1.4. Jeux d'argent et émergence d'une pensée
à court terme
En observant le joueur yaoundéen dans sa
pratique, on peut s'apercevoir qu'avec les jeux d'argent, il n'y a pas de
planification possible à moyen terme. Pour le dire autrement, il s'agit
d'une « stylisation de l'existence » selon M. MAFESSOLI
(2004 :4), c'est-à-dire d'une logique existentielle propre à ces
acteurs ; elle tire ses fondements de l'instant présent et du
vécu quotidien. La pratique de ces jeux exclut donc toute
possibilité d'épargne du fait que l'argent gagné doit
être réinvesti dans sa totalité, consommé en quelque
sorte. Si l'on se sert des faits observés, la configuration des jeux
d'argent en elle-même n'est qu'une succession d'actions à court
terme : pronostic ? prise de risque ? validité du pronostic ?
récompense. Pas de planification possible, donc pas d'anticipation des
événements futurs. Ici,
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l'appréhension laisse place à l'angoisse qui
enferme le joueur dans l'immédiateté à peine plus
rassurant, alors que l'épargne est l'outil permettant de répondre
à un désir bien pensé.
Ce court terme conduit le joueur dans un cercle vicieux
inextricable. Autant dire que, l'appât du gain facile endort l'esprit de
certains individus, les incitants à gagner de l'argent rapidement par
des voies moins difficiles et peu orthodoxes. C'est un désir
d'enrichissement par des voies peu scrupuleuses, outrepassant les règles
élémentaires de vigilance au moment où on vous prend tout
ce que vous possédez. Tel est le cas de l'informateur S. EBONGUE, neveu
d'un joueur d'argent, pour qui le jeu représente
désespérément un moyen de rachat d'une fin de
carrière. Ses propos se déclinent ainsi qu'il suit :
J'ai un oncle qui travaillait au cadastre à
Mbalmayo. À un an de sa retraite, il n'avait ni construit de maison, ni
situé ses enfants. Alors il s'en était remis bec et ongles au
PMUC. Son crédo étant que , · Dieu pourvoira ! Un jour,
il a gagné à peu près deux cent cinquante mille francs.
Malheureusement, après être rentré en possession de son
argent, il est allé miser à nouveau pour multiplier son gain. Il
a finalement tout perdu (...).
Ce témoignage met en évidence la logique
court-termiste qui sous-tend la pratique des jeux d'argent, où les
joueurs après avoir joué et gagné sont fascinés par
leur gain et projettent immédiatement un autre gain plus important. En
investissant à nouveau, ils en ressortent très souvent perdants.
Pour sa part, l'enquêté R. OKALA âgé de 28 ans et
sérigraphe à Mokolo, moins optimiste quant à sa
capacité à réaliser ses projets à partir des
revenus que lui procurent son activité, estime que :
La majorité des joueurs ici visent le gros lot et
ont des projets en tête au cas où ils venaient à gagner !
Moi par exemple, si gagne les deux millions qui sont sur ce ticket , ·
je n'achète pas un terrain ? Je ne dote pas ma femme ?
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De tels exemples montrent que les espaces de jeux d'argent
dans la ville de Yaoundé, sont devenus des lieux de planification et de
projection de la vie jouée à la réalité sociale. La
pratique de ces jeux façonne donc une logique court-termiste, où
l'on évolue désormais dans une configuration : Action--p
Réaction--p Résultat. Cela laisse voir au quotidien des
populations dans les lieux de jeux où le « souci de soi »
M. FOUCAULT (1986), fusionne avec l'activité ludique
pratiquée. En cela, les pratiquants du jeu, par la dramatisation de leur
condition et dans le plaisir qu'ils produisent, créent des «
horizons de refuges » qui participent à « recréer
l'espoir dans une société où tout semble perdu »
G.L, TAGUEM FAH (2001 :29).
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