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Jeux d'argent et changement social a Yaounde

( Télécharger le fichier original )
par Badel ESSALA
Université de Yaoundé I - Master en sociologie 2018
  

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1. La publicisation des jeux d'argent : un pouvoir de coercition du joueur

Selon R. LEDUC (1974 :2), la publicité est « l'ensemble des moyens destinés à informer le public et à le convaincre d'acheter le produit ou un service ». En effet, si l'on pense qu'il est possible de choisir d'être indifférent à la publicité, il faut se dire qu'il n'y a pas de publicité sans capital. Dans ses analyses, R. ROCHEFORD (1995), explique que les publicitaires et les hommes de marketing s'appuient toujours sur des approches psychologiques et sociologiques pour convaincre les individus et créer des biens de consommation correspondants à leurs désirs. Et selon que la publicité est de nature insidieuse, incitative ou encore est vouée à l'apprentissage et à l'initiation à un jeu, les publicitaires prennent toujours en considération l'influence du groupe pour conditionner le choix de chacun : « du loto, du loto, vivez la vie du loto ! » ; « ce vendredi, jouez au Banko 2 et gagnez quarante millions de francs CFA au PMUC. PMUC, un jour vous aussi vous allez gagner gros ! ». Peut-on entendre si souvent dans les spots publicitaires diffusés sur les antennes radiotélévisées de la CRTV, de la FM 94, de Canal 2 international, de Magic FM, d'amplitude FM, pour ne citer que celles-là, après la lecture des éditions de journaux. Ou encore on peut les lire sur les panneaux d'affichages dans les artères de la ville de Yaoundé.

En ce sens, la publicité apparaît comme un phénomène coercitif que l'acteur social intériorise, elle développe un mensonge accentué sur un discours optimiste, portant sur l'illusion d'un bonheur rêvé tel que par un simple coup de chance, on peut parvenir à obtenir ce par quoi, même le travail demanderait beaucoup plus de temps. La publicité a aussi une fonction de légitimation puisqu'elle impose un certain nombre de valeurs, qui donnent à la société une représentation d'elle-même. Son efficacité est argumentée par le fait que les images et les slogans qu'elle diffuse suscitent la convoitise ou créent la frustration chez certains individus. Ce symbole d'une chose en son absence est pour l'acteur social qui l'écoute ou la regarde, le signal d'un manque à combler, d'un vide dont il faut satisfaire l'assouvissement ; amenant ainsi à conclure avec J. BROCHAND (2001 :3), que :

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La publicité est une technique facilitant soit la propagation de certaines idées, soit les rapports d'ordre économique entre certains hommes qui ont une marchandise ou un service à offrir à d'autres hommes susceptibles d'utiliser cette marchandise ou ce service.

En ce sens, il n'est donc plus étonnant de trouver dans l'imaginaire des populations de Yaoundé et des joueurs d'argent en particulier, des traces de cette influence sans que ceux-ci aient la force de les discuter ou de les critiquer. Cette modification de leur comportement se manifeste dans leur conduite ou encore leurs aspirations. C'est ainsi que les publicités du Lotto ou du PMUC, contraignent plusieurs individus à s'y abonner en raison du fait qu'elles les persuadent qu'ils ont plus de chance, plus de compétences et de connaissances du jeu. Illustration est faite sur l'image suivante, d'une publicité de jeu non médiatisée.

Photographie 11 : Affiche publicitaire promouvant la loterie

Source : Badel ESSALA, (enquête de terrain).

En s'appesantissant sur le contenu de ces images, on s'aperçoit qu'elles sont conçues pour véhiculer à la fois l'illusion du gagnant et inviter les personnes à développer une orientation positive envers la loterie. Ces images mettent en avant l'existence d'une forte probabilité que la vie du joueur sera améliorée grâce au jeu. Par conséquent, elles stimulent les acteurs à la pratique par le biais de certains facteurs qui contribuent entre autres : à l'association entre la simplicité des règles et faire confiance à ses compétences, à l'association entre la présence d'argent, le gain et l'investissement continu dans le jeu. Plus encore, elles intègrent les biais émotionnels, la fabrique de mythes, les pensées erronées, les probabilités réelles de succès et l'illusion de mobilité sociale. Vu sous cet angle, la publicité

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joue un rôle de catalyseur au jeu chez les individus dans la mesure où elle incite même les plus sceptiques à s'y adonner.

Les publicitaires du jeu s'appuient donc sur certains médias de masse comme la télévision pour véhiculer leurs messages.

2. La télévision et son pouvoir de séduction du joueur

À travers les jeux de vitrines comme : Banko 2, Le magazine hippique, Super Loto, Super Cagnotte 4 etc., diffusés sur les antennes télévisées de la CRTV ou de Canal 2 international, la télévision véhicule une culture d'adhésion populaire qui passe de l'imaginaire au concret en robotisant les comportements des acteurs sociaux. D'un point de vue plus large, il faut s'interroger avec Z. BAUMAN (2005 :221), sur « le véritable impact de la télévision sur nos façons d'agir et de penser ». En effet, dans ces émissions où il est généralement question de tirages à la loterie où de récompenses des gagnants, on peut dire que la télévision rend ses téléspectateurs émotionnellement vulnérables. C'est un univers dans lequel se meuvent les besoins des individus au motif que l'argent se substitue au spirituel, au social et au culturel. Elle devient ainsi, une spatialité ontologique qui fait de l'homme un aliéné du jeu, un prisonnier de son regard quantifiant, un être réduit à la sensation et à l'expression d'un besoin.

La télévision standardise aussi les modes de pensées, détruit la véritable personnalité et le bon vouloir des téléspectateurs. Tel est le cas de cet informateur G. MBANGA, instituteur vacataire, qui relatait les circonstances à travers lesquelles il s'est initié aux jeux d'argent. L'économie de ses propos révèlent que :

Il y'a quelques années encore, ces jeux ne m'intéressaient pas du tout. J'ai commencé à parier sur les courses du PMUC le jour où j'ai vu remettre un chèque de huit millions de francs à un gagnant ! C'était au cours de l'émission tamtam week-end, qui passe tous les dimanches vers 14 heures à la CRTV. C'est ce jour-là que je me suis dit pourquoi pas moi ? C'est donc comme cela que je me suis jeté dedans.

Ce diktat de la télévision est renforcé par la recherche de spéculations sur le jeu en permanence. En réalité, les émissions télévisées sur les jeux d'argent sont à la recherche de sensations, avec une information qui occupera une place bien trop importante dans la

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conscience du joueur. C'est dire qu'obnubilés par la présence de ces jeux, la télévision contribue à la dépossession des joueurs avec ou sans leur aval. Sa pression les désoriente et une fois dépossédés, leur libre arbitre les convertit à la société dans laquelle elle veut les faire vivre. Car, elle les abreuve d'images et d'imaginations parfois fictives et à travers lesquelles ces individus vivent dans l'espoir d'assouvir leurs besoins au moyen de l'information qui est véhiculée. La télévision est aussi un facteur de neutralisation des acteurs sociaux dans la mesure où, elle dramatise et accentue les évènements qu'elle met en scène. Ici, l'attrait qu'elle exerce sur les joueurs et les non joueurs est bien supérieur à tout autre média. Car, la stimulation à la fois visuelle et auditive qu'elle suscite, laisse entrevoir une volonté d'expérimentation du jeu chez le téléspectateur.

Dans le tableau qui va suivre, il est présenté de façon plus détaillée, les facteurs d'appréciation des jeux d'argent, dont les préférences aux jeux des acteurs sont quelques fois fonction de l'effet médiatique des émissions télévisées qui se rapportent à ces jeux.

Tableau 3 : Les facteurs d'appréciation des jeux d'argent

Préférences aux jeux
d'argent

Effectifs

Proportions (%)

Jeux au casino

7

5.38

Poker et machines à sous

28

21.53

PMU (loteries, tombolas, paris
sportifs et hippiques)

73

56.15

Flipper, baby-foot, jeux vidéo

12

9.23

Bonneteau, Ludo, cartes, dés

etc.

10

7.69

Total

130

99.98

Source : Badel ESSALA, (enquête de terrain).

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Les données consignées dans ce tableau permettent d'établir les faits suivants : tous les sujets interrogés s'intéressent aux jeux d'argent, leur participation est de 100 %. Mais parmi eux, on observe que le choix du type de jeu est fonction de l'effet publicitaire que suscitent certains jeux télédiffusés. Celui-ci entraine une volonté d'expérimentation des PMU dans la mesure où les loteries, les tombolas, les paris hippiques et sportifs sont les jeux les plus sollicités. Ils représentent 56.15 % de l'effectif total. Ce pourcentage est nettement supérieur à celui des autres jeux. Comment peut-on expliquer cette prévalence ?

En effet, les PMU sont des jeux très prisés pour plusieurs raisons : d'abord, ils sont plus récents et plus médiatisés. Et comme tel, ils suscitent au sein de la population un effet de curiosité à vouloir expérimenter, à côté des autres jeux qui sont plus anciens et ne disposant pas d'espace publicitaire à la télévision. L'exemple d'un autre informateur nommé N. ABANDA, 57 ans, mécanicien à Ékounou, nous-en dit davantage sur l'effet de la télévision dans son incitation aux pratiques de jeux d'argent quand il dit que :

J'ai abandonné le poker il y'a très longtemps ! C'est vers les années 1998 que je me suis initié au PMUC. Et depuis 2012, je joue aussi au pari foot parce que dans ces jeux, on peut regarder en direct à la télévision, les courses sur l'hippodrome et les matchs des grands championnats européens et avoir même les pronostics des consultants.

Dans les propos d'un autre joueur d'argent V. MESSEBA, étudiant, on peut lire en substance l'impact de la télévision dans ses préférences aux jeux d'argent. Ce dernier s'exprime en ces termes :

J'aime le damier, que je joue d'ailleurs au quartier avec des amis. Mais quand il faut chercher le « bon argent », je joue beaucoup plus au pari foot. En fait, je suis d'abord un fan de football ; et parce que dans ce jeu, tu valides ton ticket et tu as la possibilité de regarder les matchs à la télévision. Je pense que ce jeu au moins est transparent !

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C'est pour dire que, les formes d'appréciation de ces jeux sont répandues et qu'ils font désormais partie intégrante de la vie quotidienne de plusieurs individus. Ceux-ci dans leur majorité, sont des téléspectateurs de chaînes sportives des bouquets « canal + », où les championnats et leagues Européennes font grand échos tous les week-ends. La télédiffusion des évènements ayant une relation étroite avec les jeux a donc un impact avéré sur leur pratique par les habitants de la ville de Yaoundé. Les préférences des acteurs pour les autres types de jeux sont moins en rapport avec l'effet médiatique, parce qu'ils ne sont pas assez publicisés à la télévision. D'une part, leurs pratiques s'arriment à des facteurs de rentabilité de gain dans les passe-temps populaires. Et par ailleurs, leur rejet émane de l'élitisme de certains milieux de jeux. Car les jeux de cartes, de dés de Ludo etc., sont pour la majorité des prétendants au million, des jeux qui ne « payent pas assez ». Tandis que les casinos sont des milieux qui véhiculent des préjugés mafieux pour certains, au contraire des PMU qui disposent d'espaces publicitaires dans les médias, et donc plus accessibles.

Toutefois, si la télévision est une usine de rêve ou encore une fabrique de fantasmes pour les joueurs, qu'en est-il de la radio ?

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand