1. La publicisation des jeux d'argent : un pouvoir de
coercition du joueur
Selon R. LEDUC (1974 :2), la publicité est «
l'ensemble des moyens destinés à informer le public et à
le convaincre d'acheter le produit ou un service ». En effet, si l'on
pense qu'il est possible de choisir d'être indifférent à la
publicité, il faut se dire qu'il n'y a pas de publicité sans
capital. Dans ses analyses, R. ROCHEFORD (1995), explique que les publicitaires
et les hommes de marketing s'appuient toujours sur des approches psychologiques
et sociologiques pour convaincre les individus et créer des biens de
consommation correspondants à leurs désirs. Et selon que la
publicité est de nature insidieuse, incitative ou encore est
vouée à l'apprentissage et à l'initiation à un jeu,
les publicitaires prennent toujours en considération l'influence du
groupe pour conditionner le choix de chacun : « du loto, du loto,
vivez la vie du loto ! » ; « ce vendredi, jouez au Banko 2
et gagnez quarante millions de francs CFA au PMUC. PMUC, un jour vous aussi
vous allez gagner gros ! ». Peut-on entendre si souvent dans les
spots publicitaires diffusés sur les antennes
radiotélévisées de la CRTV, de la FM 94, de Canal 2
international, de Magic FM, d'amplitude FM, pour ne citer que celles-là,
après la lecture des éditions de journaux. Ou encore on peut les
lire sur les panneaux d'affichages dans les artères de la ville de
Yaoundé.
En ce sens, la publicité apparaît comme un
phénomène coercitif que l'acteur social intériorise, elle
développe un mensonge accentué sur un discours optimiste, portant
sur l'illusion d'un bonheur rêvé tel que par un simple coup de
chance, on peut parvenir à obtenir ce par quoi, même le travail
demanderait beaucoup plus de temps. La publicité a aussi une fonction de
légitimation puisqu'elle impose un certain nombre de valeurs, qui
donnent à la société une représentation
d'elle-même. Son efficacité est argumentée par le fait que
les images et les slogans qu'elle diffuse suscitent la convoitise ou
créent la frustration chez certains individus. Ce symbole d'une chose en
son absence est pour l'acteur social qui l'écoute ou la regarde, le
signal d'un manque à combler, d'un vide dont il faut satisfaire
l'assouvissement ; amenant ainsi à conclure avec J. BROCHAND (2001 :3),
que :
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La publicité est une technique facilitant soit la
propagation de certaines idées, soit les rapports d'ordre
économique entre certains hommes qui ont une marchandise ou un service
à offrir à d'autres hommes susceptibles d'utiliser cette
marchandise ou ce service.
En ce sens, il n'est donc plus étonnant de trouver dans
l'imaginaire des populations de Yaoundé et des joueurs d'argent en
particulier, des traces de cette influence sans que ceux-ci aient la force de
les discuter ou de les critiquer. Cette modification de leur comportement se
manifeste dans leur conduite ou encore leurs aspirations. C'est ainsi que les
publicités du Lotto ou du PMUC, contraignent plusieurs individus
à s'y abonner en raison du fait qu'elles les persuadent qu'ils ont plus
de chance, plus de compétences et de connaissances du jeu. Illustration
est faite sur l'image suivante, d'une publicité de jeu non
médiatisée.
Photographie 11 : Affiche publicitaire
promouvant la loterie
Source : Badel ESSALA, (enquête de terrain).
En s'appesantissant sur le contenu de ces images, on
s'aperçoit qu'elles sont conçues pour véhiculer à
la fois l'illusion du gagnant et inviter les personnes à
développer une orientation positive envers la loterie. Ces images
mettent en avant l'existence d'une forte probabilité que la vie du
joueur sera améliorée grâce au jeu. Par conséquent,
elles stimulent les acteurs à la pratique par le biais de certains
facteurs qui contribuent entre autres : à l'association entre la
simplicité des règles et faire confiance à ses
compétences, à l'association entre la présence d'argent,
le gain et l'investissement continu dans le jeu. Plus encore, elles
intègrent les biais émotionnels, la fabrique de mythes, les
pensées erronées, les probabilités réelles de
succès et l'illusion de mobilité sociale. Vu sous cet angle, la
publicité
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joue un rôle de catalyseur au jeu chez les individus
dans la mesure où elle incite même les plus sceptiques à
s'y adonner.
Les publicitaires du jeu s'appuient donc sur certains
médias de masse comme la télévision pour véhiculer
leurs messages.
2. La télévision et son pouvoir de
séduction du joueur
À travers les jeux de vitrines comme : Banko 2, Le
magazine hippique, Super Loto, Super Cagnotte 4 etc., diffusés sur les
antennes télévisées de la CRTV ou de Canal 2
international, la télévision véhicule une culture
d'adhésion populaire qui passe de l'imaginaire au concret en robotisant
les comportements des acteurs sociaux. D'un point de vue plus large, il faut
s'interroger avec Z. BAUMAN (2005 :221), sur « le véritable
impact de la télévision sur nos façons d'agir et de penser
». En effet, dans ces émissions où il est
généralement question de tirages à la loterie où de
récompenses des gagnants, on peut dire que la télévision
rend ses téléspectateurs émotionnellement
vulnérables. C'est un univers dans lequel se meuvent les besoins des
individus au motif que l'argent se substitue au spirituel, au social et au
culturel. Elle devient ainsi, une spatialité ontologique qui fait de
l'homme un aliéné du jeu, un prisonnier de son regard
quantifiant, un être réduit à la sensation et à
l'expression d'un besoin.
La télévision standardise aussi les modes de
pensées, détruit la véritable personnalité et le
bon vouloir des téléspectateurs. Tel est le cas de cet
informateur G. MBANGA, instituteur vacataire, qui relatait les circonstances
à travers lesquelles il s'est initié aux jeux d'argent.
L'économie de ses propos révèlent que :
Il y'a quelques années encore, ces jeux ne
m'intéressaient pas du tout. J'ai commencé à parier sur
les courses du PMUC le jour où j'ai vu remettre un chèque de huit
millions de francs à un gagnant ! C'était au cours de
l'émission tamtam week-end, qui passe tous les dimanches vers 14 heures
à la CRTV. C'est ce jour-là que je me suis dit pourquoi pas moi ?
C'est donc comme cela que je me suis jeté dedans.
Ce diktat de la télévision est renforcé
par la recherche de spéculations sur le jeu en permanence. En
réalité, les émissions télévisées sur
les jeux d'argent sont à la recherche de sensations, avec une
information qui occupera une place bien trop importante dans la
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conscience du joueur. C'est dire qu'obnubilés par la
présence de ces jeux, la télévision contribue à la
dépossession des joueurs avec ou sans leur aval. Sa pression les
désoriente et une fois dépossédés, leur libre
arbitre les convertit à la société dans laquelle elle veut
les faire vivre. Car, elle les abreuve d'images et d'imaginations parfois
fictives et à travers lesquelles ces individus vivent dans l'espoir
d'assouvir leurs besoins au moyen de l'information qui est
véhiculée. La télévision est aussi un facteur de
neutralisation des acteurs sociaux dans la mesure où, elle dramatise et
accentue les évènements qu'elle met en scène. Ici,
l'attrait qu'elle exerce sur les joueurs et les non joueurs est bien
supérieur à tout autre média. Car, la stimulation à
la fois visuelle et auditive qu'elle suscite, laisse entrevoir une
volonté d'expérimentation du jeu chez le
téléspectateur.
Dans le tableau qui va suivre, il est présenté
de façon plus détaillée, les facteurs
d'appréciation des jeux d'argent, dont les préférences aux
jeux des acteurs sont quelques fois fonction de l'effet médiatique des
émissions télévisées qui se rapportent à ces
jeux.
Tableau 3 : Les facteurs d'appréciation
des jeux d'argent
Préférences aux
jeux d'argent
|
Effectifs
|
Proportions (%)
|
Jeux au casino
|
7
|
5.38
|
Poker et machines à sous
|
28
|
21.53
|
PMU (loteries, tombolas, paris sportifs et hippiques)
|
73
|
56.15
|
Flipper, baby-foot, jeux vidéo
|
12
|
9.23
|
Bonneteau, Ludo, cartes, dés
etc.
|
10
|
7.69
|
Total
|
130
|
99.98
|
Source : Badel ESSALA, (enquête de terrain).
70
Les données consignées dans ce tableau
permettent d'établir les faits suivants : tous les sujets
interrogés s'intéressent aux jeux d'argent, leur participation
est de 100 %. Mais parmi eux, on observe que le choix du type de jeu est
fonction de l'effet publicitaire que suscitent certains jeux
télédiffusés. Celui-ci entraine une volonté
d'expérimentation des PMU dans la mesure où les loteries, les
tombolas, les paris hippiques et sportifs sont les jeux les plus
sollicités. Ils représentent 56.15 % de l'effectif total. Ce
pourcentage est nettement supérieur à celui des autres jeux.
Comment peut-on expliquer cette prévalence ?
En effet, les PMU sont des jeux très prisés pour
plusieurs raisons : d'abord, ils sont plus récents et plus
médiatisés. Et comme tel, ils suscitent au sein de la population
un effet de curiosité à vouloir expérimenter, à
côté des autres jeux qui sont plus anciens et ne disposant pas
d'espace publicitaire à la télévision. L'exemple d'un
autre informateur nommé N. ABANDA, 57 ans, mécanicien à
Ékounou, nous-en dit davantage sur l'effet de la
télévision dans son incitation aux pratiques de jeux d'argent
quand il dit que :
J'ai abandonné le poker il y'a très
longtemps ! C'est vers les années 1998 que je me suis initié au
PMUC. Et depuis 2012, je joue aussi au pari foot parce que dans ces jeux, on
peut regarder en direct à la télévision, les courses sur
l'hippodrome et les matchs des grands championnats européens et avoir
même les pronostics des consultants.
Dans les propos d'un autre joueur d'argent V. MESSEBA,
étudiant, on peut lire en substance l'impact de la
télévision dans ses préférences aux jeux d'argent.
Ce dernier s'exprime en ces termes :
J'aime le damier, que je joue d'ailleurs au quartier avec
des amis. Mais quand il faut chercher le « bon argent », je joue
beaucoup plus au pari foot. En fait, je suis d'abord un fan de football ; et
parce que dans ce jeu, tu valides ton ticket et tu as la possibilité de
regarder les matchs à la télévision. Je pense que ce jeu
au moins est transparent !
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C'est pour dire que, les formes d'appréciation de ces
jeux sont répandues et qu'ils font désormais partie
intégrante de la vie quotidienne de plusieurs individus. Ceux-ci dans
leur majorité, sont des téléspectateurs de chaînes
sportives des bouquets « canal + », où les championnats et
leagues Européennes font grand échos tous les week-ends. La
télédiffusion des évènements ayant une relation
étroite avec les jeux a donc un impact avéré sur leur
pratique par les habitants de la ville de Yaoundé. Les
préférences des acteurs pour les autres types de jeux sont moins
en rapport avec l'effet médiatique, parce qu'ils ne sont pas assez
publicisés à la télévision. D'une part, leurs
pratiques s'arriment à des facteurs de rentabilité de gain dans
les passe-temps populaires. Et par ailleurs, leur rejet émane de
l'élitisme de certains milieux de jeux. Car les jeux de cartes, de
dés de Ludo etc., sont pour la majorité des prétendants au
million, des jeux qui ne « payent pas assez ». Tandis que les casinos
sont des milieux qui véhiculent des préjugés mafieux pour
certains, au contraire des PMU qui disposent d'espaces publicitaires dans les
médias, et donc plus accessibles.
Toutefois, si la télévision est une usine de
rêve ou encore une fabrique de fantasmes pour les joueurs, qu'en est-il
de la radio ?
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