 7 sont illustratifs si nous prenons le cas d'un salarié qui gagne cent cinquante mille francs et qui joue en moyenne dix mille francs par semaine. Au bout d'un mois, il dépense au moins quarante mille francs, qui représentent pratiquement le quart de son salaire. À cette somme, il faut ajouter l'argent qu'il débourse pour l'achat des journaux pronostiqueurs. Or du tableau 7, il ressort que ; quel que soit le montant investi au jeu, le joueur ne gagne presque jamais. Si ce salarié se compte donc parmi les perdants, son budget mensuel sera de toute évidence déséquilibré et généralement, c'est celui du ménage qui en paye les frais. Le conjoint ou les enfants subissent ainsi les conséquences de la consommation du jeu dans la mesure où, il ne leur sera plus possible dans certains cas de manger à leur faim, de régler les factures d'eau et d'électricité ou encore des

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frais de scolarité. Dans le cas d'espèce, nous avons considéré un montant de mise hebdomadaire relativement bas pour certains joueurs.

Un autre terme qui met en exergue la consommation des jeux est « l'achat ». Le terme utilisé est le pouvoir d'achat et non le pouvoir d'épargne. Le jeu à faible mise incite les personnes à la pratique, à la consommation au point où ceux-ci se perdent dans « la passion dévorante » R. SENNETT (2006 :123). À ce moment, le jeu ne sera plus une consommation en puissance, mais une consommation de puissance. Et dans cette mouvance, il y a un réel décalage entre le désir et le besoin, donc un phénomène de surconsommation ou de dépendance au jeu. Cette dépendance submerge l'individu pour qui, l'investissement au jeu devient son obsession, sa drogue. Or en entrant dans la dépendance au jeu, l'overdose dévore le consommateur à petit feu. Pourquoi donc investir vingt mille francs dans un jeu pour après entrer dans les dettes ? Pourquoi risquer la moitié ou la totalité d'un salaire dans une machine à sous, alors qu'on ne s'est pas acquitté de son loyer ? Ce sont là des illustrations d'une consommation où les gens qui disposent d'un peu d'argent, veulent en multiplier pour accroître leur capital.

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius