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Jeux d'argent et changement social a Yaounde

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par Badel ESSALA
Université de Yaoundé I - Master en sociologie 2018
  

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3. La radio et son impact sur le comportement du joueur

La radio est le canal qui a toujours eu la capacité d'atteindre le public, ses messages sont instantanément reçus et atteignent la population partout où elle se trouve. C'est un média qui participe à la stimulation des envies de jeux chez les auditeurs, du fait qu'il révèle une tendance constante à suivre ce qui est produit. À travers son transistor à faible coût, l'utilisateur peut facilement avoir un lien direct avec l'actualité sur les évènements sportifs, les résultats des courses, les numéros tirés à la loterie ou encore des « jackpots » mis en jeu. Tout comme la télévision, la radio est un modérateur du pouvoir d'enrôlement des individus aux pratiques de jeux d'argent, du fait de ses nombreuses présentations et publicités de jeux qu'elle diffuse à longueur de journée, à un public issu de nombreuses couches sociales.

Ainsi, au cours des entretiens, plusieurs enquêtés ont affirmé s'être invités dans les jeux de PMU et loterie, du fait de programmes radiophoniques en modulation de fréquence parlant de ces jeux. Parce que ne disposant pas d'un poste téléviseur dans leur domicile ou lieu de service, leur poste radio est l'instrument à travers lequel ils restent connectés à l'actualité.

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Nonobstant les jeux d'argent publicisés à la radio et à la télévision, les invitations à participer à ces jeux parviennent aussi par le canal de l'internet.

4. Internet et la promotion des jeux d'argent en ligne

Internet, nouveau média, propose une nouvelle forme de jeu d'argent, le jeu virtuel. En effet au Cameroun, l'existence des sites de jeux tels que : www.pmuc.com, www.premierbet.com et www.supergoal.com, permettent de jouer en investissant un argent virtuel. Dans ces sites, le pouvoir de la publicité et du marketing qui présentent les jeux d'argent en ligne comme accessibles et excitants, donnent à de nombreux adeptes la possibilité de jouer ou de parier tous les jours et 24 heures sur 24. Ici, on retrouve généralement des casinos et hippodromes qui fonctionnent sur le même mode que les casinos et les PMU réels. On y joue avec de 1'argent qui, même converti en monnaie virtuelle garde sa valeur monétaire. Avec le jeu en ligne, le joueur peut gagner ou perdre de l'argent depuis son domicile ; à partir d'un téléphone multimédia ou d'un ordinateur connecté au réseau internet.

Dans ces sites de jeux, il est souvent proposé au joueur des jeux gratuits, des jeux bonus et des essais, qui lui permettraient d'évaluer son potentiel de chance et sa capacité à gagner de l'argent une fois que cette phase préliminaire est achevée. Cette formule intéresse beaucoup de jeunes, qui s'arriment plus rapidement à la modernité et à l'usage de l'outil informatique dans notre société. Cependant, le développement des jeux en ligne et l'accès des populations au réseau internet étant encore récent et relativement peu répandu dans notre société, il va sans dire qu'internet a un impact limité sur l'enrôlement des joueurs par rapport aux autres médias.

Pour tout dire, les mass-médias ne sont pas neutres dans l'enrôlement des individus aux pratiques de jeux d'argent dans la ville de Yaoundé. À travers leur cheminement, F. BALLE (2000 :113), affirme que « les médias cherchent le profit : ils voudraient que tout se vende, que tout s'achète. Pour atteindre leurs objectifs, ils s'emploient à répondre aux attentes de leurs clients, et cherchent avant tout à plaire et à séduire ». C'est dire en d'autres termes, qu'il y a une double action des médias face aux jeux d'argent : ils ont pour thématique préférée l'illusion et le rêve, et le jeu comme simple sujet d'information.

Tout compte fait, si certains joueurs d'argent sont influencés par les médias, c'est d'abord parce que ces derniers se prêtent à ce jeu d'exposition. L'influence des médias dépend aussi « de ce que les gens en font, de ce qu'ils en attendent, (...), de ce qu'ils croient en obtenir » F. BALLE (1980 :589). Car d'où vient-il que les autres camerounais, exposés à

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ces mêmes programmes, ne viennent pas à s'adonner à certains jeux par regain d'intérêts financiers ? C'est aussi la preuve que ces publicités et programmes bien que suggestifs, « sont diversement puissants, selon les époques ou selon les publics » F. BALLE (idem, 1980.). Parfois, ces programmes coïncident avec les aspirations intrinsèques ou réelles des individus. Ce volet fait intervenir l'étude de la mobilité ; c'est-à-dire le rapport entre la position occupée par les acteurs dans la hiérarchie sociale et leurs contraintes aux jeux d'argent.

II. MOBILITÉ SOCIALE ET QUÊTE D'ANCRAGE ET D'AUTONOMIE DES ACTEURS À TRAVERS LES JEUX D'ARGENT

Cette section se propose d'analyser la pratique des jeux à Yaoundé, comme un modèle de quête d'argent mis en place par les populations urbaines, dans des circonstances déterminées. Son objectif est de cerner à la fois les itinéraires individuels et collectifs des yaoundéens en quête de gains providentiels. Dans cette analyse, la mobilité s'appréhende non pas comme une mobilité à caractère physique des acteurs, mais se pose comme un examen microsociologique des mobilités à savoir, le statut des acteurs dans la hiérarchie sociale. Son but est de comprendre de quelle manière le jeu devient un recours chez les personnes en proie à l'uniformité sociale, à la concupiscence inassouvie et en quête de refuges sociaux. La pertinence de ce registre se trouve dans les logiques et pratiques des acteurs individuels et collectifs pour s'insérer dans la ville, de même que sa restitution repose sur la prise en compte des principaux cycles qui rythment les temps urbains à savoir : la fréquentation des milieux de jeux, l'occupation permanente et la montée des nouveaux modèles d'accumulation.

1. Fréquentation des milieux de jeux et apprentissage social chez les désoeuvrés Parce que les jeux d'argent impliquent des personnes initiées et des personnes à initier, certains individus commencent souvent à les pratiquer parce qu'ils s'invitent régulièrement dans les cercles de jeux pour se « distraire » en compagnie des autres. Comme le dit-on souvent « l'appétit vient en mangeant », il va de soi qu'ils éprouvent au fil du temps, assez de difficultés à garder leur posture de spectateur pour se convertir en de joueurs. À travers le processus de socialisation qui consiste pour un individu d'intérioriser les normes et valeurs de sa société d'appartenance, ces individus intègrent un ensemble de connaissances communément partagées et s'invitent plus ou moins consciemment dans ces jeux. C'est ce qui ressort des propos d'A. BINELLI, un commerçant ambulant qui se prononce sur son enrôlement dans les PMU dans les termes suivants :

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Avant, je venais ici (salle de jeu) pour me reposer un peu et perdre du temps en regardant les matchs ! Mais tellement je voyais les gens gagner au pari foot et au kéno, j'ai été excité à l'idée que moi aussi la chance pouvait me sourire. C'est donc comme ça que je me suis rapproché d'un ami que j'ai rencontré ici, pour qu'il m'apprenne à faire des combinaisons.

À l'analyse de ces propos, l'on se rend compte que les espaces de jeux ont pour fonction de forger la socialisation de celui qui les côtoie. En quelque sorte, ils constituent une seconde famille où peuvent se nouer des filiations, des liens de familiarité et de solidarité ; ils jouent aussi le rôle d'une formation sociale qui génère du lien social F. BAILLET (2001 :163). Cet auteur fait bien de le souligner car, dans notre contexte, la coutume du parrainage par un ou plusieurs membres contribue à insérer le nouvel adhérent ou pratiquant, tout en assurant la cohésion de la communauté associative. C'est ainsi qu'une tendance se dégage : beaucoup de désoeuvrés fréquentent à longueur de journées les milieux de jeux. Ces personnes occupent une proportion de 42.30 % de l'effectif des enquêtés (Voir le tableau 1).

D'une manière générale, les désoeuvrés sont des personnes en manque d'occupation, qui ont assez de temps libre et ne savent parfois où aller. Pour ainsi dire, de nombreux citadins en situation de chômage ou ceux en provenance des campagnes vers la ville, en la faveur de l'exode rurale et à la recherche d'une « vie meilleure » selon les mots du chanteur André Marie TALA, ont eu le désir de découvrir de nouveaux horizons en arrivant à Yaoundé. N'ayant pas eu la possibilité de s'insérer dans les circuits d'emplois salariés ou s'obstinant à se lancer dans un secteur informel déjà harassant et saturé, vont opter pour le choix du gain facile. En l'occurrence, ils choisissent de fréquenter les cercles de jeux d'argent à la recherche d'une « intégration urbaine ». Dans ce sillage, il apparaît d'emblée, que l'influence sociale revêt une importance majeure dans l'initiation des individus à la pratique de ces jeux.

Parce que dans les secteurs urbains où se pratiquent les jeux d'argent, certains individus sont enclins à prendre position sur ce phénomène en fonction des positions de leur entourage. L'influence du pair joue ici un rôle capital dans l'enrôlement du joueur et affecte surtout les femmes de joueurs à la maison. Initialement, nombreuses parmi elles sont souvent indécises à l'idée de se rendre dans un casino ou une salle pour jouer. Mais par l'effet de contamination des habitudes de jeux de leur entourage, elles auront de ces jeux une idée

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appréciative par la suite. À l'image de madame P. NTAMACK, une invétérée du PMUC qui déclare que :

Je suis accrochée à ce jeu jusqu'à la mort ! D'ailleurs, c'est mon mari qui m'a poussé à jouer parce qu'à chaque fois qu'il rentrait avec un catalogue, il me demandait de lire et de l'aider à choisir les numéros d'éventuels chevaux gagnants. Quelques rare fois ça marchait et petit à petit, j'ai aussi prise goût. Il y avait même des moments où on se rendait ensemble dans un casino, où il jouait et je l'observais (...)

Cette déclaration permet donc de constater que la tendance à l'uniformisation dans les manières d'être, d'agir et de sentir dans les lieux où se pratiquent les jeux d'argent ne découle pas de l'instinct ou de pulsions spontanées, mais plutôt d'un ensemble de pressions « invisibles » qui peuvent se matérialiser de plusieurs façons. Car, d'après G.N FISCHER (1987 :57), « l'étude des phénomènes sociaux se caractérise d'emblée par la tendance des systèmes à l'intégration et par la capacité des individus à incorporer les éléments dominants dans une culture ». Un ensemble de faits qui amène alors à s'interroger sur la question de savoir qu'est ce qui peut objectivement traduire la présence massive des personnes oisives dans les lieux de jeux d'argent ?

En réalité, la fréquentation des cercles de jeux et leur pratique par les personnes en manque d'occupation peut dans un premier temps, s'interpréter comme le recours à un sentiment de compensation d'échec à l'intérieur d'un système de hiérarchie lié au mérite. Du fait qu'ils n'aient pas pu s'insérer dans une échelle plus confortable dans la société urbaine, ces personnes désoeuvrées se retrouvent très souvent préoccupées par leur sort. Elles s'invitent alors dans les salles de jeux, dans l'espoir permanant d'améliorer leur situation financière. Une idée qui fait dire à R. BRENNER et G. BRENNER (1993 :8), que « Dans un système compétitif, l'envie et la frustration des laissés-pour-compte trouve un exutoire dans les jeux de hasard ». Une idée qui est d'autant plus fondée quand on sait qu'en situation défavorable, le risque devient permanent, chacun compte sur sa chance pour tirer son épingle du jeu, quitte à mettre ses économies en danger si l'enjeu en vaut la peine.

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Deuxièmement, on peut admettre que les attroupements observés dans les lieux de jeux majoritairement peuplés des personnes oisives, résultent quelque part d'un sentiment partagé d'être exclus d'un système qui permet à ceux qui ont réussi leur intégration de mener une vie confortable. Elles s'invitent alors dans ces lieux à la recherche de ce qu'ils n'ont pas obtenu par les voies normales de promotions professionnelles et financières. C'est en cela que leur recours au jeu d'argent peut être un adjuvant idéal dans ce que J.M. ZAMBO BELINGA (2003 :573), qualifie de « quête de notabilité sociale ». C'est-à-dire qu'ici, la fréquentation des milieux de jeux peut être instrumentalisée dans la recherche et même la consolidation de ce que les yaoundéens appellent prosaïquement « le positionnement », donc la reconnaissance sociale. Cet aspect de la chose est vu dans le tableau qui va suivre.

Tableau 4 : Répartition des joueurs selon ce qui les motive à jouer

Motivations aux jeux d'argent

Effectifs

Proportions (%)

Petits gains réguliers

40

30.76

Désir de recouvrir ses pertes

22

16.92

Espoir d'un gain important

68

52.30

Total

130

99.98

Source : (Badel ESSALA, (enquête de terrain).

Du tableau ci-dessus, on constate que 30.76 % d'individus se perpétuent dans les jeux d'argent malgré le fait qu'ils gagnent des sommes dérisoires. Ces gains équivalent plus ou moins aux sommes régulièrement investies, parce qu'ils combinent leurs mises de deux façons : il y'a d'un côté, un ou plusieurs tickets visant le jackpot pour un gain important. Et d'autre part, des tickets dits de « récupération » cumulant de minables gains probables, ce qui les met en confiance pour poursuivre leur jeu et d'aspirer à un gain important à l'avenir.

Ensuite, une proportion de 16.92 % de personnes jouent parce qu'elles espèrent récupérer l'argent perdu. Il faut comprendre de part cette représentativité, que le souvenir d'un gain reste souvent plus présent dans la mémoire du joueur que celui d'une perte.

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Les premières fois qu'une personne joue, elle peut gagner parfois même des sommes importantes, cette première phase est appelée la « chance du débutant ». Et lorsque le joueur commence à enregistrer des pertes, c'est le souvenir de ses gains antérieurs qui le motive à jouer davantage. En fin, 52.30 % de joueurs pratiquent ces jeux dans l'espoir de gagner un gain important. Cette catégorie de joueurs est celle de ceux qui militent en faveur de la « cotisation », en vue d'un gain fut-t-il tard. Cela voudrait signifier que le jeu est une activité permanente à laquelle on dépense beaucoup d'argent, quelle que soit la charge familiale.

À travers ces différentes proportions dans les motivations à la pratique des jeux d'argent, il ressort que le poids de cette pratique populaire n'est pas exempt de sens. Et comme site de flexion, ce phénomène pourrait participer à des « tactiques » traduisant le combat des populations, luttant pour améliorer leur niveau de vie en usant des armes non conventionnelles, le jeu et le hasard. Il en est des jeux comme le poker, le pari foot, le PMUC ou le Loto qui fonctionnent aujourd'hui comme un exécutoire pour les masses de populations qui ne rêvent de s'autodéterminer que par la chance, dans une société qui semble ne plus leur offrir d'autres alternatives.

Quelles fonctions remplissent donc ces salles de jeux et tripots de rues pour les citadins ? Les salles de jeux sont d'abord une réponse à la crise actuelle multiforme. L'une des premières motivations des joueurs réside en effet, dans la recherche de bénéfices temporels immédiats, voire miraculeux à savoir : gagner des centaines de milles, voire des centaines de millions en misant deux à trois cents francs. Face au désarroi ambiant, aux multiples incertitudes et souffrances qui les accompagnent, nombre d'individus se réfugient dans les salles de jeux pour que soit solutionné leur infortune et leur kyrielle de souffrances. Ces lieux exutoires constituent des territoires positifs, libérateurs et protecteurs de l'insécurité, des contraintes, des problèmes, de la pesanteur et du désespoir du dehors.

Le cas de l'enquêté A. MBARGA, 28 ans, un « débrouillard », appréhendé dans une salle de jeux en est une illustration. Pour cet individu ;

Le pari foot est un jeu qui m'aide franchement au niveau des finances. Il y a des mois où je peux gagner vingt ou trente mille francs (...) Avec cet argent, mon loyer est assuré ! Mais mon véritable objectif dans ce jeu c'est de gagner au moins un million cinq cent mille et fuir ce pays pour tenter une aventure au Maghreb ou en Afrique de l'ouest.

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Une ambition qui semble aller de pair avec l'idée du jeu que se fait un autre joueur d'argent, X. EKANI, 34 ans et licencié en Droit mais sans emploi. Selon lui,

Les jeux d'argent prolifèrent à Yaoundé parce que la corruption a amplifié le chômage des jeunes ! Imaginez-vous quelqu'un qui, après ses études ne trouve pas du travail et dépasse même l'âge des concours (...) Vous savez, Dieu n'oublie personne. Nous autres on vient encore ici pour tenter la chance de gagner quelque chose qui peut nous produire un bon capital.

Dans cette perspective, on peut ainsi évoquer l'idée du retour sur le pratiquant du jeu d'argent en assumant les rapports d'une Sociologie de l'innovation, qui s'élabore à partir des stratégies de quête d'argent dans des pratiques peu orthodoxes. Ce dynamisme manifesté par une convergence des acteurs vers les lieux de jeux se reflète à travers leur « sens pratique » P. BOURDIEU (1980), de la vie quotidienne et de l'indigence à laquelle ils font face. Car ces personnes en tant que oisives, ont logiquement des problèmes financiers et sont particulièrement attentives au marketing du jeu, surtout quand on ne cesse de brandir à la semaine, « d'heureux millionnaires » dans les médias. Quand elles « se battent » sans aucun espoir de voir leur condition changer, ce type d'opportunités leur offre l'espoir de gagner de l'argent rapidement sans aucune mesure avec les faibles revenus rapportés par la « débrouillardise » chez certains.

C'est dire en somme, que l'oisiveté est un facteur qui contribue à la prolifération des jeux d'argent à Yaoundé. Ce contexte d'immobilité qui accroît les contraintes et les incertitudes des acteurs, leur impose un aménagement constant de leurs trajectoires urbaines. À ce moment, le jeu nourrit en eux l'espoir d'améliorer leur situation ou encore, de combler un manque à gagner. Une idée qui s'arrime à la perspective de la « fuite devant des conditions de vie difficiles » élaborée par Y. CHANTAL et al., cité par M. DI GASPERO (2012 :54-55), tant il advient que certains individus concilient la fonction ludique du jeu à celle d'une solution miracle à leur gêne financière. C'est pourquoi disent-ils des joueurs, que le jeu « constitue un moyen efficace pour leur permettre de parvenir à leurs fins ».

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Toutefois, il convient de rappeler que, ne choisissent de fréquenter les lieux de jeux d'argent à la recherche du bonheur, que ceux qui se laissent tenter par le chemin de la facilité et de l'incertitude. Ou encore par les mythes qui laissent entendre que par cette pratique, l'on peut parvenir à l'enrichissement. Car il existe aussi d'autres individus oisifs, qui ne choisissent pas de fréquenter les salles de jeux pour parvenir à une quelconque aisance financière. C'est dire autrement, que le contexte des jeux d'argent à Yaoundé avec la fréquentation populaire des cercles de jeux par les populations a d'abord trouvé sur place un terrain favorable chez certains individus à la propension au gain facile. Leur prolifération a plutôt favorisé une visibilité notoire de la situation qui prévalait déjà, et n'a été qu'un tremplin pour officialiser et trouver une excuse pour d'autres.

2. Proximité des lieux de jeux et construction d'illusions du gain chez les commerçants

Un autre mécanisme à travers lequel certains yaoundéens s'invitent souvent aux pratiques de jeux d'argent est la proximité des lieux de jeux à leur environnement social. Selon l'échantillon prélevé, 23.07 % des enquêtés (voir figure 2), affirment que la proximité des points de jeux à leur environnement social les amène à s'y intéresser. En réalité, la pertinence sociale de la proximité physique est un sujet d'interrogation ancien en sciences sociales ; les travaux de G. SIMMEL et des sociologues de Chicago, ceux d'E. GOFFMAN peuvent encore nous rappeler ce que la proximité physique apporte à la relation sociale. Dans cette étude, le rapport de la proximité physique des points de jeux aux populations dans les secteurs urbains est appréhendé à la fois comme une donnée matérielle et conceptuelle, subjective et socialement construite. Ainsi, nous verrons comment dans les marchés, les gares routières et les carrefours qui sont des lieux de forte concentration des populations, l'accointance des lieux de jeux est un élément incitatif.

Ainsi, au marché Mokolo où nous avons enquêté, plus d'une dizaine de points de jeux (salles de jeux, tatamis, tripots etc.) sur un rayon d'environ cinq cents mètres ont pu être repérés. Cette concentration relativement forte des points de provision de ces jeux exerce non seulement un pouvoir de centralité dans l'approvisionnement des individus en besoin de jeu, mais s'impose surtout comme un nouvel itinéraire et un besoin moral à satisfaire. En effet, pour participer aux jeux d'argent, les joueurs ont besoin soit des cartes, de dés, d'une salle de jeu, d'un espace-poker, d'un journal du PMUC ou du pari foot. Il se trouve que tous ces matériaux et structures soient présents dans les marchés, les carrefours et les gares routières, près des commerçants, ce qui les fait difficilement s'abstenir d'y risquer leur argent. Un

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informateur nommé F. KOUATCHOU, âgé de 39 ans et libraire au marché de Mokolo, évoquait l'impact de la proximité de ces structures sur ses habitudes de jeux en ces termes :

Un bon parieur ne reste jamais sans son ticket, car on ne sait jamais ! La chance que nous avons ici est qu'on a un kiosque juste en face, comme vous pouvez l'apercevoir (...) On peut donc jouer en temps opportun et sans problème. Par contre le dimanche, j'ai particulièrement des difficultés à valider mes tickets parce que ma maison est un peu loin du carrefour.

Une autre raison qui pousse souvent les commerçants à participer aux jeux d'argent est la possession fréquente de moyens financiers. Certains boutiquiers, transporteurs à moto ou encore des vendeurs à la sauvette manifestent souvent leurs envies de jeu parce qu'ils possèdent régulièrement des pièces d'argent sur eux. Ce sont des sommes qu'ils estiment dérisoires et de ce fait, ne menacent pas de déstabiliser leur activité. Cette appréhension est d'autant plus compréhensible tant il est vrai qu'à Yaoundé, la proximité des lieux de jeux aux commerçants converge avec l'accessibilité de ces jeux.

L'accessibilité en relation avec la pratique des jeux renvoie ici au coût du jeu. Pour y participer en effet, les joueurs doivent hypothéquer un montant qui varie entre deux cents et quatre cents francs auprès du croupier ou de la structure, ou encore des sommes à hauteur de cinq cents francs pour ce qui est des jeux comme la Carte, le Ludo, les dés ou des paris entre les joueurs sur un évènement quelconque. La relative modicité de ces sommes d'argent permet d'affirmer sans risque d'erreur, que les jeux d'argent sont accessibles non seulement aux commerçants, mais à toutes les couches sociales de la population urbaine. Une observation qui devient encore plus pertinente lorsqu'on découvre que la majorité des enquêtés, soit 74.61 % affirment qu'ils sont eux-mêmes responsables du financement de leurs jeux. Le reste étant aidé soit par leurs camarades, soit par leurs parents (ce qui est un peu rare).

Le tableau suivant présente cette situation.

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Tableau 5 : Origine des sommes d'argent consacrées aux jeux

Source de financement des

jeux

Effectifs

Proportions (%)

Parents

5

3.84

Camarades/Amis

8

6.15

Joueur lui-même

97

74.61

Abstention

20

15.38

Total

130

99.98

Source : Badel ESSALA, (enquête de terrain).

Ces jeux qui donnent donc la possibilité au joueur de remporter d'importants gains contre une faible mise font par ricochet émerger trois moments déterminants dans la « carrière » du joueur. Il s'agit entre autres des gains, des pertes et du désespoir. Comme nous le rapportait l'informateur L. ABDOU, cordonnier et joueur de Carte appréhendé à Mokolo, expliquant son accoutumance aux jeux d'argent à travers ces propos :

Il y'a tout le temps des gens parmi lesquels mes amis du marché ici qui jouent à la Carte sous ce hangar (...) J'ai été tenté à l'idée de les rejoindre parce qu'ils me disaient qu'ils y gagnent pas mal d'argent ! J'ai commencé par être un simple spectateur et par la suite, j'ai pris goût au jeu. Je dois vous avouer que mes deux premières semaines ont particulièrement été fructueuses, car je rentrais en moyenne avec quatre mille francs par jour, cela me permettait de résoudre mes petits problèmes.

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À la question de savoir si c'était la chance du débutant, l'enquêté répond en ces termes : « J'avais le sentiment d'être devenu un expert à la Carte, puisque je gagnais régulièrement en ne misant que cent ou deux cents francs. Mais au vu de mes gains, j'en suis venu à miser une somme de dix mille francs ! ». Forcément, il lui est donc arrivé de perdre. Car, comme le conclut l'enquêté lui-même, « il faut savoir que c'est aussi ça le ndjambo ! Gagner c'est bien mais après, il faut cotiser pour les autres ».

En effet, dans un premier temps, il peut arriver qu'au début du jeu, le joueur accumule une série de succès, tant il bénéficie soit de nombreux petits gains ou encore d'un gain important. À ce moment, tout va bien pour lui à tel point qu'il commence à surévaluer ses chances de gains et met à la disposition du jeu des sommes plus élevées. Le jeu lui apporte des sensations et comble ses désirs. Mais après l'euphorie, apparaît l'affliction : c'est la phase des pertes. Le joueur enregistre une succession de revers, il joue mais c'est sans succès prolifique. Parce qu'il veut regagner l'argent engloutit dans le jeu, il devient irrésistiblement attiré par le jeu à quoi il consacre beaucoup de temps. Le jeu prend alors les proportions d'une réelle obsession au point où l'argent si souvent initialement destiné à d'autres fins comme la scolarité, la nourriture ou les soins de santé se retrouve dilapidé. Et lorsque l'espoir du gain devient déraisonnable, il rentre dans une phase de désespoir : il devient extenué et souffrant. D'après M. VALEUR et al (2000 :52-53), « le suicide, l'incarcération et l'appel à l'aide semblent être ses seuls options ». Car, face aux difficultés qui s'accumulent pour lui, il continue de penser que seul le jeu pourra l'aider à s'en sortir. Il joue alors machinalement, avec un fond d'espoir de gagner.

En revanche, si la plupart des commerçants entourés par les points de jeux dans les marchés, les stationnements et les gares routières estiment qu'un tel investissement est justifié au regard de la faiblesse des mises et les importantes sommes d'argent proposées, il est certain que les jeux d'argent soient nuisibles au commerce et à la prospérité. Selon R. BRENNER et G. BRENNER (idem, p.17) :

Les loteries ont soutiré de manière injuste et frauduleuse d'importantes sommes d'argent aux enfants et aux domestiques de plusieurs gentilshommes, marchands ou commerçants (...) et elles ont mené plusieurs familles à la ruine et à la pauvreté.

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Ce point de vue laisse percevoir que la présence des lieux de jeux d'argent dans les marchés et autres lieux de rassemblements populaires est un fait particulièrement grave pour les commerçants. En réalité, loin de satisfaire à leurs besoins d'acquérir plus d'argent, cette pratique symbolise plutôt la paupérisation, la ruine soudaine et la destruction des familles, quand elle n'a pas conduit au suicide.

3. Conscription aux jeux d'argent : entre verrouillage du dedans et libération des passions du dehors chez les salariés

Comme le soulignait A. CAMUS cité par A. FRANQUEVILLE (1984 :10), « une manière commode de faire connaissance d'une ville est de chercher comment on y travaille, comment on y aime et comment on y meurt ». Sans suivre à la lettre cette réflexion, nous souhaitons apporter dans cette section, une présentation des activités telles qu'elles se déploient dans la ville de Yaoundé, dans l'intention d'établir un rapport avec les pratiques ludiques des citadins. Cette exigence de travail s'avère d'autant plus importante que dans toutes les catégories socioprofessionnelles et secteurs d'activités, la pratique des jeux d'argent est un fait. En milieu urbain, le recours à ces formes de pratiques ludique dépend d'abord de la capacité financière des acteurs, en rapport avec leurs obligations sociales ou le degré de réalisation de leurs besoins. Ce cheminement peut se résumer dans le schéma ci-après : Activité principale ? Revenus moyens mensuels ? Aspirations sociales ? Jeux pratiqués. Ce schéma résume le cycle qui conduit au jeu et est déterminé par la variable de revenus financiers des individus à partir de leur activité principale.

En effet, dans une ville comme Yaoundé, les pratiques ludiques se réinventent et prolifèrent au quotidien. Parallèlement, les revenus des joueurs ainsi que leurs aspirations sociales varient. Si l'on se pose donc la question de savoir quelle relation directe lie : l'activité économique ? les revenus financiers des joueurs ? les aspirations et le jeu pratiqué, la réponse à ce questionnement peut être appréhendée dans l'analyse des revenus financiers des joueurs qui va suivre.

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Figure 3 : Distribution des enquêtés selon leurs revenus moyens mensuels

Source : Badel ESSALA, (enquête de terrain).

Les données consignées dans ce graphique permettent de constater que 21.53 % des enquêtés perçoivent un dû mensuel inférieur ou égal à trente-six mille francs. Cette catégorie d'acteurs est constituée d'adolescents joueurs, d'élèves, des étudiants et dans certains cas, des désoeuvrés. Ensuite, 24.61 % de joueurs exercent une activité rémunératrice de revenus financiers à hauteur de soixante-cinq mille francs. À ceux-là, viennent s'ajouter 15.38 % d'individus qui gagnent moins de cent mille francs mensuels. Ce sont pour la plupart, des personnes exerçant un petit métier ou encore des « débrouillards », donc des personnes sans emploi fixe pour qui le jeu constitue un enjeu de compensation aux ressources financières déjà insuffisantes, qu'ils obtiennent à partir de leur activité principale.

Plus encore, une proportion de 11.53 % d'enquêtés ont des revenus compris entre cent et cent cinquante mille francs ; 8.46 % d'entre eux gagnent plus de cent cinquante mille francs. Ceux-là se comptent parmi les entrepreneurs privés, les fonctionnaires et les personnes exerçant une activité économique stable. Leur jeu peut être associé à une activité secondaire ou encore, comme un moyen pour eux d'arrondir les fins de mois. En outre, 18,46 % d'enquêtés n'ont pas répondu à cette question. Au cours de nos investigations, il nous a été rapporté par d'autres joueurs, que ces personnes se comptent aussi bien parmi les travailleurs salariés que les chômeurs. Sans vouloir recourir à de quelconques substitutions, cette variable

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a été conservée. Comment donc expliquer ce regain d'intérêts pour des pratiques ludiques à but lucratif chez des personnes plus ou moins intégrées dans les secteurs de production ?

En réalité, dans la ville de Yaoundé, la montée de l'individualisme et la promotion de nouveaux territoires d'accumulation de gains providentiels sont à la source des mobilisations collectives autour des jeux. Autrement dit, c'est la dépréciation de la valeur travail au profit d'une « économie-ndjambo » qui prend cours avec l'avènement d'une nouvelle rationalité qui coïncide avec un accroissement plus ou moins décomplexé des revenus financiers chez les travailleurs. Dès lors, une notion émerge : celle de SMIG ou minimum vital qui est explicitement introduite dans le statut de tous les employés, quelle que soit la tranche d'activité exercée. En réalité, au Cameroun, malgré la publication du décret no 2014/2217/PM du 24 juillet 2014 portant revalorisation du SMIG qui dans la foulée, est passé de vingt-huit mille deux cent seize à trente-six mille deux cent soixante-dix francs, il n'en demeure pas moins vrai que ce pays bien qu'étant la « locomotive » en Afrique centrale, dispose de l'un des SMIG les plus faibles parmi les pays de la sous-région8.

Étant donné qu'« on n'a pas assisté à des hausses fortes de revenus, et cela est aussi vrai des revenus des fonctionnaires, des salariés du secteur formel » N. RIBAUD (1991 :78), il va de soi que, malgré les souffrances endurées par les travailleurs pendant leur occupation, on comprend que la notion de minimum vital se trouve toujours placée au centre des préoccupations salariales. Les propos suivants d'un enquêté, D. NJENG, âgé de 32 ans et préposé des douanes appuient ce constat. Selon lui :

Vous pensez qu'être fonctionnaire met quelqu'un à l'abri du besoin ? Croyez-moi, la fonction publique ne donne rien (...) moi par exemple, je suis sur avance de solde depuis sept mois ! Avec une femme et trois enfants à la maison, ce n'est pas du tout facile. Je cherche comme ça les voies et moyens de racolage de sous pour pouvoir gérer ma petite famille.

À travers ces déclarations, on comprend que le jeu d'argent n'épargne aucune catégorie socioprofessionnelle de la population urbaine à Yaoundé. Cela peut laisser voir que le travail ne paye plus. Un agent de sécurité gagnant par exemple un salaire de quarante-cinq mille francs est en voie de se poser des questions, qui inexorablement aboutiront aux

8 Cf. http: www.cameroon voice.com/news/article-news.

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conclusions que ; seul l'investissement au jeu et la course vers les jackpots sont désormais rentables. Le Loto, le PMUC et le pari foot viennent renforcer cette vision qui tend à dévaloriser, à négliger et à mépriser la valeur du travail. Dès lors, pour ces individus qui ne pensent qu'à survivre, les jeux deviennent des valeurs refuges : pourquoi donc s'émouvoir à travailler dix années durant, pour accumuler une somme d'argent que l'on peut gagner en une journée, simplement en trouvant l'ordre d'arrivée à la course des chevaux ?

Disons plutôt que, la pratique des jeux d'argent dans cette catégorie de la population urbaine n'est qu'une suite des « procédures de la créativité quotidienne » M. De CERTEAU (1990 :39), de ces gens qui pour la plupart, vivent au jour le jour en « prenant la vie comme elle vient » selon une expression du sens commun à Yaoundé. Un comportement qui pose ainsi que le fait remarquer J.M ELA (1998 :46), « les fondements d'une autre économie en rupture avec la rationalité marchande qui enferme les millions d'hommes et de femmes dans le dénuement et la précarité ».

Au-delà de l'aspect économique inhérent aux pratiques de jeux d'argent, c'est aussi la dépravation d'un système de valeurs qui prend cours chez les salariés, qui se voient contraints de recourir à des stratégies dites « banales » ; en l'occurrence la pratique des jeux d'argent pour assurer un certain équilibre financier. Si bien que dans l'opinion publique, d'aucuns parlent même d'une « morale qui a foutue le camp ». En réalité, l'insatisfaction des salariés quant à leurs revenus avec le foisonnement des sociétés de jeux d'argent dans les villes qui scandant au quotidien le bonheur rêvé, on voit éclore dans cette catégorie de la population une « morale de conscience » que M. WEBER (1963 :202-206), appelle « l'éthique de la conviction », au détriment de « l'éthique de la responsabilité ». Mieux encore, il peut s'agir d'une maxime du sens commun qui prévaut que « tous les moyens sont bons quand ils sont efficaces ». C'est pour cette raison qu'on peut aisément appréhender les fonctionnaires et autres agents des secteurs publics et privés dans les lieux de jeux à Yaoundé, comme l'indique l'image suivante :

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Photographie 12 : Une attitude des fonctionnaires de police joueurs d'argent

Source : Badel ESSALA, (enquête de terrain).

Sur l'image précédente, figure les agents des forces de maintien de l'ordre en uniforme qui sont agglutinés devant un kiosque de pari sportif à « Simbock », un quartier de Yaoundé. Délaissant leur activité au profit du jeu, on peut comprendre qu'en raison d'un accroissement plus ou moins décomplexé des revenus de cette catégorie de travailleurs, leur participation aux jeux d'argent est de fait légitime. Ils s'investissent dans ces pratiques qui leur apparaissent volontiers comme un moyen leur permettant d'arrondir leur budget ou de « joindre les deux bouts ». Le jeu devient pour ainsi dire, une pratique ludique en situation économique déterminée, c'est pourquoi dans une étude menée sur la variable de fidélité aux différents jeux de hasard, O. NEWMAN (1972), constate qu'une plus grande proportion de salariés s'adonne aux jeux d'argent. Par conséquent, on peut affirmer sans risque d'erreur que le goût du jeu est avant tout un goût prolétaire chez les salariés.

De cette manière, nous avons pu observer que les « hommes en tenue » un peu plus que toutes les autres catégories socioprofessionnelles à Yaoundé, participent beaucoup aux jeux d'argent. Ils misent généralement à la Carte, au Ludo ou au damier etc., dans leurs lieux de services parce qu'ils affectionnent le risque et ont souvent du temps libre en journée, pour ceux qui sont de garde toute la nuit. Ce qui les met alors dans un état d'oisiveté et du coup, à la recherche d'excitation et sensations. Davantage, ces militaires, policiers et gendarmes jouent au poker, au PMUC ou au pari foot dès la paie à la fin du mois dans l'espoir de gagner et d'augmenter par-là, leurs revenus financiers. Dans les salles de jeux, ils sont souvent

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indexés d'être les auteurs des déviances parallèles comme : bagarres, intimidations à l'arme, ivresse, agressions verbales etc., quand ils s'aperçoivent qu'ils ont été ruinés. Ces attitudes sont par conséquent, de nature à inciter plusieurs jeunes à se lancer à leur tour dans cette pratique, quand ils voient ceux qui de plus en plus, sont considérés comme modèles dans notre société afficher de tels comportements, tous vêtus de leur uniforme de service.

Au terme de ce chapitre, il résulte que les personnes les plus enclines à s'adonner aux jeux d'argent sont celles qui ont un facile accès à leur forme de jeu préférée, sont influencées par les publicités de jeux médiatisées. Ces publicités vont parfois jusqu'à leur présenter des modèles de réussite pour qu'ils s'expriment à leur tour dans la réalité. Ces facteurs touchent particulièrement les individus en manque d'occupation, ayant perdu leur emploi, ceux à la retraite ou encore les paresseux en proie à un gain providentiel. Ceux-ci sans émettre d'autres hypothèses, risquent leur argent dans ces jeux parce qu'ils ont des défis financiers à relever. On peut donc comprendre que l'effet des médias et la mobilité des acteurs constituent des facteurs déterminants, qui contribuent à propulser les jeux d'argent sur le devant de la scène sociale en milieu urbain. Car à Yaoundé, les individus ne sont plus seulement adeptes du jeu par passion mais davantage, par nécessité économique. Cette posture n'est pas sans conséquences sur la vie du joueur et les transformations sociales qui s'opèrent dans son entourage.

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984